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Auparavant~
~15~
Les yeux étrangement dorés à pupille verticale me scrutent, se rivant à mon cou. Ce regard est si fort que j'en perçois presque la pression physique. Le bras droit du bandit a beau être parsemé de ruisseaux rouges, ce dernier ne semble pas vouloir le ménager pour autant. Griffes menaçantes, lèvres retroussées, je fais face à la personnification d'un prédateur en chasse. Campant sur mes pieds, je maintiens mon arme devant moi, puisant dans mon énergie intérieure pour l'obliger à faire halte.
Attentif malgré mon état, je m'oblige à suivre ses mouvements, en tentant de les anticiper. Une chance que sa blessure altère sa vitesse, sans quoi j'aurais bien du mal à contrer ses coups de griffe. Quand il arme un bras, je prépare ma défense. Sans bouger un pied, je déjoue ses attaques en contrant le poignet lancé. Sans doute agacé par mon attitude, le bandit à bonnet change de tactique. Poussant un son entre cri enragé et feulement bestial, il agrippe des deux mains le manche du Fang Bian Chan. Surpris par sa soudaine proximité, j'ai le réflexe de m'accrocher rigidement à mon arme. C'est en apercevant son expression courroucée que je note l'inconfort de son geste.
Ses mains sont bien fermées sur la hampe, mais le diamètre est suffisamment petit pour que cela oblige ses griffes à érafler ses propres paumes. Poussant chacun de notre côté pour prendre le dessus sur l'autre, une telle tension nait dans mes muscles que ma blessure à l'abdomen se rouvre brutalement. Je tressaille, chose sans doute perçue par le félin qui défait une main pour tenter de m'atteindre. Malgré la douleur, je saute sur l'occasion. Poussant sur le côté retenant mon arme, je parviens à aiguiller ma lame évasée vers son épaule meurtrie. Le coup touche. Il a beau être faible, l'impact est suffisant pour raviver la plaie.
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C'est vil, mais chacun son tour.)
Voyant que je ne suis pas décidé à le laisser passer, l'humanoïde-félin fait quelques pas en arrière, plaquant sa main libre contre la blessure. Ce bref instant de répit me permet de jeter un coup d'oeil par-dessus mon épaule, juste à temps pour voir l'action violente du milicien. J'ai beau avoir entendu les cris et jurons derrière moi, je ne parviens pas à savoir comment le bandit armé de la masse à pointes, et d'une targe de bois maintenant que j'y fais attention, a fait son compte. Son arme à tête de métal est allée se ficher dans le bras de son camarade, lui-même aux prises avec le sabre de la jeune femme. Hidate profite alors de cette configuration. Malgré l'horrible douleur qu'il doit ressentir à l'avant-bras, le milicien parvient à lever son katana à deux mains, et l'abattre droit sur celui de l'homme armé du trident.
Un bruit difficile à décrire se produit à l'impact, pratiquement couvert par le hurlement de douleur. Peu importe le temps passé à la milice, voir un homme trancher le bras d'un autre aussi facilement est un spectacle peu réjouissant. Je suis content d'avoir Hidate de mon côté, mais prendre conscience de tout ce sang versé ne m'aide pas à me sentir moins sale. Et cela n'a rien à voir avec l'écoulement de mon propre liquide de vie. Je ne parviens plus à déchiffrer l'expression du félin. Son nez, si je peux l'appeler ainsi, est retroussé, et un air entre dégoût, fascination morbide et colère déforme ses traits.
Au nouveau son d'agonie provenant de derrière moi, j'ai du mal à rester concentré. A ceux de coups contre du bois métallisé, je sais que mes deux camarades s'en prennent au bandit à bouclier. Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi le félin recule. Blessure, mort de ses camarades, ou peut-être est-ce même le grondement assoiffé de vengeance de la jeune femme qui l'effraie. Toujours est-il que d'un coup, il bondit en arrière, et se précipite en direction de la trappe. Une main tenant mon abdomen, j'avance à sa suite, faisant un écart pour ne pas longer le mur intérieur. Il me tend peut-être un piège.
Cette idée est balayée quand image et son du bandit décrivent sa montée à l'échelle, et l'ouverture de la trappe. Rapide, il s'empresse de refermer le panneau de bois, et au son brutal qui suit, il doit avoir lancé une chaise ou un meuble dessus.
(
Tant pis.)
Retournant sur mes pas, je refoule la montée d'une petite nausée due à la mare sanguine au sol. Lorsque je lève les yeux, Hidate et dame Legaeli secouent leurs lames d'un geste, comme si elles avaient trempé dans quelque chose de trop inférieur pour être regardé. La dernière larme carmin vient périr à quelques centimètres de mon pied. Observant les deux humains, je trouve d'abord la jeune femme presque méconnaissable. Son visage blessé affiche un air dangereux, malgré le passage d'un bon nombre d'homme au fil de son sabre. En me voyant, le milicien affiche un air soulagé, puis il me présente son avant-bras de lui-même.
Prudemment, j'ôte la protection, puis palpe sans forcer son avant-bras. J'admire cet homme car, sous mes doigts, la fracture nette se fait sentir alors que peu de choses en trahissent la douleur. Frottant vivement mes mains sur l'intérieur de mon yukata, j'attrape la zone, évitant d'appuyer sur les plaies à vif. Concentrant mon esprit et mes fluides, je fais une nouvelle fois appel à ma force de volonté pour soigner cette importante blessure. Quelques gouttes de sueur perlent sur mon front. Il me faut faire un effort mental important pour ne pas vaciller.
Mon soin apporté, j'en ressens une certaine amertume. J'ai beau avoir aidé l'os à se remettre en place et se ressouder, ma magie actuelle ne me permet pas de totalement refermer la blessure. Gardant le silence, je suis toutefois un peu soulagé de ce poids en décelant une esquisse de sourire sur le faciès masculin. Mon corps m'injurie à sa façon, me forçant à trouver quelque chose pour m'en distraire. C'est le son féminin de dame Legaeli qui me rappelle que la mission n'est pas encore finie.
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Divine Rana, j'espère que nous touchons au but.)