Les vibrations de l'air ont changé depuis mon départ, on est passé d'un violent orage à un picotement de plaisir apparemment. L'avatar semble ravi de mon choix, ce qui me rassure, une épreuve de moins.
« Bravo gardienne, malgré ta race, tu as su comprendre les miens. Un tel effort n’est qu’une vertu et je suis sûr que tu défendras avec ardeur la terre sur laquelle je tonne. Tu as mon assentiment. »
En un clin d'oeil, l'avatar disparaît et vient se volatiliser en une petite flamme crépitante, à coté des cinq premières. Pour mon plus grand bonheur, je constate que les divinités n'ont pas oublié que les mortels ont le besoin de manger et de se reposer de temps à autre. Toujours pas de repas chaud à l'horizon, mais du pain tiède, du fromage crémeux à souhait, le tout accompagné de miel et de fruits frais, qui me sont inconnus. Cependant, je ne peux qu'associer tous ces excellents mets avec le retour des fluides dans mon corps, à moins que ça soit l'ambiance même du lieu. Toujours est-il que la fatigue de la journée ainsi que l'amplitude de mon appétit diminue au cours de ce repas fort agréable. La nuit est belle, malgré un léger voile de bruine.
Ce rideau de pluie s'intensifie jusqu'à devenir un véritable mur d'eau, je soupire et me lève, certaine que la prochaine épreuve s'annoncera mouillée ou à défaut fortement humide. C'est sans aucune surprise que je vois apparaître l'avatar de mon prochain bourreau : Moura. Toute aussi féminine que Yuia, elle est cependant moins belle et charmeuse et plus puissante à sa manière. En fait, j'ai l'impression qu'elle me ressemble un peu : la puissance dans un corps de femme.
« Depuis la nuit des temps, Yuimen supporte mon poids. Il est impossible qu’il ait une gardienne faible. Mais je ne vous crois pas aussi fragile. Prouvez-moi que vous supporterez le poids de l’eau, et vous pourrez accéder à votre but. Allez. »
Avant que j’aie eu le temps de comprendre, je me retrouve entraînée au sommet du toit du sanctuaire, nettement plus plat que je ne le pensais, mais aussi mouillé que je ne m'y attendais. Très vite cependant la pluie s'arrête en apparence, ce qui n'est pas pour me déplaire. (Lève la tête...)
Bien sûr, il y avait une raison à ce soudain arrêt de la pluie sur ma tête : une coupe en verre géante qui vient me rejoindre. Une pensée soufflée par ma faera m'incite à me préparer à l'accueillir, je doute en effet que ce bol géant en verre n'ait pas un rapport tout à fait direct avec l'allusion de Moura... Et cela ne me rassure guère.
(Surtout qu'elle est la Déesse de la force.) (Je comprends pourquoi elle plaisait à Sarya.)
En attendant, ce n’est pas la pensée fugace pour ma soeur défunte qui va permettre de porter le bocal qui commence à se remplir de pluie au-dessus de ma tête. J'ignore les règles précises du jeu, ne sachant pas ce que je peux me permettre ou non face à cette épreuve pour la moins insolite. Mais une chose m'est certaine, la magie sera indispensable, vu la taille du réceptacle, aussi léger soit-il de base, une fois remplie d'eau, il sera impossible à porter par un sindel avec sa propre force, fusse-t-il un barbare.
L'image de Yuimen sous sa forme Kendrane : un ours puissant. Il ne faut pas moins pour imprimer l'image du Kodiak, ours géant que l'on trouve dans la région de Bouhen, dans mon esprit et la transférer à mes fluides. "Yuimen... Octroie-moi la puissance nécessaire à cette épreuve." murmuré-je, certaine que Yuimen peut m'entendre au travers le toit qui me soutient...
(Peu de chance que cette force soit suffisante, hein...)
Cela, je m'en doutais, ça aurait été beaucoup trop simple. Profitant du poids encore relativement faible, je prends le partie de soutenir le bol avec une seule main et de m'agenouiller pour récupérer mon bâton au sol. L'équilibre est difficile à trouver et j'ai l'impression d'être transformée en une forme de troubadour qui parcourt le Naora pour donner des spectacles. Je parviens, difficilement cependant, à me redresser et à glisser mon bâton entre mes deux mains, sous le bocal. Prenant appui un genou à terre, je bloque le bol sur ma nuque et mes deux mains.
(On dirait Atlas comme ça... Mais lui faisait ça avec un monde complet.) (Au lieu de raconter des bêtises. Tu pourrais m'aider pour mes sorts?) (Mais bien sûr, ma chère Lothi. C'est quoi ton plan?)
En une image, j'explique à Lirelan ce que je veux faire, elle approuve l'idée, même si elle me trouve très culottée. Me concentrant sur les arbres tout autour du sanctuaire, je les appelle mentalement à l'aide, l'exercice s'avère complexe, bien plus encore que tout ce que j'ai pu faire jusqu'à présent. Je ne peux pas utiliser le pouvoir de parole parce qu'il me faut être en contact avec la plante. Seul mon sort d'attaque peut me permettre de rapprocher les plantes, mais le risque majeur, c'est de retourner ce rapprochement contre moi. Il me faut donc maîtriser mes fluides avec une précision folle, de manière à ce que mon propre sort ne me blesse pas. Petit à petit, les branches des arbres rampent sur le toit du sanctuaire s'agrippant autant aux pierres lisses qui composent le dôme qu'à mes bottes. Je relâche mon sort, laissant les feuilles retomber dans leur état végétatif, étant à portée de main ou plutôt, en l'occurence, de pied. Faisant attention en pivotant, je parviens à faire un demi-tour sans déstabiliser le bol sur mes épaules. L'eau qui tombe dans le bocal alourdit sans cesse mon fardeau, le rendant étrangement mouvant comme s'il était doté d'une vie propre, compliquant ma tâche au-delà du poids par une instabilité qui s'accentue au moindre mouvement, à la moindre vibration. Je parviens à me caler, un genou à terre, prenant appui sur tout mon corps. A nouveau, je me concentre sur les plantes, les appelant par mes sorts. L'opération est, je le sais, dangereuse, mais je n'ai pas le choix, il me faut pouvoir toucher ces plantes. Je modère ma magie au strict minimum et persuade les plantes de venir attaquer la pointe de ma botte. L'exercice est plus complexe que je ne l'avais imaginé, je ne suis plus totalement au centre où Moura m'avait transportée, les végétaux à ma droite parviennent plus rapidement à ma chausse que ceux de gauche. Il me faut donc à la fois calmer les plantes les plus proches tout en accélérant ceux les plus à gauche.
(Attends, je vais t'aider!)
Avant d'avoir eu le temps de penser quoique ce soit, je vois une boule verte qui m'est familière foncée dans le tas de végétation qui commencent tout doucement à m'étouffer le gros orteil. La forme des branchages se modifient soudain prenant de la hauteur, venant former un contre-pilier juste à coté de moi, longeant au plus près mon corps. Peu à peu, la boule verte se déplace à travers l'ensemble des végétaux, ceux à droite, ceux à gauche, ceux devant moi, ceux derrière moi, et suivant ce même rythme un mur complet de plantes se dressent tout autour de moi formant un socle vivant et palpitant pour soutenir l'eau qui ne cesse de remplir dans le bol.
Me concentrant sur ma tâche et relâchant un maximum de fluides de mon corps pour permettre à ma faera d'accomplir son oeuvre, je ferme les yeux, me laissant dépasser par mes propres pouvoirs et par la magie druidique la plus pure. (Garde ton esprit ouvert, Lothi. Ferme les yeux, concentre-toi, mais garde ton esprit ouvert.) (Mais garder mon esprit ouvert sur quoi?)
Les plantes sont là, tout autour de moi, je peux les sentir vibrer, j'entends le vent qui se faufile dans les feuilles. Mais au-delà de ça, c'est un monde entier que je découvre, les âmes de mon corps autant les dorées ayant données leurs larmes pour que je vive que les rouges sombres ayant perdu leur vie sous ma lame sont là et dansent tout autour de moi. Tous sont rassemblés autour de moi, suivant le vent et tournant comme les feuilles dans un tourbillon dans une symphonie en or et rouge. Le vert vient se mélanger dans un flot de couleurs et de puissances, Lirelan sans doute.
L'eau ne cesse de tomber tout autant que la nuit qui devient d'encre au-delà des plantes. Mais cela ne semble avoir plus aucun sens pour moi, je suis sur le toit du sanctuaire, sur Verloa couchée devant le sanctuaire, sur le Naora prêtant serment. Je suis seule sur Nyr, mais aussi auprès de Yuimen, de mon père, de Sarya, de Nuilë, de Saraki, de Nazca. Je suis ici et ailleurs en même temps, je suis là et nulle part à la fois. La magie s'échappe maintenant par tous les pores de ma peau, s'étendant comme une brume perceptible à l'oeil nu pour qui sait regarder à travers les tiges qui soutiennent le vase.
L'épreuve me paraît tellement loin désormais, le poids qui pèse sur mes épaules ne cesse de me pousser vers le sol, comme s'il voulait détruire le toit et me faire tomber, mais cela ne semble avoir aucune importance face à toute cette magie. Je murmure des mots dans la langue sylvaine connue des seuls druides, ces litanies semblables à des prières sont des odes à la nature et à Yuimen : la reconnaissance subtile de la vie des plantes. Mon corps semble s'ouvrir à cette nature, relâchant mes fluides pour que Lirelan s'en serve sans s'épuiser. Les arbres qui m'entourent et m'obéissent maintiennent avec délicatesse le fin bol de verre qu'ils pourraient briser si je leur en intimais l'ordre.
(Garde ton esprit ouvert, l'épreuve n'est pas finie.)
Mon ouïe confirme les dires de ma faera, l'eau n'a cessé de tomber, au contraire d'ailleurs. Moura semble déchaîner la puissance de ses flots, rendant instable le bol, mais les plantes plient et s'adaptent à une vitesse surnaturelle, pas une goutte entrée dans le réceptacle n'en sort. Suivant les mouvements des végétaux, j'oscille, me laissant faire et portant ma part, autant que les plantes. C'est ainsi que devrait agir les chefs pour être respectés par leurs sous-fifre: ils devraient eux aussi participer et prendre part au travail du groupe.
Mais toutes ces considérations ne sont rien face à ce que mon esprit consent à percevoir : le magie druidique, à l'état pure. D'une beauté et d'une vie dépassant toutes les autres magies réunies, la magie des plantes se révèle à moi dans toute sa splendeur et dans toutes ces possibilités. Comme un érudit mettant la main sur un livre qu'il a longtemps cherché alors qu'il était dans sa bibliothèque, mon coeur saute d'une joie sans nom, j'ai l'impression d'avoir enfin trouvé ce que mon âme, mon coeur et mon corps cherchaient depuis toutes ces années, d'avoir trouvé enfin la cause de mes souffrances, de mes joies, de mes peines, de mes plus grandes peurs et de mes plus grands espoirs. J'ai l'impression de feuilleter un livre interdit et d'être envahi d'un savoir trop longtemps caché aux mortels.
(Non!)
Brusque rupture et retour brutal à la réalité...
(Pourquoi? Je veux voir, je veux savoir, je veux encore apprendre!) (Il n'est pas temps, Gardienne! L'heure n'est pas venu Lothindil!) (Yuimen? Pourquoi donc...) (Tu comprendras un jour... Tu n'aurais jamais dû voir ça!) (Lirelan... J'ai ouvert mon esprit...) (Tu as été trop loin...) (J'ai vu...) (Et tu n'aurais pas dû!)
La nuit est désormais d'obsidienne autour de moi, les couleurs ont disparu. Tout est calme désormais, seules les plantes sont toujours autour de moi, nettement plus distantes que je ne le pensais. La chose la plus surprenante de toute est le bol de verre froid et lourd qui se rappelle d'un coup à moi, me propulsant contre la coupole. J'ai relâché la pression sur les plantes et elles ne portent presque plus mon fardeau. J'ignore combien de temps s'est déroulé depuis le début de l'épreuve, mais ma force commence à décliner et plus aucune magie en moi ne peut la réanimer. Essayant d'entrer en contact avec le plus de plantes possibles, j'ôte mes chaussures pour que la peau de mes pieds puissent frôler les feuilles et convainc les plantes de m'aider dans ma charge, de porter avec moi le fardeau qui m'a été confié et qui risque de m'étouffer si son poids augmente encore. Quelques tiges réagissent à mon appel, mais l'essentiel du verre est maintenu par le tissu végétal qui m'entoure.
(La pluie a cessée, Lothi!)
L'esprit plus clair qu'auparavant, je souris en songeant à Lirelan qui doit observer la nuit, peut-être perchée sur la masse qui menace de m'écrabouiller. J'imagine alors un ciel dégagé avec Sithi qui brille sur le monde accompagnée de ses étoiles. Cette idée seule semble avoir sur moi autant d'effet que ma régénération. Je concentre alors mes forces sur ma tâche et tente de me relever, me montrant plus persuasive et encourageante pour les plantes tout autour de moi. Les arbres semblent réagir à mon appel avec plus de conviction et petit à petit, ce qui n'était devenu qu'un lot presque fané avec ma chute brutale reprennent de l'écorce du chêne, pour ne pas dire du poil de la bête et viennent former tout autour de moi un bois dense de multiples troncs d'arbres. Je teste leur résistance en relâchant peu à peu moi-même la pression sur le bol. Ca semble vouloir tenir et j'éclate alors de rire et de bonheur, conseillant aux plantes à se servir dans le bol pour s'abreuver.
Je me faufile tel un serpent entre les fûts jusqu'au bord du toit. Utilisant les tiges montantes, je descends prestement, bien qu'un peu roidement. J'ai achevé l'épreuve et l'épuisement est là et bien là. J'ai intimement hâte que Moura confirme ma réussite pour pouvoir me jeter sur la table de nourriture toujours dressée et pleine à mon intention.
"J'ai transmis la tâche aux plantes, elles sont plus solides que moi. Je ne suis pas Yuimen, même si j'ai pu tenir l'eau du ciel que vous m'avez envoyé cette nuit."
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Je suis aussi GM14, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha
Dernière édition par Lothindil le Dim 13 Déc 2009 15:22, édité 1 fois.
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