4 ème jour sur le navire…TULORIM
Les terres étaient tout d’abord apparues, ile bleutée couchée sur l’horizon. Puis petit à petit les yeux purent admirer les contours qui se dessinaient et enfin la ville et son port se firent plus précis.
Comme mû par une volonté pressante de toucher terre, le navire filait bon train. Les marins étaient pressés d’arrivés et personne ne discutait, ou ne faisait allusion à ce qui c’était passé. Nulle doute que les tavernes et autres débits de boissons portuaires seraient vite au courant et ainsi naitrait l’histoire de la bataille du singe et de l’Humoran en pleine mer.
Devant le port, de nombreuses voiles de toutes formes et de toutes les couleurs s’amoncelaient dans un ballet au ralenti. De gros navires marchands tirant bas, lourdement chargés et lents, croisaient les frêles embarcations des pécheurs et indépendants.
Les deux iles, gardiens de Tulorim, rochers stériles recouverts par des colonies criardes d’oiseaux de mer, dominaient de leurs falaises le flux maritime, battues par le ressac des vagues.
La chaleur étouffante et la brise tiède venue des terres ne suffisaient pas à rafraichir l’atmosphère, sous le soleil presque à son zénith.
N’Kpa souffrait de la chaleur. Elle descendit retirer l’armure et préparer son paquetage. Nellia en fit de même, toute deux étaient excitées d’enfin pouvoir toucher terre. L’équipage, lui aussi, montrait une certaine fébrilité…
Les dômes des grandes maisons et des temples de la ville apparurent dominant les digues du port et la ville basse. Une foule s’amoncelait sur les quais, faune bigarrée et bruyante. La ville qui n’était pas très grande, fortifiée, s’étalait sous forme de strates entre des murailles de moyennes hauteurs. La ville haute aux palais resplendissants et aux grandes tours élancées surplombait la ville basse.
Derrière la ville s’élevaient des collines recouvertes de végétations semi-désertiques des cultures, des vignes et des vergers.
Rapidement, les deux étrangères se retrouvèrent à quai. Les deux femmes s’enfoncèrent dans les ruelles tortueuses, encombrées de monde et de mile et un commerce aussi divers que variés, propre ou louche.
Là s’amoncelaient, vendeurs de nourritures, de babioles, de soieries, d’objets manufacturés, de rêves ou de promesses de richesses, filles de joie, diseuses de bonne aventure, aventuriers et autres, côtoyaient les montreurs d’animaux sauvages, jongleurs, acrobates et mécréants à l’affut de victimes potentielles. Les odeurs d’épices, de fruits, de poissons frits et rôtis, se mêlaient aux odeurs âcres des corps et parfums des dandys et bourgeoises accompagnées de leurs gardes du corps. Parfois, des cris retentissaient, appels au secours, bagarres où simplement tires chalands appâtant le passant à découvrir les produits de son commerce.
Tout ce petit monde écrasé sous la chaleur déambulait dans les ruelles étroites à l’abri de l’astre diurne sous les tentures tendues entre deux maisons. La mode vestimentaire était légère et personne ne faisait plus attention aux deux jeunes femmes dans ce microcosme cosmopolite.
N’Kpa tournait la tête de toute part, s’abreuvant des images, tâtant des tissus, soupesant des objets, appréciant des bijoux et se laissait parfois séduire par un camelot. Elle appréciait, pour une fois, l’atmosphère de cette ville et la joie de vivre qui semblait en ressortir. Il faisait faim et N’Kpa acheta quelques mets typiques aux odeurs alléchantes et en offrit à sa compagne de voyage. La maraudeuse semblait bien à son aise et emmenait trop rapidement aux portes sud la Shamane, qui aurait bien aimé faire quelques emplettes.
Là, après quelques tractations auprès de plusieurs marchands, Nellia revint lui annoncer le départ imminent à bord d’une charrette pour une direction qu’elle ne révéla pas tout de suite.
N’Kpa protesta déçue, frustrée de ne pouvoir profiter un peu de cette ville aux attraits indéniables. Contrairement à son habitude, elle se laissa convaincre de suivre la maraudeuse parce qu’elle était intriguée par ce que lui disait cette dernière. Elle se jura de revenir plus tard.
Rapidement le petit convoi quitta la cité, traversant des zones de vergers et de cultures diverses. Au bout de quelques heures, alors que le soleil haut dans le ciel écrasait le paysage campagnard, le chemin fit place à une route caillouteuse entourée de plaines arides, qui s’enfonçait vers le sud. L’après midi se passa immuablement dans le cahot et les crissements des cerclages des roues sur les cailloux, les grincements de la carriole. Accablée par la chaleur et bercée par les bruits, N’Kpa c’était assoupi. Un caravanier s’approcha et leur tendit des ombrelles et une gourde.
Nellia, quant à elle devenait plus loquace, à mesure que la journée s’étirait, voire même joyeuse. Elle ne cessait de parler d’un couvent et malgré les suppliques de N’Kpa pour en apprendre un peu plus, elle restait assez vague et détournait les questions.
La Shamane avait du mal à comprendre ce que pouvait être un « couvent », concept de communauté illogique pour elle. Enfin le convoi fit une pause à la croisée de plusieurs chemins, marqué par la présence de deux maisons.
Une charrette semblait attendre et trois femmes l’entouraient. L’une des trois avança, la brune à peau mate et discuta à l’écart avec le marchand. Une bourse changea de main et l’affaire était conclue. Puis elle ordonna aux deux autres de l’aider à transférer les marchandises.
Nellia sauta de son perchoir en demandant à N’Kpa de la suivre. Après quelques palabres, Macha, telle était son nom, accueillit la Shamane. Les marchandises changèrent de charrette et le petit groupe de femmes reprit la route. L’après-midi était pas mal avancée, le soleil descendait à présent sur l’horizon. Durant la deuxième partie du voyage, l’atmosphère s'était plutôt détendue et joviale. Les présentations furent rapides et sans ambages. Irella en bonne maitresse du feu reproduisait des tours avec des flammèches pour le grand plaisir de la Shamane. Macha avait révélé une partie de son histoire et avoué être la plus ancienne du groupe dans la communauté des sœurs de la Sororité de Selhinae. La troisième, à la peau d’ébène répondant au nom de Manchonne, plus discrète ne parla que vaguement d’une vie passée qui la prédestinait à la honte.
Les filles étaient dans l’ensemble heureuses et l’ambiance bonne enfant. N’Kpa se sentait bien, Nellia n’avait jamais été aussi resplendissante.
Le ciel s’embrasait des milles feux du crépuscule. La carriole s’arrêta et la cheftaine du groupe pointa son doigt. Elles surplombaient un estuaire où un fleuve étalait paresseusement ses bras dans une plaine herbeuse et marécageuse. Au loin, deux collines se faisant face, juste séparées par le lit principal de la rivière. Une myriade de volatiles décollaient des zones miroitantes alors que, d’autres menaient des chorégraphies irréelles dans le ciel crépusculaire. La piste descendait rapidement et les amena par le flanc de la colline sud, au bord du fleuve qui, coincé entre les deux falaises, reprenait de la vitesse et bousculait ses flots dans des rapides tourbillonnants.
Enfin apparu en contre jour les hautes murailles d’une place forte, les flèches des tours affûtées toisaient de leurs hauteurs les dômes des bâtiments. La mer toute proche apportait une brise fraicheur bienfaitrice.

La petite charrette, sans ralentir, passa sous l’arche imposante en pierre de l’édifice, révélant une garde en armure silencieuse. N’Kpa sentit le changement dans l’attitude des quatre femmes. Nellia et les trois accompagnatrices étaient devenues silencieuses depuis un moment. Apparurent avec plus d’insistances et un plus grand nombre, des guerrières menaçantes, du haut des murs. Comme l'avait laissé entendre Nellia, pas un homme n'était présent dans l'enceinte, juste quand Nellia lui glissait à l’oreille, avec une certaine appréhension dans le ton de la voix, que ces femmes étaient là pour empêcher toute intrusion masculine. La jeune femme retourna ses grands yeux mordorés juste au moment où la charrette s’arrêtait sur une petite placette entourée par des bâtiments, quelques escaliers divers une ou deux tours et des murailles menaçantes.
Sans attendre, les trois filles commencèrent le déchargement sans un mot. Elles savaient que le comité d’accueil n’allait pas tarder. Et effectivement, alors que les cinq femmes finissaient leur travail, trois autres bonnes femmes en armure débarquèrent.
La Shamane qui n’était nerveuse depuis son entrée dans la place, releva la tête et posa la main sur l’avant bras de Nlellia. L’activité s’arrêta et les trois compagnes reculèrent, laissant les deux nouvelles sur le devant, seules et bien en vue.
La guerrière du milieu en imposait et faisait froid dans le dos. Elle arborait un casque en forme de tête de mort et les autres pièces d’armures étaient dans le même style. Elle était grande, incroyablement musclée et tout dans son déplacement et ses mouvements indiquait la matrone rompue au combat. En attestait ses nombreuses cicatrices sur les zones de peau à nue. Elle tenait une énorme hache luisante d’une aura pourpre, qui n’augurait rien de bon.
N’Kpa s’inquiéta, tourna la tête dans l’espoir de trouver une échappatoire et vérifier la présence des autre filles. Elle se sentit prise au piège, comme trahit et jeta un regard assassin à Nellia qui n'était pas plus rassurée. La tigresse feula doucement, sa queue témoignait de sa nervosité et sa respiration s’accéléra. Machinalement ses doigts se refermèrent sur le manche d’un de ses sabres, alors que son autre main tenait ses affaires en guise de bouclier. Son poil naturellement c’était hérissé.
Les trois femmes se tinrent légèrement à distance, campées sur leurs jambes épaisses comme des piliers. Seule la géante s’approcha de deux pas et les interpela avec violence, d’une voix rauque déformée par le masque.
Vous !! Dit-elle en s’adressant à Nellia et N’kpa.
Que venez vous faire ici, avec vos colliers !! ( Et voilà ! Les colliers, encore ceux là ! ...) , N’kpa savait bien qu’ils ne leur apporteraient rien de bon dans la plupart des lieux où elles séjourneraient.
Elle soutint toute de même le regard brulant et pesant de la grande femme derrière les trous du casque et ne baissa pas les yeux.
Nellia s’expliqua d’une voix faible, sans rien révéler de plus de leur histoire et cela ne convainquit pas la barbare. L’ouragan de colère et de dédain de la guerrière s’abattit sur la pauvre fille qui baissa la tête dans une attitude de soumission résignée.
Nellia je te connais, tu reviens chaque fois que tu subis une déconvenue, mais aujourd’hui tu reviens avec une marque de la magicienne et cette humorane ! Pourquoi je devrais vous faire confiance ?!N’Kpa sembla comprendre que Nellia, comme à son habitude n’avait pas tout dis, qu’elle connaissait bien le lieu et que de surcroit, elle n’y était pas forcément la bien venue. Les trois autres filles s’étaient reculées et se tenaient bien à l’écart.
Maintenant le ton de la mégère déplaisait vraiment à la Shamane et, même si elle transpirait la puissance, N’Kpa en avait vu d’autres.
La colère à son tour faisait place à la crainte et grimpait en flèche. Son visage se transforma, ses pupilles devinrent des têtes d’aiguilles dans l’océan doré de ses yeux. Alors à la grande surprise, elle leva le sabre devant, forte de son apprentissage sur le bateau. Elle pointe le visage de la guerrière et sa bile se déversa :
Oooh ! … Parce qu’on doit vous faire confiance? … Qui êtes vous… vous? … Moi, N’Kpa Ithilglî, fille de Tauraë Laurea et de N’Kröen N’Ktron. J’ai lutté contre les troupes de Khynt et de Créan sur l’ile maudite. Nellia et moi avons affronté des monstres et survécu. Alors… oui nous portons dans nos chairs les restes de la marque de la maudite, faute de pouvoir l’oublier. Nous avons refusé l’allégeance et la servitude et nous sommes là !… N’Kpa se redressa, bomba le torse et pointa le menton avec fierté en baissant son arme. Il était loin le temps où elle aurait tournée le dos pour s’enfuir.
Les dernières épreuves la confortaient à prendre conscience de sa valeur et de ses capacités. Une pensée s ‘envola
(Oh mon Sirat, tu serais fier j’en suis sur de voir ta petite sauvageonne faire tête à cette mégère !)