Baldur, caché dans un recoin d'ombre, se frottait le front en essayant de réprimer un rire désabusé qui remontait dans sa gorge sèche. Il avait préparé sa planque pendant deux bonnes heures, s'était ennuyé comme un rat mort au milieu de la poussières et des toiles d'araignées, s'était amusé de la dispute erratique et nébuleuse entre deux ivrognes descendant la ruelle et se demandait maintenant si c'était le magicien au masque blanc qui lui avait menti depuis le début ou juste Zewen s'amusant à déverser une plage sur les rouages de cette mission... Après tout, rien n'était jamais facile, n'est ce pas ? On ne pouvait pas lui dire, comme ça, « Oui, pas de problème, partons-tout de suite vers Darhàm, sauver une jolie donzelle des griffes d'une demi-déesse maléfique. »...
Il y avait toujours un truc...
D'abord, ce furent les étranges lueurs rouge sombres qui filtraient à travers les planches barricadant les fenêtres du repaire des prêtres noirs, preuve de la présence des fanatiques là où Azdren assuraient qu'ils patrouilleraient dans les ruelles de Tulorim. Ensuite, ce fut l'arrivée prématurée du magicien au masque blanc et de sa soi distante sœur rousse, d'une avance sur l'heure prévue du rendez-vous particulièrement suspecte. Enfin, c'était ce même Azdren qui, comme un fou furieux, s'était lancé seul à l'assaut du taudis que les fanatiques sombres utilisaient comme forteresse... En son fort intérieur, Baldur se demandait néanmoins qu'est ce qui pouvait avoir fait sortir de ses gongs un magicien aussi glacial, distant et arrogant que cet Azdren, lui qui semblait partager avec le rôdeur ce même amour du plan qui se déroule avec la fluidité d'un cours d'eau dans les montagnes. Et pourquoi diable Irelia s'était invitée dans ce qui était sa planque, toute engoncée dans sa bruyante carapace métallique, comme si elle cherchait volontairement à dévoiler la position du rôdeur au continent entier. Mais la voilà qui redescendait l'escalier en trombe, partant à la rescousse de son fou de frère.
Baldur, caché entre les ombres, devait désormais faire un choix. D'un côté, il pouvait laisser toute cette bande d'imbéciles s'entretuer et chercher ailleurs des alliés plus stables psychologiquement. De l'autre, il pouvait honorer sa parole et joindre l'assaut, pour le meilleur et pour le pire, afin de s'assurer qu'Azdren et Irelia l'accompagnent lorsqu'il retournera à Darhàm.
Quelques secondes de réflexion plus tard, Baldur dégaina son épée dans un soupir...
"... D'abord un capitaine de garde... et maintenant une secte de Thimoros.. J'en fait beaucoup pour tes beaux yeux, Azur..."Sachant qu'il devait agir vite, Baldur se rua vers le bord de l'habitation, observant les faits et gestes d'Azdren et d'Irelia en train de littéralement pulvériser la façade de la « forteresse » des cultistes. S'autorisant une insulte et une malédiction à l'encontre des magiciens susceptibles, le rôdeur remarqua par la même occasion que certaines poutres soutenant le toit de sa propre baraque étaient sur le point de céder au niveau des articulations, sans doute à cause de la sécheresse ayant rendu le bois plus fragile que d'habitude. Repérant la plus grande traverse verticale, Baldur évalua sa solidité du plat de la main avant d'utiliser son épée pour attaquer la base de la poutrelle. À chaque fois que la lame entaillait de le bois, le rugissement sourds des combats se déroulant à l'intérieur du bastion de fortune des cultistes devenait plus puissant...
Quelques tuiles tombèrent devant Baldur, s'écrasant au sol et venant fracasser le crâne d'un ivrogne, en contrebat, qui observait béatement le spectacle du combat qui se déroulait près de lui. Une fine poussière, bleuie par les rayons lunaires, commença à virevolter dans l'air alors que d'inquiétant craquement résonnaient autour du rôdeur...
Après quelques minutes d'effort, de grognements et de coups de pieds et d'épaules bien placés, la poutre finit par basculer au-dessus de la ruelle, s'écrasant lourdement contre la façade du repaire des prêtres sombres et emportant avec elle un morceau de toit et de mur... Une poussière lourde et grise se souleva brusquement, enveloppant les environs dans un écrin étouffant. Sans perdre de temps, Baldur grimpa sur son pont de fortune et s'engouffra à son tour sur le champs de bataille...
Tous les sens de Baldur s'enflammèrent alors qu'il émergeait du dense nuage de poussière. Hurlements de fureur et incantations magiques furent les premières choses à parvenir à ses oreilles alors que la cadence de son cœur devenait plus lourde et plus rapide. De ses yeux mis-clos, le rôdeur parvint à distinguer une sorte de large cour, un atrium où seule une douzaine de silhouettes sombres se distinguaient du blanc cassé des murs et des colonnes brisées. De surnaturelles couleurs venaient illuminer les lieux tandis que Baldur cherchait des yeux un des fanatiques... Du regard, le rôdeur remarqua un des cultiste, courbé sur lui-même, toussant à en cracher ses poumons, sans aucun doute s'était-il trouvé trop près de l'endroit où la poutre s'écroula sur la façade du bâtiment. D'un pas leste et précis, Baldur se faufila dans le dos du prêtre de Thimoros, son corps fin semblant comme danser dans les lourdes volutes de poussière grise. Empoignant fermement la garde de son épée de ses deux mains, le guerrier Nirtimois souleva la lame bien au dessus de sa tête, lame pointée vers le bas, avant de l'abattre de toute ses forces dans le dos du fanatique. La lame se glissa entre les épaules du prêtre, brisant quelques vertèbres cervicales alors que l'homme se crispait de douleur en s'étouffant dans son sang. Profondément enfouie dans le thorax du fanatique, l'épée résistait aux tentatives du rôdeur pour la déloger de sa prison de chair et de sang... De plus, les gesticulations du fanatique n'arrangeaient guère les choses... Il lui fallait trouver rapidement un moyen d'immobiliser son adversaire afin de pouvoir retirer son arme et continuer de combattre ! Se saisissant d'une main sa dague, Baldur, dans un geste sûr et rapide, planta son coutelas dans la tempe gauche du cultiste sombre, brisant le crâne et entamant une partie du cerveau... l'achevant aussi, par la même occasion. D'un coup de botte, le rôdeur libéra son épée de son enveloppe de chair inanimée alors que le fanatique tombait à genoux, les yeux révulsés en arrière dans une étrange expression orgastique, laissant le cadavre encore chaud du prêtre s'écrouler lourdement au sol...
La seconde qui suivit, alors qu'il cherchait du regard son prochain adversaire, Baldur sentit ses jambes se dérober et son crâne exploser de douleur. Un des prêtres de Thimoros s'était discrètement faufilé derrière lui, imprégnant d'une énergie malveillante son bâton noir, et avait asséné un coup de bâton en traître si terrible que le rôdeur en avait la tête qui tournait. C'était comme si l'arrière de son crâne venait de prendre feu, des dizaines de vers se frayant un passage à travers les os et la chair... L'instinct sauvage du chasseur des marais gronda, lui intimant de réagir au lieu de rester là, comme un agneau titubant attendant le couteau du boucher. L'instinct de survie reprenant brutalement le dessus sur la douleur et la confusion, il se retourna vivement en faisant tourner son épée avec lui par la même occasion, espérant mutiler un bras ou une jambe... Baldur sentit son bras traversé par de terribles vibration et le pommeau de son arme lui échapper brusquement des mains, la lame fichée dans le bois du bâton du prêtre. Déséquilibré, le fanatique laissa une ouverture dans sa défense et avait été perturbé dans l'incantation d'un sortilège probablement destiné à achever le rôdeur étourdit, une erreur qui profita au rôdeur qui, dans un grognement de frustration, planta sa dague dans le ventre de son adversaire encore et encore et encore !
La première fois, le prêtre grogna de douleur...
À la seconde, la main du rôdeur se trempa d'un sang noir et visqueux...
Au troisième coup, le fanatique commença à rire...
Baldur avait entendu parler du culte de Thimoros, ses adorateurs trouvant plaisir et puissance dans la souffrance de leur corps ou de ceux des autres, mais jamais encore le rôdeur n'avait pensé combattre un de ces fanatiques psychopathes...
Il réalisa avec horreur que la bouche du prêtre, toute humide du sang qui remontait dans sa gorge décharnée, articulait des mots que Baldur n'arrivait pas à comprendre... Un nouveau sortilège !
S'il n'agissait pas rapidement...
Happant la garde de son épée, encore fichée dans le bâton du prêtre, Baldur balança sa tête contre le crâne de son adversaire dans un « tonk » sec... Les yeux plissés, légèrement sonné et grommelant doucement un
"... Par les tétons bleus de Moura …!" typiquement Darhàsmois, le rôdeur récupérais au plus vite ses esprits, espérant avoir réussi à déstabiliser le fanatique. L'assaut improvisé eut néanmoins le succès escompté : l'épée du guerrier s'était affranchie de l'arme du fanatique et ce dernier titubait à quelques pas, ses robes noires détrempées de sang et de bile et tenant son groin brisé en grognant de frustration... Reprenant ses esprits, Baldur eut tout juste le temps de remarquer qu'une prêtresse, l'ayant repéré qui reprenait le dessus sur son confrère, marmonnait dans sa langue quelques incantations magique à son tour. Quelque part au fond du cœur du rôdeur, quelque chose lui hurlait de trouver une nouvelle échapatoire, quelque chose derrière lequel se mettre à l'abri avant de découvrir d'où tiennent les fanatiques de Thimoros leur sinistre et terrible réputation. Le regard du rôdeur se posa sur le deuxième cultiste, ayant déjà repris sa position de combat, au moment où la raison céda la place à l'instinct de survie... Ce « quelque chose » dont Baldur avait besoin pour survivre, il l'avait trouvé...
Hurlant à plein poumons, baissant la tête et anticipant le choc, Baldur se rua comme un forcené en direction du fanatique. Ce dernier envoya au guerrier Nirtimois par instinct un fabuleux coup de bâton qui vrilla de douleur son esprit, le faisant tituber dans sa course mais sans pour autant la freiner pour autant. Lancé dans son élan, Baldur parvint à pourfendre le prêtre de son épée longue, traversant la chair de part en part. S'agrippant à la garde de son arme comme un naufragé à un bout de bois flottant, le rôdeur concentra tous ses efforts pour conserver le corps du fanatique entre lui-même et la prêtresse... Bien entendu, son adversaire comprenait le but de la manœuvre et luttait à son tour avec vaillance... Chacun essayant de désaxer l'autre...
Plantant sa dague dans la cuisse du prêtre pour le déséquilibrer, Baldur sentit une incroyable force s'écraser dans le haut du dos de l'adversaire... Quelques instants après, une écœurante odeur de chair et de sang brûlée agressait les narines du rôdeur. En levant les yeux, il croisa le regard du prêtre, le visage à moitié brûlé par une attaque magique...
Il n'y avait rien d'autre que de la haine dans ces orbes sèches, une haine mêlée d'une forme d'incompréhension... La mâchoire décharnée du fanatique était déformée en un rictus infâme, comme si même dans la mort il cherchait à mordre...
Laissant le corps du fanatique glisser doucement vers le sol, Baldur reporta son attention en direction de la prêtresse qui recommençait ses incantations, visiblement indifférente au funeste sort de son compagnon... Néanmoins, cette fois, l'instinct de Baldur lui intimait de ne pas chercher à se cacher, mais d'aller faire taire la sorcière une bonne fois pour toute... De toute ses forces et dans un puissant grognement, Baldur propulsa sa dague en direction de la magicienne. Le lancer était instinctif, gauche et peu précis, mais la lame tournoyante vint érafler le bras décharné de la fanatique, la déconcentrant suffisamment de temps pour que Baldur puisse commencer à se ruer dans sa direction, les deux mains fermée sur la garde de son épée, ses pensées tournées exclusivement vers ce désir irrésistible de mettre à mort celle qui se mettait désormais au travers de son chemin...
Seulement... Baldur n'aurait peut-être pas le temps de terminer sa course avant que la magicienne ne lance contre lui un nouveau sortilège... Tout était désormais question de chance... Ou d'opportunité.