Les fervents disciples attroupés autours de moi semblent horrifié par mes paroles. La colère, la haine, se lisent sur leurs traits. L’animosité qu’ils me vouent à présent ne laisse guère de place à l’espoir d’une collaboration. Ce ressentiment se traduit par de bref mouvement en avant, la tension monte, prête à être coupé au couteau. Les regards pétillent d’irritation, jettent dans ma direction des éclairs. Je deviens nerveux, recule de quelques pas. J’ai peur, je suis son jouet, balloté par des courants puissants qui me laisse chancelant. J’ai envie de fuir mais un autre sentiment nait dans ce maelstrom d’émotions… Peut-être est-ce l’obstination, le courage stupide mais je sens mes mains prêtes à faire jaillir le feu de mes entrailles, prêtes à faire couler la rivière pourpre qui coule en tout un chacun.
Le fluide d’obscurité est comme doté d’une volonté propre, il semble sentir mon état de détresse et afflue avec fureur dans mes veines. Je le sens m’emplir de sa puissance, il irrigue chaque partie de mon corps, me donne la force de vivre, de survivre. Un sourire sauvage se dessine aux commissures de mes lèvres tandis que la peur s’efface au profit d’une velléité combative, d’un besoin de me soulager, de prendre à ces déchets le don si précieux qu'est la vie, d’offrir leurs âmes à Phaïtos…
Je ne suis plus que le réceptacle d’un pouvoir qui me dépasse, d’un don légué par le dieu sombre… Mes mains crépitent et mes yeux, injectés de sang, observent mes opposants. Je sens leur désir de se battre, mon fluide le sent… Il veut lui aussi se mesurer à eux, il commence à me dominer et le peu de pensées cohérentes s’efface, succédées par une envie de mort intransigeante…
« Venez mes agne… »
Je me trouve alors happé par une vision, tout devient flou et je sens mon corps se raidir avant de perdre conscience de ce qui m’entoure… Mon âme s’extirpe de mon corps, volatile et légère. Je contemple la scène dénué de sens, ne me sens plus en prise avec le fluide d’obscurité.
(J’étais prêt à me battre, à mourir… Ce foutu état d’émotif va finir par me conduire à une mort certaine… Il va falloir que j’essaie d’en trouver un qui soit comme moi, qui puisse me guider véritablement tout comme Nescia avait commencé à faire.)
Je me sens comme attiré et commence de voler à travers la pièce, traversant les corps et les murs sans peine. Je m’enfonce alors sous terre, puis toujours guidé par cet instinct, crapahute à travers ce qui m’évoque les catacombes. Je ne connais pas la fatigue et file à toute vitesse avant d’arriver dans une immense salle souterraine… y est installée celle qui semble mener la Rose Solitaire. Elle prie, ne bouge pas, murée dans un silence sépulcral.
Je reviens alors subitement à moi, suis pris d’un frisson qui remonte mon échine avant de regarder les disciples éparpillés devant moi. Je ne suis plus sous l’emprise du fluid d’ombre, pour l’heure en tout cas… et en profite donc, encore sous le choc de cette vision. J'essaie un dernier coup de bluff mais ne nourrit guère d'espoir quant à sa réussite...
« Valshabarath m’a envoyé une vision… Je sais maintenant où aller. Le monstre que je pourchasse se trouve dans les catacombes. Qu’importe que vous pensiez que je mente, je sais ma foi véritable, je sais être celui qui va contenter Thimoros. Lui saura. Il saura que vous avez refusé de m’aider, il saura que je fais tout pour satisfaire ses innombrables désirs. » je détourne alors ma tête et contemple Thimoros, essayant d’adopter un ton pieu « Ainsi tu fais de-moi ta main noire, celle qui agira sur ce monde en ton nom… Qu’il en soit ainsi, que ton nom soit loué pour l’éternité, dieu des dieux. »
J’adresse alors un bref regard à Asad et lui fais comprendre de me suivre. Je sais qu’il n’y a plus rien à tirer ici, cet imbécile de disciple appelé Azrouile, un truc du genre, les a rendus trop méfiant et j’ai déjà de la chance de m’en sortir vivant.
(Je ne pouvais évoquer la relique, trop de chance qu’ils s’en emparent, parler comme à Hécate de la souffrance… bien sûr, à la limite ils auraient été capable de retrouver ce dégénéré et de louer son inventivité, ne me restait que le coup de bluff qui n’a guère marché… Tant pis, cette idée était stupide mais j’ai au-moins essayé.)
Je me dirige alors d’un pas lent et confiant vers la sortie, le regard droit, digne.
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Merci à Inès pour cette magnifique signature !
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