<< Biographie de RurikLa mer est clémente depuis notre départ de Kendra-Kâr et le calme qui règne sur le pont de la Perle Rouge a tout pour me plaire après les quelques intempéries qui ont rythmées mon tout premier voyage dans les domaines de Moura.
Saluant sur mon passage les matelots déjà à l’œuvre, je marche d’un pas tranquille jusqu’à la proue du navire pour aller m’accouder au bastingage. Je ferme un instant les yeux, respirant à plein poumons l’air frais du matin, pourtant bien loin de me rappeler le froid de chez moi. Sous mes pieds, le vaisseau oscille doucettement et je ne peux retenir un léger soupir amusé au souvenir du départ de l’Amanda. Moi qui n’avais jamais quitté la terre ferme, j’avais été surpris de sentir le sol tanguer et mon étonnement avait grandement égayé l’équipage. Heureusement, mon pas montagnard s’était prestement accoutumé aux remous des vagues.
Battant des paupières, j’ouvre les yeux sur un infini chatoyant. Devant moi, elle est là, belle comme pas une. Sur sa robe d’un bleu limpide scintillent des reflets ensoleillés, comme si pour notre rencontre, elle avait revêtu sa plus splendide parure. Elle me paraît semblable à mes montagnes, mais en la respirant, je sais qu’il n’en est rien. A la noblesse des monts, elle répond par un rire cristallin, cette mer qui m’a charmé au premier regard. Au loin, sous les brumes matinales, il me semble soudain apercevoir ma destination finale.
"Tulorim."La voix grave de l’homme qui s’approche de moi confirme mes pensées. Je ne me tourne pas vers le gabier qui s’appuie à son tour sur le garde-corps, j’ai reconnu Ishka, dans ses intonations d’homme de Wiehl, peuple dont j’ai appris ici l’existence.
"Ce n’est pas Kendra-Kâr, ça c'est sûr, mais j’y suis né, alors…"Il termine sa phrase par un geste vague en direction de la cité portuaire qui se découpe doucement sur fond de collines d’un doux vert.
"Tu sais Rurik, je ne sais pas ce qui t’est passé par la tête pour vouloir quitter ton pays, tu dois avoir tes raisons ça c’est sûr…"Il s’interrompt, pensant peut-être qu’aujourd’hui enfin, je lui révèlerai la raison de mon départ. Mais depuis notre rencontre au port de Kendra-Kâr, j’avais passé sous silence le véritable but de mon voyage, parlant seulement des Monts Eternels et de mon village. Je lui avais fait confiance dés le début, à cet homme harassé de périples, mais non initié au monde extérieur je préférais le découvrir moi avant qu’il ne me découvre lui. Et une fois encore, Ishka n’eut qu’un sourire de ma part.
"T’es pas bavard Rurik, quoi que tu m’as régalé avec tes légendes ! Mais je vais te dire mon vieux, t’as bien raison, ça c’est sûr. Et surtout là où tu vas. Ne te fie à personne là-bas à Tulorim, ils te souriront tous, ça c’est sûr, pour arriver plus rapidement dans ton dos… Si tu vois c’que j’veux dire Rurik…"Je hoche la tête, bien que ce concept de trahison me soit encore quelque peu étranger. J’avais écouté avec soin les discussions entre marins, m’instruisant sur les us et coutumes des diverses peuplades, toutes aussi différentes les unes que les autres, et bien loin de la mentalité des miens.
"Le port approche Rurik et les courants nous sont favorables… Tu poseras bientôt le pied sur le continent qui est le mien !"Et, bien que de vingt bons centimètres plus petit que moi, Ishka m’assène une grande claque sur le dos avant de rejoindre son poste, paré pour la manœuvre d’entrée au port.
Je reste également à mon poste, celui d’observateur, car les quatre-vingts matelots de la Perle Rouge n’ont guère besoin de moi. Ils connaissent leur métier et le pont est rangé rapidement, tandis que chacun rejoint sa place pour l’amarrage. Mes deux yeux ne suffisent plus, à vouloir observer les marins à l’œuvre et les bâtisses qui se rapprochent de nous.
Le bâtiment vient, sans heurt, se placer tout contre le quai qui lui est alloué, les amarres sont jetées aux hommes du port qui s’empressent de nouer les larges cordes autour des bornes d’arrimages et déjà l’équipage met pieds à terre.
Ramassant mon maigre bagage, j’assujettis dans mon dos mon bouclier, avant d’aller au devant du Capitaine Aldora.
"Ah tiens le mousse, te v’là arrivé à bon port."Je souris à ces mots amicaux du Capitaine, son véritable mousse faisant à peine un peu plus de la moitié de ma taille.
"- Sûr qu’en cas de pénurie, vous auriez eu plus à manger avec moi Capitaine.
- Encore aurait-il fallu que tu te laissasses manger Rurik !"Le Capitaine part d’un grand rire, bien vite rejoint par le mien.
"- Allons, bon séjour ici homme des montagnes.
- Je vous dis à bientôt Capitaine, à quand je rentrerai chez moi."Et sur ces paroles je lui tend ma large main qu’il sert avec vigueur avant de s’en retourner à son navire et son équipage. Sur le quai Ishka m’attend.
"- Voilà où je te souhaite bon vent Rurik.
- C’est plutôt vous qui en avez besoin !
- Ca c’est sûr… Ecoutes vieux, malgré c’qu’on dit y’a des bonnes gens à Tulorim, va pas t’acoquiner avec les mauvaises personnes mon gars.
- T’en fais pas pour moi Ishka. Que Rana vous accompagne…"Ishka hoche vigoureusement la tête et me décoche son plus beau sourire. Après une chaude poignée de main, je le laisse à son travail et m’avance sur les quais. Ishka m’avait dit qu’il existait ici un temple dédié à Yuimen et Gaïa, peut-être était-ce le premier endroit où me rendre, à moins que mes pas ne m’emmènent vers une bonne auberge.
>> Les ruelles