« Terre. »

La vigie avait devancé de quelques minutes le reste de l'équipage présent sur le pont. Silmeria était avec le Capitaine Von Klaash, à discuter au plein air des derniers détails de son débarquement. Bien entendu, il n'était pas question d'envoyer la Laide-Les-Maines mouiller à Oranan, le navire était bien trop facile à reconnaitre et ça alerterait la garde. La tueuse serait donc débarquée à quelques lieux de la ville à l'aide d'une barque. Elle s'y rendrait seule et envisagerait les options à sa disposition une fois en ville.

«'Savez... J'connais pas grand' chose à toutes ces histoires. Mais l'vieux loup de mer que j'suis vous déconseille finalement les mercenaires. J'me suis p'têtre trompé, si ça s'trouve des mercenaires ont eu vent de votre cas et pourrez vous piéger. Essayez de traverser le territoire Lykor seule. Si la nuit se couche et que vous vous y trouvez encore soyez très prudente. Sont silencieux comme des ombres. »

Silmeria observait la terre apparaître à l'horizon, le détour opéré par Von Klaash avait rendu le navire invisible des terres tant il était au large. Mais elle savait qu'elle lui était redevable.
« Je n'ai pas traversé tout ça pour terminer en festin Capitaine. Je trouverais peut-être même d'autres solutions sur place. »

L'homme lui envoya une tape sur l'épaule et dit alors :

« Je vous le souhaite. »



« Chaloupe à la mer ! »



« Ma p'tite. J'ai jamais porté autant de considération envers une femme. Z'êtes plus féroce que certains hommes. Et j'en ai vu, des marins tordus. »

Voyant que Von Klaash cherchait ses mots et qu'il essayait de faire un compliment, Silmeria lui renvoya un sourire. Le Capitaine était un soutien jusqu'à présent sans faille, chose rare chez les individus très portés sur le carnage.

« Lors de vos voyages, écoutez tout de même les nouvelles d'Omyre. Peut-être qu'un jour nos routes se recroiseront mais vous avez assez de richesses à présent. Je me trompe ? »

« Oui. Ma vraie richesse, c'est le large. La mer, indomptable et cruelle. Un peu comme vous. Allez. Partez maintenant, ça porte malheur une femme sur un rafiot. »



Son embarcation venait de quitter la plage. Silmeria restait un long moment à contempler l'horizon, la Laide rétrécissait, elle avait rendrez-vous avec le large, ses hommes vers de nouvelles aventures. Le sable lui rentrait dans les bottes et le vent du large faisait danser ses cheveux noirs. Elle récupéra le bardas à ses pieds, pour toute richesse, une bourse, une dague orque qu'elle prenait soin de cacher pour ne pas éveiller de soupçons chez les humains, une autre arme plus exotique à sa ceinture. Une longue robe noire et son aiguille dans les cheveux, elle se dirigeait vers la ville située plus loin.

*<---*





À peine avais-je fini mon petit tour de force que la vigie ayant succédé à Plagg nous annonça l'approche des feux de la Laide. Les manœuvres s'enchaînèrent rapidement. Notre anguille de camarade plongea une dizaine de minutes avant nous. Ma forme d'hippocampe nous amena ensuite rapidement auprès du navire adverse quand ce fut à notre tour d'entrer en scène. Le semi-elfe avait laissé sa cape sur le Masamune et s'était fait le plus proche possible de moi pendant la traversée, facilitant ma progression à travers les eaux. Plagg avait fait un repérage parfait, nous permettant de nous hisser à bord, et ouvrant la voie vers les cellules. Difficile de manquer celle qui nous intéressait. À la porte, deux gardiens lourdement équipés nous barrèrent la route. Je n'eus pas même le temps d'élaborer le soupçon d'une stratégie que le duo dangereux quitta les lieux. Visiblement, la brume dérangeait vraiment le meneur du vaisseau, car ils furent appelés sèchement pour aider aux rames. L'espace d'un instant, je me demandai si, projetés par-dessus bord, les porteurs de telles protections auraient eu la moindre chance de survie.

Vif, Nahöriel avait plongé les aiguilles de Mazhui dans la serrure et fait joué son mécanisme quand je sortis de ma réflexion. La chance était de notre côté, personne ne semblant au courant de notre venue. Toutefois, la pointe de joie que je ressentais s'évanouit à la vue d'Eliwin. Mazhui nous avait donné un aperçu de la cruauté de Von Klaash à travers son récit et sa blessure, mais l'ancien capitaine, lui, y avait pleinement goûté. C'était à croire qu'il avait payé pour tous les membres de l'équipage épargnés. Sa mâchoire métallique avait été arrachée, laissant visibles dents et gencives en sang. Pire encore, ni lien ni menottes pour le retenir, mais des anneaux de métal plantés dans sa chair, au niveau de ses omoplates, et qui le maintenaient suspendu dans la pièce. Ils étaient reliés à d'immondes chaînes noires, elles-mêmes retenue par des crochets. Le semi-elfe et moi lâchâmes le même commentaire de façon synchronisée.

"Par Moura..."

La vision me rappela celle du cadavre atrocement mutilé que nous avions trouvé sur la route vers Tulorim. Un instant interdite, je me repris quand Plagg sortit, incapable d'endurer cette vision, et préférant préparer notre fuite. Soudain, alors que je réalisai entendre une respiration, Eliwin ouvrit les yeux et me fixa. Son regard s'emplit de larmes et, malgré sa mâchoire brisée, il tenta de parler. Impossible de savoir quel ton il employait, mais j'étais certaine qu'il constatait que nous étions venus. J'aurais aimé savoir en cet instant ce qu'il ressentait, quand les soi-disant lâches du Masamune étaient venus le chercher.

Réalisant subitement sa situation, je me plaçai immédiatement sous l'homme et forçai chaque fibre de mon corps à se contracter pour lui servir d'appui. Soufflant plus que parlant, j'interpellai mon compagnon.

"Nahö' !"

"Compris !"

Alors que mon ami semi-elfe se hâtait vers les crochets pour les desserrer, je m'adressai au prisonnier. L'amertume de son état me saisit au torse. Nous avions mis trop de temps, mais le marin avait réussi à tenir le coup. J'espérai de tout mon être qu'il gardât cette envie de vivre intacte encore un moment. De mon côté, j'avais du mal à ne pas laisser mon courroux obscurcir mes pensées.

"Oui, nous sommes là. Courage, Elivan. Nous vous ramenons sur le Masamune, et la colère de Moura elle-même ne saurait nous en empêcher."

Lorsque je sentis le poids de l'homme s'accroître, je fis un effort supplémentaire pour l'accompagner au sol. Je portai immédiatement la main à ma sacoche et en sortis ma gourde magique. Elle contenait quelques potions, mais je doutais qu'elles fussent assez puissantes pour le rétablir totalement. Il fallait toutefois essayer de lui rendre quelques forces, quand bien même sa bouche était en lambeaux. J'étais prête à le porter s'il le fallait, mais l'exposer à la fureur marine dans cet état était de l'inconscience pure.

"Essayez de boire l'un de mes breuvages de soin, cela vous soulagera un peu. "

Retourné près de la porte, Nahöriel m'apparut tendu et me jeta un regard rapide avant de reporter son attention sur la sortie. J'ignorais ce à quoi il songeait, mais il émit un commentaire fort judicieux.

"Faut s'grouiller, on sait pas combien d'aut' types c'requin a mis aux rames. Nos gars vont pas pouvoir t'nir la cadence longtemps."

J'opinai, partagée entre la colère et la crainte. J'espérai que le robuste Eliwin, malgré son état, parvînt à tenir le coup encore un peu et que la chance restât de notre côté. Je priai silencieusement Moura pour que le retour fusse aussi simple que l'aller. Pourvu que Plagg n'ait pas rencontré de problème de son côté. Pas maintenant. Pas alors que l'opération approchait de son issue.


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Alors qu'Eliwin finissait d'avaler péniblement une rasade de liquide, l'ambiance de la Laide changea du tout au tout. Mouvements, éclats de voix et cris de guerre se firent entendre un peu partout à bord, en particulier au-dessus, au niveau du pont. Je sentis mes yeux s'arrondir. Le Masamune avait-il finalement été repéré par la Laide ? Cette agitation ne présageait rien de bon, surtout lorsque nous vîmes Plagg revenir à toute vitesse, visiblement au bord de la panique. Il bégaya, nous informant en tout et pour tout que c'était "la merde". Je ne savais pas si l'un des membres de l'équipage allait revenir, chose dont la logique m'échappait, mais notre sortie discrète avait l'air compromise.

Tandis que je soutenais Eliwin, je rivai mes yeux clairs à mes camarades. Cette impression de déjà-vu ne me plaisait pas du tout. La dernière fois, nous n'avions que nos peaux et écorces à protéger. Là, la donne était différente.

"Ils s'en prennent au Masamune ?"

Si c'était le cas, il fallait absolument faire quelque chose pour détourner l'attention de la racaille de Von Klaash sur un autre problème. Mais ce n'était valable que si les nôtres étaient en danger. Je scrutai alors les autres portes de cellules proches. Comme s'il avait pu avoir un aperçu de mes pensées, Nahöriel s'approcha de l'une des autres salles. J'ignorais ce qui se passait là-haut, mais peut-être les lieux étaient-ils occupés par d'autres prisonniers en meilleur état que notre frère sans mâchoire. Il fallait s'en assurer.

Si c'était le cas, nous aurions un atout possible de plus dans la manche. Dans l'éventualité contraire, il nous faudrait profiter du chaos ambiant pour tenter une fuite. Mais cette stratégie aurait été inutile si notre foyer mobile était la cible de la Laide. Je me mordis vivement la lèvre inférieure, tentant de chasser la culpabilité naissant sous mon écorce. Rien n'était encore joué ou perdu.

(Moura, donnez-moi la force de surmonter cette épreuve.)


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Pour Mytha :

Nahoriel aperçut en effet d'autres cellules, communes cette fois-ci, dans lesquelles étaient amassés des dizaines de prisonniers, misérables, ayant abandonné tout espoir.

Plagg reprenait quant à lui son souffle, et il commença à expliquer à Mytha l'objet de son empressement.

- Non, en fait...

Des bruits assourdissants résonnèrent et lui coupèrent la parole, à cela s'ajoutèrent de violentes secousses. Apparemment, la Laide était en pleine bataille et avait reçu des obus. D'autres ordres de tirer fusèrent. La bataille faisait rage.

En effet, dehors, le Chasseur de Brisants fendait les flots à côté de la Laide et les deux navires s'échangeaient des tirs pour l'instant sans grande conséquences.

Seulement, un autre bouleversement survient avec une secousse encore plus violente : le Masamune était rentré dans le flanc de la Laide et les deux navires étaient comme collés l'un contre l'autre ! Un tonnerre d'explosions se fit entendre, comme si le Masamune faisait plein feu sur son adversaire à bout portant pour faire le plus de dommages possibles !

Plagg se ressaisit et s'exclama :

- C'est notre chance ! Ils veulent qu'on saute !

Mais il y avait plus. Avant que le groupe de Mytha puisse prendre une décision, les hommes de Von Klaash firent irruption dans le couloir derrière eux, avec un terrifiant capitaine à leur tête :

- Ces enculés de fils de poulpe ! Sont rev'nus pour m'le piquer ou quoi ?! J'vais l'buter, j'vais l'buter pendant qu'ils regardent bien, et ensuite eux aussi j'vais les buter, et...

Puis l'homme aperçut les intrus et tous se figèrent. L'homme laid et barbu au tricorne déchiré mais toujours fièrement porté, Von Klaash, les fixa avec des yeux injectés de sang.

- CHOPEZ-MOI CES ENFOIRÉS !


( Le Masamune attend là où vous avez embarqué sur la Laide, au bout du couloir, en face de vous, bien visible. Von Klaash et ses hommes sont de l'autre côté, prêts à vous fondre dessus, derrière vous. )

[HRP : Avec beaucoup de retard, je réponds enfin.]

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Sur mon flanc, Nahöriel émit un "par les écailles de" en regardant dans la cellule, mais il fut interrompu par Plagg, tentant de m'expliquer ce qui se passait sur le pont. Si ce n'était pas le Masamune qui était pris pour cible, alors que se passait-il donc là-haut ? Soudain, la Laide cilla, cible de coups et auteur de tirs, mais ce fut autre chose qui manqua de peu me faire choir. Notre navire bleu était subitement rentré dans le flanc de la Laide et l'attaquait à pleine puissance ! L'anguille humaine de Plagg se reprit, nous criant que c'était là notre chance. Qu'il fallait sauter et fuir les lieux. Je n'eus cependant pas même le loisir d'y attarder une pensée qu'une voix grondante émana du couloir dans notre dos. Un humain, barbu, rendu laid selon les standards des êtres de chair, et coiffé d'un tricorne, vociférait avec hargne. Entre deux insultes, je compris qu'il était là pour Eliwin. Pour l'achever devant les yeux des membres de l'équipage. Lorsque nos groupes respectifs s'aperçurent, il hurla l'ordre de nous attraper.

"Nahö' ! Avancez vite !"

Sur ces simples mots, je laissai à mon ami demi-elfe la charge de soutenir Eliwin et de se précipiter vers notre salut. Il nous fallait fuir, mais nous risquions d'être rattrapés si nous leur tournions le dos. Malgré les armures portées, je doutais que l'ancien prisonnier fusse assez vif pour leur échapper. Hors de question de combattre pour autant, nous n'aurions peut-être plus la chance de rejoindre notre vaisseau aussi facilement. Il me fallait faire gagner du temps à notre quatuor.

Malgré les pulsations de ma sève, je m'efforçai de canaliser ma magie de la lumière puis, comme lors du combat de la veille, de la laisser exploser en-dehors de mon écorce. Tant pis pour la discrétion. Éblouir ces adversaires dans un lieu pareil augmentait nos chances de fuite, alors pas question d'hésiter. Dès que le flash eut lieu, je me lançai à la suite de mes compagnons, en direction du Masamune, préparant ma magie d'eau. Si nos poursuivants étaient encore trop près, je comptais leur jeter le sort de raz-de-marée à la figure pour les tenir à distance.

La Laide tanguait, augmentant la crainte que je ressentais pour Plagg, Nahöriel et Eliwin. Il fallait partir et vite. Avec de la chance, ce que je compris être le Chasseur des Brisants serait capable de nous créer une opportunité d'endommager suffisamment ce navire pour qu'il ne parvînt pas à nous suivre en pleine mer. Mais avant de se préoccuper de ce problème, nous devions rallier au plus vite le Masamune.

Et tous les quatre.


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Ma lueur éclata, nous permettant de gagner du temps, mais ce fut sans compter une poisse inattendue. Alors que le Masamune était à portée de bottes, un tangage aussi soudain que brutal de la Laide nous envoya tous au sol. Ce bref moment, allié à la brutalité du choc contre les parois du couloir, sonna notre quatuor, et permit à nos poursuivants de nous rattraper. Von Klaash, le regard luisant de colère, était à quelques pas d'Eliwin, décidé à ne pas le laisser s'en tirer. Au-dessus de nous, des pas lourds sur le pont se faisaient entendre de plus en plus fortement. Amis ou ennemis, plus de temps à perdre en réflexion.

Ma sève pulsa si violemment dans ma tête que ma vue se brouilla l'espace d'une seconde. Alors que je rassemblai mes fluides d'eau, la voix de Nahöriel se rapprocha, interpellant Plagg. Je l'aperçu du coin de l'oeil se placer agilement entre le redoutable capitaine et notre camarade blessé. Il était agité, plus encore que moi, et ses paroles éclatèrent sans ménagement.

"Vire Eli' d'là !"

Sur ce, il campa sur ses jambes, les bras légèrement tremblants. Il avait l'air de se préparer à attraper la lame de Von Klaash si elle s'abattait dans sa direction. De mon côté, j'avais décidé de changer de tactique et de tenter d'utiliser ma magie de poison d'eau pour paralyser ce redoutable adversaire. Gagner du temps, rien qu'un peu, juste pour mettre mes camarades en sécurité. Que cela eût réussi ou non, j'envisageai d'employer mon sort de raz-de-marée par la suite. Je ne pouvais pas accepter que tout bascule là, après une telle opération.

Pas si près du but !


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En une fraction de seconde, tout ce que nous avions accompli se volatilisa. Von Klaash, plus haineux que jamais, attaqua Nahöriel. Alors que ce dernier s'apprêtait à attraper la lame des deux mains en songeant à un assaut vertical, il fut pris de court par un coup d'estoc si violent que la lame transperça son bas-ventre de part en part. Mon poison n'avait pas eu d'effet sur le robuste marin. Ma sève se glaça lorsque je vis notre terrifiant adversaire utiliser le corps de mon ami comme bouclier pour charger droit sur Plagg. Dans un réflexe plus qu'autre chose, j'emboitai le pas au capitaine, incrédule.

Un choc renversa notre frère agile à peine relevé et laissa un Nahöriel grièvement blessé au sol. La vue de son sang fit s'arrondir mes yeux clairs. Avant d'y songer, je m'étais jetée à ses côtés et avais extirpé ma gourde de ma sacoche. Sans le moindre ménagement, j'ôtai le bouchon, redressai le semi-elfe et lui fis avaler ma dernière rasade de fluide curatif. Malheureusement, à part réduire son hémorragie, elle n'eut guère d'effets. Le regard marron du demi-humain se posa sur moi. Il était sous le choc, mais tenta quand même de me repousser.

"C... Cours."

Au coin de mes yeux, je perçus une montée de liquide, alors que je prenais conscience de la situation. Eliwin apparemment sans connaissance. Plagg à terre. Nahöriel gravement blessé et ma magie inefficace. Tout mon être fut envahit d'une crispation certaine. Une seule pensée tourbillonnait dans mon esprit.

Tout ce qui arrivait était de ma faute.

Un bref instant, je fus assourdie par le cri meurtrier de Von Klaash. Pour la première fois, la peur mêlée de désespoir m'envahit. Je ne pouvais plus rien faire. Mes pensées étaient entachées de ressenti qui m'empêchait de réfléchir correctement. Lorsque la silhouette du capitaine entra dans mon champ de vision une nouvelle fois, la colère se mêla à la peur.

Délaissant le semi-elfe, je haussai la voix pour concurrencer celle de Von Klaash.

"Arrière."

La boule de ma gorge en masqua une partie, et je m'efforçai de rassembler mon énergie. Plus de réflexion. Plus d'espoir. Plus d'instinct de survie.

"Arrière !"

Alors que mon enveloppe d'écorce se changeait subitement en celle de l'hippocampe, mon désespoir explosa en un cri strident et chargé d'énergie combattive, mêlant la voix équine et la mienne. J'usai de toute la puissance de mes poumons pour surpasser le son émis par notre ennemi en un cri dangereux.

"ARRIERE !"

Peu m'importait ce qui allait se passer. La situation était déjà désespérée et risquait difficilement d'empirer. Mon voyage avait été court mais j'avais eu la chance de goûter à l'amitié, d'avoir une vraie famille. Presque inconsciemment, j'étais résolue au funeste sort qui m'attendait. S'il me fallait périr ici et maintenant, alors je me battrais jusqu'à mon ultime souffle et resterais à leurs côtés.

Jusqu'au dernier instant.


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À ma grande surprise, le féroce capitaine sembla hésiter devant mon apparence animale. Il fit même un pas ou deux en arrière, allant se réfugier derrière ses hommes, en les exhortant à jauger la situation. Nul ne m'atteignit cependant, et il me fallut bien une poignée de secondes pour comprendre ce que je voyais. Nos frères du Masamune, menés par l'imposant Iguru, étaient venus à notre secours. Dans leurs mains, des harpons, dont certains s'enfoncèrent profondément dans nos adversaires. Ma tête tourna d'elle-même lorsque je sentis un mouvement dans mon dos. Nahöriel, Plagg et Eliwin étaient éloignés du combat. Mon désespoir fit place à l'incrédulité. Si je devais qualifier mon ressenti à ce moment, je pencherais pour quelque chose de près de l'état de choc.

Ce ne fut qu'en entendant la voix brutale mais juste d'Iguru que je me repris.

(Le... Le bateau. Oui, rejoindre le Masamune.)

J'inspirai vivement, retrouvant ma forme d'oudio. Ma gorge brûlait de mon cri soudain et mes jambes flageolaient, mais je me retournai pourtant vivement à la suite des blessés. Le grand humain semblait savoir ce qu'il faisait, et je ne doutais pas être dans ses pattes si je restais à traîner. La dernière fois que j'avais fait perdre du temps à notre sauveteur, celui-ci avait pris deux traits d'arbalète dans la poitrine. Plus jamais je ne voulais assister à ce spectacle.

Dans mon dos, je percevais la voix de Von Klaash, tentant tant bien que mal de pousser ses hommes au combat. Je reportai toute mon attention devant moi. Si je savais ce qui se trouvait dans mon dos, j'ignorais par contre ce qui se passait devant ou même au-dessus. La seule chose que j'avais encore à l'esprit était toutefois vraiment simple.

Plus vite nos camarades du Masamune et nous-même serions à bord et mieux cela vaudrait ! Ma poitrine restait serrée, et je m'attendais à ce qu'une autre tuile nous chutât sur le coin de la figure au dernier moment.


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À peine avions-nous tous mis le pied sur le Masamune que je me retournai, pour voir quelle était exactement la situation. Notre navire était accolé à la Laide, mais à ma grande surprise, un autre vaisseau inconnu et à l'aspect sombre tenait l'autre bord, comme pour le protéger. Plus loin encore, le Chasseur des Brisants essuyait visiblement des assauts de sa part et cherchait à s'éloigner. Mes camarades tenaient contre les hommes de Von Klaash, sabotant les passerelles que ces derniers tentaient de mettre en place. Donnant les directives, Mazhui et, à ma grande surprise, Gallion Thunderhead lui-même tentaient de coordonner les paires de bras valides.

Malgré ma récente perte d'espoir, je faisais partie de ceux qui pouvaient encore tenir debout. Je devais me ressaisir. Je pouvais encore être utile, et penser à mes amis blessés me ragaillardit d'un coup. Tout en cherchant de quoi fabriquer à mon tour une protection improvisée, je m'approchai de nos meneurs. J'élevai assez la voix pour dominer le bruit ambiant, mais sans masquer celle des deux hommes.

"Nous sommes tous à bord !"

Je jetai brièvement un regard aux alentours avant de reporter mon attention sur eux, tentant de masquer mes craintes au maximum.

"Le Masamune est-il en état de reprendre la mer ?"

Main sur la garde de mon épée, je restai attentive, prête à épauler l'un de mes frères marin au cas où. La Laide était-elle toujours apte à nous poursuivre ? Et quel était ce bâtiment inconnu, agressant le Chasseur ? Comme si mon coeur animal avait cédé sa place à ma tête de bois, je sentis mes idées se poser et revenir à leur efficacité habituelle. Peut-être faudrait-il prendre le risque de recréer de la brume pour camoufler notre fuite, mais je doutais que le temps possédé fusse suffisant.

Il n'en restait pas moins que toutes mes fibres végétales étaient tendues, et mes oreilles attentives aux directives qui pouvaient aussi m'être données. Nous étions peut-être un peu plus à l'abri, mais pas tirés d'affaire pour autant.


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