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Auparavant~
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En une symétrie quasiment parfaite, chaque pas en avant de mon adversaire m'en fais exécuter un vers l'arrière. Puisque je sais ne pas pouvoir le frapper ni au torse ni aux jambes, la seule possibilité reste sa tête. Si je pouvais ne serait-ce que l'étourdir ou l'assommer, il me serait possible de me rapprocher de mes compagnons. L'union fait la force, mais je m'inquiète aussi pour eux. J'ignore tout de la tournure des événements, m'incitant à vouloir les retrouver au plus tôt. Sauf que pour le moment, un obstacle de taille et décidé à m'en empêcher me barre la route. Jetant un coup d'oeil aux alentours, je n'y perçois que des buissons et des troncs d'arbre. C'est peut-être justement ce qui peut m'aider.
Reculant encore un peu, je sens dans mon dos le bois d'un haut végétal. Quelque peu acculé, je me prépare à réagir. Une nouvelle fois, l'humain arme son bras en hauteur, puis il l'abat. Prenant appui fermement, je lève à deux mains le manche de mon arme, bloquant l'assaut avec difficulté. Lorsque je le vois armer son poing libre, je bande mes muscles, rejetant son arme sur ma gauche. Les quelques instants où il est déséquilibré me permettent de tenter une frappe de la lame plate. Vif malgré sa protection, ce désagréable personnage l'évite de peu en donnant un coup de talon au sol. Un bref moment de flottement prend place avant qu'il n'arme de nouveau son bras.
Ce coup-ci, il m'envoie un coup de taille, faisant décrire un arrondi à la trajectoire de sa hache. Il semble d'un coup si pressé qu'il me rate totalement, le fer de sa hache venant se ficher sans le tronc alors que les manches des armes respectives se cognent. Un hoquet de surprise m'échappe quand je sens le bois frôler ma main. A quelques millimètres près, j'y perdais un doigt. L'occasion est belle, et je saute dessus. Me décalant d'un pas, j'essaie de nouveau de faire appel à mon énergie combattive pour lui asséner un coup à la tête. Une violente vibration remonte à mes mains quand une partie de ma force est stoppée par son avant-bras relevé. Toutefois, l'élan est suffisant pour que la tête évasée heurte la partie arrière de son crâne.
Mon coup porté, je décide de mettre une certaine distance de sécurité entre nous.
(
Ce petit jeu peut durer un moment. Immobiliser sa hache me donne un avantage, mais sa garde est trop efficace.)
Lorsque la hache retourne dans la main de son propriétaire, je songe que sans élan, le coup porté est pratiquement inefficace. Seulement, si elle est encore bloquée dans un arbre, le garde sera trop sur la défensive pour me laisser une opportunité. Mes yeux violins se rivent à la pointe ornant le fer luisant. Une idée me vient, mais son exécution ne me plait pas du tout. Si je peux gagner un duel de force entre nos deux armes, viser sa tempe sera envisageable.
Raffermissant ma prise sur mon arme, j'avance résolument vers l'humain en quelques pas rapides, le manche de mon arme en biais pour me protéger. Une expression indéchiffrable se glisse sur le faciès hirsute, que je ne comprends que trop tard.
J'avais misé sur une parade de sa part, mais la douleur consécutive du choc m'apprend que j'ai eu tort. Nul besoin de baisser les yeux. Le bras armé est tendu dans ma direction, légèrement vers le bas. Une chaleur moite se dégage de mon abdomen, frappé de la pointe de métal, à quelques centimètres sur la gauche de mon nombril. Mon coeur pulse, faisant galoper le sang s'échappant de la plaie. Choqué, horriblement surpris, je perçois un air moqueur voire de pitié sur le visage barbu. De ma main gauche, j'agrippe fortement le manche de la hache, réalisant sa matérialité, sa présence, et ce qui vient de m'arriver. Ressentant un à-coup dessus, je prends conscience que mon geste entrave le mouvement adverse.
Suite à un grommellement agacé, le pied de l'humain se lève, comme s'il voulait extraire la pointe d'une vulgaire souche. Je souffre, mais pas seulement physiquement. Ma fierté d'ynorien est blessée aussi. Notre peuple est fier, fort, et me voir sujet à tant de condescendance m'irrite. Aucun sentiment ne prend cependant l'ascendant sur l'autre, tous dominés par une seule pensée.
(
Par Moura, jamais ynorien n'abandonne sans se battre !)
Tenant fermement l'arme malgré la peine ressentie, je mets de la force dans le soudain coup de la lame en croissant, visant la jambe sur laquelle s'appuie l'humain. Mon coup soudain touche, ne le blessant que légèrement. La surprise est cependant suffisante pour qu'il repose son pied botté. Lâchant la hache, je replace vivement mes mains sur mon Fang Bian Chan, tendant les bras droit devant moi. Je suis encore étourdi par la douleur, irrité par son picotement, préoccupé par la gravité de la blessure, mais encore plus inquiets pour mes compagnons. J'ignore si c'est à cause du sang tambourinant dans mes tympans, mais je ne perçois plus le son des combats.
Bras tendus tenant mon arme, je vois se poser la main libre de l'humain dessus, cherchant à me repousser. Ses deux membres supérieurs agissent en parallèle, m'enfonçant la pointe un peu plus dans la chair. Paradoxalement, au lieu de ressentir de la faiblesse, je perçois un regain de vitalité et de force. Bandant mes muscles, et accompagnant mon geste d'un grondement animal, je parviens à défaire sa prise sur le Fang Bian Chan. Sa main repoussée, j'ai le champ libre. Obligeant mon buste à pivoter, élargissant la plaie, j'assène un violent coup de la lame évasée contre la tempe de mon adversaire.
Cette fois-ci, le coup porte et résonne même avec une telle force qu'il n'a pas le temps de prononcer une parole. Visiblement sonné par l'attaque, il titube, reculant en délaissant sa hache. Immobile, le souffle court, je sens ma sueur faire glisser la glaise sur ma peau. C'est sans vraiment le regarder que je le vois s'adosser contre un tronc, la main contre la tête. D'un coup, alors que je viens de remarquer une silhouette féminine, un éclat brillant passe devant sa gorge. Le fil de la lame ne lui laisse aucune chance, faisant jaillir de sa peau une gerbe écarlate. Tandis que son corps tombe devant des buissons, Hidate se précipite à ma rencontre. Son armure est abimée par endroits, mais je ne vois aucune trace de blessure. Visiblement, la même chose peut être dite pour dame Legaeli.
"
Content de vous revoir sains et saufs."
J'esquisse un sourire amical devant l'expression inquiète de Hidate. Abaissant un peu le regard, je m'apprête à retirer l'arme dont le poids accroit la taille de la blessure. Laissant mon Fang Bian Chan au milicien, je me concentre aussi intensément que possible, mêlant mon énergie combattive à mes fluides de lumière. Visualisant la plaie, j'y appose ma paume. Muscles, vaisseaux sanguins, l'énergie curative se répand en moi, réparant progressivement les dégâts causés. J'y mets tant de concentration qu'une fatigue aussi soudaine que légère m'étourdit quelques instants.
Palpant la zone touchée, j'y perçois une fragilité certaine. Mon sort lumineux ne semble pas avoir été assez fort. Je vais devoir me montrer prudent pour ne pas la rouvrir par inadvertance.
Effaçant la glaise de mon visage à l'aide de ma manche, je constate la trainée de sang maculant mes habits depuis l'orifice occasionné. Tant pis. Nous avons assez perdu de temps, et le regard de la jeune femme appuie mes pensées. Après avoir repris mon arme, et le milicien son casque, nous reprenons la route en direction des ruines. Après tout, nous n'en sommes qu'au début de la mission.
Tentative d'apprentissage de la CCAA "36 chandelles".