<< AuparavantUn allié bienvenu
Une fois mes armes posées au sol, un des miliciens sortis une cordelette et m’attacha les mains dans le dos avec une dextérité montrant qu’il avait l’habitude de ce genre d’exercice. Il fit de même avec mes chevilles, probablement pour m’empêcher de courir, laissant juste assez de mou pour que je puisse marcher à petit pas. Pendant tout ce temps, l’autre me garda en joue, au cas où puis il ramassa mes affaires et on me poussa à avancer sans ménagement. Il finit par me tirer par le bras, allant presque jusqu’à me traîner à certains moments. Où était l’urgence ? Je n’allais pas m’enfuir et personne ne viendrait aider une Shaakte, je ne voyais pas pourquoi ils étaient aussi pressés.
Les miliciens empruntèrent des ruelles sombres et étroites et je remarquai que nous n’allions pas du tout dans la direction du quartier général de la milice. Savoir ça me fit angoisser encore plus. Où allaient-ils m’emmener ? Directement chez les « Barons » ? Pourquoi étais-je surprise en même temps ? Je savais dès le début que ces types bossaient probablement pour eux. La tête basse, je me laissais emmener lorsque les miliciens s’arrêtèrent net. Je levai les yeux et vis quatre hommes, le visage caché par des écharpes, barrer la ruelle que nous venions d’emprunter. Probablement les types à qui ils devaient me livrer. J’eus tort sur ce coup car, dans un bel ensemble, ils sortirent chacun une hache de lancer et les envoyèrent sur nous. Paniquée, je fermai les yeux mais rien ne me heurta. J’entendis par contre nettement deux corps tomber au sol, suivi d’un troisième qui hurla. Ouvrant les yeux, je vis deux miliciens au sol, probablement mort, et un troisième sur lequel trois hommes s’acharnaient sur lui et finirent par lui trancher la gorge. Complètement terrorisée, je voulus reculer lorsque le quatrième homme s’approcha de moi, mais j’avais trop peur de recevoir un coup. Il parla d’un ton dur.
- Pas d'connerie ma fille, on va pas t'faire de mal.J’eus un doute sur ces paroles, encore plus lorsqu’il dégaina une dague et s’approcha de moi. Il se contenta de défaire mes liens et de me fixer d’un regard dur.
- Tu veux vivre? Alors me lâche pas d'une semelle et boucle-là.J’acquiesçai, trop choquée pour émettre le moindre son. Je ne comprenais plus rien à ce qu’il m’arrivait. D’où sortaient ces types ? J’avais tout compris de travers et ils voulaient me libérer ? Depuis quand j’avais des alliés pareils dans cette ville ? L’homme se tourna et d’un ton pressant, il s'adressa ensuite à ses comparses:
- Allez les gars, on s'bouge avant qu'les autres rappliquent!Ils récupérèrent leurs armes, me sortant de ma léthargie, et j’en profitai pour récupérer tout mon attirail, lame, dague et sac, avant de leur emboîter le pas. Ils se mirent à courir dans les ruelles et je les suivis pendant près d’un quart d’heure, sans savoir où ils allaient ni qui ils étaient. C’était probablement stupide… non, c’était stupide, mais je n’étais pas en état de réfléchir correctement, j’avais probablement échappée de justesse à la mort ou… pire, donc j’allais les suivre, peu importe où ils comptaient m’emmener, ça ne serait jamais pire que là où j’étais supposée être emmenée juste avant. Nous finîmes par arriver en bordure de la ville et celui qui semblait être le chef du groupe, celui qui m’avait libérer, grogna en désignant une vieille masure, probablement une cabane de pêcheur.
- Entre là-d'dans, y'a quelqu'un qui t'attend. Nous autres on a à faire.Je voulus demander qui mais les hommes repartirent et, complètement perdue, je restai un instant devant la porte. J’inspirai profondément et poussai la porte d’entrée. L’intérieur était misérable, une table, quelques tabourets, un maigre feu peinant à réchauffer la pièce. Je remarquai surtout l’homme qui, assis sur un tabouret, se fendit d’un sourire ravi parsemé de dents en or en voyant ma mine surprise.
- Ah, te voilà enfin petite! J'me d'mandais si mes gars arriveraient à temps. Tu veux un coup d'gnôle?Il tendit une outre vers moi en souriant.
- J'savais bien qu't'allais t'fourrer dans des ennuis plus gros qu'toi! Seulement, l'vieux Makan y paie toujours ses dettes.Je m’effondrai plus que je ne m’assis sur un des tabourets, laissant tomber mes affaires sur le sol.
- Capitaine Makan ? Mais … Vous n’étiez pas parti ? Comment vous avez su pour ces types ?- J'ai planqué l'navire dans une crique, pas bien loin. Et avant ça, j'ai d'mandé à deux d'mes gars de t'filer l'train. Mais j'avais pas prévu qu'ces bougres sauraient où t'allais, alors l'a fallu improviser un peu après qui t'aient attrapée.- Je… Je ne sais pas comment vous remercier… Je ne sais même pas comment ils ont pu savoir que j’allais à cet endroit, personne ne sait que je les connais… Mais vous allez avoir des ennuis en m’aidant, vous êtes sûr de vous ?- C'qui est sûr c'est qu'ils mettent de sacrés moyens pour t'retrouver et qu'y a une raison à ça. Serait p't'être temps qu't'éclaire ma chandelle, petite, j'veux bien boire d'l'eau pendant une année entière si t'en sais pas plus qu't'en dis.Il me prit un peu au dépourvu. Il était perspicace. Après un petit silence, il ajouta en grimaçant
- J'aime pas les esclavagistes, petite, vraiment pas. C'qui faut p't'être que tu saches, c'est qu'y a à peine trois ans, j'trimais dans un camp d'esclaves du côté d'Khonfas. Alors tu vois, mettre les bâtons dans les roues d'ces enfoirés, ça m'fait rudement plaisir.Je le regardai intensément. Il ne semblait pas mentir, la douleur que j’entrevis dans ses yeux me confirma que ses souvenirs étaient douloureux. Il avait été honnête… j’allais l’être aussi.
- Je… Je suis en mission. J’ai été chargée de retrouver deux elfes disparus qui étaient censés acheter un bâtiment à Tulorim pour l’Ordre auquel j’appartiens, afin de recruter de nouveaux membres entre autre. Je suppose que les esclavagistes n’ont pas apprécié la tentative, notre Ordre n’a franchement pas de bonnes relations avec tous ceux qui pratiquent l’esclavage, en particulier avec les Shaakts de Khonfas avec qui les rapports sont plus belliqueux qu’autre chose.Je me pinçai l’arête du nez, comme pour chasser une migraine qui n’allait pas tarder à pointer le bout de son nez et reprit après une petite pause
- Je… J’ai aussi été chargée de leur mission et je suppose que ce gang veut se débarrasser de moi au plus vite, pour ne pas que j’alerte le reste de l’Ordre. Je n’imaginais juste pas qu’ils seraient aussi réactifs, j’ai manqué de prudence et maintenant ma mission est foutue… Voilà vous savez tout, même si ça ne va guère m’aider dans ma situation.Makan plissa les yeux, comme s’il n’était pas vraiment convaincu par mes paroles puis brisa la silence qui s’était installé.
- Un ordre, tu dis? Un ordre d'Elfes? Y'a pas des masses d'Elfes qui s'opposent aux Shaakts de Khonfas, petite, les seuls qui luttent contre eux ce sont les humains d'Eniod. C'la dit... c'est une Elfe qui nous a permis de nous échapper. Et on s'rait p't'être bien tous morts si y'avait pas d'autres Elfes qu'étaient sortis d'nulle part. Des foutus combattants, tu peux m'croire. Mais tout ça explique pas qu'ces maudits "Barons" aient su où t'allait t'rendre.- Je suis à peu près sûre que personne ne m’a suivi, ils auraient agi bien avant sinon. Donc soit quelqu’un que je connais les a prévenus, soit… quelqu’un dans le gang me connait et sait quelles sont les personnes que j’aurai été susceptibles d’aller voir…La deuxième option me parut nettement plus terrifiante. Les seules personnes à me connaître à Tulorim était Charles et la famille de Dyvlan. Je ne fréquentai personne d’autre… à moins que…
- Savez-vous quand est apparu le nouveau chef des "Barons" ?- Pas vraiment, mais l'était pas là y'a un an, d'ça j'suis certain.Une vague glacé me pétrifia. C’était trop, ça ne pouvait pas être une simple coïncidence. Un type sort de nulle part, avec un masque et prend le contrôle d’un gang pour pratiquer l’esclavage que les Shaakts monopolisent habituellement ?
(C’est trop gros Yliria. Ce ne peut pas être ta mère)(Pas forcément elle ! Mais quelqu’un qui lui est liée, et qui connait la famille de Père… ça fait trop de coïncidences pour que je n’y pense pas.)Je devais faire quelque chose… Dyvlan, je devais le prévenir, elle pouvait s’en prendre à eux maintenant, merde ! La capitaine n’avait pas bougé pendant ma réflexion intérieure. Il fallait qu’il me rendre ce service.
- Je sais que je demande beaucoup, mais pouvez-vous transmettre discrètement un message aux personnes chez qui je me suis rendu plus tôt ? Ils sont probablement en danger !- J'peux envoyer un d'mes gars, ouais. Mieux vaudraient qui traînent pas dans l'coin tes amis, l'temps est à l'orage.- Merci capitaine… Vous… vous voulez mettre des bâtons dans les roues aux « Barons » c’est ça ? J’aimerai vous aider, d’une manière ou d’une autre. Tant que ces types seront là, je serai coincée et ma… la famille de mon père sera en danger.- L'esclavage c'est mauvais pour les affaires, tôt ou tard les Princes Marchands s'ront obligés d'y mettre un terme. Et là, ma tête vaudra plus un yus si j'me fais prendre, ils feront pas la différence entre les Barons et un honnête pirate. Mais m'est avis qu'dans cette affaire c'est plutôt moi qui vais t'filer un coup d'main, parce que ces types ils ont rudement l'air d'en avoir après toi et qu'c'est pas toute seule comme une grande qu'tu vas t'en sortir. Alors commence par me dire c'que tu cherches à faire, déjà.Je le remerciai de nouveau. On ne se connaissait pas mais il voulait m’aider… bon pour des intérêts personnels mais quand même, c’était déjà pas mal. Et il avait avoué être un pirate ! J’en étais sûre !
- Ce que je cherche à faire ? Honnêtement je ne sais pas vraiment… Je dois savoir qui est leur chef, sa présence même est dangereuse et je veux vérifier quelque chose. Je veux mettre ma… la famille de mon père à l’abri, ils m’ont aidé donc je ne veux pas qu’il leur arrive quelque chose. Pour le reste… je suppose que mettre à mal leur commerce serait bien, mais c’est vous le pirate, pas moi, j’y connais rien en commerce illégal et magouille sous la table.- Faudrait de foutues r'lations pour mettre à mal leur commerce, petite, j'crois pas qu'ce soit dans nos cordes même si j'connais un peu d'monde dans l'coin. Atteindre leur chef, en revanche, y' p't'être moyen. Mais t'as l'air d'avoir une idée d'pourquoi y t'r'cherchent avec autant d'ardeur, alors pour une fois cause donc, cornes de bouc!J’inspirai lentement, c’était personnel jusqu’à maintenant, mais si j’avais raison, des dizaines de personnes, voire des centaines, avaient été vendues et je connaissais peut-être la responsable. Autant lui dire, même si je vais un peu peur de sa réaction…
- Bon, je ne vais pas vous raconter ma vie mais je suis à moitié Shaakt seulement, mon père était humain et est mort, assassiné par ma Shaakte de mère… que je pense être responsable de ce trafic d’une manière ou d’une autre… les dates correspondent et le fait que ces types sachent où me chercher ne peut pas être une simple coïncidence. C’est simplement une théorie mais il y a trop d’éléments qui me poussent dans cette direction… si ça se trouve je me trompe complètement mais je n’arrive pas à m’ôter l’idée de la tête.- Hum... ça expliquerait pas mal de choses... dont le fait qu'il se planque derrière un masque. Mais ça explique par pourquoi ils te r'cherchent. Y't'veulent quoi?Je haussai les épaules, je n’en étais pas sûre moi-même. Je n’avais jamais été sûre de pourquoi Mère voulait à tout prix me récupérer, allant jusqu’à tuer Père pour ça.
- Je ne sais pas vraiment moi-même. Si ce n’est pas elle qui est derrière tout ça, ils veulent probablement juste se venger, mais si c’est vraiment elle, Mère voulait m’éduquer à sa façon, Père a refusé et s’est enfui ici avec moi dans l’espoir de lui échapper. Je suppose qu’elle veut reprendre son rôle de mère… ou au moins me contrôler pour se servir de moi, dans la grande tradition des bienfaits de cette foutue société Shaakte !J’avais presque craché les derniers mots tellement je haïssais ce que Mère m’avait inculqué sur la suprématie Shaakt et leur doctrine basée sur des complots et des vices extrêmes.
- Quelle importance au final ? Si on se débarrasse du chef, ils cesseront probablement leurs activités d’esclavage, c’est tout ce qui importe, on se fiche de qui ça peut être ou de ce qu'il veut.J’étais en train d’essayer de m’en convaincre moi-même, mais je savais que si c’était vraiment Mère derrière tout ça, j’allais probablement devenir folle de rage au moment de lui faire face. Makan prit un instant pour réfléchir avant de répondre.
- Connaître ses ennemis est jamais inutile, petite. Et les deux Elfes qu'tu cherchais dans tout ça? T'en fais quoi?- J’ai bien une idée… Le chef doit avoir un registre des « transactions » donc il doit être possible de savoir où ils sont. Je demanderai alors des renforts à l’Ordre pour aller les sauver, toute seule j’ai bien peur de ne pas pouvoir, je me suis suffisamment surestimée ces derniers temps… Il grogna en acquiesçant et se servit un nouveau gobelet. C’était au moins son cinquième, il allait finir ivre mort à ce rythme ! Je posai ma tête entre mes bras sur la table en soupirant puis je me mis à réfléchir. Il fallait que je trouve le moyen d’atteindre leur chef. La capitaine allait envoyé un homme à lui pour dire à Dyvlan de se planquer avec sa famille, j’avais juste à faire en sorte qu’ils puissent retourner chez eux au plus vite. Tout était parti en vrille…