44. L'horrible Ellindra.Après avoir admiré la dague de son prisonnier et apprécié son tranchant, Ellindra ligota le Gobelin puis le porta avec facilité sur son épaule et le plaça sur la croupe de son cheval, de sorte à ce qu'il ne puisse pas tomber.
Lisa, quant à elle, invita Fouly à monter derrière elle avec une voix douce pour rassurer l'enfant qui n'en menait pas large du tout.
Et c'est ainsi que Sump reprit malgré lui la route vers le Monastère. Souffrant à chaque secousse du galop produit par le destrier couleur chocolat d'Ellindra, il avait le moral au fond des bottes.
Alors qu'il avait réussi à échapper plus de trois fois à la mort, voila qu'il se faisait capturer stupidement à quelques heures de son but.
Il leva les yeux, pour contempler le ciel. Sûrement l'ultime lever de soleil qu'il ne verrait jamais.
Lisa chevauchait à deux mètres de lui, son arc accroché en bandoulière, à la même vitesse qu'Ellindra. Fouly, elle, les bras autour de la taille de la cavalière, lançait des regards paniqués et désolés au Gobelin, sans savoir qu'il avait eu l'intention de la tuer quelques minutes plus tôt.
Ils voyagèrent ainsi jusqu'au midi ou là, Ellindra ordonna une pause casse-croûte. Sans aucun tact, elle balança Sump à terre qui tomba dans les herbes et dans la terre sèche sous les regards désolés de Fouly et de Lisa.
Cette dernière ne semblait pas fière du comportement de sa compagnonne et semblait avoir de la peine pour le Sekteg.
Elle essaya même de lui donner un peu à manger mais Ellindra le lui interdit fermement.
Après quoi, la cruelle femme sortit une longue-vue de la besace qu'elle portait en bandoulière sur sa hanche, par dessus son armure de cuir afin d'observer le paysage et ainsi repérer quelque chose de louche sur le territoire comme la présence d'un autre Gobelin par exemple.
"Tu veux encore un peu de pain, Fouly ?" demanda Lisa.
La petite Woran hocha silencieusement la tête et la femme aux cheveux bruns, après lui avoir souri gentiment, se leva pour aller chercher l'aliment dans une sacoche de sa monture.
Alors, profitant du fait que personne ne la regardait, Fouly s'empara du petit couteau qui leur avait servi à couper le pain et le fromage pour se précipiter vers Sump.
Celui-ci, mort de faim et épuisé, était à la limite de s'endormir.
"Je suis désolé pour tout ça mais ne t'inquiètes pas, je vais te libérer, d'accord ?" lui dit-elle avec un sourire qui se voulait rassurant mais qui manquait d'entrain.
Avant que le Gobelin ne réponde quoi que ce soit, elle commença à essayer de couper les liens qui entravaient les chevilles du Sekteg. Ce dernier se demandait pourquoi elle faisait ça pour lui alors qu'il n'avait pas arrêté d'être méchant avec elle depuis qu'ils s'étaient rencontrés.
Lisa posa alors sa main sur la petite épaule de la Woran et lui dit sèchement :
"Arrêtes ça."Sump ferma les yeux. Et voilà, il n' y avait plus aucun espoir.
***
Ils arrivèrent au Monastère en milieu d'après-midi.
Le quatuor s'arrêtèrent devant une des grandes entrées de cet énorme bâtiment après avoir suivi la petite piste en terre battue cernée par les torches éteintes que Shouba allumait le soir. Là, deux sœurs de la Sororité lourdement armées gardaient l'entrée tandis que trois autres femmes se préparaient à monter sur leurs chevaux, équipées pour au moins une nuit dehors. Sans doute allaient-elles participer à la surveillance du territoire.
Ellindra descendit de son cheval.
"Salut, les filles." dit-elle d'un ton désinvolte.
"Est-ce que l'une d'entre vous peut-elle aller prévenir Kajy que sa fille est de retour à la maison ?""Oh, vous l'avez retrouvée cette petite peste." dit une des gardiennes avec un sourire amusé juste avant de pénétrer dans le Monastère à la recherche de la dénommée Kajy.
"Et lui ?" demanda la deuxième gardienne de l'entrée qui semblait moins sociable et dont le visage était quasiment entièrement caché par un gros casque.
"Je le soupçonne d'être un espion Shaakt." répondit Ellindra.
"Regarde un peu sa dague."Elle montra l'arme à sa consœur qui poussa un sifflement d'admiration devant la beauté de l'objet.
"Si tu veux mon avis, elle n'est pas tombé entre ses mains par magie si tu vois ce que je veux dire...Les Elfes noirs lui ont sûrement filé cet équipement afin qu'il vienne ici pour fouiner je ne sais encore quoi..."Pendant ce temps, Lisa coupa les cordes qui attachaient les chevilles du Sekteg avant de l'aider à descendre du cheval. Ce dernier lança un regard noir à la femme qui l'avait tant traquer ces derniers jours juste avant de chanceler. Il tenait à peine debout et ses yeux se fermaient tout seul.
Pourtant, même conscient que son heure arrivait, il ne pensait qu'à sa relique. Il n'était pas certain de pouvoir partir sans elle. Elle était ce qui faisait de lui quelqu'un. Personne d'autre n'avait cet objet, et tant qu'il vivra, personne ne l'aurait jamais.
Alors plusieurs femmes arrivèrent soudain et passèrent sous l'arche. L'une d'entre elles attira particulièrement l'attention du Sekteg : une Woran au pelage noire et au regard froid et sombre, ses yeux étant identiques à ceux de Fouly : pratiquement sans blanc, l'iris brillant d'un vert émeraude. Son visage ne trahissait pas la moindre émotion. Elle dégageait une aura de puissance sauvage mais tranquille qui semblait toutefois prête à éclater à tout moment.
Dès qu'Ellindra aperçut l'aperçut, un sourire railleur se peignit sur son visage :
"Bien le bonjour, Kajy !" lança-t-elle d'un ton joyeux et moqueur.
"Comme tu peux le voir, nous avons en effet retrouvé ta délicieuse fille. On a été gentille avec elle..."Elle s'arrêta pour regarder la réaction de Kajy. Cette dernière conservait son expression froide et neutre, à croire qu'elle n'avait pas entendu la tirade de sa rivale. Fouly s'avança timidement vers sa mère, la tête et les oreilles basses.
"...Et ce même lorsqu'elle a tenté de libérer cet espion Shaakt. Elle l'a d'ailleurs aidé à échapper à la vigilance de nos sœurs." acheva-t-elle, une lueur de cruauté dans ses yeux gris.
Sump remarqua alors que le regard de la mère de Fouly avait encore durci et alors, sans un mot, elle envoya une violente taloche derrière la tête de sa fille qui bascula en avant et tomba sous le choc.
Le Gobelin vit Lisa détourner le regard et s'aperçut que quasiment toutes les autres sœurs de la Sororité présentes firent pareilles ou affichèrent au moins une mine soucieuse.
Sur son visage à lui, rien ne changea. Ça lui était bien égal que Fouly se fasse frapper... Il allait mourir !
La petite Woran, à terre, leva ses yeux embués de larmes vers sa mère qui ne la regardait déjà plus.
"Que comptes-tu faire de lui ?" demanda-t-elle à Ellindra qui regardait Fouly avec une légère expression surprise, comme-ci elle ne s'attendait pas à une telle punition de la part de Kajy et qu'elle regrettait à présent d'en avoir été la cause. Sans doute avait-elle simplement voulu blesser Kajy et uniquement Kajy.
"Je vais aller le cuisiner un peu." finit-elle par répondre.
"Ensuite, je le tuerais sans doute.""Non, attends, il... !" implora Fouly en se relevant à la hâte.
Mais aussitôt sa mère l'attrapa par le bras et la poussa vers l’intérieur du Monastère.
"La ferme, Fouly. Tu n'as pas ton mot à dire dans cette histoire. File à la douche, je m'occuperais de ton cas plus tard."Lisa, qui s'était rapprochée de sa compagnonne de patrouille, lui demanda d'un ton exaspéré :
"Arrêtes...Tu ne vas pas le tuer s'il ne sait rien ou si tu t'es trompé, tout de même ?"Ellindra la considéra avec dédain :
"Souviens-toi de ce que je t'ai dit hier matin, près du fleuve. Pas d'exception. Surtout pas pour un vulgaire Gobelin...Pourquoi tu tiens tant que ça à sa vie ?""Je..." commença la jeune archère mais elle ne termina pas sa phrase et se tut, la tête basse. Elle conserva pourtant un air déterminé sur le visage.
Satisfaite, Ellindra donna un coup de pied dans le postérieur du Gobelin pour qu'il avance. Celui-ci, à demi-mort, s'affala dans la terre.
Il avait peur mais il n'avait plu d’énergie pour s'enfuir et il était conscient que de toute façon, il n'aurait pas réussi.
Ellindra le força à pénétrer dans le Monastère.
Ils entrèrent dans une grande cour aux dalles de pierres et aux multiples plantes. Il s'agissait d'un très bel endroit. Le long des murs poussaient divers plants de légumes tandis que les arbres qui étaient plantés ça et là dans la cour étaient presque tous surchargés de fruits.
Sans doute l'estomac du Sekteg aurait émit un gargouillement peu discret si ce dernier n'était pas si tendu, appréhendant le sort qu'Ellindra lui réservait.
Quelques minutes plus tard, après avoir traversé une multitude de couloirs, cette dernière l'arrêta devant une porte en bois renforcée de métal gardant l'entrée d'une salle creusée à même la pierre.
Elle le força à entrer et referma la porte derrière eux puis elle se tourna vers lui et le regarda droit dans les yeux.
Il faisait assez sombre étant donné que la seule lumière qui éclairait la scène parvenait des barreaux de la porte. Dans la salle, qui ressemblait à une geôle, il n'y avait rien à part des ossements et des vieilles traces de sang séché.
"Bon, alors, tu vas tout me dire mon gars."Sur ce elle lui envoya un nouveau coup de genou dans l'estomac ce qui le fit s'agenouiller. Alors qu'il allait tomber en avant, le poing de la brutale femme l'atteignit en plein dans le nez.
Avant qu'il ne tombe en arrière, trop épuisé pour se défendre, Ellindra l’attrapa par sa tunique et rapprocha son visage du sien pour lui murmurer à l'oreille, une lueur démente dans les yeux :
"Tu sais quoi ? Je ne pense pas que tu sois réellement un espion Shaakt, même eux n'engageraient pas une telle merde, mais il faut bien admettre que tu m'as fait mal quand tu m'as jeté cette pierre au visage." cracha-t-elle en mettant en évidence la petite éraflure entre ces épais sourcils.
Sump émit un pauvre gargouillement et elle le repoussa sèchement en arrière.
Gobelin se laissa tomber sur le sol, les deux mains toujours liées dans le dos.
Il grogna de douleur tandis qu'il sentait le sang s'échapper de son nez.
Mais qu'est-ce qu'elle lui voulait donc ? Le tuer pour le plaisir ? Le torturer ? Le Gobelin n'y voyait aucun intérêt... Selon lui, tuer quelqu'un ne se faisait pas pour rien, il fallait que cela serve sinon, quelle serait l'utilité ? Viston Marchecompte, le gardien de sa relique dorée tuait pour protéger cette dernière, les femmes de la patrouille de la veille avaient tué ce tigre pour le manger, lui-même tuait des lapins et autres pour se nourrir. Il avait voulu tuer Luda pour avoir son collier et également pour qu'elle arrête de faire fuir son repas, il allait tuer Fouly car elle risquait de compromettre son évasion.
Mais ce qu'il comprenait encore moins, c'était la torture. Il avait beau chercher, il ne trouvait pas l’intérêt. Si on devait tuer, autant le faire rapidement, non ?
Après lui avoir administré deux violents coups de pied dans les côtes, Ellindra cracha :
"Combien de femme as-tu tabassé de cette manière avec tes saloperies de congénères ?"Sump grogna encore, à l'agonie. Il avait du mal à respirer et ne comprenait rien à ce qu'elle racontait.
"COMBIEN EN AS-TU VIOLÉE ?" beugla sa tortionnaire, sa voix résonnant contre les parois de la salle en lui administrant un nouveau coup de pied.
"J'ai volé personne !" mentit le Sekteg sans savoir qu'il était à côté de la plaque.
"C'est vrai !"Ellindra le considéra avec un profond mépris.
"Vous êtes tous les mêmes..."Sur ce, Ellindra dégaina alors son sabre à la lame noire comme la nuit et le brandit. Sump s’apprêtait déjà à utiliser ses dernières forces pour tenter d'esquiver le coup en roulant sur le côté mais à ce moment précis, la porte de la cellule s'ouvrit sur une femme de taille moyenne aux cheveux clairs et frisés. La lumière de l'après-midi derrière elle la rendait difficile à regarder et en outre, un voile commençait à s'abattre devant les yeux de Sump.
"Ellindra, ça suffit maintenant." dit la nouvelle venue d'une voix calme mais ferme.
"Je sais que ce que tu as vécu te donne envie de faire ça aux hommes mais s'il te plaît, ne t'en prend pas aux faibles créatures comme lui."Ellindra, le sabre toujours levé, se mit à trembler légèrement, comme-ci elle hésitait entre deux actions puis elle se tourna rageusement vers la femme à l'entrée et railla :
"Faibles créatures ? Vous n'avez jamais vu ces soi-disant faibles créatures à l’œuvre dans ce cas ! Lorsqu'ils sont en groupe, ils..."L'inconnue soupira et lui coupa la parole :
"On en discutera plus tard, en attendant, Shouba, Kajy, pouvez-vous me faire le plaisir de la calmer ?""C'est sans doute un Gobelin envoyé par ces salopes de Shaakts, Doyenne, sûrement un..." insista Ellindra, en reculant devant la silhouette de l'imposante Shouba et devant celle, plus petite mais non moins effrayante, de la Woran.
Sump ne vit ni n'entendit la suite. Il s'endormit, mort de fatigue et de douleur dès que la géante pénétra dans la salle.
La suite.