Rosie regarda le Liykor sombrer dans un sommeil profond tandis que la patte qu’il venait de poser sur elle glissait doucement pour le rejoindre sur le sol. Elle se perdit un instant dans la contemplation de l’homme-loup, surprise de voir pour la première fois ses traits aussi détendus. Cela lui donnait un air plus tendre et beaucoup moins stoïque qu’à l’habitude. La jeune fille détacha doucement ses yeux du milicien endormi pour constater que le médecin avait réclamé de l’aide. Apparemment, ils avaient l’intention de transporter Larc ailleurs, ce qui était tout à fait normal. Il était peu recommandable de laisser choir là un Liykor blessé susceptible de faire peur aux passants. Ils se mirent à plusieurs pour le soulever. Rosie surveilla leurs manœuvres d’un œil attentif, s’inquiétant du bien-être de l’homme loup.
(
Où est-ce qu’ils l’emmènent? )
Comme si elle avait entendu les pensées de la jeune fille, une elfe blanche s’approcha d’elle avec un sourire qui se voulait des plus rassurants et lui tapota doucement l’épaule.
« Ne t’inquiète pas pour lui, on ne fait que le transporter dans un lieu un peu plus confortable. On s’occupe de lui.»
La semi-elfe ne répondit pas, se contentant de regarder les hommes qui s’affairaient autour de Larc. Elle était triste de le voir dans cet état, lui qui avait tant de fierté. Il aurait détesté apprendre qu’on l’ait transporté ainsi. La jeune fille détourna les yeux de Larc pour les plonger dans ceux de l’elfe au teint clair.
«
Et c’est où ce lieu un peu plus confortable? »
Non pas qu’elle ne faisait pas confiance aux miliciens, elle ne doutait pas de leurs capacités, mais elle voulait savoir. Même s’il n’y avait rien à craindre, elle aimait se sentir rassurée.
« On l’emmène à peu près au même endroit que toi.»
Rosie fronça légèrement les sourcils. Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait aller là.
«
M..Moi ? »
« Il faut s’occuper de toi maintenant. Regarde l’état de ta jambe. C’est surprenant que tu tiennes encore debout!»
Rosie baissa les yeux pour constater qu’effectivement sa jambe gauche était dans un sale état. Son mollet tremblant était complètement rouge, taché par le sang qui s’écoulait de ses nombreuses coupures faites à son genou, ainsi qu’à sa cuisse. Les gobelins avaient pris un malin plaisir à la taillader.
«Aller viens.»
L’elfe l’entraîna dans un long corridor puis dans une chambre. Rosie retira ses bottes ainsi que sa cape et ses armes à la demande de la guérisseuse question de lui faciliter la tâche. Elle la laissa examiner et nettoyer ses plaies. De toute façon que pouvait-elle faire d’autre?
Rosie ouvrit doucement les yeux. L’obscurité régnait dans la pièce à un tel point que la jeune fille n’en voyait même pas le bout de son nez. Elle était étendue sur le sol dur et poussiéreux, joue contre terre. Elle aurait voulu se lever, mais son corps ne lui obéissait plus et demeurait immobile. Un liquide chaud émanait de son front et traversait son visage en de minces filets.
(
Du sang… mon sang.)
Encore une fois, elle tenta de se redresser mais ses muscles ne répondaient toujours pas. C’est alors que des cris retentirent à l’extérieur. Du même coup, un des murs de la pièce se tapissa de flammes éclatantes en moins de temps qu’il ne le fallut pour le dire. Malgré la panique qui consumait son corps, Rosie ne parvint toujours pas à bouger. C’est alors qu’une ombre apparut dans l’entrebâillement de la porte. Un elfe aux cheveux sombres entra précipitamment dans la pièce et s’empara du corps inerte de la jeune fille. Elle aurait voulu demander le nom de son sauveur mais aucun son ne traversait la frontière de ses lèvres. Le couloir qu’ils traversèrent était dévoré de toute part par le feu rugissant. Les murs menaçaient de s’écrouler à tout moment.
« Ne t’inquiète pas Rosie, je vais te sortir de la.»
La voix de l’homme était empreinte d’inquiétude, mais aussi de colère. Des larmes roulaient sur ses joues blanches. La jeune fille se sentit impuissante devant cette scène. Elle aurait voulu juste lui glisser une parole réconfortante. Le décor changea alors brusquement pour laisser place à une forêt de conifères. L’elfe aux cheveux noirs la tenait toujours contre lui, accroupi derrière des buissons et observait quelque chose. Enfin, Rosie parvint à bouger un tant soit peu. Elle réussi à tourner la tête pour voir ce que l’homme observait avec un regard aussi acide. Non loin de là, une chaumière brûlait sous les hurlements de monstres poilus, visiblement heureux du sort funeste de la maison. La semi-elfe tendit une main faible et agrippa le collet de l’elfe. Celui-ci sursauta et posa les yeux sur elle.
« Enfin tu reprends conscience.»
(
Quoi? Mais j’étais réveillée, j’étais là!)
Elle tenta de lui dire qu’elle n’avait jamais perdu connaissance mais elle ne parvint qu’à faire sortir des sons inintelligibles. Il l’a couva d’un regard tendre, la serra encore plus fort et lui dit d’une voix qui se voulait assurée :
« Ne t’inquiète pas. Papa te protège. »
«
Pa..papa ? »
À peine eut-elle le temps de laisser sortir ce mot que les ténèbres l’envahirent. Elle se sentit tomber dans un gouffre sombre, froid et éternellement profond.
Le cœur battant, Rosie ouvrit finalement les yeux, couverte de sueur froide. Jamais elle n’avait fait un rêve aussi réel. Elle essaya de se redresser sur ses coudes mais dès qu’elle tenta un seul mouvement, sa tête se mit à tourner horriblement. Elle se contenta alors de rester étendue un instant à contempler le plafond le temps que ça passe, réfléchissant à son rêve. Cet elfe qu’elle avait vu, elle savait désormais de qui il s’agissait. Elle en était sûre et c’est justement ça qui lui crevait le cœur. La jeune fille retint les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle ignorait ce qu’il était advenu de lui et il était impossible de le savoir sans ses souvenirs. Elle se sentait si impuissante face à son amnésie qui ne faisait que gruger jour après jour ses espoirs. L’adolescente ignorait comment faire pour retrouver sa précieuse mémoire. La vieille femme qu’elle avait rencontrée semblait effectivement en mesure de l’aider, mais la jeune fille ne lui faisait pas confiance. Qui sait quel pouvoir cette sorcière étrange pouvait bien posséder et quel mensonge pouvait-elle bien inventer?
L’apprentie milicienne serra les poings avec comme seul désir de frapper quelqu’un ou de mordre dans quelque chose, juste pour évacuer cette soudaine colère qui grandissait en elle. Cette frustration qui l’envahissait à chaque fois qu’elle réalisait qu’elle n’arrivait jamais à avancer dans sa quête de souvenirs. Pourquoi était-elle incapable d’entreprendre quelque chose? Pourquoi rejetait-elle toujours l’idée de sortir de la cité blanche pour partir trouver de l’aide ailleurs? Au fond d’elle, elle savait très bien que ce n’était pas dans Kendra Kâr qu’elle avait vécu et elle savait que ce n’est pas là qu’elle trouverait les réponses, malgré le fait qu’une vieille femme semble détenir la solution.
C’est alors qu’elle sentit naître une douleur nouvelle dans sa paume. Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle tenait quelque chose au creux de sa main et qu’elle était en train de s’entailler la peau en serrant cet objet avec autant de force. Entraîner par sa curiosité, elle s’assit péniblement dans le lit, la tête un peu moins lourde, tout en se frottant les yeux pour essayer d’y voir un peu plus clair. Autour d’elle, la chambre n’avait pas changé depuis qu’elle l’avait laissé juste avant de sombrer dans un sommeil profond. Les murs étaient toujours aussi blancs, ce qui s’avérait être aussi le cas pour tous les objets qui figuraient dans la pièce. Seules ses affaires, posées sur la table juste à côté du lit, donnaient un peu de couleur à l’endroit, en particulier la cape rouge qui flamboyait. Justement, Rosie sourit à la vue de cet héritage auquel elle tenait tant, puis posa doucement les yeux sur sa main qu’elle ouvrit lentement pour y découvrir une dent. Elle devait atteindre trois centimètres si ce n’était pas plus. Un mauvais pressentiment l’envahit soudainement lorsqu’elle devina le propriétaire de la molaire. Elle se leva aussi rapidement que son genou lui permettait, pour se diriger vers la sortie de la chambre. Elle devait en être sûr. Ses doigts eurent à peine le temps de toucher la poignée de la porte que celle-ci s’ouvrit. L’elfe qui se trouvait de l’autre côté dévisagea la jeune fille.
« Tu vas où comme ça ? »
Le ton qu’elle avait pris était direct et sévère. Rosie avala sa salive.
«
Je voulais juste voir Larc.- C’est inutile, il est parti. »
La semi-elfe continua de fixer la femme tout en serrant un peu plus fort la dent de Liykor, puis finit par baisser les yeux.
(
C’est bien ce que je croyais.)
La guérisseuse lui fit signe de regagner le lit, ce que Rosie fit sans broncher. Elle s’assit, laissant l’elfe examiner sa jambe, pendant qu’elle continuait de contempler l’impressionnante molaire posée dans le creux de sa main. Elle ne put empêcher un petit sourire en coin. Elle se sentait fière d’avoir combattu aux cotés d’un aussi grand guerrier. Son seul regret était qu’elle aurait voulu lui dire merci avant qu’il ne parte. Juste Merci.
(
Je suis sûr qu’on se reverra Larc et ce jour là, tu pourras être fier de ce que je serai devenu, un peu grâce à toi.)
« C’est presque guéri, les plaies commencent déjà à se refermer. Un simple bandage suffira. Juste pour éviter de rouvrir les blessures. »
Rosie hocha rêveusement la tête, elle continuait de fixer la molaire. C’est alors que son regard fut attiré par le pan de sa robe qu’elle avait déchiré dernièrement d’où un long fil pendait. La jeune fille le saisit et tira dessus en faisant bien attention pour ne pas arracher un autre bout de sa robe déjà assez amochée comme cela. D’une main elle tenait le long bout de ficelle improvisée et de l’autre la dent de Larc. Pendant que l’elfe lui bandait soigneusement la jambe, Rosie attacha solidement le présent du fil blanc puis se l’accrocha au cou. Là où il était, il serait en toute sécurité à condition que le fil tienne le coup.
« Et voilà! C’est fait. Tu peux partir maintenant, mais avant prends ça.»
La guérisseuse lui tendit une trousse de premier soin très rudimentaire mais ô combien pratique.
« Au cas où. C’est toujours utile.»
Rosie hocha la tête et pris le présent de bonne grâce.
«
Merci beaucoup. Merci pour tout. »
L’elfe blanche lui ébouriffa les cheveux et lui jeta un dernier sourire avant de quitter la pièce d’une démarche toujours aussi élégante. L’adolescente attendit qu’elle eut refermé la porte avant de ramasser ses affaires. Elle prit délicatement la cape rouge si précieuse à ses yeux et la posa sur ses épaules lentement. Elle s’assit sur le lit et sortit sa lanterne aux fées.
«
Vous êtes très jolies vous le savez ça ? »
Soudain son regard fut attiré par un bout de papier qui reposait sur le meuble. Étonnée, elle s’en saisit pour découvrir une écriture grossière et carrée.

Pendant qu’elle lisait ces mots, des larmes s’échappèrent de ses yeux lui brouillant la vue. Elle ne voulait pas pleurer. Elle n’était plus une petite fille, mais cette dernière marque laissée par Larc la touchait beaucoup. Elle sortit un deuxième bout de papier de ses poches, celui que Jakadi lui avait laissé avant de partir lui aussi. S’en était trop, la semi-elfe éclata en un sanglot silencieux. Elle se rendit compte qu’elle n’avait jamais pu dire au revoir à qui que ce soit. Ni ses parents, ni Jakadi, ni Larc. Même Vrank était parti si précipitamment qu’elle n’avait même pas eu le temps de poser un mot. Elle fourra les bouts de parchemin dans ses affaires et essuya ses yeux rougis.
(
C’est absurde de pleurer pour ça. Tu savais Rosie qu’ils partiraient tous un jour ou l’autre. Tu ne cessais de te le répéter. Alors pourquoi tu réagis comme ça hein ? )
De doux petits sons cristallins parvinrent alors à son oreille. La jeune fille sourit et s’empara de nouveau de la petite lanterne. Les fées chantaient d’une langue inconnue mais tellement agréable. Rosie les gratifia d’un sourire.
«
Oui c’est vrai que je vous ai encore. Je ne suis pas complètement seule.»
L’adolescente se releva et sortit de la pièce sans même jeter un dernier coup d’œil.