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Kaeras laissa Azdren s’éloigner. Elle regarda sa jeune protégée et lui dit :
« En avant. Nous allons enfin pouvoir nous adonner à une activement intéressante : le lèche-échoppe ! »
Elyah ne pouvait cacher son impatience à l’instar de sa maîtresse. Toutes deux partirent bras dessus, bras dessous, en direction de ce qui leur semblait être le quartier marchand de la ville. Les deux jeunes femmes sifflotaient tout en allant cahin-caha le long de la voie pavée provenant du port. Elles arrivèrent au bout de l’allée et un premier choix s’offrit à elles. Elyah regarda Kaeras et commença à déchanter :
« Maîtresse ? Aucune trace d’échoppes ici… Et pourtant, déjà quatre chemins face à nous… Par où aller ? »
Kaeras s’arrêta quelques instants, détaillant du regard chacune des ruelles, pesant le pour et le contre de chacune des solutions. Elle fixa alors sa jeune servante et répondit d’un ton amusé :
« Qu’importe ? Qu’est-ce que cela peut nous changer ? Tulorim ne doit pas être si grande que ça ! Nous finirons bien par arriver ! Et puis qui sait… Nous trouverons peut-être des jolies échoppes cachées au détour d’une de ses ruelles ! »
Elyah regarda la fanatique de Phaïtos d’un air incrédule. Comment pouvait-on croire que Tulorim était une petite bourgade de campagne ? Cependant, ne souhaitant pas s’attirer les foudres de sa maîtresse, elle préféra se taire et profiter de ce moment de détente. Ce moment ne durerait sans doute pas, Elyah prévoyait déjà que Kaeras perdrait bientôt patience.
La prêtresse pointa successivement son doigt en direction de chacune des ruelles en comptant à voix haute:
« Plouf, plouf, trois petits corbeaux pendus au plafond, tire-leur la queue, ils pondront des œufs. Mais comme Phaïtos ne le veut pas ce ne sera pas toi ! Bon, c’est pas toi ! »
La jeune femme recommença son manège à deux nouvelles reprises jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul choix. Elle surenchérit alors devant une Elyah médusée :
« C’était pas si compliqué ! À tribord toute ! »
Et les deux femmes reprirent leur chemin en prenant la première à droite. Elyah maudissait le choix de sa maîtresse. En effet, le hasard avait désigné la plus sale et la plus petite des ruelles. Comment pourraient-ils trouver une échoppe dans une rue, sentant l’urine et les excréments, et dont les murs des maisons ployaient pour quasiment se rejoindre en son centre.
Plus les deux comparses avançaient, plus leurs mines passaient du soleil radieux à la triste pluie. Elyah osa prendre la parole :
« Ne devrions-nous pas faire demi-tour et prendre la grande rue pavée, bordée de belles demeures ? »
Ne souhaitant pas reconnaître son erreur de jugement, Kaeras commença à pester :
« Qui dirige ici ? C’est moi ! Si je te dis que c’est la bonne direction, c’est la bonne direction ! Compris ? Fillette ! »
La blondinette préféra ne pas surenchérir. Elle se mura dans le silence en haussant les épaules. La fine continua dans la pénombre essayant d’éviter les immondices jetées depuis le premier étage des maisons délabrées.
Un bruit se fit alors entendre. Un homme habillé de guêtres sortit de l’ombre d’une alcôve. Il s’avança, une dague à la main. Il fit claquer sa langue sur sa bouche et dit :
« Tiens, tiens, qu’est-ce qu’on m’amène ici. Deux femelles pour le prix d’une… C’est mon jour de chance, je crois. »
L’homme était éloigné d’environ cinq pas, mais, ses effluves nauséabonds emplissaient les narines des deux demoiselles. Kaeras repoussa légèrement Elyah en arrière en lui murmurant :
« Reste derrière-moi, je vais nous débarrasser de ce malotru en deux coups de cuillère à pot ! »
La jeune servante frémit à l’idée de voir sa maîtresse trucider le puant réellement à coup de cuillère à pot. Elle demanda d’une voix tremblante :
« Rassurez-moi, vous n’allez pas lui arracher les yeux avec une cuillère ? »
La fanatique ne semblait pas comprendre la question de sa servante. Elle haussa les épaules d’un air interrogateur et ajouta :
« Quoi ? Ne me distrait pas s’il te plait Elyah !»
La fillette recula d’un pas et laissa Kaeras face au dangereux individu. Ce dernier semblait tenter d’intimider les deux femmes en faisant voltiger sa dague entre ses mains. Tantôt de sa main droite il faisait décrire à sa lame des pseudos moulinets, tantôt il faisait sauter son coutelas de sa main droite à sa main gauche.
La prêtresse réfléchit alors rapidement à l’éventail des façons dont elle pourrait occire le truand.
(Le souffle de Thimoros ? C’est surfait… Ca serait trop simple… La main obscure ? A quoi bon, ça serait trop rapide… Un coup de coutelas dans le ventre ? Non, trop rapide… Tenter de lui couper la tête à l’aide du bouclier d’ossements ? Ca pourrait être drôle, mais je ne maîtrise pas encore assez ce sort… )
Soudain, un éclair de génie traversa son esprit :
(Depuis le rêve de ma rencontre avec le Gentâme, je peux contrôler les mouvements des vivants… Enfin, dans mes rêves j’y suis arrivé… Est-ce que j’en suis capable dans la réalité ?)
Pendant ce temps, l’homme continuait son manège d’intimidation. Elyah commençait à trembler de peur ne voyant pas Kaeras réagir. Le malandrin, lui, voyant une des femmes pensives et l’autre apeurée crut que son numéro faisait effet.
(Je n’aurais sûrement pas à donner le moindre coup de couteau ! Encore quelques tours de passe-passe et elles demanderont que je les épargne !!!)
Kaeras se remémorait pendant ce temps les sensations perçues lors de son rêve : les picotements, la sensation de résistance, l’impression d’avoir des fils au bout de ses mains. Elle se souvint également que ce serait à double tranchant, la prise de contrôle l’empêchait d’agir d’elle-même. Si le charme se rompait, elle serait à la merci de son agresseur.
(Me concentrer… Je dois me concentrer…)
Kaeras leva les mains imitant une personne qui souhaiterait se rendre. Elle se mit alors à expirer et inspirer calmement en prenant le temps de se détendre. Elle focalisait son esprit sur le corps du malandrin. Ce dernier voyant sa future victime se rendre, relâcha sa vigilance.
(Elles sont à moi ! Je revendrai la jeune et je ferai de la vieille ma servante ! Ahahah ! Joli coup Manolo !)
Il prit alors la parole en cessant de faire voltiger sa dague :
« Vous avez fait le bon choix mes poulettes, ainsi je vous épargnerai votre misérable vie. Je suis votre maître, maintenant ! Appelez-moi maître Manolo ! »
Kaeras n’écoutait pas ce que le truand disait. Elle se contentait de le fixer, en agitant lentement le bout de ses doigts. Elle sentit rapidement un léger picotement dans le creux de sa paume, ce picotement familier qu’elle avait déjà connu en rêve.
(Tu es fait comme un rat maintenant… Il ne me reste plus qu’à diriger tes mouvements pour t’envoyer de vie à trépas…)
Elle se rappela que pour contrôler les Shaakts, il lui avait fallu diriger ses bras en direction de sa cible puis d’imiter les mouvements qu’elle souhaitait leur faire faire. Elle rabaissa alors ses mains, doigts tendus vers le voleur.
Ce dernier, surpris, fit un pas en arrière tenant fermement sa dague pointée vers Kaeras.
« Que fais-tu femme ! Arrête immédiatement ton geste ou je te trucide ! Foi de Manolo ! Je suis pas un rigolo ! »
Kaeras sourit et referma la même main que celle du truand qui tenait la dague. Elle la rouvrit ensuite afin que l’homme fasse tomber sa lame par terre. Cependant, rien ne se passa. Le vagabond tenait toujours sa dague en main et ne semblait pas prêt à vouloir la lâcher. La fanatique de Phaïtos resta interdite devant la situation.
(Mais que se passe-t-il ? Il devrait avoir lâché sa lame !)
Elle recommença alors de fermer et de rouvrir sa main sans que rien ne se passe. Le gueux reprit alors du courage et s’avança d’un pas. Kaeras ressentit alors un picotement au niveau de son mollet. Elle recula d’un pas afin de rester à distance de l’homme. Cependant, alors qu’elle reculait, elle ressentit comme une traction sur sa jambe. Elle força son recul et vit l’homme perdre l’équilibre avant de se ressaisir.
(Est-ce que je ne pourrais diriger que ses jambes ? Si tel est le cas, cela risque d’être plus difficile que je le pensais pour nous débarrasser de lui…)
Comment l’immobiliser et le blesser dans un même mouvement ? Elle arriva rapidement à un simple constant : seule c’était impossible. Elyah devrait l’aider. Mais comment ?
(Si je le mets au sol en me jetant par terre, Elyah devrait pouvoir récupérer mon couteau et le lui planter entre les omoplates. Je ne vois pas d’autres solutions… Malheureusement…)
La fanatique jeta un regard à Elyah qui tremblait un peu moins voyant sa maîtresse enfin prendre part à la bataille :
« Elyah, je vais avoir besoin de toi ! Tiens-toi prête ! »
La jeune fille comprit l’importance de la requête. Elle souffla pour essayer de se calmer. Ses genoux arrêtèrent de s’entrechoquer tandis que son cœur continuait de battre la chamade.
Dans un sursaut d’orgueil, le malandrin cria :
« Arrête tout de suite ! Manolo t’épargnera alors ta misérable vie ! »
Kaeras profita de cet instant pour mettre son plan à exécution, elle commença à se baisser afin de faire ployer les membres inférieurs de l’homme pour qu’il se couche à terre. De grosses gouttes commençaient à perler sur le front de la fanatique. Elle ne pensait que cela lui demanderait un si grand effort. Le gueux, lui, ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Ses jambes devenaient de plus en plus lourdes, ses muscles lui faisait mal, comme si un fil tirait sur chacun d’eux. Il lâcha un puissant cri de douleur lorsque son premier genou touche terre, au même instant que celui de Kaeras.
La jeune femme mit alors toutes ses forces afin de se jeter face au sol. Ne cherchant pas à se retenir, elle plongea vers les pavés dans un dernier effort. La fanatique et le voleur réalisèrent la même chute en miroir. Kaeras cria alors à Elyah :
« Prends mon couteau dans ma manche, et plante le entre ses deux omoplates ! »
Elyah ne chercha pas à réfléchir et fit ce que sa maîtresse lui ordonna, elle courut en direction de la prêtresse et ramassa le couteau attaché à sa manche droite. Elle se releva rapidement et bondit en direction de l’homme.
Elle n’eut pas le temps de le voir se relever, ce dernier se rétablit sans crier gare et se retrouva debout devant la fillette tandis que Kaeras était toujours au sol. L’homme fit un rictus de haine et dit :
« Tu aurais mieux fait de fuir… »
Et il planta son couteau dans l’abdomen de la jeune fille dans un simple bruit de tissus déchirés…
Soudain un coup de sifflet retentit. Une course rapide se fit entendre, deux gardes de la cité accourraient en direction de la scène de crime. Le malandrin tourna casaque, laissant tomber sa dague au sol et prit la poudre d’escampette laissant Kaeras et sa servante gisant au sol…
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Comment se prétendre humaine si l'on n'accorde plus d'importance à sa propre humanité ?
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