Les rues de TulorimEn entrant dans la taverne, Adenor fut frappée de plein fouet par la chaleur qui y régnait. Pas le genre de chaleur douce et réconfortante, non. Mais cette chaleur lourde, pesante, suffocante, transpirante. Une chaleur imprégnée d’odeurs en tous genres, d’alcool et de sueur rance principalement. La pièce ne devait pas être aérée très souvent. En fait, à bien y regarder, seule une petite lucarne donnait sur l’extérieur. C’était insoutenable.
Pourtant, la salle n’était pas comble. Deux humains entretenaient une discussion vive, à une table reculée. Ils semblaient se disputer pour une histoire de Yus. Un troisième se trouvait derrière le comptoir. Ce devait être le tenancier.
Accoudé au comptoir, un nain marmonnait seul et Adenor ne pouvait que distinguer de longs râles graves. Plus loin, dans un coin sombre, se trouvait une silhouette massive. Adenor plissa les yeux. Elle ne parvenait pas à distinguer la race de celui qui se trouvait là, mais ce dernier semblait cuver quelques litres de bière, affalé sur le sol. De sourds ronflements s’échappaient du corps inerte.
Adenor se dirigea vers le tenancier. Ce dernier frottait énergiquement son comptoir à l’aide d’un vieux morceau de tissus, imbibé de toutes sortes de liquides.
- « Excusez-moi, je cherche l’auberge du Bon Repos. Pouvez-vous me l’indiquer ? »Le tenancier, qui jusqu’alors n’avait pas prêté la moindre attention à l’Hiniönne, releva vivement la tête lorsque le nom de l’auberge fut prononcé. Il plaça un poing sur sa hanche, faisait ressortir son ventre bedonnant, et s’essuya le front à l’aide de sa lavette.
- « L’auberge du Bon Repos ? Vous aurez bien du mal à la trouver ma bonne dame ! »Le regard d’Adenor changea. À la fois étonné, il signifiait très clairement qu’elle désirait de plus amples informations à ce sujet.
- « Rogendil, son propriétaire, a été abattu lors d’une bagarre de soulards, la semaine dernière. Je ne sais pas ce qu’il adviendra de l’auberge.»Adenor ne sut décrocher un seul mot. Rogendil était son oncle. Elle se laissa tomber sur la chaise qui se trouvait à côté d’elle. Il fallait qu’elle prévienne sa famille. Rogendil était tout de même le frère de son père ! Mais là n’était pas le plus urgent. Adenor comptait sur l’auberge pour passer la nuit. Elle se retrouvait à présent sans le sou, ni personne sur qui compter pour l’aider dans cette situation déplorable.
Malgré ses airs d’homme rustre, le tenancier questionna Adenor sur son état émotionnel.
- « Ça ne va pas ? Vous désirez quelque chose ? Un peu d’eau ? »- « Je n’aurai pas de quoi vous payer. Je viens de me faire voler ma bourse. D’ailleurs, le soir tombe et je n’ai nulle part où loger. Je dois vous laisser… »Adenor ignorait ce qu’elle avait pu provoquer chez cet humain, mais il fut, semblerait-il, pris de pitié. À mieux y réfléchir, il était vrai que les hommes avaient toujours eu une incontestable admiration envers les elfes. Et la beauté de la jeune femme n’y était peut-être pas pour rien non plus. Quoi qu’il en soit, le tenancier émit une proposition, qu’Adenor ne pourrait refuser. Sans quoi, elle devrait passer la nuit dehors, dans les rues malfamées de Tulorim.
- « Si cela peut vous aider, je vous propose ceci. Ce soir, vous travaillerez pour moi, à la taverne. Ça me permettra de participer à l’une ou l’autre partie de cartes ! En échange, je vous logerai dans une pièce qui se situe là derrière. J’y passe la nuit quand je suis trop ivre pour rentrer chez moi. Et je vous payerai. Pas grand-chose, mais de quoi subvenir à vos besoins primaires des prochains jours. Je n’ai rien de plus à vous proposer qu’un maigre morceau de pain pour manger.»Tout en parlant, le tavernier avait désigné la pièce servant de chambre du menton et tendit une miche de pain à Adenor. Elle la refusa. Adenor ne manquait pas de nourriture, il lui restait encore quelques vivres de son voyage. Par contre, la chambre et le salaire n’étaient pas de refus ! Si cela pouvait lui permettre de survivre suffisamment longtemps que pour rejoindre une autre ville et quitter Tulorim l’affreuse… Elle était preneuse !
- « J’ignore ce qui vous pousse à vouloir m’aider de la sorte, mais j’accepte. Je ne suis pas novice dans le métier, vous ne serez pas déçu de ma prestation. Vous avez un tablier ? »La jeune femme était à nouveau debout, prête à commencer sur-le-champ, tandis que le tavernier lui tendait un vêtement à la propreté douteuse qu’Adenor noua rapidement autour de sa taille. Elle releva ensuite sa longue chevelure rousse sur le haut de sa tête, qu’elle fixa avec un morceau de tissus trouvé derrière le comptoir.
Adenor eut à peine le temps de prendre ses marques dans l’établissement que déjà, de nouveaux clients arrivaient.
Les nains, elfes et autres humains se succédèrent toute la soirée. Adenor n’eut pas deux minutes à elle. La soirée se termina au petit matin, après un rapide rangement de la salle et une expulsion musclée d’un nain ivre. La jeune femme ne fut pas mécontente de retrouver sa couche.
Allongée dans la chambre, elle avait du mal à réaliser la journée qu’elle venait de passer. Toutes sortes d’émotions, principalement négatives, étaient passées en elle. L’angoisse, la peur, la crainte, la tristesse, le désespoir. La colère aussi, lorsqu’on lui avait dérobé sa bourse. Heureusement que ce tavernier avait été bon avec elle. Restait à espérer qu’il soit également honnête et qu’il la paye comme promis.
Mais que ferait-elle, demain ? Adenor était encore désorientée, perdue. Elle devait impérativement prévenir ses parents et devrait pour cela trouver un coursier. Ou un voyageur. Salawik, elle irait le voir pour ça. Il pourrait certainement l’aider ! Après tout, il est dans le commerce, il connait certainement beaucoup de monde.
Et ensuite ? Ensuite, il faudrait qu’elle quitte cette ville. Elle ne l’appréciait absolument pas. Sans doute était-ce là le minuscule côté positif du décès de son oncle ? Elle se consolait comme elle pouvait.
Adenor avait entendu dire de Kendra Kâr qu’elle était agréable. Elle opterait donc pour cette destination. Jamais encore elle n’avait quitté son continent et ce voyage promettait d’être une grande étape dans sa vie. Il faudrait qu’elle trouve un moyen pour y arriver. Un bateau, parce que les trajets en aynore étaient bien trop coûteux. Une fois à Kendra Kâr, il faudra qu’elle se trouve un emploi ou un endroit où réaliser son compagnonnage…
La fatigue l’emporta sur les pensées d’Adenor. La jeune femme s’endormit rapidement, dans les draps peu agréables de la taverne.
Le lendemain matin, Adenor fut réveillée en sursaut par de brusques coups frappés à la porte de sa chambre d’appoint. C’était le tavernier. À ce moment précis, Adenor se rendit compte qu’elle ignorait son nom. Ce n’était qu’un détail. Après tout, et malgré toute la bonté dont il avait fait preuve, ce n’était qu’un humain.
L’Hiniönne quitta sa couche et lui ouvrit la porte. Elle n’avait pas suffisamment dormi et lui en voulait de la réveiller si tôt. Mais il avait du travail et tenait à la payer avant de commencer.
Adenor prit ce qui lui était dû, remercia vivement son hôte et quitta l’établissement.
Les ruelles de Tulorim