Suite de : Premiers pas - Dur réveil...Premiers pas - Premières incompréhensions...
Nathrann arriva au marché avec quelques difficultés, après être sorti de l'écurie. "Avoir été chassé" seraient des termes plus adéquats, car Thyas Farlnon n'avait pas été tendre avec le Taurion. Le trajet de l'elfe à partir du bâtiment administré par le vieux palefrenier jusqu'à l'entrée de cette grande place agitée s'était fait presque exclusivement à l'ombre de bâtiments tenant debout par on ne savait quels miracles, et avec sa main couvrant ses yeux peu habitués à un soleil estival d'une si grande intensité, il avait marché, suivant les sons d'un grand regroupement. La chaleur ne le gênait pas plus que cela, parce qu'il était elfe, mais son torse était quand même baigné dans sa propre sueur. La poussière soulevée par l'activité du marché un peu ralenti par les températures extrêmes vinrent se coller sur sa peau légèrement verte, atténuant encore d'avantage cette couleur peu commune dans cette cité. La plupart des Wiehls dévisageaient l'étranger avec des regards suspicieux. D'autres se frottaient déjà les mains, certains qu'il s'agissait d'un pigeon à déplumer. La majorité, elle, l'ignorait complètement. L'elfe s'engagea donc dans la première allée de tentes alignées qui présentaient parfois au regard du curieux de bien jolis ouvrages. Les cris de vendeurs souhaitant attirés les clients restaient incompréhensibles pour le Taurion d'avantage habitué au calme de ses forêts. Il devait vraiment se concentrer pour comprendre ce qu'il se disait. L'activité était partout et l'elfe se fit bousculer plus d'une fois par des passants ou des marchands pressés. Nathrann ne savait pas où donner de la tête et la foule commençait à le mettre mal à l'aise... Les odeurs de divers mets se mêlaient à celle de la sueur des travailleurs rassemblés en masse, ici, et la fraîcheur des aliments laissait parfois à désirer. Le cliquetis des pièces sonnantes et trébuchantes venait de tous les cotés, et quelques disputes éclataient ici et là. Aucune brise ne venait de la mer pour rafraîchir cet air saturé et étouffant.
Légèrement étourdi par ce brouhaha constant et un peu perdu, le Taurion s'engagea dans une étroite allée du marché, plus calme. Il fronça les sourcils en se retournant et grimaça en direction de l'allée principale, presque encombrée. Il ne se doutait pas que durant les jours plus cléments, la circulation pouvait y être complètement paralysée. L'elfe secoua la tête et continua son chemin, à l'ombre de tentes très rapprochées les unes des autres. Il semblait s'engager dans un labyrinthe de toiles en lin. L'atmosphère mystérieuse du lieu l'attirait... Les sons du marché étaient un peu étouffé, mais restait clairement audible. Les odeurs par contre ne traversaient pas les murs en tissu. Seule une légère senteur d'encens parvenait à ses narines. Ce fut ce qui le guida vers l'entrée d'une tente plus sombre que les autres, aux allures quelque peu mystiques. Mais alors qu'il allait entrer dedans, on l'interpella , et quand il tourna la tête sur la droite, Nathrann découvrit un grand humain à la longue chevelure blonde et aux beaux habits, qui le dévisageait. Il s'agissait d'un Kendran, cela ne faisait aucun doute. Il souriait et affichait une dentition exemplaire. Il ouvrait ses bras et montrait ainsi ses articles au seul client qu'il avait devant lui. Nathrann s'approcha, légèrement méfiant. Silencieux, il détailla minutieusement cet humain, qui, d'un geste de la tête, l'invitait à regarder ce qu'il avait à proposer.
Sur un présentoir en bois, une longue épée légèrement courbée reposait, son fil en direction des cieux. Son allure élégante attira l’œil de l'elfe qui approcha son visage. La pointe et l'acier de la lame semblait très légèrement colorés d'un pourpre effacé, témoignant le fait qu'elle avait déjà servie. Le Kendran prit la parole, sur un ton sûr de lui :
"
Il s'agit d'un katana, venu directement de Ynorie. Nul doute qu'il appartenait à un noble de cette lointaine terre, et... comme vous êtes mon premier client aujourd'hui, je vous fais une ristourne. Ce katana est à vous pour à peine deux cents yus ! "
Nathrann se redressa lentement et plongea son regard dans celui du Kendran qui affichait un visage fier. Il semblait réfléchir et l'humain le pressa de lui donner une réponse :
"
Une affaire à ne pas manquer, si vous voulez mon avis. "
L'elfe fronça les sourcils, puis haussa les épaules. De son pouce droit, il montra le pommeau de son arme rangée dans son dos et répondit simplement :
"
Cette lame-ci m'est amplement suffisante, vous savez. "
Mais alors qu'il répondait ceci, ses yeux sombres s'attardèrent sur un tissu qui l'attira et qui était soigneusement rangé dans un coffret en bois. Nathrann fut surpris de voir un si bel habit et en approcha ses mains pour le toucher... jusqu'à ce que le Kendran referma brusquement le couvercle, manquant de pincer les doigts de l'elfe. Il lâcha sur un ton prétentieux :
"
J'aimerais voir l'or de celui qui aurait l'intention de m'acheter cette cape, elfe... Il ne s'agit pas de n'importe quel vêtement. Je ne la céderai pas à moins de neuf cents yus... "
Sur ces mots, Nathrann chercha dans sa gibecière la bourse remplie que lui avait donnée son père avant son départ. Il la sortit dans un tintement de monnaie significatif et, sans dire quoi que ce fût, la tendit à l'humain qui éclata de rire, avant même de s'en saisir. Ce dernier ajouta, se moquant de l'elfe :
"
Je crois m'être trompé sur votre compte, l'elfe... Je pensais qu'un des vôtres serait venu dans cette cité avec plus qu'une bourse de quelques yus. "
Ces moqueries ennuyaient le Taurion qui lança un regard noir à l'humain, qui s'en moquait bien, arborant toujours cette mine fière et orgueilleuse. Nathrann n'était pas sur son terrain et punir cet imbécile de son insolence ne lui attirerait que des ennuis, il en était certain. Surtout que l'elfe sentait sur lui plus d'une paire de yeux... Il fit donc volte-face sans dire mot et s'engagea de nouveau dans l'allée principale, son orgueil de nouveau titillé...
Le marché ne s'était pas du tout calmé durant ce petit interlude et restait toujours aussi animé. Nathrann avait besoin de sortir, car il supportait de moins en moins cette foule excitée. Il progressa en restant en plein milieu de l'allée centrale, esquivant parfois quelques imposants personnages, dont il valait mieux s'écarter. A cause de son impatience et parce qu'il ne pouvait vivre plus longtemps dans ce marché sans dégainer sa lame pour se frayer un chemin au milieu de cette fourmilière grouillante, l'elfe ne put profiter des articles exposés qui ne demandaient qu'à être achetés. Cela ne lui importait plus... Il quitta le marché sans faire de détour... Ou presque.
Un stand était dressé près de l'entrée Nord et sur le présentoir, de nombreuses oranges et autres agrumes étaient posés en désordre. Comme la faim commençait à se faire ressentir, le Taurion laissa son estomac commander ses jambes et arriva devant la pyramide orange, qui semblait un peu bancale. Il la regarda avec attention et prit de sa main gauche un fruit qui paraissait bien juteux et appétissant. L'elfe, une fois sa collecte terminée, commença à partir, lançant en l'air son orange pour la récupérer avec la main droite. Seulement... Son petit tour accompli, le marchand de fruit l'interpella en le pointant du doigt. Nathrann fit volte-face, en fronçant les sourcils, se demandant quel méfait il avait encore accompli sans s'en rendre compte. Le jeté de fruit était-il prohibé ?
"
- Hey, l'elfe ! Hey voleur ! - Mmh ?-
Si tu payes pas, c'que t'as pris... j'te jure que t'auras à faire à moi et aux gardes. "
Le Taurion reporta son attention sur l'orange qu'il avait prise sans demander son reste. Son geste avait mal été interprété, selon lui, alors il tenta de s'expliquer :
"
- Payer pour une orange ? Mais on en trouve partout sur les arbres à l'extérieur de la ville... Et vous voudriez que je paye pour ça, humain ?- Tu te fous de moi, en plus ?! Et tu crois qu'ils appartiennent à qui, ces arbres, imbécile ?- Qui se fiche de l'autre, humain ? Ces fruits appartiennent aux dieux qui les ont nourri. Vous croyez que les collecter vous permet de penser qu'ils sont à vous ?- Haha ! T'es un petit malin, toi... Retourne dans ta forêt, l'sauvage... mais avant ça, tu payes ou tu m'rends cette orange ! "
Nathrann se sentait observé de tous les cotés. Les autres humains le dévisageaient avec incompréhension ou méfiance. Le poids de ces regards pesait sur lui. Mais qu'avait-il fait de mal ?
Le fonctionnement du commerce lui échappait complètement, tout simplement. Et pour un peuple qui vouait sa vie à l'accumulation de richesse, cela pouvait s'avérer être un crime... Son père lui avait toujours expliqué que tout ce qui venait de la nature appartenait à tous, et que seuls les dieux pouvaient enorgueillir de la posséder, puisqu'ils la nourrissaient. Cueillir des oranges était à la portée de tous, et s'il suffisait uniquement de cela pour prétendre pouvoir gagner quelques yus en échange, alors la vie d'un humain était bien facile... Les concepts ancrés dans chacune des têtes normalement civilisées de Yuimen ne l'était pas pour quelqu'un qui avait vécu, ou plutôt "survécu", toute sa vie durant, dans les forêts de Imiftil. Pour lui l'échange se faisait à un tout autre niveau que celui du matériel. Payer pour pouvoir manger lui était donc complètement étranger. Les yus qu'il avait reçus de son géniteur serviraient au bénéfice du talent d'autrui, pas à la survie. Il secoua donc la tête, complètement abasourdi par un système qu'il ne comprenait pas et qu'il ne voulait pas comprendre. Il jeta l'orange en direction du marchand qui la rattrapa in extremis en pestant contre l'elfe. Ce dernier s'était déjà engagé dans une ruelle sale, pour retrouver un peu de calme et d'ombre...