Quoi de plus agréable que de se délasser dans un bain chaud après quatre longues heures de cynore ?
- Divine Moura, sois bénie, marmonna Tehero Hone en se laissant glisser lentement dans l’eau.
Il se demanda si la déesse aimait les cornes de gazelle. Il était toujours un peu troublé lorsqu’il s’agissait des questions métaphysiques telles que les goûts culinaires des dieux, parce que s’il avait appris à prier et à mener sa vie dans la sagesse et la maîtrise de soi, jamais l’enseignement qu’il avait reçu ne s’était appesanti sur les préférences de la Déesse. D’ailleurs, il s’était toujours demandé, lorsqu’il vaquait au monastère de Kers, si les moines ne préparaient pas ces délicieuses pâtisseries plus pour leurs papilles à eux que pour celles de Gaïa. Après tout, les cornes de gazelle finissaient toujours par disparaître, et ce n’était certainement pas Elle qui descendait de son île volante pour venir les savourer. A moins que…
Mais à présent, là n’était plus la question : les prêtres mouraïques avaient accepté ces petits délices de miel et d’amandes que Hine-Nui Hone avait le don de préparer à la perfection, alors Hero n’allait pas s’en plaindre. C’était cette petite attention qui leur avait permis, à Wiz, Cobalt et lui-même, de prendre un peu de bon temps dans la source chaude du temple. Oranan, le hafiz n’y avait encore jamais mis les pieds, et ç’avait été un ravissement pour ses yeux que de contempler l’architecture si unique de la République d’Ynorie. La pagode qui renfermait le lieu de culte était établie au beau milieu du lac Nostyla, au lieu où la légende rapportait que Moura en personne était apparue, et les poutres rouges gardées par de multiples dragons de pierre abritaient une statue sans pareille. Sous un dais laqué de noir et doré à la feuille, la déesse, sculptée dans le bois le plus fin et revêtue d’un kimono de soie, vous observait avec bienveillance de ses yeux sertis de jade et d’obsidienne. Les bains, bénis par ces yeux-là, avaient aux dires des prêtres certains pouvoirs curateurs. Et Hero avait eu ni une ni deux envie de vérifier ces allégations.
Voilà donc comment une grande perche kendrane aux bouclettes et prunelles brunes, un bambin en tous points poupin et un colosse hafiz dreadé et tatoué s’étaient retrouvés sous les gueules de dragons, à se faire délicieusement assommer sous des trombes d’eau bienfaisantes. Quant à Qi-Zhuwen, elle s’était tout bonnement évaporée après avoir familièrement taillé une bavette avec le prêtre local – deux vieux amis, selon toute vraisemblance.
- Sempai ! Venez voir tous les deux !
Tehero avait entendu la voix de Cobalt de fort loin, car l’eau qui le recouvrait amortissait et déformait les sons du monde extérieur. Néanmoins il répondit aussitôt à l’appel et se jeta à la surface d’un bond. Il craignit un instant pour la sécurité du petit, mais Cobalt semblait juste tout excité à la vue d’un… couple de renards qui observaient les nageurs à peine à une lieue de là.
- Qu’est-ce qu'ils font là ? demanda Wiz avec sa rationalité habituelle.
- Je ne sais pas, c’est génial !
Tehero, quant à lui, était plutôt de l’avis de Cobalt. Il savourait le moment avec l’impression de vivre quelque chose de magique. L’instant fut comme suspendu dans le temps, plus rien ne bougeait, plus rien n’avait d’importance, et le hafiz se laissa envahir par une présence comme il n’en avait jamais eu la sensation. Il crut que le regard de l’une des créatures lui perçait l’âme et se laissa aller à son imagination, acceptant cette inspection sans opposer de résistance. Mais bien vite, les deux bêtes s’évanouirent dans les ombres du bosquet qui les abritait et le temps reprit son cours.
- Aïe ! Oh, désolé, j’étais encore en train de rêver, s’expliqua Tehero quand Wiz le secoua. C’était étrange, non ?
- Oh, des renards, c’est tout. Ne va pas t’imaginer des trucs fantasques, encore.
- J’ai trouvé ça fantastique, si, murmura Hero.
Tandis que ses deux compagnons retournaient à leur délassement, le hafiz s’accouda sur le rebord et se demanda ce qui venait de lui arriver, les yeux encore rivés sur les ombres du bosquet. Pendant ce temps-là, une vieille nonne de Khan aux pouvoirs métamorphes et un shaman misanthrope détalaient dans les bois vers un antre retiré où ils pourraient se faire un thé.
RP PUR - 721 MOTS