Lenen regardait avec frayeur ce que faisait l'étranger, restant caché sagement entre deux barils. Sur l'autre bateau, l'enfant pouvait entendre les cris se multiplier. Au loin, il entendit le capitaine du navire pirate hurler en voyant le bateau brûler. Lenen avait le coeur serré, lui aussi. Il ne savait pas si c'était par une certaine pitié envers le pirate, ou si c'était de voir un si beau bateau partir en flamme sous ses yeux. Mais toujours est-il qu'il avait le coeur serré.
Mais le soldat le ramena à la réalité; le bateau brûlait ! Ils étaient en danger ! L'adulte revint en courant, après avoir brûlé une bonne partie du bateau, les flammes dévorant chaque morceau de bois pour survivre, attaquant maintenant les voiles. Les bruits déjà inquiétants du bateau devenaient encore plus horribles aux oreilles de l'enfant.
(Maelgion !)
Il se leva d'un coup, comme possédé, et il commença à courir en direction de l'autre bateau quand le soldat du navire marchand l'arrêta, l'attrapant par le bras.
"Arrête ! C'est trop dangereux !"
"Mon grand-frère... Je ne veux pas le perdre ! Je ne veux pas !" avait-il commencé à pleurer.
"Nous devons fuir, gamin ! Ce bateau ne tiendra pas longtemps !"
Lenen se mit à se débattre avec rage, plus encore que le jour où il avait été enlevé avec Maelgion, à Eniod. Il avait déjà perdu ses parents, il ne supporterait pas de perdre son frère. Même l'adulte avait du mal à maîtriser l'enfant, mais il savait qu'il ne parviendrait pas à atteindre l'autre bateau sans de graves blessures. Non, sans mourir même. Il comprenait sa peur, mais il ne pouvait pas le laisser partir. C'était très dangereux.
"Maelgion ! MAELGION !"
"Bordel, calme toi, je t'en supplie ! Tu n'as aucune chance !"
Malgré le danger, il s'agenouilla et força Lenen à le regarder droit dans les yeux. S'il voulait fuir avec lui au plus vite, il devait d'abord le calmer.
"Petit, si tu n'avais pas été là, je serais mort. Pire, tout mes camarades seraient morts sous les mains de ces pirates. Je te dois ma vie. Je te jure qu'après notre fuite je mettrai tout les moyens qui me sont en oeuvre pour retrouver ton frère, mais par pitié calme toi et écoute moi sagement."
Lenen se calma enfin, reniflant, le visage couvert de larmes. Il entendait enfin raison. Mais il avait la parole de cet homme, et il lui faisait confiance. Sans lui, les pirates auraient continués leur vice, et probablement que Maelgion et Lenen seraient devenu pirates à leur tour, dans le futur. Convaincu que le blondinet soit enfin calmé, le jeune homme se précipita sur des tonneaux. Il les ouvrit et les jeta dans la mer. S'ils étaient remplis, il les vidait sans ménagement dans l'eau.
"Sans vouloir te faire peur, nous n'avons pas le choix; nous devons sauter à l'eau. C'est ça, ou nous brûlons avec le bateau."
Pendant qu'il parlait, il continua de balancer des tas de barils à la mer. Lenen se demandait pourquoi il faisait cela. Mais son cerveau n'avait pas le temps d'y réfléchir; sauter à la mer ? Mais... Dans son apprentissage familial, il avait certes apprit à nager, mais il nageait si piètrement en rivière !... Alors dans la mer ? Au milieu de nul part ? Non ! Ils vont mourir noyés !
"Mais... Nous ne pouvons pas... On... on..."
"Fais moi confiance."
Après quelques minutes à balancer des barils à l'eau, il était définitivement temps de sauter. Les flammes, dans leur appétit insatiable, se rapprochaient maintenant de Lenen et de l'adulte, peu à peu. Le garçonnet pouvait sentir la chaleur des flammes. Sans laisser de temps à Lenen de réfléchir, sachant qu'il n'oserait pas sauter de lui-même, le soldat le porta, un bras sous les genoux, l'autre derrière son dos. Le garçon était trop grand et trop lourd malgré son âge pour être porté plus confortablement. Mais, dans l'eau, ce sera plus simple.
"Accroche toi, nous sautons."
Lenen s'exécuta, entourant ses bras autour du cou de l'adulte. Le bateau commençait maintenant à s'ébranler. Les mâts chutaient bruyamment dans des craquements sinistres. Lenen avait extrêmement peur, mais il ne savait pas pourquoi; pour le bateau qui se consumait peu à peu, ou de la mer dans laquelle il allait bientôt baigner ? L'adulte posa un pied sur le bord du bateau, prêt à sauter. Soudain, un vague cri, derrière le rempart de flamme, attira l'attention de Lenen.
"M... Maelgion ?"
Lenen ne pouvait le voir, mais l'adulte avait jeté un regard horrifié vers le bateau; son frère est revenu sur le bateau. Quel fou ! Quel sombre malade ! Il allait mourir consumé par le feu ! Son coeur hésita un court instant. Mais il savait qu'il était à présent trop tard; si c'était bien le frère de l'enfant qui était actuellement sur le bateau à crier au loin, alors il ne pouvait plus rien pour lui. Il allait mourir, et il ne pourrait jamais réaliser sa promesse faites au garçon plus tôt.
Poussé par les flammes, il se lança enfin; il sauta à la mer, sous les cris horrifiés de Lenen, sans savoir que, au loin, Maelgion était tombé... mais pas comme il le craignait. L'enfant prit une grande inspiration et ferma les yeux, frappant avec force l'eau. Paniqué, il n'osait pas lâcher l'adulte qui, lui, semblait être habitué à baigner en pleine mer. D'ailleurs, ce fut lui qui emmena sans difficulté Lenen à la surface. Ce dernier prit une grande inspiration, une fois la tête hors de l'eau. L'eau était froide. Pire, elle était glaciale. Il avait extrêmement froid.
Le soldat ne lâchait pas le garçon, sachant qu'il paniquerait et coulerait rapidement. Agilement, il nagea jusqu'au tonneau le plus proche. Il lâcha un moment Lenen en lui demandant de garder son calme, et de flotter un instant, le temps qu'il vide le tonneau, qui était remplit d'eau de mer. Lenen s'exécuta. Il avait un peu de mal à garder la tête hors de l'eau. Etrangement, nager en mer était plus difficile que nager dans un étang. Déjà parce que les vagues tentaient sans cesse soit de l'emmener quelque part ailleurs, soit carrément de le couler. Ensuite, parce qu'il n'y avait tout simplement pas de fond, ou s'il y en avait il ne pouvait l'atteindre. Dans un banal étang, s'il venait à couler, il n'aurait eu qu'à taper le sol avec ses pieds pour remonter. En mer, c'était impossible.
"Monte dans le tonneau."
L'étranger se mit à maintenir le tonneau bien droit, tandis que Lenen y grimpait avec difficulté. C'était très difficile sans faire basculer le tonneau et le remplir d'eau, mais il y parvient finalement. L'intérieur était humide, mais il se sentait mieux ici que dans l'eau. il put voir le jeune homme mettre, dans le tonneau, les deux fourreaux contenant leurs épées respectives. Lenen croisa les bras, grelotant de froid et d'inquiétude; son grand-frère lui manquait terriblement.
"Vous ne montez pas ?..."
"Pas de place. Je pourrais y aller, mais ce serait serré, et cela rendrait le tonneau instable. Je vais rester à l'eau."
Lenen n'insista pas. Il espérait que le soldat, durant le trajet, ne tomberait pas en hypothermie. Il semblait néanmoins fort, et en même temps épuisé de son combat. D'ailleurs, ce dernier, voulant faire oublier à Lenen tout ce qui vient de se passer, commença une conversation normale. Il demanda son nom à Lenen, qui le lui donna volontiers. L'adulte se présenta sous le nom de Richard. Il raconta un peu son histoire au garçon. Il n'était qu'un simple combattant ayant déjà affronté moult bandits sur une île inconnue aux oreilles du garçon. Il avait été embauché pour un bon prix sur un navire marchand dont il devait assurer la protection. Après sa courte présentation, Lenen, ouvert à son protecteur, lui raconta toute ses mésaventures. Il lui parla un peu de ses parents, des ventes qu'il devait faire avec son frère. Il pensa d'ailleurs aux fourrures qui étaient restés sur le bateau avec une pointe de tristesse - les fourrures de lapin étaient toutes douces ! Il raconta ensuite leur enlèvement, et le mois pénible que Lenen avait passé au milieu de tous ces monstres, jusqu'à arriver au moment de l'abordage. Richard était touché par le récit du garçon.
"Au fait... Où allons-nous ?..."
"Aucune idée."
Richard espérait qu'ils trouveraient bientôt la terre ferme. Déjà parce qu'ils n'avaient quasiment rien à manger, ni à boire. De plus parce qu'ils étaient tout les deux dans le froid et l'humidité - surtout lui d'ailleurs. Et enfin parce que s'ils n'avaient pas de chance, ils pourraient tomber sur des espèces animales dangereuses.
"Essai de dormir. Je vais tenter de nous emmener quelque part."
Prit effectivement de sommeil après cet évènement majeur, Lenen ferma les yeux et ne mit guère de temps à s'endormir. Les heures passèrent. Horriblement lentement. Peu importe l'endroit où regardait Richard, il n'y avait aucune île à l'horizon. Il commençait à s'inquiéter; qu'allait-il faire avec un enfant sous les bras ? Il se dit avec un air sombre qu'il serait presque obligé de tuer de lui-même Lenen, pour éviter que ce dernier ne se retrouve tout seul le jour où Richard mourrait d'hypothermie. En aurait-il seulement le courage ?
Deux heures au moins s'étaient écoulées. Richard était épuisé. Mais il ne pouvait pas dormir comme l'enfant, étant dans l'eau, emporté avec le tonneau. Lenen dormait encore par ailleurs. Le froid glaçait ses os. S'il ne trouvait pas rapidement un coin chaud, il ne survivra certainement pas un jour en mer.
Soudain, il vit au loin, caché derrière une épaisse nuée de nuages, un arbre se dressait en plein milieu. Etais-ce un mirage ? En pleine mer ? Peu à peu, il pouvait distinguer du sable... Une vague forme. Il écarquilla les yeux.
(Une île !)
Il utilisa toutes ses forces restantes, faisant du mieux que possible pour forcer le tonneau et lui-même à se diriger vers l'île. Ses bras et ses jambes tiraient, épuisés, et engourdis à cause du froid. Il parvint cependant à s'approcher suffisamment de l'île pour que l'eau l'aida à les pousser vers le sable. Au bout d'un moment, en douceur, le tonneau fut ralentit par le sable, tout comme Richard, qui pouvait enfin se lever et sentir le soleil sur sa peau. Il n'en pouvait plus. Il approcha le tonneau suffisamment pour l'éloigner hors de l'eau. Lenen s'agitait, ayant probablement sentit les mouvements. Richard tomba soudain à genoux au sol, avant de s'étaler sur le sable chaud, perdant connaissance.
Deux autres heures plus tard, Lenen ouvrit doucement les yeux, se demandant où il était. Son tonneau était allongé. Sa joue touchait le sable chaud. Quelques mètres devant lui, un crabe se promenait tranquillement. Il bondit sur ses pieds, soudain paniqué. Pas seulement par le crabe en vérité, qui n'était cependant pas loin de lui pincer le nez, mais aussi par le fait qu'il ne voyait plus Richard. Ils venaient alors d'échouer sur une île ? Quelle île ? Où ? Il tourna la tête et fut à demi rassuré de voir Richard étendu au sol. Inquiet cependant de son état, il courut à ses côtés. Il fit comme sa mère lui avait toujours montré pour vérifier qu'une personne était encore en vie; il plaça deux doigts sur son cou. Ouf, il pouvait sentir un pouls, lent et régulier. Il était en vie.
"Richard ! S'il te plaît, réveilles toi !"
Le jeune homme grogna. Quelques minutes plus tard, il ouvrit enfin les yeux et se redressa, regardant autour de lui avec un air un peu ahuri. Il frotta sa tête sous sa main et regarda le jeune homme, avant de sourire, rassuré de le voir réveillé et en bonne santé.
"Lenen ! Tu ne peux pas savoir combien il est réjouissant de sortir de cette mer glaciale !" dit-il en partant sur un rire gras, optimiste.
L'optimiste de l'adulte fit sourire Lenen, qui se leva en même temps que lui. Ils marchèrent ensemble un petit moment. Lenen avait bien demandé à l'adulte où ils se trouvaient, cependant ce dernier n'en avait pas la moindre idée. Il avait bien quelques hypothèses, mais il ne pouvait pas se décider. D'après lui, soit ils étaient encore sur Imiftil, ce qu'il aimerait bien dire au blondinet qui vient effectivement de cette île, de Tulorim précisément, soit ils étaient en Nosvéris.
Après avoir tourné en rond un moment, Richard prit les deux fourreaux dans le tonneau, en fixant un à sa ceinture, donnant l'autre à Lenen, lui disant qu'il valait mieux qu'il soit armé au cas où. Il lui expliqua qu'ils allaient devoir se séparer un peu; Lenen devrait trouver du bois tandis que Richard comptait aller un peu plus profondément dans la forêt, pour trouver quelque chose à manger. Les deux garçons se pressèrent donc. Richard devait en permanence s'assurer que Lenen était visible, aussi bien pour lui-même que pour Lenen, qui avait trop peur de se retrouver tout seul en pleine terre inconnue.
Une demi-heure plus tard, alors que Lenen recueillait du bois sec, il vit soudain au loin, allongé sur la plage, une forme sur le sable. Au début, il n'osait pas s'en approcher, surtout qu'il s'éloignerait de Richard. Mais finalement, sa curiosité prit le dessus; il s'approcha, à petit pas d'abord, puis il se mit à courir en voyant que les formes sur le sable étaient des humains. Il laissa tomber ses bois quand il reconnut en particulier l'un d'eux.
"Maelgion ! Maelgion !"
Lenen se précipita sur le corps inconscient de Maelgion. A côté de lui se trouvait Asam. Que faisaient-ils ici ? Comment diable étaient-ils arrivés sur la même île que Richard et Lenen ? Tant de questions parcouraient la tête de Lenen. Mais il s'en fichait. Au loin, Richard n'entendait pas les cris à la fois alertés et à la fois joyeux de Lenen. Ce dernier, d'ailleurs, secouait son grand-frère comme un fou, espérant de tout coeur qu'il n'était pas mort. Le garçon s'était mit à pleurer, mêlé entre la peur et la joie.
"Maelgion ! Maelgion, réveille toi, je t'en supplie !"
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