51. Seul contre tous.
Sump cligna plusieurs fois des paupières. Elle ne pouvait pas être réellement là ! C'était impossible ! La Luda qu'il connaissait habitait dans le petit bourg de Dehant !
"Luda ? mais... ?" bredouilla le Sekteg, halluciné.
Devant l'air ébahi du Gobelin, elle pouffa de rire.
"Et oui je suis là ! Je suis venu voir si tu avais toujours mon collier !"Ce n'était pas une illusion ! Luda se trouvait vraiment devant lui. Elle était réelle !
"Tu...je...""Ne cherche pas à comprendre !" le coupa-t-elle sèchement avec un ton qui ne lui ressemblait pas.
"Mon collier, tu l'as toujours ?" Le Gobelin hocha la tête, sortit docilement le bijou de son sac et le montra à la fillette.
Il n'allait certainement pas le perdre ! C'était l'objet qui avait changé sa vie !
Mais tout à coup une minuscule main noire venant du sol se saisit de la chaîne doré et l'arracha des doigts du Gobelin.
"Hé !" cria ce dernier en se lançant aussitôt à la poursuite du petit singe brun qui venait de lui voler son bien le plus précieux.
Le primate, minuscule, était étonnamment agile et ne tarda pas à disparaître derrière le tronc d'un gigantesque sapin. Lorsque Sump fit lui aussi le tour de l'arbre, il découvrit une porte en bois orangée qui venait juste de se refermer. Stupéfait, il tenta d'actionner la poignée mais elle la porte refusa de s'ouvrir.
"Il faut une clé." l'informa Luda d'un ton neutre juste derrière lui, les mains dans le dos.
Sursautant légèrement, il tourna la tête vers elle et lui lança un regard mauvais. Comment s'était-elle approché aussi vite et aussi silencieusement, celle-là ?
La petite fille sourit de toutes ses dents et montra du doigt le sol aux pieds du Sekteg.
Celui-ci regarda par terre et y trouva une petite clé jaune.
Sump, de part sa maigre connaissance du monde, était naïf comme un enfant. Aussi, au lieu de chercher une explication quelque peu rationnelle à tout ça, il se baissa en grognant pour ramasser la clé, comme résigné par les folies qui lui arrivait.
Au moment où il allait la mettre dans la serrure, un martin-pêcheur passa à toute vitesse entre la porte et lui.
Pas n'importe quel martin-pêcheur, toutefois. C'était l'oiseau auquel le Gobelin venait de piquer le repas...
Surpris, le Gobelin recula d'un pas et constata avec rage et désespérance que la clé n'était plus dans sa main.
Pendant que Luda était morte de rire devant la tête de son ami vert, lui regarda haineusement l'oiseau déposer la clé dans son nid en haut de l'arbre colossal qui toisait Sump quelques minutes plutôt lorsqu'il était en haut de la colline.
Les oreilles plaquées sur l'arrière du crâne, il grogna :
"Maudite forêt stupide.""Hihihi, décidément, je me serais bien amusé avec toi aujourd'hui !" s'esclaffa Luda de plus belle en séchant de l'index les larmes qui avaient commencé à embuer ses yeux.
Mais elle se tut tout de suite quand le Gobelin, les dents serrées, lui jeta un regard noir.
Elle baissa les yeux comme si elle avait fait une bêtise, puis, les lèvres et le menton tremblant, releva la tête et pleurnicha :
"Tu ne vas même pas essayé de récupérer le collier que je t'ai donné, alors ?" Sump fronça les sourcils et regarda le sol en serrant les poings et les mâchoires. Pourquoi ces choses étranges lui arrivaient-elles ? Est-ce que cette forêt se "comportait" comme ça avec tout ses nouveaux habitants ?
En tout cas, il était clair qu'il récupèrerait son collier, coûte que coûte. Il n'allait certainement pas se laisser faire par un mini-singe et un martin-pêcheur, lui, détenteur d'une relique !
Alors un bruissement se fit entendre sur sa droite, attirant son regard.
Avec des yeux ronds, il regarda le deuxième petit singe, blond cette fois, se relever après avoir trébuché en sortant d'un buisson. Si celui qui avait prit le collier ne mesurait guère plus d'une quarantaine de centimètres de haut, celui-ci en faisait moitié moins.
"Il est trop mignon, n'est-ce pas ?" commenta Luda en joignant ses mains sous son menton et en lançant un regard attentionné et tendre au nouvel arrivant.
Décidément, elle changeait vite d'émotions...
Le singe leva les yeux vers le Gobelin, puis les tourna vers le nid de l'oiseau voleur de clé avant de les reposer sur le Gobelin, qui le contemplait, sur le qui-vive, méfiant.
Alors, un sinistre sourire étira soudain la petite bouille noire du primate.
Avant que le Sekteg ne puisse interpréter cette mimique inhabituelle sur un animal, ce dernier fonça à quatre pattes vers le tronc à l'épaisse écorce de l'arbre royal.
Commençant à bien connaître cette forêt qui semblait lui en vouloir, Sump comprit tout de suite que ce singe diabolique avait pour dessein de lui voler la clé qui ouvrait la porte du sapin. Il démarra en trombe à son tour.
Le singe franchit la rivière qu coulait juste devant l'arbre de quatre petit bonds agiles sur des pierres, comme par hasard disposées de telle façons à faire un chemin.
Sump fit pareil car même si son agilité n'égalait pas celle du primate, elle ne demeurait néanmoins pas en reste.
Une fois la rivière traversée, le Gobelin piqua un sprint alors que le singe commençait déjà son ascension.
Lancé à pleine vitesse, le Gobelin bondit et réussit à attraper la grande queue du primate et à le tirer sèchement vers l'arrière.
Dans un couinement suraigu, le frêle animal fut arraché de l'écorce mais réussit à s'accrocher à une des longues oreilles de son ennemi et à la mordre.
Poussant un cri à son tour, Sump lâcha la queue du singe qui prit appuie sur son crâne pour bondir sur le tronc et reprendre son escalade. Mais encore une fois, le Gobelin réussit à le saisir par la peau du cou et cette fois-ci, le jeta loin en arrière. Assez loin, il l'espérait, pour qu'il atterrisse dans la rivière. Après quoi, il commença à escalader le tronc.
Ce dernier faisait bien dix mètres de circonférence et l'arbre en lui-même devait facilement atteindre, du bout de ses plus hautes feuilles, les vingt mètres de haut.
Vingt mètres d'escalade était loin d'être chose aisée mais le Gobelin était un habitué de la grimpette dans les arbres et celui-ci possédait tellement de branches et une écorce tellement craquelée que la seule véritable contrainte serait la hauteur.
Alors il vit le singe le dépasser, un mètre à côté de lui, en bondissant souplement sur une épaisse branche.
Sump grogna.
Son adversaire était un singe. Il était fait pour ce genre d'escalade risquée.
Pour avoir une chance d'atteindre la clé avant son concurrent, il devait absolument trouver un moyen d'arrêter ou au moins freiner la progression de ce dernier. Mais comment faire ?
Il accéléra encore son escalade, bondissant et crochetant l'écorce. La paume de sa main noircie lui faisait un mal de chien mais il n'avait pas le temps de s'en occuper. Il devait arrêter ce singe !
Ne restant accrocher à l'écorce que par sa main noire, il tendit son bras et réussit à se saisir d'une des pattes arrières du primate qui se mit aussitôt à crier et à se débattre.
Profitant de son seul avantage qui, pour une fois, était la force, le Gobelin tira le singe vers lui. Alors l'écorce craquelée céda sous son poids et il chuta le long du tronc, emmenant le primate avec lui. Ils atterrirent sur une branche plus basse.
Le Sekteg glissa et du s’agripper comme il put, enserrant le membre de l'arbre avec ses jambe et le bras qui ne tenait pas le démon blond, se retrouvant la tête en bas.
Ce dernier, sûrement au courant de la précarité de la situation, se débattait de plus belle, enfonçant même ses petits crocs dans les doigts qui le retenait.
La seconde de panique totale passée, le Sekteg se reprit, le cœur battant à cent à l'heure.
Il devait bien faire attention maintenant. S'il lâchait sa victime, elle risquerait de réussir à s’accrocher quelque part et à finalement réussir à atteindre la clé avant lui.
Le mieux serait qu'il tue ce singe, ainsi il serait débarrassé de toute concurrence. Il décida de le mordre. Sur un petit être tel que lui, ces dents aiguisées causeraient sans doute des dégâts mortels et en outre, le petit poisson n'avait pas réussit à satisfaire ses besoins.
Au moment où il allait croquer dans la tendre chair du singe remuant, celui-ci fourra involontairement un doigt dans un des yeux de son ennemi.
"RAAH !" rugit le Sekteg, son œil blessé pleurant de douleur.
Oubliant les précautions auxquelles il venait de penser, il se mit à secouer violemment sa main pour que le singe la lâche.
Au grand bonheur du Gobelin, le primate blond céda et il le vit, de son œil valide, tomber sur le sol, cinq ou six mètres plus bas.
"Héhé." ne put se retenir de ricaner Sump, fier de lui.
L’œil toujours clos, il se hissa sur la branche et reprit son escalade non sans s'être longuement frotté l’œil. D'en bas, il entendit la voix de Luda lui dire :
"Je crois que tu lui as fait mal..." Sa voix, malgré la distance qui les séparait, lui semblait étonnamment proche alors qu'elle ne criait même pas.
Soudain, il entendit un autre cri. Long, aigu. Il baissa la tête pour en trouver l'origine et c'était le petit singe blond qui s'était mit, apparemment, à pleurer...
Poussant un grognement, Sump ne fit pas attention à cela jusqu'à qu'il entende d'autres cris. Des sortes de piaillements, aigus, eux aussi.
Au loin, il aperçut avec horreur qu'une quinzaine d'autres singes arrivaient d'arbres en arbres vers lui et de tout les côtés. Mais ils ne faisait pas la taille ridicule de celui qu'il avait martyrisé... Certains avait même la même mesure que lui. Il en visualisa des bruns, des blonds, des noirs et tous arrivaient à grande allure vers lui.
Il accéléra le rythme, son cœur battant la chamade, quitte à risquer la chute. Il regarda vers le haut. Le nid du martin-pêcheur n'était maintenant plus qu'à quelques branches au-dessus de lui.
Sa seule chance de ne pas finir déchiqueté par une armée de singes était qu'il attrape la clé, redescende et ouvre la porte du sapin pour s'enfermer.
Mais déjà le premier primate, après un saut à couper le souffle, se réceptionna habilement sur une branche à une dizaine de mètres de sa position. Il était gris et avait la poitrine et le cou protégé par une masse de fourrure touffue qui semblait être hérissée.
Pour sûr il n'était pas content. Il se rua sur Sump en courant le long de la branche. Celui-ci, sur le tronc, l'ignora pour le moment mais, le pied sur la trace d'une ancienne branche aujourd'hui brisée, il dégaina sa dague dorée et mit le manche dans sa bouche, une lueur de détermination mais aussi de fureur sauvage brillant dans ses yeux sombres.
Qu'un seul de ces macaques ose approcher...
Si Sump faisait généralement tout pour éviter le conflit et donc de risquer sa vie, il en était tout autre lorsqu'il était question d'objet de valeur. Et c'était encore pire quand l'objet de valeur lui appartenait.
Bientôt, le singe gris, sautant entre une fourche juste au-dessus du Sekteg, voulut l'attraper.
D'un geste rapide, Sump s'empara de son arme et trancha la patte noire de son ennemi.
Le sang gicla dans le vide et sur une autre branche juste avant que le singe ne hurle sa douleur en serrant sa main à moitié tranchée contre lui.
Le Gobelin, ayant remis son arme dans son bec, arriva lui aussi à la fourche et se hissa dedans. Le singe gris battit en retraite en sautant sur une autre branche tandis que d'autre arrivaient et encerclaient le Sekteg qui, positionné dans la fourche, était dans une position d'équilibre alors que ses multiples adversaires étaient accrochés à l'écorce cassable du tronc ou sur une branche assez étroites.
Au centre de tous ces primates qui hurlaient comme des possédés, les tympans du Gobelin étaient mis à rude épreuve.
Un singe roux tenta de lui sauter dessus, la gueule dégoulinante de bave et les mains tendues vers lui. Sump se baissa de justesse pour l'éviter mais l'animal réussit toutefois à s'agripper à son cou, lui griffant la poitrine au passage.
Poussant un cri rauque mais réussissant à conserver son équilibre, Sump, à moitié étranglé, réussit tout de même à trancher la gorge d'un deuxième singe qui s'apprêtait à l'attaquer et dans un même mouvement, avait sortit le poignard qu'il avait trouvé sur le cadavre de la caverne de son fourreau et l'avait enfoncé maladroitement dans le flanc du singe accroché à lui qui, d'une torsion et en beuglant, le lâcha brutalement avant de tomber dans le vide, l'arme toujours fichée dans ses côtes.
Profitant du fait que les singes restaient immobiles de surprise, Sump sortit de la fourche et courut sur une branche, Grifoniss pointée en avant.
Ses ennemis, désormais plus prudent devant ce combattant bien plus dangereux qu'ils l'avaient crut de premier abord, reculèrent tandis que ce qui étaient derrière lui se rapprochèrent.
Il mit à nouveaux son arme dans sa bouche, prit de l'élan et bondit sur la fourche supérieur. Les singes suivirent son ascension, se marchant dessus et se faisant parfois tomber.
Le Gobelin était maintenant à la même hauteur que le nid qui semblait ne protéger que la clé. Tout ce qu'il avait à faire désormais, c'était se hisser sur la branche et s'emparer de l'objet de ses convictions.
Il ne savait pas comment il allait faire pour descendre par contre mais il réfléchirait à cela plus tard. En attendant, pour sauver sa vie et récupérer son collier, il devait entrer en possession de cette clé !
Avançant avec prudence et défiant les singes du regard, Sump atteignit le nid au moment où trois singes se jetaient sur lui.
Le nid tomba en même temps qu'un Gobelin et trois singes hurlants.
Tous allaient chuter d'une vingtaine de mètres et s'écraser sur le sol. Dans les airs, Sump eut toutefois la réactivité de trancher le haut du crâne du singe qui s'était agrippé à une de ses jambes.
Le deuxième, qui avait chuté avec eux, termina sa chute sur une épaisse branche. La nuque brisée, cela eut le mérite d'arrêter immédiatement les horribles cris apeurés qu'il lançait.
Le dernier singe, celui qui était sur son dos, se servit de Sump comme d'un point d'appui et bondit pour atteindre une branche feuillues qu'il attrapa avec justesse.
Le Gobelin, désormais seul face au vide et à la mort, se mit à fixer le sol qui se rapprochait fichtrement vite, les mâchoires serrées à l'extrême.
Ça allait donc se terminer comme ça pour lui ? Il allait finir sa vie éclaté par terre ?
Sump avait très peur de la mort. Si sa vie avait fait de lui quelqu'un d’endurci face aux coups dur et aux situation difficiles, il était toutefois toujours complètement désemparé face à la mort.
Le temps était comme en suspens et, comble de l'absurdité et sans que cela n'ait aucun rapport, il songea à la fois où il avait vu deux aventuriers se faire secouer et démembrer par des trolls dans le temps où il vivait dans la forêt au Nord de Dehant.
Ce jour-là, il avait obtenu ses premiers yus en ramassant ceux qui était tombés par terre...
Lorsqu'un individu est en pleine détresse, le cerveau trouve au plus vite un souvenir, une pensée agréable pour aider à surmonter cette épreuve. Ce n'était pas l'évènement le plus marquant de sa vie, mais Sump se rappelait avoir été content de trouver ces petites choses rondes et brillantes.
Il ferma les yeux au moment où il allait toucher le sol. L'impact allait être terrible...
Impact qui ne vint pas. Les yeux clos, il sentit une bourrasque de vent lui balayer le visage puis un ralentissent immédiat de sa chute, comme si le vent le portait.
Le Sekteg ouvrit les yeux juste à temps pour se voir flotter à un mètre du sol, juste au-dessus d'un nuage de poussière. Un coussin de vent avait arrêté sa chute, lui sauvant la vie.
Ce dernier disparut et Sump tomba lourdement au sol, sur le ventre.
Il se releva toutefois très vite, juste à temps pour voir que ses bottes arrêtèrent de briller et se mit à chercher frénétiquement la clé du regard, la situation étant trop urgente pour qu'il puisse se soucier du pourquoi du comment de ce nuage.
Il découvrit la clé aisément et courut vers la porte du sapin en cherchant rapidement Luda du regard. Elle avait disparu. Pensant qu'elle avait fuit avec l'apparition de tout les singes, il s'occupa de sauver sa propre vie. Étant la première fois qu'il utilisait ce mécanisme, il enfonça maladroitement la clé dans la serrure, la tourna et actionna la poignée.
Fermée.
En grognant de frustration et de peur, il répéta l'opération.
Fermée.
"Aller !" cracha-t-il, les dents serrée en s'excitant sur la clé en la tournant.
Mais rien ne servait de s'affoler, les singes n'avaient pas l'air de l'avoir suivis...
Abandonnant la clé, il jeta un œil derrière le tronc du conifère avec méfiance. L'armée de singes avaient disparue, comme si elle n'avait jamais été là, comme si cela n'avait été qu'un tour de son esprit. À part les dépouilles de ceux que le Gobelin avait réussit à tuer, il ne restait rien.
D'un pas méfiant, il s'approcha du singe roux auquel il avait enfoncé le poignard dans le flanc et le retira avant de le glisser dans son fourreau sans prendre le temps de le nettoyer.
Après quoi, il soupira d'épuisement.
Ça avait été chaud cette fois mais comme d'habitude il s'en était sorti avec brio. Même s'il ne savait pas très bien comment...
Il se redirigea vers la porte et tourna encore la clé dans la serrure. Il n'allait certainement pas abandonner son collier aussi facilement. Il actionna la poignée encore une fois, s'attendant à ce qu'elle reste close.
Pourtant cette fois-ci, elle s'ouvrit.
Ne cherchant même pas à comprendre, le Gobelin fit un pas en avant.
La suite.