Je n’arrive pas à réfléchir à une solution et voit la momie qui s’approche inexorablement avant d’être arrêté par Asad, Gaël et Nibelung. Ils se jettent sur elle, entravent ses mouvements et la font s’immobiliser le temps d’un instant. Simplement le temps d’un instant… Un cri de rage explose, des pans du murs s’affaissent avec fracas, le sol lui-même est pris de tremblement, manquant de me faire perdre l’équilibre. Mes compagnons ne tiennent plus que des lambeaux de cuir, puis tout s’accélère avec fulgurance. La momie se jette sur moi, me laboure le torse. Des stries pourpres fleurissent un peu partout sur mon poitrail tandis qu’une douleur crue m’envahit. Cette souffrance qu’il partage avec moi me fait hurler à la mort. Mes yeux écarquillés contemplent cette abomination qui me prend pour cible. Elle hurle, elle aussi. Nos voix forment un chœur déchirant et fébrile, intense et profond. Celui de deux êtres liés par un destin vécu et à venir.
Mon esprit est alors agressé à son tour… Je sens… un intrus, un élément étranger qui ne devrait pas être là. L’effet est déstabilisant, comme si je n’étais plus seul dans ma tête… C’est à ce moment que je l’entends. Sa voix est apaisée quand il me… remercie de l’avoir tué, de l’avoir délivré, lui qui était devenu fou. Je recule de quelques pas, atterré par ce que j’entends. La momie continue de me coller, ses bras tendus vers moi dans un geste désespéré et implorant. L’énergie qui émane du bracelet, je la voie qui déchire, qui consume la peau, le corps tout entier de son maître. Ce feu vorace ne s’arrête pas, continue de sucer jusqu’à la dernière parcelle de force de son possesseur… Ce sont maintenant ses côtes qui cèdent… une première tombe rapidement suivi par la seconde… Tout son corps part en miette, se délabre à vue d’œil.
Il recommence à me parler, regrettant sa naïveté… Lui qui voulait le pouvoir avait connu le terrible prix à payer, un prix dépassant l’entendement… Et alors que je le contemple, je comprends… J’ai l’impression de me voir à travers lui… qui toute sa vie a cherché à devenir plus puissant… cette quête l’a conduit à la démence puis à la délivrance d’une mort, loin de ceux qu’il aimait jadis… loin de tout, dans une terre étrangère et hostile.
(Et je suis en train de suivre la même voie… d’arpenter la même lugubre destinée…)
Un bras se sépare de son corps et tombe dans un bruit sec. Le membre se rétracte comme momifiée… Il continue de s’exprimer dans mes pensées, se présentant sous le nom de Kahdan, un grand mage venu des confins des déserts de l’Est. Il évoque sa condition, lui qui n’était plus que l’ombre de lui-même, un monstre assujettit par sa propre avidité, sa propre soif de pouvoir… La quête du pouvoir selon lui est dénuée de sens et vaine, totalement absurde…
Sa colonne vertébrale elle-même finit par se briser, entraînant dans sa chute le reste du corps. Il me délivre une dernière fois sa sagesse, me demandant de prendre le bracelet, m’assurant que je serais en mesure d’en contrôler le pouvoir avec les autres reliques avant de me remercier.... Il me donne enfin des conseils mais je n’écoute plus. Je comprends que je me suis fourvoyé… je n’étais et ne suis pas prêt à supporter un tel fardeau… Ma vie est plus précieuse que cette quête insensée de pouvoir, je ne suis pas prêt à me perdre dans cette voie nébuleuse. Je sais qu’il va me falloir encore du temps, pour mûrir, apprendre à maîtriser mon état d’émotif et l’influence néfaste du fluide sombre.
(Oui, je ne suis pas prêt à embrasser cette vie. Pas encore… J’aurais pu, dû mourir ici… je ne dois ma survie qu’à la chance…)
Le bracelet roule alors jusqu’à mes pieds et tombe dans un tintement métallique mais je ne le regarde pas avec cette convoitise qui m'habitait il y a peu… J’inspire profondément, et dénoue les attaches de la cape que je laisse tomber à terre avec solennité. J’enlève ensuite ma dernière relique, la première à être tombé entre mes griffes, l’amulette. Avec gravité je le dépose à terre, à côté des deux autres. Une secousse fait alors trembler les fondements même de la pièce quand Gaël hurle qu’il faut partir immédiatement. Je le vois qui avec le concours d’Asad porte Nibelung qui est semi-conscient et me dirige vers eux, avant de les dépasser, sans mot dire. Je me contente de partir, laissant les reliques, derrière moi.
Je me sens enfin en accord avec une décision, en réel accord… Je sais que c’était le bon choix, garder ses reliques alors que je ne suis pas prêt m’aurait entraîné dans cette insatiable quête jamais assouvie. Je ne veux pas devenir comme Kahdan, rongé par le désir et l’ambition. Je dois devenir maître de moi-même avant cela. Je n’ose même pas imaginer les ravages que j’aurais pu causer en possession des trois si puissantes reliques. C’est donc l’esprit en paix que je cours en direction de la sortie des catacombes, sans regarder en arrière. Cette vie n’est plus la mienne, elle ne m’appartient plus.
(Je vais prendre un nouveau départ, il le faut.)
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Merci à Inès pour cette magnifique signature !
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