<<< Précédemment.45. Face à face.Sump était très mal à l'aise.
Après s'être réveillé, le matin suivant, dans un lit douillet d'une petite salle où il s'était tout de suite senti à l'étroit, il avait toutefois découvert que l'intégralité de ses blessures avaient été guérie. Sa plaie près de la nuque, ses douleurs à la clavicule et au poignet, sa coupure au mollet...tout.
Après avoir constaté cela, il avait regardé sa main gauche, avec, au fond de lui, l'espoir que la tache noire ait disparu mais elle était malheureusement toujours là.
Deux sœurs de la Sororité avaient ensuite fait irruption dans la salle pour lui attacher les poignets et sans aucun ménagement et sans l'avoir fait manger ni boire, l'avaient traîné dans, s'il avait bien suivi, le bureau de la Doyenne.
Et le voilà, à attendre que cette dernière daigne bien se montrer. Il jeta un coup d’œil autour de lui. Il était dans une autre petite salle sur une chaise en bois qui semblait polie et coûteuse. Il n'y avait partout que du bois, un magnifique bois au passage, qui brillait et arborait un marron foncé qui contrastait avec la couleur blanche du reste du Monastère.
En face du Sekteg, se trouvait un bureau bien ordonné alors que derrière celui-ci, une grande fenêtre donnait une vue sur le fleuve et les vastes terres lointaines.
Sump se demandait ce qu'on allait faire de lui. Puisqu'on l'avait soigné et logé, il espérait qu'on le laisserait partir.
À ce moment-là, la porte du bureau s'ouvrit enfin sur celle qui l'avait sauvé, la veille. Elle était vêtue de blanc, avait la peau pâle et au grand étonnement du Sekteg, possédait une paire d'oreilles pointues qui sortaient de sa touffe dorée et frisée.
Elle portait une sorte de cylindre en verre dans lequel il y avait sa dague dorée. Dès qu'il la vit, Sump eut envie de bondir sur cette femme pour lui reprendre son bien.
Toutefois, il résista à cette pulsion aussi dangereuse qu'inutile.
Elle s'assit sur le fauteuil en face de lui derrière le bureau et lui dit avec la même voix douce et ferme de la veille, avec toutefois une légère moue de dégoût sur le visage à peine dissimulée :
"Bonjour, je me présente, Vaëa Valiamiss mais vous pouvez m'appeler Madame. Je suis la Doyenne de ce Monastère et pour faire simple, c'est moi qui "commande" ici."Semblant attendre qu'il se présente à son tour, elle marqua une pause puis voyant que l'individu en face d'elle n'en ferait rien, elle continua :
"Sans doute vous demandez-vous pourquoi je n'ai pas laissé Ellindra vous tuer hier ?"Elle sembla à nouveau attendre une réponse mais voyant qu'elle ne viendrait pas, elle poursuivit, l'agacement se teintant légèrement sur son harmonieux visage :
"Écoutez, certaines de mes consœurs se servent de l'interdiction formelle de la présence de mâles sur le territoire pour assouvir leurs pulsions refoulées ou comme excuse à leurs actes, nous faisant peu à peu passer pour des barbares comme ces vulgaires Sangs-Pourpres ou comme ces Elfes noirs. Ellindra, comme vous pouvez vous en douter, fait malheureusement partie de cette catégorie. Des hommes lui ont fait beaucoup de mal dans sa jeunesse, aussi cherche-t-elle à se venger d'une certaine manière. Le fait que vous soyez un Gobelin n'ayant pas joué en votre faveur non-plus, désolé de vous le dire." Sump était ébahi et n'écoutait presque pas. Il trouvait cette femme encore plus...il ne connaissait pas le mot et ça l'énervait. Il aimait la regarder encore plus que Wace en tout cas. La femme qui se trouvait devant lui, Vaëa, dégageait une telle blancheur, une telle beauté, un tel charisme que le Sekteg se sentait comme écraser.
"Heureusement que Lisa est venue me prévenir du drame qui allait se jouer dans mon Monastère autrement vous seriez mort depuis longtemps."Elle regarda ensuite le Gobelin dans les yeux. Ce dernier put constater la formidable couleur de ceux de la Doyenne. ils étaient d'un bleu saisissant.
"Pourquoi êtes-vous venu ici ? Vous n'aviez pas vu les panneaux d'avertissement à la frontière ? Où peut-être ne savez-vous pas lire ?"Devant ces questions, le Sekteg ne sut quoi répondre ce qui porta l'agacement de son interlocutrice à son paroxysme.
Perdant son calme, elle frappa du plat de la main son bureau :
"Écoutez-moi bien, Sekteg, je n'ai pas la journée devant moi et je n'ai aucunement envie de perdre mon temps pour quelqu'un de votre espèce !" cracha-t-elle.
Puis elle cligna des yeux, comme-ci elle s'était un peu effrayée, avant d'ajouter en replaçant une mèche derrière une de ses oreilles en pointe :
"Sachez que votre cas est exceptionnel. Je sais très bien que les Gobelins sont souvent intelligents, ou qu'en tout cas, ils le sont généralement assez pour ne pas pénétrer dans un territoire où ils se savent en danger. Alors répondez, ou je serais obligé de sévir.""Je ne sais pas lire." mentit Sump.
Cela lui évitait moult explications gênantes.
Soulagée qu'il ait répondu, la Doyenne unit ses mains sur son bureau pour le dévisager
avec un air soupçonneux :
"Et vous auriez réussi à vous introduire aussi loin dans la Sororité ? Aucune patrouille ne vous aurait repérées ? La surveillance des routes menant à notre frontière est pourtant très serrée. D'où venez-vous ?""Je ne vais pas sur les routes." lui répondit le Gobelin, voulant à tout prix éviter de révéler qu'il venait du Comté de Nélys.
On ne savait jamais avec les Humains, peut-être s'entraidaient-ils tous...
"Moui, cela me semble plausible avec ce qu'on ma dit..." marmonna la Doyenne en regardant le plafond, pensive.
"Donc vous ne pouviez aucunement savoir que vous veniez de pénétrer dans un territoire interdit aux représentants mâles de toutes races..."Le Sekteg retint de pousser un soupir de soulagement. Il avait l'impression de jouer sa vie à chaque réponse qu'il formulait. Et c'était probablement bien le cas.
"Bon, passons à la suite de l'"interrogatoire"." dit-elle, une esquisse de sourire sur son joli minois et en s'emparant de la dague doré.
"La partie la plus intéressante selon moi."Elle contempla un moment l'arme avant de demander :
"Où avez-vous trouvé cette magnifique dague ?"Sump déglutit avec difficulté. Il s'attendait à voir Kronh débarquer dans la pièce à tout moment.
"Je...je l'ai trouvé dans une ferme abandonnée.""Trouvée, vraiment ?" répéta la Doyenne, visiblement soupçonneuse.
Sump avait maintenant chaud. Elle était au courant qu'il était un criminel recherché, c'était sûr. Il devait s'enfuir de là avant que ça ne tourne au vinaigre et...
"Savez-vous au moins que cette arme n'est ni plus ni moins qu'une relique ? Un objet unique dans tout Yuimen, indestructible, léguant à son possesseur des pouvoirs spéciaux ?"Sump ne savait pas trop quoi répondre. Devait-il dire qu'il le savait très bien ou devait-il mentir ?
"Dans ma poche, il y a un papier qui..." choisit-il de répondre.
"Oui, nous l'avons découvert en vous fouillant mais il était tellement abîmé par l'eau que je l'ai donné à notre Magicienne pour qu'elle essaye de le remettre en état.""C'était écrit Grifoniss." lâcha le Sekteg malgré lui.
"Oh, c'est bien ce que je pensais...la relique Grifoniss..." marmonna à nouveau la Doyenne en contemplant l'arme dans sa moitié de cylindre.
Puis elle reprit :
"Vous voyez, il est très rare de voir quelqu'un de votre espèce avec autant de richesse... Il y avait sur vous plus d'un millier de yus, vous êtes au courant ? Vous disposez de pièces d'or valant une centaine de yus chacune et d'un collier valant sûrement le double."Elle reprit un instant son souffle, avant de renverser le cylindre en verre pour que l'arme tombe sûr le bureau puis poursuivit :
"Ellindra et la plupart de mes consœurs m'ont affirmé que vous étiez sûrement un effroyable voleur, ou qu'au mieux vous étiez un Gobelin très chanceux mais votre oreille tranchée ainsi que cette mystérieuse tache sur la main que même notre Magicienne n'a pu faire disparaître me font penser que vous avez peut-être bien mérité toutes ses possessions...Et c'est pour cela que je me suis opposé à votre mort mais aussi à votre dépouillement matériel. Vous ne semblez pas être un Gobelin comme les autres...Vous semblez civilisé, calme et en outre il semble que vous ayez plu à la petite Fouly."Elle avait finit sa phrase avec une légère note amusée puis elle inspira comme-ci ce qu'elle allait dire lui coûtait avant d'ajouter :
"Je pense donc que ce serait du gâchis qu'un Gobelin si spécial meure aussi stupidement. Aussi, une des Sœurs de la Sororité va vous raccompagner jusqu'à l'endroit d'où vous êtes venus avec l’intégralité de vos biens. De quelle région êtes-vous déjà ?"Sump n'en croyait pas ses oreilles. Il allait s'en sortir comme ça, bien vivant et sans perdre quoi que ce soit ! Il se rendait compte de la chance qu'il avait et était très heureux de savoir qu'il verrait de nouveaux levers de soleil.
C'est dans cet état d'euphorie totale qu'il avait rarement ressenti dans sa vie qu'il commit l'erreur à ne pas faire. L'erreur qu'il avait réussi à éviter depuis le début de l'entretien :
"Je viens de Nélys..."La suite.