< La BibliothèqueL'esprit embourbé et les pensées confuses, je regardai Milyah achever la bête d'un violent coup de son arme terrifiante. Son regard empli de vengeance et de détermination ne laissait aucune place à la pitié. C'en était fini des affreux monstres qui nous avaient attaqués. Dans la violence et le sang, nous nous en étions sortis, mais je ne m'en contentai pas, au contraire. C'était la première fois que je prenais la vie, la première fois qu'un être, aussi monstrueux fusse-t-il, mourrait sous ma main, et cela je ne m'en contentai pas.
Une nausée vint m'envahir quand je constatai l'ampleur des dégâts. Combattre était sale. Du sang jonchait le sol à l'endroit où gisaient nos ennemis et la magnifique bibliothèque que nous avions découvert plus tôt ne ressemblait plus qu'à un dépotoir pour livres usés. Je me rappelai alors de la promesse que je m'étais faite à moi-même, celle de remettre en état cette somptueuse pièce. C'est donc dans l'espoir d'oublier un instant la violence dont je venais d'être témoin que je me mis à ramasser quelques livres ci et là, les empilant dans mes bras pour les ramener sur les étagères.
Mais alors que je m’apprêtai à déposer les premiers livres, j'entendis un monstrueux cri qui me fit lâcher mon fardeau. Je me retournai vivement, les sens aux aguets et les fluides bouillonnants, pour voir de quoi il s'agissait. À mon plus grand désarroi, de longs serpents noirs entourant un visage féminin s'extirpaient de l'un des livres posés sur la table.
(Ce n'est pas possible, ça ne peut pas recommencer !) pensai-je alors.
Mais le visage horrifique disparut aussi vite qu'il était apparut puisque Fenouil, qui était apparemment moins stupide qu'il en avait l'air, s'était précipité pour fermer chacun des bouquins renfermant les créatures belliqueuses. Mon corps se détendit, et j'expirai longuement. Je ne me sentais pas du tout en état d'essuyer un nouveau combat, mes yeux me piquaient et mes muscles me faisaient mal. La fatigue commençait à se faire sentir. De plus, cette bataille ne m'avait pas épargnée, mon abdomen et mon cou me faisaient encore souffrir. Mais heureusement, comme pour marquer la fin de tout ceci, lorsque tous les livres furent fermés, les corps des monstres disparurent, amenant l'horreur de la mort avec eux. C'était donc là la clé de ces étranges apparitions, il suffisait de fermer les livres pour que tout disparaisse.
Le coeur plus léger, je retournai donc à mes occupations, essayant de remettre en état la bibliothèque, le plus consciencieusement possible. Mais alors que, jouant les équilibristes au sommet de l'échelle, j'essayais d'ordonner une pile d'ouvrages sur la dernière étagère (entreprise quelque peu périlleuse pour un être de ma taille), l'un d'entre eux m'échappa et alla s'écraser une seconde fois sur le sol. Poussant un juron dans ma barbe, je descendis donc de l'échelle, pour aller le chercher. Il s'était ouvert sur l'image d'une jolie paire de clochettes en or pendues au bout d'un fil rouge. Très bien ouvragées, elles arboraient des motifs stylisés, gravés dans le précieux métal. Je m'émerveillai devant l'élégance de l'objet, il devait pouvoir tenir dans ma main, mais était pourtant si beau.
Posant une main sur le livre pour pouvoir rapprocher mes yeux de l'image, je m'attristai de ne pas posséder une telle chose. Et c'est alors que mon voeux se réalisa puisque la petite paire de clochettes apparut soudainement dans mes mains. Premièrement étonné et ébahi, je finis par comprendre que cette bilbliothèque était magique et que les livres qu'elle contenait avaient le pouvoir de faire vivre ce qu'ils représentaient.
(Dommage que nous soyons tombés sur les livres traitant du bestiaire Yuiménien et non sur ceux traitant de sa gastronomie !) pensai-je à l'intention de Toal, souhaitant faire un trait d'humour tout en rappelant que je n'avais rien avalé depuis le matin.
Heureux de ma nouvelle découverte, je voulus la faire partager aux autres et leur soumettre l'idée de trouver sur le champ les ouvrages traitant d'or, de nourriture et pouvoirs magiques, mais lorsque je relevai la tête, je vis Fenouil disparaître dans un nuage de fumée. Choqué, je questionnai les autres sur cet étrange phénomène mais ils ne purent me donner plus d'explication. Intrigué, je m'approchai donc du livre sur lequel le gobelin était penché plus tôt, tout en rangeant inconsciemment mes clochettes et l'ouvrage d'où elles étaient sortis dans mon sac. Une salle de bal y était représentée. Poussé par mon instinct, je retentai l'expérience du livre aux clochettes en posant ma main sur l'ouvrage.
Mon corps se souleva soudainement, comme si je venais de sauter du haut d'un mur. Je ne sentais plus le sol sous mes pieds et la bibliothèque s'était estompée, laissant place au noir complet. L'effet ne dura qu'une seconde et j’atterris bien vite sur le sol de la salle de bal dont l'image que j'avais vu plus tôt était l'exacte réplique.
Enfin, pas tout à fait exacte puisque la vraie salle de bal contenait une bonne vingtaine de couples dansant la valse sur une musique frénétique. D'ailleurs, cette dernière semblait parvenir de nulle part puisque, bien que je le cherchât longuement des yeux, aucun orchestre ne figurait au tableau. Cela n'enlevait rien à la qualité musicale qui, au contraire, était des plus succulentes. D'ailleurs, plus j'écoutais cette valse, plus je l'affectionnais et ressentais l'envie de danser. Fenouil, lui tapait déjà du pied au rythme de la musique.
Aussi, une jeune femme parmi les danseurs ne se fit pas prier pour nous y inviter. Je reconnus la voix que j'avais entendue dans le hall. C'était la maîtresse de la maison. Elle semblait différente des autres danseurs, ou plutôt était-ce les danseurs qui étaient différents ? Oui, c'était cela, ils semblaient être immatériels, faits de fumée ou de vapeur d'eau. Quelle étrangeté ! Était-ce de précédents visiteurs qui avaient été pris au piège de cette femme qui prétendait s’appeler Michaela et qui étaient à présents condamnés à danser éternellement ? Dans le doute, je préférais ignorer la jeune femme pour l'instant, la saluant simplement d'un signe de tête en guise de respect. Puis, intrigué par cette musique qui semblait sortir de nulle part, je m'approchai de l'endroit de la pièce où le son me semblait plus fort.
(Tu crois que c'est encore quelque chose de magique ?) demandai-je à l'intention de ma faera.
(Je ne pourrai te dire, tout, ici, me semble magique. Tu devrais te méfier.)