Le temple de Thimoros n'avait qu'une seule fenêtre, de sorte qu'il était incroyablement sombre, même de jour. De nuit, il ne fallait compter que sur quelques bougies autour de la statue de l'homme à queue et à pinces de scorpion. Le dieu de la destruction avait des goûts très particuliers quand à l'apparence qu'il fallait lui donner.
La statue était éclairée par quatre longs cierges, ainsi que l'homme en soutane qui se tenait devant et qui semblait en pleine vénération de son dieu. Pour le reste de la salle, Azra distinguait vaguement des bancs de part et d'autre de l'endroit où il se tenait, mais rien de plus. Autour de lui, tout se perdait dans l'ombre, il ne voyait même pas les murs. Un frisson courut le long de l'échine du jeune homme. C'était comme s'il était entré dans un monde parallèle, un lieu de ténèbres infinies avec, perdu au milieu de ce néant, la statue et son adorateur.
Il se racla poliment la gorge, ce qu'il regretta aussitôt car le son résonna longuement dans le temple.
L'homme se releva et se tourna lentement vers lui. Son visage était invisible mais Azra sentait parfaitement des yeux brûlants de colère braqués sur lui.
"Comment osez-vous interrompre notre office ?"Ce n'était pas l'homme qui avait parlé. Azra regarda autour de lui et vit des formes bouger dans l'ombre. Il comprit avec horreur qu'il avait débarqué en pleine cérémonie. Un nombre indéterminé d'adeptes de Thimoros se trouvaient dans le temple. Il n'y avait pas beaucoup de serviteurs du dieu scorpion à Kendra Kâr, mais sûrement largement assez pour lui faire passer un sale quart d'heure !
Un homme aux tempes grisonnantes qui arborait le même air halluciné que Parcos, mais dans une variante nettement plus intelligente, approcha.
"Vous paierez pour cet affront !" déclama-t-il d'un ton théâtrale.
Azra retint de justesse un commentaire sarcastique. Ce n'était sans doute pas le moment.
(Vraiment, excellente idée que de venir ici, hein, Chandakar ?)Il ajouta d'une voix ferme :
"Pardonnez-moi d'avoir interrompu votre culte, je sais moi-même que c'est agaçant dans cette ville de mécréants ! Je suis au service de Phaïtos et je venais requérir votre aide pour une importante mission au service de mon dieu."L'homme, qui devait être un fanatique de Thimoros, se tourna vers le prêtre en soutane. Celui-ci fit un vague geste de la main, Azra se souvint avoir entendu dire qu'il était muet. Le fanatique hocha la tête.
"Il dit que nos ordres sont amis, mais que nul n'interrompe nos célébrations impunément. Tu devras prouver que tu es digne de notre aide !"Cette fois-ci, Azra ne put se retenir :
"Il a dit tout ça en un seul geste ? Impressionnant..."L'homme sourit.
"Tu riras moins en sachant que tu dois maintenant sacrifier un morceau de ton corps sur l'autel du grand Thimoros, le Guerrier !"Azra ouvrit des yeux ronds.
(De mieux en mieux ! Chandakar, si tu as une autre idée pour me sortir de là, c'est le moment ou jamais !)(Hé oh ! Tu ne voudrais pas que je te prépare un gigot au fines herbes, aussi, pendant qu'on y est ?)Azra ressentit un léger vertige tant il était stupéfait. Ce genre de commentaire ne ressemblait pas à son hôte. Décidément, ce fichu mort-vivant était complètement cinglé !
Il décida donc de réfléchir par lui-même tandis que les premiers hommes vêtus de noir s'approchaient de lui. Voyons voir, qu'est-ce qui pourrait calmer des fanatiques de Thimoros ? Ah oui...
"J'ai une autre idée : Que l'un d'entre vous vienne m'affronter en duel. Le combat n'est-il pas une forme d'hommage au Ravageur ?"L'homme aux tempes grisonnantes hésita et se tourna vers le prêtre qui eut un hochement de tête.
"Très bien, accepta le fanatique, tu affronteras ma disciple. Mais si tu perds le combat, tu devras quand même procéder au sacrifice !"Le jeune fanatique de Phaïtos ouvrit des yeux rond devant l'horreur de la situation. C'était abominable, il était fini.
SA disciple ?
Il allait devoir combattre une fille.
Azra, qui se considérait lui-même comme incroyablement laid, n'en demeurait pas moins un adolescent timide et très sensible aux charmes féminins. Il se tenait toujours à distance des jolies filles, convaincu qu'il rougirait et se ridiculiserait en leur présence. En fait, il n'y avait pas vraiment de raison à sa peur. Tout ce qu'il savait, c'était que les filles étaient des créatures merveilleuses qui lui ramollissaient le cerveau par leur seul présence.
Et la superbe créature qui s'avançait d'une démarche féline vers lui avait immanquablement tout ce qu'il fallait pour le perturber.
Après un court combat contre son subconscient qui essayait de lui expliquer qu'il devait gonfler le torse, rouler des muscles, hurler à la lune et taper des poings sur sa poitrine, il tenta d'analyser son adversaire.
Elle devait avoir le même age que lui, était grande et gracieuse et avait des cheveux noirs assez courts. Qu'est-ce qu'une fille comme ça faisait dans un tel culte de dépravés ? Il n'aurait dû y trouver que des gens comme lui ! Puis il remarqua avec un certain dégout que de fines cicatrices parcouraient son visage pour en souligner les traits. Écœuré par la folie d'un tel geste de scarification, il se reprit et se prépara à se battre. La fille ricana :
"Mon nom est Aléria. Prépare-toi à subir la colère du puissant Thimoros à travers mes mains !"Quand il se sentait miné moralement, par exemple en cas de danger mortel ou en présence d'une jolie fille, Azra avait le besoin maladif de faire des sarcasmes, il répondit donc :
"Je vois que vous tenez plus de votre maître que de votre prêtre..."Elle poussa un cri de rage et se jeta sur lui pour lui porter un coup dans l'estomac. Il évita l'attaque et riposta par un revers un peu maladroit qui l'atteignit à l'épaule. Comme il avait du mal à se convaincre qu'il était possible de frapper une fille, le coup était si léger qui n'occasionnerait probablement pas plus qu'un léger bleu.
En revanche, la furie se jeta contre lui et lui donna un coups d'épaule contre le torse. Il bascula à terre, roula et tenta de se relever. Un coup de pied dans l'estomac l'envoya malheureusement rouler plus loin.
Il parvint néanmoins à se relever en titubant.
"Tu vas souffrir !" hurla Aléria, hystérique.
"Mais pas trop, j'espère... ?" souffla-t-il.
Elle s'approcha, menaçante.
"Non, je veux dire... je sais que j'ai une sale tête et que toutes les filles rêvent de m'arranger le portrait, mais il faut aussi que tu apprennes à contrôler tes pulsions..."Avec un cri de rage, elle tenta d'abattre ses poings sur son visage, mais elle était si en colère qu'il évita le coup sans peine en plongeant vers l'avant. Il contint un sourire, il avait trouvé une stratégie efficace ! Tandis qu'il passait sous sa garde, il trouva assez de maîtrise de lui pour lui envoyer un coup de poing dans le ventre. Elle recula avec un gémissement, bien que là encore, le coup n'ai pas été aussi fort qu'il aurait pu.
"Tu vois, ça te fait faire trop d'erreurs..." appuya-t-il.
Avec une fureur redoublé, elle se tourna vers lui et tendit les mains sur lesquels des ombres se mirent à courir. Il se jeta a terre, juste à ses pieds, juste à temps pour éviter le souffle de Thimoros. Il saisit les pieds de la jeune fille et la fit basculer à terre. Elle se tortilla comme une anguille et il ne pu profiter de son avantage, au contraire, il reçut un coup de talon au menton.
"Meure !" gronda-t-elle en se relevant.
"Désolé, je crois que Phaïtos a encore besoin de moi.""Regarde toi ! Tu n'es qu'un minable petit avorton ! Je sers le Ravageur et il me donne une force incroyable !"Azra éclata d'un rire désabusé. Encore quelqu'un qui rêvait de pouvoir... Quelle bêtise !
"Qu'importe ta force, aussi grande soit-elle, Phaïtos te rattrapera toujours...""Mon dieu exalte la vie dans ce qu'elle a de plus sauvage, de plus violent, de plus vivifiant !""Qu'importe ta vie, aussi intense soit-elle, Phaïtos te rattrapera toujours.""Ton dieu n'est rien sans le mien, lui, il n'attend pas les bras croisé que les cadavres lui tombent dessus !""Qu'importe tout cela, la mort a toujours été et sera toujours là, Phaïtos te rattrapera."Elle poussa un hurlement de rage et fondit sur lui. Il leva les bras et son propre sortilège du souffle de Thimoros jaillit pour l'envoyer rouler au loin. Le silence tomba dans le temple tandis que le maître relevait sa disciple sonnée.
"Très bien, grogna-t-il,
nous t'aideront."Aléria tituba un peu et lança un regard assassin qui fit rougir Azra.
Le prêtre fit un geste.
"Si tu nous disais ce que tu veux, traduisit le fanatique,
qu'on en finisse ?""Hum, il faut que j'amène cet homme au temple de Phaïtos."répondit Azra en envoyant un coup de poing au magicien qui recommençait à bouger. Il retomba aussitôt, assommé.
« C'est tout ? »« Ben, ce n'est pas moi qui ai fait tout un cirque de cette affaire... »Le fanatique se pinça les lèvres, puis déclara :
« Nous allons d'abord terminer nos prières. »Azra dû donc patienter, sans autre occupation que de réassommer régulièrement le mage. C'était embêtant : pour une fois qu'il trouvait quelqu'un qui connaissait la magie noire, leur relation commençait bien mal. Une fois libéré par le temple de Phaïtos, il risquait de l'incinérer à vu !
Finalement, deux cultistes se proposèrent d'emmener le mage. Aléria en faisait parti, à la grande déconvenue du garçon, mais visiblement, le temple n'avait pas beaucoup de fanatiques pour l'aider...
« Nous allons passer par les catacombes ? »demanda-t-il.
« Ne soit pas ridicule, marmonna Aléria, hautaine.
Les catacombes sont reliées directement aux égouts. Elle sont devenu impraticables, un genre de malédiction apparemment, c'est moins dangereux de passer par les rues ! »(Encore une histoire de malédiction ! Bon sang, celle-là je laisserais le monde s'en débrouiller !)Ils prirent donc le chemin du temple de Phaïtos par les rues.
Incompréhension