En provenance du port...
Comme un chat dans les rues, je file, cours, saute, titube d’un pas maladroit ombre fuyante dans le dédale des tunnels, les passages exiguës, et les poutres comme trapèzes.
Depuis le port, point d’arrivé depuis ma petite escapade par delà les océans –vacances bien méritées- je suis traquée, lancée dans une course sans merci qui semble ne jamais vouloir prendre fin.
En effet, Shytlara, la voleuse, l’escroc, l’enfant apeurée et orpheline, la séduisante femme d’affaire, n’a pas toujours eu que des amis, durant son existence aux multiples vies. Et maintenant, mon passé, pourtant tellement ancien que je ne pensais jamais revenir à cette étape de ma vie, me rattrape, prêt à m’enlacer et m’étouffer, pour mieux me rappeler mes actes.
Les chiens caracolent, aboient, leur souffle bestial se rapprochant de plus en plus, si prés que je peux imaginer leur cœur battre incessamment sous l’excitation de la traque, sentiment exquis que j’ai souvent pu partager et savourer, lorsque je n’étais pas la proie.
« Ca y’est ! *Halètement* On la tient ! »
Le vent est silencieux à mes oreilles. Il s’engouffre dans les pans de ma chemise, la soulève comme un drapeau claquant sous ses assauts, puis la plaque contre ma peau. Il m’enivre de cette adrénaline qui fait courir mon sang dans mes veines, trempe ma peau de sueur et de peur, l’angoisse tenaillant plus fermement que les sangles de la folie mon corps tendu sur le point de lâcher.
Mais je connais cette limite, celle que l’on ne doit jamais franchir, si l’on ne veut pas se rompre sous l’effort d’une intensité dementielle.
Il fait nuit noire. Je suis arrivée en bateau il y’a de cela quelques heures, au crépuscule. Des heures de poursuite, de cachettes en cachettes. Et nul endroit pour leur échapper. Ils sont quatre, avec leurs chiens. Ces animaux sont pour moi de redoutables ennemis. Leur flair est sans égale, leur loyauté, sans pareille parmi les hommes.
Mais je ne suis pas de la race des Hommes. Pour leur échapper, brouiller les traces, je me suis littéralement propulsée sur l’un des toits les plus atteignables de ma position. Un mur suffisamment ébréchée, une fenêtre puis une autre, et me voilà sur le toit du monde. Mon monde, Tulorim. La belle et sombre cité maritime, capitale d’Imiftil. Grouillante, vivante, chaotique, la mère nourricière des catins et des meurtriers, des seigneurs puissants et des mendiants. Le berceau de la grandeur décadente. Les vents chauds charriant leurs lots de senteurs insufflent des rêves d’exotisme et de douceur à tous les rêveurs. Elle glisse sur vous comme une amante lascive et vous appâte de richesses imaginaires, de luxe et de plaisirs qui vous laisse sans voix. Elle connaît les vices de chacun et s’en nourri comme un rapace plongeant sur une mer grouillante de vers.
Je dérape dans ma course, et manque de me tordre la cheville. Mon visage se ferme, malgré l’effort apparent, devant cette maladresse de ma part, qui aurait pu causer ma perte. Le moindre faux pas, le moindre écart, et s’en est finit de la folle virée nocturne. Je ne le sais que trop bien, tout repose sur la perfection, au millième prés, tout doit être réglé comme du papier à musique, et porté au maximum de ses capacités. Ma nostalgie, mes pensées voguant vers Tulorim on estompée ma concentration et m’ont faite dévier de ma trajectoire. Les souvenirs, les sentiments, tout ce qui fait de nous personne ; et non pas un simple sac de chair et d’os, tout cela doit être inexistant. Les machines n’ont nulle faiblesses car elle ne se blessent pas, ne souffrent pas, ne doutent pas. Elles agissent, et leurs pensées, car elles n’en ont pas, ne peuvent les rendre vulnérables.
Mais cette vie, ou plutôt, cette existence vide de sens, de saveur, de tout, est-elle réellement ce que je veux ? S’il m’était donné la possibilité d’en changer, le ferais-je ?
Les aboiements excités retentissent à quelques pieds en dessous. D’abord les maîtres. Une fois mit hors d’état de nuire, les bêtes ne seront plus un problème. Mais où sont-ils ? Il y’a un bon moment que je ne les ai plus entendus tempêter à mon sujet, et aboyer des ordres à leur cabots. Je ralenti un peu la course, jetant quelques œillades par-dessus mon épaule, guettant le moindre bruit suspect. Je pourrais changer de toit, aller jusqu’à celui d’en face, suffisamment proche pour risquer un petit saut suffisamment discret, descendre jusqu’à l’une des fenêtres dont les volets sont encore ouverts, me glisser à l’intérieur, et attendre patiemment que mes poursuivants prennent de la distance. Au loin, le miaulement d’angoisse d’un chat, la clameur d’une dispute entre une femme et un homme, et le ciel et ses nuages, qui jettent sur la ville une brume laiteuse qui lui donne des allures spectrales.
Je prend ma décision, m’accroupie et glisse jusqu’au rebord du toit. L’extrémité est basse, et c’est presque allongée que je me saisi dans une de mes poches d’un petit miroir rond accroché au bout d’une tige métallique, et le tendant juste par-dessus le muret, je peux apercevoir, dans son reflet, une partie de la rue d’en bas. Il fait sombre, et la noirceur opaque ne laisse presque rien entrevoir. Mais c’était sans compter sur mon acuité visuelle et mes capacités à repérer le moindre détail.
Aucun vilain en vue, et les chiens se sont tut. Mais je n’arrive pas à croire une seconde qu’ils soient partis. Durant cette trépidante chasse à l’homme, j’ai eu quelque peu l’occasion de jauger mes ennemis, et ils ne sont pas aussi stupides que je l’avais d’abord supposé. Je ne serais pas là, à me cacher dans cette ville dont je connaissais les moindres recoins avant mon départ, à espérer qu’ils perdent ma trace à un moment ou un autre. En plus d’être coriaces, ils connaissent manifestement très bien les lieux.
L’un d’eux est un homme de main, brutal et sans fards. L’autre… me paraît plus subtil. C’est celui qui semble diriger cette traque et qui constitue ma plus grande crainte, car il joue sur des plates bandes assez similaires aux miennes.
Je me sens exposée. Je dois redescendre rapidement de ce toit et ne pas camper plus longtemps au même endroit au risque de devenir beaucoup trop vulnérable. Je risque un dernier coup d’œil sur la rue déserte, puis m’élance dans un saut périlleux contrôlé et souple afin d’amortir ma chute, me réceptionne en bas dans une roulade silencieuse, mais avant que j’ai pu me relever, un projectile me transperce l’abdomen, s’enfonçant dans mon ventre dans un bruit mat. Pliée en deux, j’ai tout juste le temps d’apercevoir une ombre, presque littéralement fondue dans le mur d’en face, se découper lentement de la pierre huileuse et s’approcher d’un pas léger, comme dans un rêve. Le souffle coupé, je tombe à genoux, agrippant le manche du poignard fichée en moi de mes deux mains tremblantes, tandis que mon visage se transforme en un masque de douleur. La souffrance vrille mon corps et accentue chacun de mes sens. Mes nerfs en feu semblent se rendre compte de chacun des millimètres de ferrailles plantés dans ma chair avec une précision abominable, mais lorsque je commence à l’extraire par la force du désespoir mué en une sourde rage, un râle animal s’empare de moi, les yeux plissés, les dents serrées à tout rompre, j’extrait le projectile dans une dernière plainte, reprenant difficilement mon souffle après cette longue apnée, mes poumons s’emplissant d’air dans un râle rauque.
Tout cela s’est déroulé très vite, bien que tout m’ai paru durer une éternité.
L’éclair d’une épée qui se fend dans ma direction, le sang qui ruisselle en un courant continue. Mes deux paumes souillées et poisseuses s’emparent de la lame à quelques centimètres de mon visage, le sang bat à mes tempes et malgré la douleur diffuse, je suis plus éveillée que jamais. Je me laisse tomber en arrière, la lame de l’épée toujours coincée entre mes deux paumes, et parviens à agripper ses jambes avec mes pieds pour le faire tomber à la renverse. Je lâche tout au moment même où il perd l’équilibre et s’écroule à mes côtés. En un instant je ramasse le projectile, fond sur lui tel un redoutable serpent piquant une tête sur sa proie, et lui plante sa propre dague entre les côtes.
Ses yeux grands ouverts me regardent avec une certaine surprise, mêlée de résignation. Je sens le métal glisser dans la chair molle petit à petit, frôlant à peine les os de la cage thoracique, jusqu’à la garde. Dans le silence le plus total, sans râle ni gargouillis, ses pupilles se figent dans le vide de l’inconscient, les lèvres mollement entrouvertes.
Je me laisse aller à quelques instants de répit, ma tête posée tout contre lui pour récupérer et rassembler des forces. Ma main comprime la plaie et empêche le sang de couler à flot. Par chance… si l’on puit dire, aucun de mes organes n’est touchés, et la lame n’avait pas été imprégnée d’un quelconque poison, je m’en tirerais à bon compte. Avec un bout de tissu récupéré sur mon défunt adversaire, je me fabrique un semblant de bandage que j’enroule fermement autour de ma taille. Tout à mon pansement, je songe au comparse du cadavre et aux deux chiens. Où sont-ils ?
Pour l’instant, le plus important est de me mettre à l’abri. Rapidement.
_________________ ۞ Fiche de personnage
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