Inscription: Mer 27 Oct 2010 20:28 Messages: 6658 Localisation: :DDD
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Un bref instant de silence suivit la déclaration de Leoj. Pour être franc, même si ce gars bizarre n'était avec nous que depuis quelques heures, ils nous avait été fort utile et pas du genre à abandonner tout le monde sur un coup de tête. Je brisai le silence avec un énième éclat de rire :
- Hahaha ! Ça tombe bien, on va justement à Kendrâ Kâr, pas vrai ?
Tout le monde acquiesça en suivant joyeusement la réplique. On avait déjà oublié la blessure et l'alcool nous réconfortai dans nos doutes. Je me levai d'un bond dès que je vis la crique du Tulorim derrière nous :
- Mes amis, il est temps de parader ! Enlevez vos merdes sur la table, et aidez-moi à déplier le pavillon noir !
Gorilla leva sa bouteille en guise d'approbation. Quelques instants plus tard, nous étions tous les quatre, regroupés au beau milieu du pont, chacun de nous ayant en main un bord du drapeau qui, en son sein, arborait le Jolly Roger, le crâne de mort caractéristique de la piraterie, le Masamune n'en était sûrement pas à ses premiers pillages. Le soleil s'élevait à son plus haut du firmament en cette période de la journée, le port n'était plus très loin de notre emplacement, et nous nous apprêtions à hisser haut notre drapeau. On n'était pas allé de main molle sur la boisson, et, irrémédiablement, la toile noire empestait l'alcool. Je n'avais rien contre ça, au contraire, ça le rendait encore plus attirant. Le Jolly Roger était tendu de tout son long par ceux qui allaient pour la première fois traverser la mer à bord du galion bleu, tout ça méritait un petit discours de ma part, non ?
- Les gars, on a porté un toast et on a bu au-dessus de ce drapeau. Maintenant, il est tout dégueulasse, mais ce sera notre symbole. Il pue l'alcool, mais ça tombe bien, on boit plus de bière que d'eau. Il est taché, mais nous non plus on n'est pas propres. Il est amoché par le temps, et on devra se résoudre à finir comme lui un jour. C'est notre pavillon noir, hissons-le le plus haut que nous le pouvons, c'est notre symbole !
Au même moment, le Capitaine Clope contemplait l'horizon, adossé au mur de sa boutique. Des travailleurs étaient en train de dégager les derniers morceaux de l'épave qu'il avait vendue à prix d'or à un borgne un peu trop candide pour réaliser sa bêtise. Il portait encore les fruits de cette affaire juteuse, bien qu'il en avait déjà dépensé une grosse partie pour faire ses emplettes et se racheter une nouvelle jambe de bois, l'escroc. A ce moment il se demandait ce qu'était devenue sa dernière victime, tout en riant dans sa barbe touffue, et ne se doutait d'aucune manière de ce qu'il allait apercevoir à l'horizon, un navire bleu qui, au sommet de son haut mât, arborait un pavillon noir...
- Des pirates, ici ? La veine, ils vont m'acheter des armes, je l'sens !
Il attendit bien l'amarrage du navire pour faire son entrée, parfaitement synchronisée avec la descente du ponton par lequel je descendis, méconnaissable car la lumière du soleil derrière moi éblouissait les regards perdus. D'un pas distingué, je descendis à son niveau, marchant à pas lourds, je cherchais déjà à écrase ce cloporte. Quand mes bottes arrivèrent à son niveau, il se courba de tout son long, me prenant pour un vulgaire pigeon :
- Bonjour monseigneur le capitaine pirate ! Que puis-je faire pour vous, moi, vieux marchand du port ? Je suis votre fidèle et dévoué serviteur !
- Ah ouais ?
- Mais bien sûr, mais bien sûr ! répliqua-t-il en secouant la tête à plusieurs reprises, comme un chiot contemplant son maître.
Avant qu'il ne réalise ce qui se passait, j'avais déjà posé mon pied au sommet de sa tête et la lame d'une rapière de fortune menaçait sa glotte. J'étais pas rancunier, à la base, mais ce vieux hibou avait piétiné ma patience à un point tel que la vengeance n'était pas une option.
- Si t'es mon serviteur, alors lèche-moi les bottes, connard !
- P-Pardon ?!
- Tu reconnais pas ma voix, marchand d'mes deux ?
Il releva lentement la tête, de peur de se faire embrocher illico presto par une épée nerveuse. Sa gueule était amusante, sa bouche forme comme une sorte de cul de poule lorsqu'il parvint à discerner mon cache-œil dans la lueur céleste. A cet instant, il déglutit comme un porc et mon pied accueillit sa joue comme un don du ciel, le faisant trébucher en bas du ponton. Comme un pantin désarticulé, le vieux bougre perdit l'équilibre et tomba violemment dans l'eau froide du port, c'était assez pour moi. Devant la mine surprise des passants, je ne pus que commencer mon slogan :
- Je me présente, je suis le capitaine Sirius Heartless, et ceci est mon navire ! J'entreprends de voyager jusqu'à Nirtim, et je resterais jusqu'à la tombée de la nuit ceux qui voudront bien rejoindre mon pavillon noir. Me prenez pas pour un rigolo, j'ai ici la tête de Vragdush le Terrible !
J'émis un léger sifflement en guise de signal et Gorilla, dissimulée derrière le pavois, balança le visage du voleur teigneux qui avait péri sous nos coups. On avait pris la peine de la garder, les têtes coupées, bien que moches, étaient fort utiles pour montrer qu'on ne rigolait pas.
- Je répète ! Jusqu'à ce soir à vingt heures ! Que ceux qui veulent braver la mer me rejoigne ou reviennent téter leurs mères !
Sur ces mots, je remontai jusqu'au pont et laissai Gorilla prendre la relève, il allait se charger de ceux qui voulaient se présenter à nous, tandis que je m'incombais la terrible tâche de nettoyer le bordel de la cabine du capitaine, on avait bu comme des porcs là-dedans... Le soir venu...
Je contemplais le coucher du soleil de mes quartiers. J'avais vu mille fois le crépuscule à Tulorim mais, sans que je sache pourquoi, c'était différent, comme si je n'allais jamais le revoir. Je me consolai en pensant à quoi ressemblait le ciel dans des contrées lointaines, j'imaginais des mondes perdus, des villes magnifiques, des mers dangereuses... je rêvais un peu trop. Enfin, Gallion s'infiltra par la porte et se présenta devant le bureau en désordre.
- Le délais est dépassé.
- Personne n'est venu ?
-....
Je tapai du poing sur la table puis me penchai sur ma main gauche, coupée, dont surgissait une douleur sans nom, j'oubliais à chaque seconde que j'étais amoché par les combats de la journée. Tenant ma main, je continuai malgré tout mon coup de gueule :
- Quelle bande de guignols ! Ils reconnaissent pas un vrai navire quand ils en voient un ?
- C'est surtout à cause de ta réputation ici. Les gens normaux te détestent parce que t'es un imbécile fini qu'a osé frappé Clope, et les hors-là-loi te regardent d'un mauvais œil depuis la mort de Vragdush.
Je frappai mon dos contre le dossier de mon siège et soufflai un grand coup, même si je n'étais pas surpris par la bêtise des gens ennuyeux, qui aspiraient à une vie anonyme et sans histoire alors que je faisais tout pour me faire connaître, moi. Ma décision était prise, je restais fidèles à mes horaires, en tout cas pour le moment.
- On met les voiles. Gorilla, tu t'y connais bien mieux que moi pour diriger un navire, j'aurais b'soin de toi.
- On va où ?
- Kendrâ Kâr ! annonçai-je d'un ton théâtral en me soulevant de mon fauteuil.
Emboîtant le pas à Thunderhead, je sortis rapidement de la pièce et me mis à marcher avec assurance, parcourant le pont de tout son long en m'extasiant à ses côtés, avec des gestes exagérés dans la plus pure tradition du grand-guignolesque :
- Kendrâ Kâr, la Cité Blanche, la Mastodonte, la Bien-Gaulée !
- Kendrâ Kâr, repaire des seigneurs, des marchands, des putes et des brigands !
- La perle de Nirtim, le port de tous les océans !
- Y'aura d'la bière !
- Y'aura des femmes !
- De la baston !
- Et de la maille !
- On-se-ra-les-Rois-du-Monde !
Nos élans burlesques se succédèrent et les rires déchirèrent nos lèvres jusqu'à ce que la nuit ait dominé le ciel. La mer devint noire et ses éclats plus blancs, Tulorim, plongée dans les ténèbres, nous laissait partir sans cris de gloire. Des torches s'allumèrent sur le navire, son pavois et ses nids-de-pie, nous étions la seule lumière flottant sur l'eau. Les amarres lâchèrent et le navire, voiles battues par un vent glacial, nous emmena au loin, adieu, Tulorim. Omniprésent, Gallion donnait ses conseils à l'équipage qui manœuvrait sous sa tutelle. Ainsi, Thunar se démenait pour trouver à bouffer dans les réserves de la cale tout en s'occupant de Renart encore inconscient, Leoj aux voiles qui, après quelques vérifications, ne fut pas muté à la vigie et moi, je me tapais le sale boulot, timonier...
- Allez, Sirius, tribord ! Mais non, imbécile, tribord !!
La roue du gouvernail entre mes mains, je me démenais avec les instructions bancales du vieux loup de mer plus expérimenté qui prenait sa tête dans ses mains, dépité. De mon vivant, je n'avais jamais manœuvré la direction, "Bâbord" et "Tribord" ne me disaient rien. Je me retournai et demandait par dessus mon épaule :
- C'est à gauche ou a droite ?!
- A droite abruti !
Je fixai son regard pendant un instant, pas parce qu'il me manquait de respect, cela ne me gênait pas le moins du monde mais j'étais plongé dans l'incertitude la plus totale, désarmé face à la roue...
-..... Et la droite c'est à bâbord ou à tribord ?!
- Tribord, la droite, là ! Espèce d'imbécile !!
Et notre joyeuse croisière continua comme cela, jusqu'au retour du jour et l'abondance du vent matinale, nous parvenions jusqu'aux hautes mers qui nous séparaient de notre prochaine destination. Notre première traversée maritime à bord du Masamune...
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