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Sihlaar s’occupe de nous introduire auprès du chef. De mon côté, je vais un peu me mêler aux troupes de brigands pour prendre la température… Et surtout finaliser mon plan, histoire qu’il soit fin prêt pour le moment où je serai appelée auprès du chef… Aussi impressionnant de sa personne que ma victime de l’après-midi, il semble plus coriace, plus expérimenté, et surtout plus armuré. J’espère que ça passera. Mon but, c’est de l’éloigner de son campement, seul si possible. Ça devrait pouvoir le faire.
Contrairement à mon frangin, je ne souhaite pas profiter du repas de ces bandits. Je m’assieds sur un banc un peu bancal, et me plonge dans ma réflexion tout en observant les gens qui m’entourent. L’ambiance est bonne, les gens plaisantent et rigolent. Ils ne se doutent de rien… Comme si nous faisions déjà partie de leur bande. Peut-être serait-il préférable que je mette l’incongruité de l’absence du gros chauve en avant…
L’occasion se présente bientôt à moi, lorsque le chétif aux trois poils de barbe roux et au chapeau à plume s’assied à côté de moi et commence à triturer mes cheveux, sans aucune gêne apparente, comme si nous nous connaissions depuis des années. Je me tourne vers lui avec un sourire insistant, et il m’adresse la parole en me souriant également.
« Alors, d’où vous venez comme ça tous les deux ? Une histoire avec la milice, c’est ça ? »
Ne sachant pas les détails de l’histoire que mon frère a inventée, je reste dans le vague, opinant simplement du chef.
« Hinhin. Ils ont voulu nous y engager de force… »
Et habilement, je change aussitôt de sujet sans lui laisser de répit pour en trouver lui-même un autre, ou poursuivre trop intrusivement sur celui-là. Je n’ai aucune envie de révéler l’identité de nos parents, de peur des représailles possibles si on réussit notre mission.
« C’est… sympa ici. Vous êtes tous là ? »
Et le petit aux yeux de rat de rétorquer :
« Ouais ouais normalement. Enfin y’a Mordrak qui monte la garde, mais sinon on est tous… Hey, il est où Oudin ? »
Deux-trois congénères se retournent, haussent les épaules.
« Pas vu depuis qu’il était parti à la chasse, cet aprèm. »
Le bruit de sa disparition suspecte se répand vite, et juste au bon moment : mon frère m’appelle pour que je le rejoigne auprès du chef. Je m’exécute, laissant le gringalet seul sur son banc pas droit. Arrivant sur place, je lance un regard assuré vers Sihlaar, pour qu’il soit au courant de la mise en place effective du plan dans mon esprit. Je n’aurai cette fois pas besoin de lui pour me tirer d’une mauvaise passe en me viandant littéralement dans mon discours.
« Voilà j’ai… cru comprendre qu’un gars d’ici avait disparu ? Je pense savoir où il se trouve. »
Le chef lève un sourcil. Enfin… Il soulève une extrémité de son mono-sourcil, et m’interrompt.
« Ah ouais ? Comment ça fille ? »
Fille ? D’où il m’appelle comme ça ? Je décide de ne pas relever, cependant, pour aller directement au fond de ma pensée.
« Cet après-midi, je me suis planquée dans les bois pour échapper à cette connerie d’inscription à la milice et… j’ai vu un gars, un chauve large d’épaule, qui rejoignait un petit campement plus loin dans la forêt, près d’une petite chute d’eau. Je l’ai suivi discrètement et j’ai… surpris une conversation. Je… je crois que ça vous concernait. Mais… »
Je regarde autour de moi, pour indiquer le monde ambiant, qui ripaille sec en rongeant les os de la carcasse sur le feu.
« Peut-être vaudrait-il mieux que je vous le dise à vous, avant que vos hommes ne soient au courant. »
Il grogne dans sa barbe, et reluque aux alentours.
« Ouais, on va un peu s’écarter. Par contre, moi, c’est « tu », pigé ? »
J’opine du chef, et nous nous écartons un peu de la zone peuplée du camp. Vers la haie d’aubépine… Tant mieux, ça n’en sera que plus simple. Je fais mine de connaître de vue l’endroit, pour le mener près du passage que son confrère défunt a creusé dans le végétal pour me poursuivre.
« Oh, par là. Je l’ai vu passer par-là, cet après-midi. »
De fait, nous arrivons près des végétaux brisés, ce qui rend un crédit supplémentaire à mon histoire. Le chef des bandits s’impatiente néanmoins.
« Ouais, et donc ? »
Inutile de faire dans la fioriture ou les longs discours. Aller à l’essentiel, voilà le message qu’il me fait passer. Tant mieux, je me voyais mal baratiner trop longtemps, de toute façon.
« Hé bien sur ce petit campement à l’écart, il parlait de monter des hommes de votre camp contre vous pour vous renverser et prendre votre place. Rien de moins. »
« Quoi ? C’est impossible ! »
« Promis, chef. Suivez-moi, j’vais vous montrer. »
Et j’augure le déplacement vers le trou des végétaux pour montrer le chemin. Le barbu se tourne vers son camp, mais je l’arrête.
« Non… Il a peut-être des alliés ici, mieux au y aller en petit comité… »
Il acquiesce. Ça serait dommage de se faire planter dans le dos. Et c’est pourtant le sort que nous lui réservons. Nous passons par la haie, et nous dirigeons ensuite droit vers la chute d’eau, dans les ombres du soir. Mais l’obscurité ne m’effraie pas : dotée d’un bon sens de l’orientation en forêt, je retrouve les passages et les détails de ma fuite. Nous marchons et marchons encore, jusqu’à ce que le barbu à la respiration haletante nous arrête.
« Stop fille. C’est encore loin ? »
« Non, juste là derrière la colline. Restez silencieux… »
Encore un fumeur de pipe, sans doute. Avec sa tête de nain, ça n’a rien d’étonnant, au final. Son essoufflement ne peut que nous aider, par contre, et je me félicite de ce bonus supplémentaire totalement imprévu, mais tout à fait bienvenu.
Content d’être bientôt arrivé, il se tait et obtempère, avançant vers la colline, qu’il dépasse rapidement en compagnie de Sihlaar. Je les laisse prendre un peu d’avance, encochant silencieusement une flèche dans leur dos… Une fois la colline passée, le cadavre est visible, bien qu’imprécis dans l’obscurité. Un renard dérangé dans son repas fuit, alors que le chef pousse un soupir rauque tout en avançant vers le corps, suivi par mon frère.
« Comment ? Que s’est-il… ? »
Le corps percé de flèche est là, et soudain, il comprend. Il se retourne vers moi, l’air mauvais, mais c’est trop tard… Je suis à distance, et le menace de loin de mon arc bandé.
« Restez là. Et ne tentez ni de crier, ni de fuir. Personne ne vous entendrait, icI. Et je n’ai pas coutume de rater mes cibles… surtout si elle sont si grosses. »
Le cadavre en témoigne, d’ailleurs. Le bandit fronce le sourcil, ne sachant pas que faire. Il est pris au piège, et le sait pertinemment. Je m’adresse maintenant à mon frère.
« Ligote-lui les mains, histoire qu’il ne nous joue pas de mauvais tour. Vous êtes en état d’arrestation, alors pas d’bêtise. Clair ? »
_________________ Asterie
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