Une nuit où les étoiles brillaient en myriades étincelantes et où le vent jouait dans les herbes folles, un lutin hâlé et perché sur une des pales immobiles du grand moulin de Tulorim fixait la voûte céleste. Non loin de là, clippé sur sa tête pour être plus précis, un petit totem de bois se mit à s'illuminer et bientôt une poignée de lucioles en sortit pour venir se poser près du lutin. Des lucioles verdoyantes, naquit une jolie demoiselle au teint tout aussi vert et à la chevelure noisette, parsemée de fleurs oranges et dont les effluves exotiques ne manquèrent pas de distraire le jeune lutin de ses préoccupations...

"Je sais Eucalyptus, c'est dur..."
"Pffiouuu..."
"Tu verras, nous trouverons ensemble une solution !"

La demoiselle ailée posa délicatement sa main sur l'épaule du lutin triste et tenta ainsi de le réconforter quelque peu à l'aide de son sourire, bien que ce dernier n'était pas vraiment des plus convaincants. Eucalyptus, lui, repensait à ce que Bidouille sa faera venait de dire. Depuis bientôt un mois, elle et lui s'étaient retrouvés à Tulorim, séparés de ceux qu'il aimait, il avait fui comme ceux qui n'étaient pas morts. Il se rappelait des événements et s'en pinça les lèvres. Affreux, horrible, sanglant, il y avait tant de mots qui lui venaient à l'esprit et pourtant aucun ne semblait apporter la définition exacte de ce qu'il ressentait toujours, bien que ce qu'il s'était passé remontait déjà à longtemps. Bientôt un mois et pourtant, dans son esprit, c'était comme si tout cela s'était passé la veille. Le Gousset d'Ecume en feu, la voix de Susheela déchirant le silence du port de Dahram, l'appel à l'aide d'Elina, cette sensation atroce que Lumbo venait de s'éteindre à jamais, les hurlements de Séléné et puis plus rien, le noir complet...

"Allons, ma petite noisette, ne repense pas à tout çà..."
"T'es marrante, Bidouille... Mes amis... Mon mentor ! Je voudrais tant les venger... La Rose Cardinale va payer pour tout ce qu'elle a fait !"
"Eucalyptus... Tu te souviens de ce que je t'ai dit sur le bateau ?"
"Oui, comme si c'était hier. Il arrive parfois que bien que ça ait des longues oreilles, que ça ait le poil soyeux, la queue en boule et que ça aime les carottes, cela ne soit pas forcément un lapin..."
"Et cela signifie quoi pour toi ?"
"Que t'aimes bien me torturer avec des énigmes ultra-complexes ! Je sais bien que tu n'as pas le droit de tout me dire mais je sais aussi que tu sais tout donc tu sais qui est mort et qui ne l'est pas ! Tu pourrais au moins me dire si Fareloke est toujours en vie..."
"Eucalyptus... Je n'ai pas le droit, tu le sais... Ce sont des choses que tu devras découvrir par toi-même, je ne peux pas t'aider. Si je le pouvais, crois moi que tu saurais tout exactement, mais je ne peux pas..."
"Si tu peux m'aider... Et tu le fais d'ailleurs... Allez, va, Bidouille ! Et ne te fais pas de soucis pour moi, tout va bien, je suis un petit lutin mais un grand garçon !"
"Et j'espère bien ! Je reviens dès que j'ai des nouvelles ou que trois lunes passent. A bientôt, ma petite noisette..."

La faera se leva de son perchoir et se dispersa en une multitude de petites lucioles qui filèrent droit vers l'horizon nocturne à la vitesse d'une comète. Eucalyptus regarda sa faera partir à la recherche de quelqu'un qui lui était si cher qu'il avait du mal à vivre simplement sans être triste au point d'en pleurer tous les matins et tous les soirs. D'ailleurs, en repensant à Séléné, des larmes envahirent ses yeux émeraudes et il se mit à sangloter priant de toutes ses forces pour que Bidouille revînt avec une bonne nouvelle. Ne pas savoir si ses amis étaient encore en vie ou pas le meurtrissait énormément mais savoir son louveteau seul face au danger de la vie sauvage était pour lui une souffrance bien plus grande et bien plus dévorante.

"Hey ! Safari ! Le souper est prêt ! Descends donc, la journée est finie !"
"J'arrive, j'arrive, monsieur Tendrebuche !"

Eucalyptus passa sa main sur ses yeux et renifla fortement avant de sauter sur la pale du moulin et d'y glisser avec adresse jusqu'au sol où il se rétablit avec une petite pirouette. La mine enjouée, le sourire ravageur, il était redevenu Safari, jeune lutin espiègle et chasseur d'animaux au service d'Argyle Tendrebuche le meunier de Tulorim. Avec la recrudescence des rats en ville, il y avait du boulot au moulin, la paie était modique mais les repas copieux, sans compter que le meunier gaillard et son franc-parler avait comme qualités principales de faire souvent rire le lutin et de ne jamais poser de questions. Avec un entrain certain, il remit sa queue de cheval en place, regarda dans un petit miroir que sa bande maquillée sur le visage était toujours potable puis sifflota le long du chemin qui le menait à la maison d'Argyle...

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