<<<Nous n'entendions plus que le bois qui craque et les vagues qui cognent de façon régulière contre la coque. L'équipage avait fini de tout préparer et maintenant nous attendions, en silence, accroupi, à couvert derrière le bois du pont.
Certains priaient en silence, d'autres examinaient leur équipement une dernière fois. Le capitaine avait pris place au fond du pont principale et se promenait parmi ses hommes en leurs glissant quelques mots, leurs tapant sur l'épaule, encourageant certains et rassurant d'autres.
On m'avait confié une arme, une hachette affûtée, comme si elle sortait de la forge. Les pirates ne plaisantaient pas sur l'entretien des armes. J'aurais préféré une arbalète pour rester à distance mais ils se sont rendu compte que j'étais un tireur lamentable. C'est donc au corps à corps que je dois me rendre utile. Impossible de me débiner, ma seule chance est de faire en sorte de rester avec un homme capable de me défendre à proximité ou peut être profiter du chaos pour me cacher le temps que la bataille se termine.
Les tireurs eux, préparaient encore des arbalètes, chacun en avait cinq, posé contre la balustrade, cinq tireurs, armés de cinq arbalètes avec trois hommes qui ne servaient qu’à les recharger. De quoi faire pleuvoir des carreaux sur l'ennemi. C'était bien pensé. Même recharger les arbalètes on ne m'a pas laissé faire, sois disant que je suis trop lent. Maudit soient-ils à me faire passer pour de la piétaille inutile bonne à se faire écharper.
Porté par le vent, on pouvait entendre l'équipage adverse courir dans tous les sens, hurler des ordres, c'était la panique. Une panique qui provoquait chez le capitaine un sourire satisfait.
A l'avant du bateau, le sang pourpre lui fit un signe de la main auquel le capitaine lui répondit d'un autre.
Le silence se brise alors. Le son d'un sifflement de corde, d'un claquement dans l'air et d'un raclement de l'acier contre le bois. La baliste de proue venait de tirer et on devinait qu'elle avait fait mouche. Le bruit du bois explosant en centaines de morceaux, des cris de douleurs et de peur s'élèvent.
"
Rechargez !"Beugle Laeten. Les trois hommes à l'avant s'exécutent. Cela prend de longues minutes mais à peine l'arme est prête que Jiat redonne l'ordre de tirer. Deuxième claquement, deuxième explosion, deuxième vague de cri.
"Prenez position !"Les hommes du gaillard avant rejoignent les autres sur le pont, sabre au poing.
Les cris et les pleurs s'approchent, je les entends de l'autre côté de la paroi de bois qui me sépare de la mer.
Des projectiles fusent mais aucun ne fait mouche. Nous sommes bord à bord. L'excitation de l'équipage est à son comble. Dernières prières. Derniers gestes symboliques. Embrasser un porte bonheur, embrasser sa lame. Pour ma part j'adresse une prière à Phaïtos, l'implorant de m'aider à rester en vie en échange de vies prises.
"Secondaires ! Tirez !"Les arbalétriers se redressent, saisissant leurs armes et font feu. Je jette un œil par un trou dans le bois usé.
Les projectiles touchent leurs cibles, les hommes en face s'écroulent. D’autres continuent de tirer dans la précipitation, ratant complètement leurs cibles, d'autres rechargent à découvert, se faisant cribler de carreaux par la deuxième salve.
J'avais raison, le navire ne possédait que des marins pour le manœuvrer mais peu pour le défendre.
Nos salves se poursuivent, usant du stratagème de Laeten pour recharger les arbalètes, gardant un rythme soutenu.
Le capitaine monte sur le pont à notre niveau, ne craignant plus les jets de projectile lancés à la va vite.
Il observe, serein et concentré, comme s'il était devant une simple partie d'échecs.
En face, ils abandonnent l'idée de répondre à nos salves et se mettent à couvert.
"Grappins ! " Aussitôt dit, aussitôt fait. Nos combattants munis des grappins se lèvent comme un seul homme pour lancer les griffes d'aciers.
Les arbalétriers et leurs assistants eux, quittent leurs postes pour rejoindre les plateformes sur les mats avec une arbalète et des munitions, une position surélevée pour maintenir la pression durant l'attaque.
Je guette les plateformes du navire en face, me disant qu'eux aussi avaient sûrement des hommes là-haut, mais non, ils étaient en train de descendre. L'un d'eux, sûrement à cause de la panique, perd l'équilibre et s'écrase sur le pont.
Le capitaine me donne une tape sur l'épaule avant de désigner les hommes qui tiraient sur les cordes des grappins.
"Au boulot monsieur Rougine ! Nous ne sommes pas en croisière ! "Vexé de m'être fait sermonner, je grommelle en les rejoignant, saisissant les cordages à deux mains pour tirer de toutes mes forces.
L'impulsion est donnée, je sens notre navire dériver vers la coque adverse. Je vois les mats qui se rapprochent.
"Echelles !"D'autres hommes accourent sur le pont, portant d'épaisses échelles de bois qu'ils laissent retomber avec fracas sur le pont adverse.
Jiat Laeten dégaine alors son sabre avant de hurler.
"A l'abordage !"C'est maintenant notre pont qui résonne de hurlements, de rage, d'excitation, des cris de guerre.
Les hommes se précipitent sur les échelles tandis que le choc de coque contre coque me fait valser sur le sol.
Les marins s'élancent sur le navire, un homme me relève et me pousse à courir. J'emprunte une échelle, prudemment, encore un peu sonné, me forçant à ne pas regarder la mer en dessous de moi.
Les projectiles filent de part en part. L'acier s'entrechoque. J'entends cris et pleurs. Si avant tout était orchestré, c'est maintenant le chaos qui règne sur le bois ensanglanté.
Je lève les yeux des cadavres chauds jonchant le sol, j'aperçois Laeten échangeant des coups de sabre avec un homme. Le sang pourpre qui transperce un marin avec sa lance.
Je continue d'avancer, me frayant un chemin entre les duels qui s'amplifient tandis que mon masque se fissure peu à peu, laissant apparaître un rictus joyeux devant tant de carnage. Une soif de sang incontrôlable me submerge, une envie de tuer.
Un homme me fonce dessus, défiguré par des éclats de bois sur son visage. Il porte un premier coup de sabre que je parviens à éviter en me baissant, laissant le mat derrière moi subir le tranchant de la lame à ma place. Mais je ne parviens pas à esquiver le coup de poing qui s'abat sur ma joue. Je titube, vacille alors que le balafré relève son arme pour l'abaisser sur mon crane. Je lève ma hache, parant le coup, mais la lâchant sous sa force.
Je me jette alors sur lui, pris d'un instinct de survie bien supérieur au sien et lui plante mes pouces dans les yeux en poussant un hurlement de rage couvrant largement son cri de douleur.
Je ramasse ensuite ma hache et me redresse face à un autre homme qui me fonce dessus mais celui-là est abattu d'un trait d'arbalète en pleine tête bien avant de m'atteindre.
Je continue d'avancer à travers le pont, en quête d'une vie à faucher.
Une charge d'épaule me percute, m'envoyant contre des tonneaux que je renverse. Un marin se dresse au-dessus de moi pour me transpercer de sa lance mais un sabre lui traverse la poitrine, il tombe à genoux, dévoilant le visage enfantin de Billy l'air aussi combatif qu'apeuré. Ce petit idiot venait de me sauver la vie.
Il fait volte face pour retourner au sein de la bataille.
Je me relève tandis qu'un autre membre d'équipage me charge en criant. Cette fois, je saisis fermement mon arme et pare son attaque, j'évite le coup de poing qui suit et en assène un à mon tour, percutant la mâchoire de mon adversaire. Mais il en est à peine secoué, il est bien plus costaud que moi.
A nouveau il lève son sabre. Je me baisse. J'entends siffler la lame au-dessus de mon crane. Je plante ma hache dans son pied, lui arrachant un cri. Un coup de genou vengeur vient me percuter le ventre, me coupant le souffle mais qui me pousse suffisamment pour me remettre debout.
Je dois tenir bon. Il approche en boitant, me laissant le temps de me reprendre.
Une fois encore il lève son arme. Je brandis la mienne avec fougue vers son poignet, tranchant nette son bras. J'amorce alors un retour qui lui lacère le torse. Laissant un flot de sang s'échapper pendant que mon ennemi, vaincu, tombe à genoux.
Je reprends alors ma marche funèbre, essoufflé, crachant le sang qui remplit ma bouche.
J’abats ma hache dans le dos d’un marin à plusieurs reprises, lui fendant le dos comme une bûche sèche, venant ainsi en aide à un homme de Laeten qui était en difficulté à deux contre un. Grace à l’effet de surprise, il parvient à éliminer le deuxième avant d’incliner la tête pour me remercier et de retourner dans la mêlée.
Je cherche des yeux, à travers la cohue, une autre vie à prendre. Une autre âme à offrir à mon dieu. Cherchant à combler ma soif de sang.
Un autre homme s’écroule devant moi, victime de la précision de nos tireurs.
J'engage un duel avec un autre marin, protégé derrière le couvercle d'un tonneau. J'assène coup après coup, faisant voler son bouclier improvisé en éclats.
Je ne contrôle plus ma force, c'est Phaïtos qui guide mon bras et me donne l'énergie nécessaire pour vivre au sein de cette bataille. Je le sens.
Mon adversaire se défait de sa protection pour me sauter dessus, lui aussi mû par une envie de vivre. Mon arme tombe. Je sens plusieurs coups m'atteindre le visage. Je hurle en me protégeant du mieux que je peux. Au terme d'un grand effort je parviens à bloquer un coup et de riposter enfin, écrasant mon poing contre sa joue.
J'attrape alors sa gorge à pleine dents, croquant comme dans un fruit mur pour en aspirer le jus en recrachant ensuite la peau.
Ses deux mains se portent à sa gorge pour en maintenir le flot de sang tandis que je rampe jusqu'à ma hache.
A nouveau armé, je me redresse pour achevé le marin de nombreux coups dans le dos même après qu'il soit à terre.
Soudain, un vacarme d'acier qui tombe me fait lever les yeux de ma victime. Ils se rendent. Les survivants ont lâchés les armes et ils lèvent maintenant les mains.
Un cri de victoire s'élève. Nous avons pris le navire. J'ai pris des vies. Pour Phaïtos.