<De la champigneraie>Svengar avançait bille en tête, serrant son bouclier contre lui. Les jointures de sa main gauche étaient blanche tant il s’y agrippait. Il était heureux comme jamais il n’avait été. Il sentait, à chaque pas qui l’éloignait de chez lui, qu’il s’éloignait aussi de la petite routine dans laquelle il se complaisait depuis son arrivé. Et cela lui ôtait un poids énorme sur les épaules, poids dont il n’avait pas conscience car il s’était accumulé peu à peu.
Il avait l’impression de respirer plus librement et lorsqu’il regardait les bâtiments, qu’il connaissait par cœur à force, il avait l’impression de les redécouvrir. Soudain, alors qu’il tournait la tête de droite et de gauche pour capter un maximum de détails nouveaux, il entraperçut, au fond d’une ruelle, deux ombres bleues, penchées sur ce qui semblait être un corps, inerte.
Il s’arrêta net, le temps lui-même sembla se figer alors que la flamme naquit d’elle-même dans son esprit. Tout son être était désormais concentré sur ces deux ombres azurées. Plus rien n’avait d’importance autour de lui. Il plissa les yeux et vit une matraque dans la main d’une des deux ombres vêtues de bleu. Son sang ne fit qu’un tour, c’était bien un enlèvement ou pire. Il dégaina sa hache et fonça vers le duo bleuté. Au même instant, l’un d’eux tourna la tête, fixant sur lui les deux trous noirs de sa cagoule où disparaissaient ces yeux. Ce regard transperça Svengar de part en part et il sentit monter en lui la peur. Mais il raffermit son cœur en alimentant la flamme de sa peur comme on lui avait apprit à Metrar et continua sa charge.
Aussi tôt le matin, il n’y avait pas grand monde dans la rue qu’il quittait pour s’engouffrer dans la ruelle. Le peu de charretiers et de matrones pressées qui passaient ne firent pas attention à un Nain entrant, au pas de charge et la hache à la main, dans le dédale entre les habitations.
Pendant sa course, Svengar étudia rapidement son environnement. Il remarqua tout d’abord que la ruelle se terminait par une palissade de bois, quelques mètres derrière ces cibles. Il n’y avait pas de croisement entre lui et eux, ce qui voulait dire qu’ils étaient pris au piège. Stratégiquement, c’était déjà un bon point même si des rats acculés combattaient toujours avec plus de hargne. Il y avait également un petit entassement de caisse et de détritus divers au niveau de la palissade ainsi qu’à mi-parcours. Partout, la ruelle était bordée de maisons accolées de trois ou quatre étages, la plongeant dans une pénombre dont Svengar n’avait cure. Mais cette obscurité pouvait, si non handicaper, mais au moins gêner la perception des humains devant lui.
Du moins supposait-il que c’était des humains. Ils n’étaient pas bien grand, plus que lui certes, ce n’était pas dur, mais pas assez pour être des elfes. Kendrâ Kar était, de plus, suffisamment sûre pour que des orcs n’y entrent point et, de toutes façons, aucun orc ne s’affublerait de costume bleu. C’est ces vêtements qui intriguaient le plus Svengar. Inquiétaient même. Ils étaient tous deux vêtus d’un pantalon et d’une tunique à manche longue de couleur bleue. Leur visage était totalement masqué d’une cagoule de même couleur et il portait même des bottes et des gants bleus ! Qui donc pouvait se permettre de porter des habits aussi distinctifs et perpétrer un crime sans vraiment se dissimuler ?!?
Svengar mit de côté ces réflexions pour se concentrer sur ces cibles. Il se représenta le lieu du combat à venir et les situations possibles puis en dégagea rapidement ce qu’il lui semblait le plus probable.
(Impossible qu’il m’échappe, la ruelle n’est pas large, je n’ai qu’une soixantaine de mètres encore à parcourir. Je peux me débrouiller pour n’en combattre qu’un à la fois. Au pire, je recule en leur faisant croire que j’ai le désavantage pour arriver au niveau des caisses et là, ce sera du un contre un et je les découpe.)Svengar réfléchissait à toute vitesse sur le meilleur moyen de les découper en rondelles. Au fond de la ruelle, c’était le bran le bas, les deux personnes s’activèrent pour soulever le corps et se dirigèrent vers la palissade.
(Mais qu’est ce que ???)« Arrêtez !!! » Hurla-t-il !
Les ravisseurs ne lui prêtèrent pas attention et commencèrent à franchir la palissade en grimpant prestement sur les caisses.
Il ne restait plus qu’une trentaine de mètres à parcourir, un des hommes en bleu était déjà de l’autre côté attendant que le second lui passe le corps. Alors qu’ils étaient à leur transfert, Svengar arma, puis lança sa hache de toutes ces forces vers le haut, espérant qu’avec un tir en cloche, il réussirait à atteindre celui qui était encore visible.
L’arme siffla en tournoyant, décrivant une parabole dans la ruelle. L’homme sur la caisse se retourna. Il n’eut le temps que d’émettre un cri, étouffé par sa cagoule bleue, en voyant l’éclair d’acier fondre sur lui. La hache atteignit la caisse en dessous de lui. Celle-ci se brisa sous le poids de l’homme et il chuta lourdement parmi les débris de bois.
(OUUUUUUI ! Ce n’est pas vraiment la caisse que je visais mais le résultat est là. Maintenant, je vais te montrer comment on se sert d’un bouclier !!!)Svengar exultait intérieurement, il s’imaginait déjà ramenant l’individu à la milice puis demander à s’enrôler. Mais alors qu’il se voyait déjà milicien, l’homme se releva, les vêtements plein de copeaux et d’échardes, et bondit vers la palissade. S’y accrochant des deux mains, il réussit à s’y hisser et la franchit dans la foulée.
(SANG ET CENDRES, NON !!!)Il parcourut les derniers mètres emplis de fureur. Il fouilla frénétiquement dans les débris de la caisse et trouva rapidement sa hache. Il considéra alors la palissade, haute de deux mètres trente au moins. Pour un humain, c’était déjà malaisé de la franchir, mais pour un nain, c’était impossible. Une idée lui vint cependant, et il sourit méchamment en regardant les planches de bois.
Passant son bouclier dans le dos, il se saisit de sa hache avec ces deux mains et frappa violemment les planches. Le premier coup entailla sérieusement le bois au niveau de sa tête. Il visa ensuite au niveau de ses genoux pour le deuxième coup qui eut le même résultat. Le troisième coup, porté entre les deux entailles, fit voler trois planches en morceaux dans un éclaboussement de sciures et de copeaux grossiers.
(J’ai horreeeeeeeeur des planches !)Il se faufila par l’ouverture béante pour trouver une ruelle vide. Il courut sur une vingtaine de mètres jusqu’au premier embranchement et scruta avec empressement les autres allées de gauche et de droite. Personne. Trop tard.
(PAR LA BARBE DE KUBI !!! Comment font-ils pour se déplacer si vite avec un corps inerte à transporter ! Grmblbl…D’un autre côté, si j’avais passé moins de temps à faire la fête et plus de temps à m’entrainer je…)« MRAAAAAAH » Cria-t-il de dépit !
La fureur et la déception inondaient encore ses veines, le rendant bouillonnant. Il trépignait sur place. Il regarda furieusement par terre à la recherche d’éventuelle trace mais il n’avait rien d’un pisteur et ce qu’il voyait dans la terre humide du sol n’était qu’un charivari de traces anonymes. Il respira profondément, plusieurs fois d’affilées, afin de diluer le flot d’adrénaline qui le rendait électrique. Au bout de quelques dizaines de secondes, il réussit à reprendre son empire sur lui-même. Il pouvait de nouveau réfléchir calmement.
(Bon, notes de moi à moi. Acheter une seconde arme, j’aurais l’air malin la prochaine fois que je lance ma hache. Ou pire si je me fais désarmer. Voir une troisième, on n’est jamais trop prudent !
Et puis ce jet était minable, Kubi m’en soit témoin que j’ai eu mon quota de chance du débutant pour aujourd’hui ! Je dois m’entraîner au jet. Cela peut servir. Et puis savoir lire les traces me serait utile si je compte voyager ou même mener la moindre enquête pour le compte de la milice. Grmblbl…toutes ces années passées à me prélasser tranquillement ici, à travailler et à vivre trop simplement alors que j’aurais pu tant apprendre.)Svengar se rendait peu à peu compte qu’il ne savait pas faire grand chose, à part manier sa hache. Un voyage tel que son père avait accomplit nécessitait au moins de savoir chasser pour subvenir à ses besoins les plus élémentaires, savoir se repérer pour ne pas se perdre. Il ne savait rien faire de tout cela, et ces rêves commençaient à vaciller lorsqu’une idée jaillit soudain dans son esprit.
(D’un autre côté, je peux emmener des provisions dans un sac, m’acheter une boussole, du papier et de quoi écrire. J’apprendrais le reste sur le tas…Tiens, je suis sur qu’il y a des tas d’ouvrages qui traitent de tout à la bibliothèque, je vais y passer une semaine pour avoir au moins une vague idée de ce que je pourrais faire.)Svengar rumina encore quelques instants ces quelques pensées puis retourna sur ces pas et repassa par la palissade éventrée.
(Bon, je dois réunir quelques preuves à montrer aux miliciens, voyons s’il y a des traces suffisamment énormes pour que je puisse les entrevoir.)Il fouilla dans les débris de la caisse et aperçut un petit quelque chose de brillant dans l’interstice entre deux restes de planches. Intrigué, il dégagea l’amas de bois pourri et de lattes brisées pour découvrir un pendentif. Il était en argent bleuté, un ‘V’ et un ‘A’ superposés pour former une sorte d’étoile à quatre branches. En son centre était gravé un bouclier avec un éclair en arme.
(Un pendentif de Valyus ! Foudre et Tonnerre, qui était-ce donc que ces hommes?)Il tenait dans la paume de Svengar et une lueur bleutée semblait en émaner. La cordelette était encore intacte aussi il décida de le garder et le passa autour du coup. Il fouilla encore les débris de la caisse mais, hormis quelques filaments bleus, ne trouva rien d’autres. Il récolta ces quelques filaments puis s’approcha alors de l’endroit où était étendu le corps. Un vieux chapeau trainait à terre, ainsi qu’une veste déchiquetée. Il la souleva distraitement du bout de sa hache, jaugeant la déchirure au niveau du dos pour imaginer la violence qui s’était déchainée ici. Alors qu’elle pendouillait, un objet en tomba, émettant un petit cliquetis en touchant le sol. Une bourse de cuir. Svengar la ramassa, l’ouvrit et découvrit une grosse poignée de Yus.
(Ouaaaaa ! Il doit bien y en avoir un peu moins d’une centaine là-dedans !)Il regardait avec intérêt tout cet argent. Cela représentait plus que ce qu’il avait gagné jusque là en travaillant honnêtement.
(Nan, ce n’est pas bien, ces Yus appartiennent à ce malheureux…)Il rumina quelques instants et s’arrangea rapidement avec sa morale.
(D’un autre côté, ça ne lui servira à rien, où qu’il soit. Alors qu’à moi…)Les yeux brillants, il transformait déjà cette poignée de Yus en équipement, en bière et autre. Il fourra la bourse de cuir dans une de ces poches, s’étant mis d’accord avec lui-même. Il ramassa le chapeau et la veste puis se redressa et se dirigea vers la rue, non sans remettre sa hache au dos et son bouclier au côté.
Il constata qu’il y avait à peine plus de monde que lorsqu’il était entré en trombe dans l’allée, mais pas un ne prêtait attention à un nain, tout en arme qu’il était.
Tapotant la poche qui contenait la bourse de Yus, il prit le chemin du Quartier Général de la milice d’un pas plus véloce que d’auparavant.
(Grmblbl, je me demande, quand même, qui était ces hommes et qu’est ce qu’ils voulaient à ce malheureux. J’espère tout de même qu’il n’est pas mort.)<Vers la milice>