Naem trouva de suite ce qu'il cherchait : il n'y avait pas encore grand monde et on pouvait détailler toutes les marchandises d'un coup d'oeil sans être trop gêné par les passants. Il me fallut quelques instants avant de réaliser et comprendre que mon nouvel ami s'intéressait à la magie. Tandis qu'il faisait sa transaction avec le mercantile, j'observai, intriguée, les différents produits utiles à tout lanceur de sorts. Des parchemins, des fioles de couleurs variées, des baguettes de toute forme et taille ... J'avais beau fixer mon attention dessus, je n'eus pas le sentiment d'un quelconque intérêt pour ce genre de choses ...

(... Je ne dois probablement pas pratiquer la magie. Je suppose que dans le cas contraire, j'aurais du ressentir une sorte ... d'attirance ... pour ces objets !)

Bien que ce raisonnement parut tout à fait logique en soi, rien ne pouvait me le certifier à cent pour cent. Pas si facile que ça de tout reprendre à zéro ! Il y avait toujours en moi un petit quelque chose qui cherchait à deviner ce que j'étais avant, ce que je faisais. Je poussai un léger soupir, lasse de toutes ces questions qui me venaient à chaque minute qui passait, un sentiment qui me faisait considérer avec grande envie la possibilité de vivre seule, isolée de tout, loin de toute chose. Rien pour me suggérer la moindre question ...

Naem avait fait son choix et il me chargea de payer moi-même son achat, sa bourse et les pièces qu'elle contenait, bien trop lourdes et grosses pour sa petite taille. Je réglai donc sans rechigner. Le lutin récupéra alors son précieux parchemin tandis que le marchand vérifiait la somme, puis monta sur mon épaule, comme à son habitude.

"J'ignorais que tu étais un magicien ! Pourquoi n'as-tu pas utilisé tes dons pour éloigner le chat ?"

Tout en parlant avec Naem, je continuai d'avancer sur les pavés, ralentissant par moment pour examiner une marchandise quelconque.

"Pour rigoler ? ..."

Je me remémorai alors le nom du parchemin qu'il avait acheté. Je n'y connaissais rien en magie, à première vue, mais il n'était pas difficile de deviner à quoi celui-ci pouvait servir ...

"Je vois le genre ..." commençai-je en souriant légèrement. "Tu as choisi ce parchemin pour soulever les jupes des lutines !"

Je repérai alors un étal intéressant et m'arrêtai pour examiner de plus près ce que vendait le marchand.

Ecoutant le babillage de Naem, j'observai avec grand intérêt les gourdes de toute taille devant moi. Il me paraissait indispensable de m'en procurer une : qui savait ce que je ferais comme travail ? Si je devais être amenée à me déplacer, je n'étais pas sûre de trouver une source d'eau potable où je voulais, quand je voulais. Je ne connaissais pas du tout les lieux et ignorais s'il y avait beaucoup de rivières et la distance qui séparait chaque ville ou village !

Puis mon regard se posa notamment sur de longues cordes enroulées sur elles-mêmes. Bien que leur usage est moins fréquent, je ressentis le besoin impérieux d'en avoir une, comme si cela était particulièrement vital. Sans doute devais-je en possèder une dans mon 'autre vie' et y tenir particulièrement ... Si j'en avais tant besoin, étais-je en droit de supposer que je devais souvent évoluer en montagne ou lui réserver d'autres usages ?

«... Tu verrais la tête de la plupart des femmes quand leurs jupons s'envolent. Hihihi. Tu veux que je te montre ? »

Je sortis brusquement de mes réflexions et regardai, interdite, l'air mutin de Naem. Evidemment, il avait fallu que je lui souffle stupidement l'idée de faire voler les jupes des filles pour qu'il ne manque pas de sauter sur l'occasion !

(Note à moi-même : veiller à ce que je dis devant Naem ! A tendance à relever les défis stupides !)

Je soupirai légèrement. Que pouvais-je répondre ? Je lui avais soufflé l'idée et ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même ! Mais après tout, quel mal y avait-il à cela ? C'était une chose bien innocente quelque part.

"A la rigueur ... Mais je ne tiens pas à avoir d'ennuis ! Fais dans la discrétion."

Sauf que soulever les jupes des filles, quelque soit la méthode utilisée, était probablement tout sauf discret ! Mais qu'est-ce qui m'a pris de dire un truc pareil ?!

Et comme j'aurais du m'y attendre, le lutin prit le contrôle de la situation, ne me laissant aucune chance pour en placer une. Il était déjà parti je ne savais où, à préparer son 'crime'. Au moins, il avait eu la délicatesse de faire en sorte que je ne sois pas incriminer dans cette histoire !

J'avais quelque part envie de sourire à cette plaisanterie. Naem le ferait en toute innocence, juste pour s'amuser. Mais au fond, je sentis mon coeur se serrer lorsqu'il disparut de mon champ de vision. Il était évident que je m'étais attachée bien vite à ce garnement mais pas au point d'avoir ce pincement au coeur ...

(En fait ...)

Cela me vint comme une évidence : je détestais la solitude. Depuis que je m'étais éveillée sur le pont du navire des contrebandiers, je n'en avais pas pris conscience car même s'ils s'étaient tous montrés gentils avec moi, je n'avais sympathisé avec aucun des marins. Mais Naem ... On s'était tout de suite bien entendus.

Je fis quelques pas pour me trouver devant un nouveau stock de cordes. J'en pris une en main pour tester sa solidité et la finesse du tressage. Le temps sembla alors se figer tandis que mes yeux ne discernèrent plus que cette corde, anonyme, entre mes mains.

(Si je déteste la solitude à ce point, il est fortement possible que je n'étais pas seule sur le navire qui me transportait et qui a fait naufrage ...)

Et je ne pouvais m'empêcher de penser à ce sentiment constant qu'il me manquait quelque chose ... ou plutôt quelqu'un. Serrant un peu plus la corde entre mes mains, j'eus cette fois la certitude qu'il manquait effectivement une personne à mes côtés, indispensable. Mais elle n'était plus là ... Et cette prise de conscience me troubla à un point que je sentis mon coeur se briser un peu plus.

"... Vous allez m'acheter cette corde, Mademoiselle ? Elle coûte 20 yus !" clama un homme assez corpulent.

Il me fixait avec ses yeux, légèrement plissés. Il semblait sur ses gardes. Sans doute croyait-il que j'allais partir sans payer ... Je posai alors la corde devant moi, par dessus les autres, et pris la bourse dans mes mains libres.

"Oui, je vous la prends ... Ainsi que cette gourde, s'il vous plaît." dis-je sur un ton monocorde.

Je sortis alors vingt sept pièces d'or et les posai dans la main tendue du marchand. Il me tendit alors mes achats que je rangeai immédiatement dans mon sac. Je le remerciai alors à demi-mot et partis, la tête basse. J'allai alors un peu au hasard, ne sachant plus vraiment ce que je voulais faire à présent. Seule cette absence à mes côtés parvenait à cheminer jusqu'à ma conscience.

"Hey ! Attention !" fit une voix enfantine.

Je rattrapai in-extremis la petite main d'un petit garçon en train de tomber sur les pavés de la place. Il devait avoir tout au plus sept ou huit ans. Je m'accroupis alors à sa hauteur et m'assurai qu'il n'était blessé nulle part.

"Excuse-moi ! J'étais perdue dans mes pensées ... Je t'ai fait mal ? demandai-je, inquiète.
- Euh ... Non, ça va. Mais tu dois être stupide de rêvasser en plein marché ! Avec tout ce monde ..."

(La vérité sort toujours de la bouche des enfants ...)

Je souris légèrement, embarrassée.

"Oui, tu as raison. Je te remercie pour ton conseil et excuse-moi encore de t'avoir bousculé."

Le gamin me tira alors la langue, sans doute vexé d'avoir failli tomber ridiculement par terre, et se sauva pour reprendre la main d'une femme un peu plus loin, probablement sa mère. En silence, je me relevai et le regardai s'éloigner en discutant avec la femme pendant un moment.

(Naem !)

L'image du lutin s'imposa alors à mon esprit et je me souvins brusquement de ses instructions. Où devais-je le retrouver déjà ? Au nord, il me semblait ... Cherchant un instant des points de repère malgré la foule un peu plus dense qu'il y a quelques minutes, je finis par repérer l'endroit qui semblait correspondre à notre lieu de 'retrouvailles'.

J'avançai alors irrégulièrement parmi les gens, obligée parfois à m'arrêter pour laisser passer quelqu'un ou bien de dévier de mon chemin légèrement pour éviter un passant qui stationnait, brusquement, devant un étal alléchant. Quelques minutes plus tard, j'étais enfin un peu plus au calme, au coin d'une ruelle. Appuyée contre le mur, je gardai un oeil sur la place du marché et attendis, les pensées à mille lieues de là ...

Des rires gras me tirèrent de mes pensées. Un peu plus loin, devant moi, je distinguai une femme s'éloignant précipitamment parmi la foule. Tous la regardaient. Je mis quelques secondes à faire le rapprochement avec le projet de Naem. J'avais tout loupé.

(Il va m'en vouloir ...)

« Ho ! Eirwen ! Viens par là s'teuplais! »

Je tournai ma tête en direction de la voix. Le lutin était accroché à une gouttière et me faisait des signes avec frénésie. Je souris légèrement mais au fond, j'avais de la peine pour mon nouvel ami car je savais que je le décevrai ... L'air de rien, je me déplaçai un peu et tendis la main afin qu'il puisse se hisser sur mon épaule, en toute sécurité.

"Tu as beau être petit, tu sais attirer l'attention !" dis-je sur le ton de la plaisanterie.

Mais je n'avais pas le coeur à rire ... Néanmoins, je me sentais relativement mieux maintenant qu'il était là, hormis le fait qu'il me manquait toujours quelqu'un ...

"Je suis soulagée de ne pas porter de jupe moi-même !"

La dernière répartie de mon compagnon me ruina un peu plus le moral. Apparemment, je ne parvenais pas très bien à cacher mon malaise, à moins que ce ne soit Naem qui soit particulièrement perspicace. Quoiqu'il en soit, j'avais l'impression d'être une nouvelle fois au pied du mur et il me fallait trouver une réponse très rapidement qui puisse le satisfaire. Je n'avais nulle envie de révéler mon état, comme ça, au milieu de tous ces gens ... Il y avait toujours, j'en étais certaine, des oreilles qui traînaient !

"Ne t'inquiète pas, Naem. C'est juste que toute cette foule n'est pas pour me rassurer, surtout après ce que tu as sous-entendu hier de cette ville ..." répliquai-je alors avec un pauvre sourire.

Je croisai alors les doigts dans ma tête pour que le lutin n'insiste pas. Après tout, ce n'était pas faux ce que je disais ... Inutile de tenter le diable : il me fallait changer tout de suite de conversation ! J'enchaînai donc aussitôt :

"Où allons-nous, maintenant ?"