Amer, énervé comme à mes premiers jours de liberté, je finis par rattraper la gardienne. Et le temps que j'y parvienne, l'immonde femelle a changé d'apparence. Abandonné, son aspect fantomatique. Maintenant, elle est pire qu'avant. Sa forme blanche avait au moins la décence de la faire paraitre morte. Là, avec une chevelure d'un ton brun-roux et des formes toutes en courbes, elle me donne vraiment envie de vomir. Elle conviendrait au goût d'un humain difficile, mais certainement pas à moi. Et pour accentuer la chose, elle glousse. Énigmatique, cette créature affreuse parle encore, semblant réaliser que je la questionnais sur quelque chose existant de nos jours, et pas dans le passé.
Perplexe, une hypothèse bizarre me vient à l'esprit. Mais avant d'avoir pu la formuler mentalement dans son intégralité, un bruit de course se fait entendre. Tandis que la gardienne se met à s'envoler, un ours débarque. Et non seulement il émerge à toute vitesse, mais en prime il me gronde dessus. Déjà que je n'étais pas de bonne humeur, voilà qu'il en rajoute une couche ! Cela tombe bien, ma sarbacane a besoin d'exercice !
Mais alors que j'amorce le geste de porter mon arme à mes lèvres, je réalise une chose. Je suis juste à côté de sa protectrice. Faire passer cette bestiole de vie à trépas me serait aussi impossible ? Ma mâchoire se crispe d'une frustration supplémentaire, et j'agrippe l'orbe sombre vivement. Je veux faire déguerpir cet animal d'ici, et j'ai ma petite idée sur la façon d'y arriver. Je pousse Lyïl à prendre de l'altitude pour ne pas être blessé quand l'ours se redresse, puis je commence à manier mes fluides.
Aidé par mon expérience, je modèle ma magie noire pour créer une ombre dansant dans ma paume. Ma colère rend cette dernière vivace, mais elle ressemble surtout à celle assoiffée de vie. J'inspire vivement, cherchant à canaliser mon ressenti. Je ne veux pas tuer cette sale bestiole, pour une fois, je veux l'épouvanter. Je sais manier ma puissance noire maintenant. Cela devrait être plus simple !
(
Concentre-toi ! Le nuage sombre... Mes intentions... )
Je tente de colorer mon fluide de ce que je veux lui faire ressentir, mais c'est ma hargne et mon amertume qui prennent le dessus encore une fois. Plus agacé encore, je cherche à refouler ces sentiments inutiles pour l'instant. Je fouille dans ma mémoire, écartant des images que m'offre cette dernière avant qu'elles ne me dérangent. Je visualise par contre ce qui s'est produit à Bouh-Chêne. J'ai fait si bien à imposer ma présence méchamment au lutillon maladroit qu'il en a chu tout seul. C'est la même chose. Sauf que c'est la magie qui doit provoquer cette réaction.
Mon ombre se charge alors de menace, mais alors que je crois pouvoir la lancer, je la découvre instable. La manipulation cesse sur l'instant, m'épargnant un retour de flux. C'est comme si elle n'avait pas été tout à fait complète. Un sifflement contrarié m'échappe. Et en bonus, la bête n'a pas l'air de redouter mon manège.
Grimaçant, je tente de voir ce qui cloche. La menace ne serait pas suffisante ? Un coup d'oeil vers l'ursidé dressé m'apprend que non. Impressionnant et menaçant, mais ne me causant pas de peur. Peut-être me faut-il alors la suggérer dans ce sort ? Mais cela me contrarie encore davantage, faisant battre mon cœur avec froideur.
Je suis contraint de faire une chose que je hais. Penser à ma propre peur. Et là, c'est parce que ma haine pour ma faiblesse surgit que je parviens à endiguer le flot. Entre la pensée de cette cage immonde, celle de ne plus pouvoir voler, la peur paralysante que ce crétin de Célestin a causé par ce sort que je tente d'utiliser, celle accompagnant ma blessure faciale, et même la surprise causée par la forme blanche, mes souvenirs couvrent du simple inconfort à la terreur. J'allie les deux ressentis dans mon esprit. La menace et la peur, teintant mon fluide obscur, parviennent dans ma paume à orbe.
L'ombre se déploie un peu, mais sa forme humanoïde n'a pas l'air de faire réagir l'ursidé.
(
Pas peur, hein ? Attends voir ! )
Sur cette pensée, je focalise mon attention à la fois sur l'union des causes et conséquences du sort puis retiens l'effet dans ma main. J'attends un instant, puis un autre, visualisant dans ma tête la forme noire que je veux donner à mon sort. Concentré, un peu plus en contrôle de mon énergie, je dirige toute ma pensée sur ce que je veux voir. Ma main armée du bijou se tend vers la bête.
"
Du balai !", ordonne-je dans un rugissement énervé, en libérant ma magie.
Ma volonté cherche à façonner la forme d'un ours immense, noir et bien plus menaçant que son homologue de chair. Je suis déjà sur les nerfs, je ne vais pas laisser un animal bruyant me casser les tympans en plus !
Tentative d'apprentissage et d'utilisation du sort d'obscurité Ombre terrifiante.