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La première impression qu'Aellynn eut de la ville de Tulorim fut celle d'une multitude. Multitude de personnes, de races, d'habitations. Jamais elle n'avait rencontré autant d'êtres, rassemblés en un même lieu. Des humains grouillaient et s'agitaient, où qu'elle pose le regard. Malgré la chaleur intenable qui régnait, l'agitation était à son comble. Une foule d'individus se pressait en direction de l'entrée de la ville, dans un amas indiscernable de charrettes, de marcheurs et de cavaliers. Aellynn ne réussissait plus à distinguer quelle tête appartenait à qui, dans un capharnaüm de corps et de montures. Tout ceci impressionna fortement l'elfe.
(Bien, je voulais de la découverte, et bien me voilà servie ! Cela ressemble à une fourmilière...)
Aellynn allongea le pas en direction de la ville, pressée de trouver un peu d'ombre pour échapper à la touffeur de l'après-midi. Elle se retrouva rapidement emportée par le flot continu d'humains qui entraient et sortaient des immenses portes. Noyée dans ce torrent d'inconnus, elle ne put que suivre le mouvement, poussée et bousculée en direction des portes. L'odeur de transpiration, exacerbée par la moiteur ambiante, l'étouffait. Elle devait trouver au plus vite un endroit plus calme pour reprendre ses esprits. Tout à coup, Aellynn heurta un homme devant elle, qui ne lui jeta pas un regard. Le torrent humain l'avait entrainé jusqu'à un attroupement qui bouchait le passage. Il lui était impossible de se faufiler. Bloquée au milieu de la foule, Aellynn commençait à suffoquer. Elle respira profondément, à plusieurs reprises. Malgré l'odeur de transpiration qui émanait des corps agglutinés, elle parvint à garder son calme. Son oreille fut soudain attirée par des éclats de voix qui se détachaient du brouhaha général.
"Mais pousse donc ton tas de planches, tu vois bien que tu gênes ! Si tu bougeais un peu ton derrière, les honnêtes gens pourraient passer !"
Immobilisé au milieu de la voie, un chariot rempli de fourrage avait brisé une roue. Son conducteur s'affairait à la réparer, sous les quolibets de la foule impatiente. Le visage de l'homme était écarlate, sans que l'on puisse deviner si c'était un effet de la chaleur ou de la gêne ressentie. L'énervement des passants, contraints d'attendre la réparation sous le soleil de plomb, augmentait de minute en minute. Aellynn sentait la colère monter autour d'elle. Les insultes commencèrent à pleuvoir sur le conducteur du chariot accidenté. Plutôt que de lui prêter main forte pour dégager son véhicule, la foule l'invectivait et devenait menaçante. De mal-à-l'aise, l'elfe devint inquiète. Prise au piège dans une foule en colère, elle se sentait menacée. C'est à ce moment qu'un homme rougeaud s'avança vers l'infortuné conducteur de chariot et lui assena un violent coup de poing en plein visage. Ce fut le signal de la mêlée. Des hommes et des femmes, hurlants, se jetèrent ensemble sur le pauvre homme. Chacun frappant, griffant tout ce qui passait à sa portée. Aellynn joua des coudes pour se dégager de l'attroupement au plus vite. Prise de panique, elle ne remarqua même pas qu'elle se cognait dans une femme qui gênait sa fuite. La femme, une mégère d'âge incertain, agrippa le bras de l'elfe et l'apostropha :
"Fais donc attention, espèce de raclure ! J'men vais t'apprendre les bonnes manières moi !"
Elle tenta alors de gifler Aellynn, qui réussi à esquiver le geste. Bafouillant quelques excuses , elle se tortilla pour se dégager de la poigne de la mégère. Heureusement, celle-ci avait repéré une cible plus intéressante en la personne d'un vieil homme et détourna son attention de la jeune elfe. Aellynn en profita pour se faufiler le plus loin possible de la mêlée. Parvenant à s'extraire de l'attroupement, elle courut en direction des portes de la ville. Elle passa sans encombre l'enceinte car les deux soldats préposés à la garde de la poterne essayaient désespérément de calmer la foule et d'éviter le bain de sang. Aellynn ralentit sa course une fois entrée dans la ville. Toutes ces rues semblables, il y avait de quoi être déboussolée. Elle chercha un endroit frais où s'asseoir et se calmer. Mais chaque recoin, même le plus étroit qui soit, pourvu qu'il fut ombragé, était occupé par des promeneurs cherchant le repos. Impossible pour la jeune elfe de s'abriter des rayons du soleil.
(Mais qu'est-ce-qui m'a prit de quitter la forêt maintenant, par cette chaleur ? J'aurais tout de même pu attendre que la canicule soit terminée pour entreprendre ce périple. Que ne donnerais-je pas pour me retrouver sous le couvert des arbres, dans la fraicheur permanente du sous-bois ? Quelle idiote je fais.)
Ruminant ces sombres pensée, Aellynn se laissa porter par ses pas, sans décider d'une direction. Elle erra ainsi durant quelques temps, l'esprit absorbé par ses souvenirs. L'odeur des fruits mûrs à point lui fit redresser la tête. Depuis combien de temps n'avait-elle pas mangé ? Et plus important, bu ? Sa gorge desséchée lui rappela que sa dernière gorgée d'eau remontait à de trop nombreuses heures. Elle ne connaissait pas les usages de la ville, et n'avait jamais entendu parler d'une taverne. Elle se mit donc en recherche d'une source où d'un point d'eau quelconque. Elle déambulait au hasard des rues, sans trouver le courage d'accoster un passant pour lui demander où trouver le précieux liquide. Elle déboucha alors sur une placette, au milieu de laquelle trônait un puits. Rêvant déjà de la douceur de l'eau dans sa bouche, Aellynn s'approcha rapidement de la margelle. Et remarqua tout aussi rapidement l'énorme cadenas qui fermait l'accès au puits. S'en fut trop pour Aellynn. L'épreuve de la foule, le lynchage du conducteur de chariot, l'errance dans les rues, la soif et l'épuisement. Aellynn s'effondra sur les marches du puits et se mit à sangloter. Elle resta immobile, les larmes traçant des sillons dans la poussière de son visage. Murée dans son désarroi, elle ne s'aperçut pas que la lumière commençait à décliner.
_________________ « Les larmes qui coulent sont amères mais plus amères encore sont celles qui ne coulent pas. »
Aellynn Erinwenn
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