Enfin de retour! Un léger soupir de soulagement soulève ma poitrine alors que je redécouvre une fois encore avec admiration ce lieu enchanteur où se mêlent avec harmonie forêt, rocs et cascades. Je salue le guetteur d'un signe de la main, auquel il répond cordialement, puis m'engouffre sans plus tarder sous la chute puis dans le tunnel qui franchit l'impénétrable muraille naturelle dissimulant Hidirain.

Mes pensées sont douces-amères à cet instant, je suis en vie, ma mission est accomplie et cela m'est une source de satisfaction non négligeable, mais je n'oublie pas mes compagnons morts pour la défense de leur cité. Ces compagnons précieux que j'ai rencontrés ici-même voilà de cela tant de jours périlleux, et que j'ai au final à peine eu le temps d'apprendre à connaître. Mais c'est le lot des guerriers que de perdre ceux avec qui ils combattent et à défaut de m'y être habitué, je suis maintenant capable de vivre avec.

Un signe de la main au garde dissimulé dans les falaises, se glisser sous la cascade sans prendre une douche impromptue même si j'en aurais bien besoin, parcourir d'un pas pressé le tunnel franchissant le rempart naturel d'Hidirain et hop, me voici de retour en ville!

Aux mots de Tanaëth, Kay laissa s'échapper un sourire. Cela faisait longtemps que plus personne n'avait expressément choisi de lui accorder son temps. Même si ce n'était que pour quelques minutes, même s'ils allaient vite se séparer et sans doute ne jamais se revoir, une sorte de boule de chaleur avait pris possession de son cœur et son corps lui apparaissait comme plus léger.

(Ces Danseurs d'Opale semblent être des personnes biens...)

Oserait-elle lui demander la permission d'en faire partie ? Elle ne savait pas si elle avait le droit... Bah, elle verrait bien ça plus tard ! Pour le moment, le Sindel lui proposait de l'accompagner à la sortie de la ville, derrière la cascade où il souhaitait faire une menue toilette. Ce qui ne serait certes pas superflu, son apparence étant terrifiante, littéralement recouvert de sang comme il l'était. Il déteignait tant au milieu des habitants de "la perle blanche" que Kay avait presque l'impression de marcher à côté d'un être irréel.

Ils marchèrent, redescendirent les rues depuis le fort Endiraë et arrivèrent devant l'entrée de la cité qui, de ce côté-ci, se présentait comme une grotte assez large et longue d'une cinquantaine de mètres. Ils la traversèrent et débouchèrent au niveau d'une majestueuse cascade. Pour Kay, cela ne faisait pas une heure qu'elle avait emprunté ce chemin en sens inverse, en compagnie d'un fort sympathique vieil homme.

(Mais c'est comme si beaucoup de choses s'étaient passées depuis.)

Durant le trajet, la semi-elfe avait parlé plus librement, sans plus de traces de gêne qu'auparavant. À l'elfe gris, elle avait fait un court résumé de sa vie - ses trois petits frères qui en partant de la ferme avaient quitté sa vie, la mort de son père adoptif, la venue en ville avec sa mère jusqu'à la mort de cette dernière et comment elle avait cru pouvoir se marier avec un humain et avoir une vie tranquille. Quant à son père - son vrai, sa mère avait eu une aventure avec lui, mais dès qu'il avait vu qu'elle était enceinte, il était parti, ne laissant comme seul héritage que la courte épée qu'elle portait à sa ceinture et qu'elle lui montra. Par un silencieux pacte, ses parents n'avaient jamais parlé de lui ce qui expliquait qu'elle ne connaissait pas son nom - ni son apparence. Elle supputait qu'elle lui ressemblait car elle n'avait pas du tout les traits de sa mère. À part ça...

"Je ne sais rien de lui, en fait. Je comptais sur le fait qu'il se souviendrait de moi et que je n'aurais qu'à rencontrer des elfes gris jusqu'à ce qu'il me reconnaisse."

La jeune femme admira la cascade qui brillait d'un éclat pur. Comment envisager quête plus vaine que celle-là ? Son père pouvait très bien être mort depuis des décennies. Ou avoir complètement oublié son existence. Elle pourrait très bien passer sa vie à le chercher, sans jamais le trouver, sans même un indice. Oui, mais. Présentement, elle avait besoin d'une raison pour avancer.

"Sans vouloir être indiscrète, quelle est cette mission que vous devez mener ? Hidirain serait-elle en danger ?"

Cette pensée lui procurait une certaine irritation. Qui pouvait bien vouloir venir embêter ces paisibles elfes qui n'avaient rien demandé aux autres si ce n'était de pouvoir vivre en paix, chez eux ?

Un sourire illumine enfin le visage de Kay, lorsque je lui affirme avoir choisi de lui consacrer du temps. Elle se détend peu à peu alors que nous arpentons les rues de la Perle Blanche, ayant compris sans doute que je ne suis pas de ceux qui nuisent à leur prochain sans raison valable. Un léger sourire flotte sur mes lèvres, imperceptiblement ironique, qu'est ce qui distingue une mauvaise raison d'une bonne? Enfin, ce n'est guère le temps de me livrer à un exercice rhétorique car l'elfe entreprend de me résumer son histoire, que j'écoute avec la plus grande attention. Je la laisse s'exprimer sans intervenir, parler lui fait certainement du bien, il est bon de pouvoir se confier de temps à autre.

Elle me parle des ses frères, entièrement humains d'après ce que j'en comprends, qui quittent la demeure familiale et donc sa vie lorsque ils deviennent adultes. La mort de son père adoptif, elle et sa mère qui déménagent en ville, cette dernière qui finit par mourir. Sa mère et son père adoptif ne lui ont jamais parlé de son véritable géniteur, qui a quitté son amante lorsque il a appris qu'elle était enceinte de Kay. Elle ne sait rien de lui, absolument rien, si ce n'est que l'épée qu'elle porte lui appartenait. Elle me la montre d'ailleurs, je l'examine rapidement, remarquant à mi-voix:

"C'est une arme courante que l'on nomme glaive, elle n'a malheureusement rien de particulier...mis à part ce qu'elle représente pour toi, bien entendu. Quant à ton père, je doute fort qu'il te reconnaisse s'il est parti avant ta naissance, comment le pourrait-il s'il ne t'a jamais vue? Je pense qu'il te faut des indices plus précis si tu veux que ta quête ait une chance d'aboutir. Tu pourrais aller voir un oracle, en posant la bonne question tu aurais une piste sérieuse."

Nous parvenons au tunnel sortant de la cité et le franchissons rapidement. Je salue le guetteur d'un signe de la main tandis que Kay contemple pensivement la magnifique cascade qui dissimule Hidirain. Elle me demande soudain quelle est la mission qui m'a été confiée et si la merveilleuse ville des Hinïons est vraiment menacée, semblant irritée à cette idée. Je peux la comprendre, rares sont ceux qui peuvent rester totalement insensibles à la splendeur paisible de ces lieux. Si cette attitude me réjouit, après tout je suis devenu l'un des protecteurs de la Perle des montagnes, il n'en reste pas moins que je ne puis lui dévoiler l'intégralité de ce que je sais sur la menace qui pèse, je ne la connais pas assez pour lui révéler les secrets militaires d'Hidirain. Réfléchissant à ce que je peux lui révéler, je l'invite d'un signe de la main à me suivre jusqu'à une petite clairière se trouvant non loin, hors de vue de l'entrée de la cité. L'endroit sera parfait pour prendre un peu de repos et discuter tranquillement.

J'entreprends de me défaire de mon équipement pour pouvoir me baigner, me décidant enfin à répondre à sa question:

"Tu sais peut-être qu'il y a une ville Shaakte, pas très loin d'ici, Khonfas. Les elfes noirs ont envoyé une armée pour s'emparer de quelque chose qui se trouve à Hidirain, elle est en route et ne tardera guère à parvenir jusque ici. Je vais compromettre son avance, afin que les Hinïons aient le temps de préparer l'évacuation de ce que les Shaakts convoitent."

J'achève de me déséquiper, ne conservant qu'un simple pagne, plus pour éviter de gêner la jeune femme que par pudeur, et lui dis encore simplement:

"Je vais passer la nuit ici, je partirai à l'aube pour affronter mon destin. Tu peux rester si tu en as envie, ou retourner à Hidirain si tu préfères. J'ai des amis qui pourraient t'héberger si tu le souhaites. Dans l'immédiat je vais me baigner, l'eau est fraîche mais agréable, profites-en? Ensuite nous parlerons encore un peu, mais je me sens trop crasseux pour réfléchir correctement à la meilleure manière de t'aider dans ta quête."

Je souligne mes derniers mots d'un sourire teinté d'auto-dérision et plonge fluidement dans l'onde bienfaisante.

(Aller voir un oracle ?)

Arrivés derrière la cascade qui cachait l'entrée d'Hidirain, Tanaëth conduisit Kay vers une clairière que bordait un bassin,soustrait à de possibles regards indiscrets - même si, dans ces montagnes, les Taurions étaient partout et il n'était pas aisé d'échapper à leur constante surveillance comme la semi-elfe en avait fait l'expérience lorsque, en voulant prendre pied pour la première fois dans la cité, le guetteur avait semblé apparaitre devant elle, sorti de nulle part.

En chemin, Kay réfléchissait aux paroles du Sindel. Comme elle s'en était doutée - sans jamais avoir voulu vérifier, son arme n'avait rien de spécial. Pas de simili-armoiries, d'aucune indication qui eût pu renseigner sur sa provenance. C'était juste un banal glaive que son père avait laissé en partant... Pourtant, Tanaëth lui avait peut-être donné un moyen de continuer ses recherches : aller voir un oracle. La jeune femme en avait déjà entendu parler, mais, réellement, elle ne savait pas ce que c'était. Elle imaginait qu'il suffisait de poser sa question pour avoir une réponse. Mais Tanaëth avait évoqué la "bonne" question ; elle n'en aurait donc le droit qu'à une ?

(Je vais devoir y réfléchir sérieusement.)

Ils s'arrêtèrent et Tanaëth entreprit de s'alléger de son lourd et ensanglanté équipement. Par pudeur, Kay détourna la tête jusqu'à ce qu'il fût rentré dans l'eau, mais ses oreilles étaient toutes ouvertes à ce qu'il racontait. Évidemment, le résumé de sa mission comportait beaucoup de machins et de trucs - question de sécurité qu'elle comprenait parfaitement ; elle aurait très bien pu être une espionne. Mais cela n'empêcha pas sa curiosité d'être pleinement satisfaite (par nature, Kay était très peu curieuse).

"Ici... Dans cette clairière ?"

La question était stupide, mais les mots avaient débordé de sa bouche avant qu'elle pût les arrêter. La semi-elfe, qui s'était assise pour s'accorder une pause (elle marchait depuis le matin), se redressa et s'approcha du bord pour s'y accroupir. Sa main perça doucement la surface de l'onde bleutée et elle frissonna. En effet, elle n'était pas chaude. Kay balada sa main d'avant en arrière, ses pensées se vidant dans ce mouvement régulier, presque hypnotique. Puis elle plongea sa deuxième main et entreprit de se décrasser le visage. Elle n'avait pas besoin de plus. Elle se recula un peu et s'allongea sur le sol, les yeux tournés vers Tanaëth, une main sous sa tête.

"Je ne veux pas déranger, mais si vous avez besoin d'aide... je veux dire ! Si je puis vous être d'une quelconque utilité... Pour vous remercier de votre attention, en somme..."

Ses yeux papillonnaient. Cela faisait quelques jours déjà qu'elle n'avait plus dormi dans un vrai lit et le stress de pouvoir subir une attaque de brigands à n'importe quel moment l'avait deux fois plus fatiguée que si elle avait parcouru la même distance, mais sur une route sûre. Le murmure grondant de la cascade, pas loin, les légers cris d'oiseaux autour d'eux, ses muscles se détendant un à un... Avant qu'elle ne le réalisât, elle avait fermé les yeux et s'était mise à somnoler.

La jeune elfe garde le silence durant un bon moment, probablement pensive quant à la difficulté de sa quête, munie de si peu d'indices. Elle détourne pudiquement la tête alors que je me déshabille, mais n'en écoute pas moins et s'exclame avec surprise lorsque je lui dis vouloir passer la nuit dans cette clairière. Je me contente d'un hochement de tête en guise de réponse, j'ai besoin du calme de la nature après les combats sanglants que je viens de mener mais je préfère éviter de lui conter ce que je viens de vivre. Nul besoin de lui donner matière à d'effrayants cauchemars. Je passe quelques minutes à nager vigoureusement pour détendre ma musculature éprouvée, puis je me rapproche du bord et cueille quelques feuilles de saponaire pour achever d'ôter le sang qui a séché et retrouver une odeur un peu moins cadavérique. Kay éprouve la température de l'eau d'une main mais, la trouvant sans doute trop glaciale à son goût elle se contente de se rincer la figure, toujours songeuse.

Une fois propre, je nettoie soigneusement mon équipement tandis que l'elfe s'allonge dans l'herbe, une main sous la tête et m'observant. Elle me propose son aide pour accomplir ma mission, en guise de remerciement de mon attention, ce qui me fait lever la tête pour la regarder en plissant les yeux. Je lui réponds pensivement:

"Tu ne me dois rien, Kay."

Je songe à la mission qui m'a été confiée, soupirant imperceptiblement en examinant mes chances de survie pour le moins réduites. Un peu d'aide serait la bienvenue, certes, mais la jeune femme n'a rien d'une puissante guerrière, ce serait folie que de l'emmener avec moi. Pourtant, son aveu de tout à l'heure résonne encore en mon esprit, c'est une paria, une demi-sang qui ne trouvera sa place ni dans un peuple ni dans l'autre. Où pourrait-elle bien aller, comme elle l'a si douloureusement exprimé? Que vaut la vie lorsque l'on a le sentiment de n'être important pour personne? Dois-je lui infliger un rejet de plus au risque de la blesser davantage encore, même si cela ne vise au fond qu'à la protéger d'un danger mortel? Comprendra-t'elle mon intention si je la lui explique? J'en doute, d'après ce qu'elle m'a révélé d'elle. Mais si j'accepte qu'elle m'accompagne, serais-je en mesure de veiller sur elle? Je ne sais pas. Je ne sais même pas si je serais capable de survivre à ce qui m'attend. Plongé dans mes pensées je réalise soudain que ce choix ne m'appartient pas vraiment, c'est à elle de décider de son chemin. Tout ce qui m'incombe, c'est de lui faire prendre conscience de ce que son choix impliquera.

"Loin de moi l'intention de te rejeter, Kay, mais comprends bien ceci: je suis un Danseur d'Opale, ma place est au coeur des guerres les plus rudes. Mon chemin est pavé de morts, ce n'est pas une vie paisible et facile, c'est une lutte permanente pour survivre. J'ai choisi cette existence parce qu'il faut bien que quelqu'un se batte pour ceux qui ne le peuvent pas, mais aussi parce que j'aime véritablement l'art du combat. Tu m'as dit ne pas savoir où aller, je crois que je peux comprendre en partie la difficulté pour toi de trouver ta place dans le monde."

Je marque une pause pour ordonner mes pensées et les exprimer de la manière la moins brutale possible:

"Tu as vécu parmi des humains, et tu as souffert de les voir vieillir et s'éteindre alors que tu restais jeune. Ils t'en ont voulu pour cela et tu as compris qu'il n'y avait pas de place pour toi parmi eux. Aujourd'hui tu recherches ton père, un Sindel, espérant peut-être trouver parmi ce peuple ce qui ne t'a pas été accordé par les humains: l'acceptation et la reconnaissance de ton existence comme membre à part entière d'une communauté. Je crois que c'est aussi ce que tu cherches plus ou moins consciemment en souhaitant m'accompagner. Tu as envie et besoin d'être acceptée par un groupe, un peuple, et quelque part tu projettes sur moi ce rêve parce que je ne t'ai pas rejetée comme d'autres l'auraient peut-être fait. Je n'ai rien contre ta compagnie, bien au contraire, mais si tu décides de rester à mes côtés il faut que tu le fasses pour de bonnes raisons et non pas parce que je représente pour toi une sorte de dernier recours."

J'arrête là ma tirade pour me vêtir de propre, réalisant avec un léger sourire que la jeune femme somnole déjà à moitié. A-t'elle seulement entendu ce que je viens de lui dire? Bah, je répéterai si besoin, elle a l'air épuisée aussi bien physiquement que moralement et un peu de repos lui fera le plus grand bien. Je sors une couverture de mon sac et l'utilise pour couvrir doucement la jeune elfe, puis je rassemble quelques branches mortes et allume rapidement un feu au moyen de ma lame ardente. Dès que la flambée a pris, je m'installe sur un caillou et sors quelques provisions que je dispose de manière à ce qu'elle puisse aisément se servir si la faim la réveille.

Kay ne dormait pas encore totalement ; elle entendait Tanaëth et les éclaboussures qu'il ne manquait pas de provoquer ; elle entendit ses pas quand il remonta de l'eau et le cliquetis métallique de son armure quand il entreprit de la nettoyer. Elle entendait aussi ce qu'il disait, mais c'étaient des mots sans sens, une mélodie apaisante qui ne transportait rien.

Lentement, son esprit s'abima dans un état proche du rêve et les formes se mélangèrent, les couleurs se mouvèrent sous ses paupières pourtant fermées. Elle revit la ferme où elle avait grandi, mais embrumée, sans contours nets. Elle avait beau marcher, tendre la main, elle ne l'atteignait pas. Elle avait beau écarquiller ses yeux, s'égosiller à en crever sa voix, elle ne voyait personne. Des ténèbres l'entouraient, désormais, venant de toute part, la cernaient, avançaient vers elle, menaçants. Elle dégaina, mais son bras était lourd, lent. Ça ne servait à rien. Et les ténèbres, implacablement, resserraient sa prise sur son être, se jetaient sur elle de tous côtés à la fois, l'engloutissaient dans une nuit sans fin...

(AH !)

Kay ouvrit brusquement les yeux et se retrouva nez à nez avec un petit feu qui flamboyait joyeusement. Un mauvais rêve ? Probablement. Son épaule la faisant souffrir, elle essaya de bouger de position et ce faisant, ressenti le contact d'une surface doucement rêche. Sa main agrippa la chose qui se révéla être une couverture. Nul besoin de se demander d'où elle venait... La semi-elfe battit rapidement des paupières, tentant de retrouver ses repères. Depuis combien de temps était-elle dans cet état ? Elle avait la sensation que Tanaëth lui avait adressé la parole, mais elle n'en était pas trop sûre. Peut-être n'avait-ce été que le bruit normal des montagnes qui les entouraient paisiblement ? La jeune femme se redressa à demi, s'appuyant sur son coude. La figure du Sindel surplombait l'humble feu, assis sur un rocher.

"Dites..."

Quelque part, ce mauvais rêve avait clarifié son esprit. Kay entrevoyait distinctement les différents chemins qui s'offraient à elle. Premièrement, elle avait décidé d'arrêter momentanément sa quête personnelle ; Tanaëth lui avait promis qu'il l'aiderait à chercher son père parmi les Danseurs d'Opale, il était donc inutile qu'elle continuât par elle-même son enquête. Deuxièmement, elle s'était décidée à défendre Hidirain. Elle n'était pas une de ses habitantes, effectivement, mais la cité l'avait charmée et elle ne supportait pas l'idée que les Shaakts tentassent de faire tomber tant d'art et de raffinement. À présent, la question qui se posait à elle était de savoir si elle défendrait la Perle Blanche de l'intérieur - au cas, possible, où Tanaëth faillirait à sa mission, ou si elle se décidait à aller avec Tanaëth.

"Je ne sais pas très bien me battre, mais je suis forte vous savez. J'ai travaillé des décennies dans une ferme."

Mais qu'irait-elle faire dans la ville ? Sans quel prétexte, sous quelle autorité ? À côté, il était certain que l'elfe gris n'avait pas planifié d'attaquer l'armée Shaakte à lui tout seul. Kay imaginait qu'il ferait plus preuve de subtilité. Or, la jeune femme se considérait comme très agile et vive. Elle n'avait encore jamais eu l'expérience des combats, mais elle n'en avait pas pour autant peur.

"Je cours vite, aussi. Si je viens avec vous et qu'il arrive malheur, je pourrai revenir très rapidement à Hidirain pour aller chercher de l'aide ou, au moins, les prévenir."

Kay ne savait pas si elle était née pour être un infatigable guerrier comme l'était Tanaëth. Elle ne savait toujours pas ce qui pouvait lui apporter le bonheur. Elle ne savait même pas ce qu'elle ferait si un jour elle rencontrait son père !
Mais elle savait une chose.

"Je veux vous accompagner."

Plus heureux que je ne saurais dire de pouvoir franchir le tunnel menant à Hidirain sans avoir à me frayer un chemin au travers d'une armée ennemie, je le parcours presque en courant et ne ralentis que pour profiter de la vision toujours merveilleuse de la perle blanche! Je ne m'arrête pas, toutefois, j'invite plutôt Kay à me suivre d'un geste de la main accompagné d'un sourire et file en direction de la milice.

Lorsque nous passons devant l'escarcelle d'argent, ma boutique préférée en Hidirain, je songe que mes provisions de potions de soin sont au plus bas et décide donc d'y faire une rapide halte. Je me tourne vers Kay et lui demande:

"Il faut que je rachète quelques potions de soin, si tu as besoin de quelque chose on trouve pas mal d'articles intéressants ici."

Mon amie ne souhaitant pas entrer je pousse donc la porte de l'échoppe en prenant garde, cette fois, de ne pas le faire comme un soudard...

Kay étant avec Tanaëth, Tanaëth étant connu de la cité, pas un seul elfe n'apparut devant eux pour leur demander des comptes. Ils s'engagèrent dans le tunnel et le maître d'arme accéléra brusquement, trop heureux de revoir Hidirain. Kay trouvait qu'ils avaient bien assez couru comme cela et prit la chose avec beaucoup moins de vitesse. Débarquant dans la pleine lumière du soleil, au creux de cette perle, cette ville superbe, elle s'arrêta pour l'admirer encore - elle était certaine que cette vue ne pourrait un jour la lasser. Mais Tanaëth la pressa une nouvelle fois. Par Sithi ! On aurait dit qu'il se rendait à un rendez-vous amoureux ! Kay se laissa prendre au jeu et s'embarqua dans une brève course pour revenir à sa hauteur. Parvenus devant l'Escarcelle d'argent, néanmoins, Tanaëth se stoppa. Il avait besoin de refaire le plein de potions de soin - étonnant. Au passage, il l'invita à savoir si elle n'avait pas besoin de quelque chose, elle aussi, cette boutique ayant, selon ses dires, pas mal d'articles intéressants. Kay réfléchit quelques secondes.

(De la bouffe de la bouffe de la bouffe !)

"Non, pas besoin ! D'ailleurs, je vais même t'attendre ici pour ne pas te gêner."

Joignant le geste à la parole, elle s'assit sur le sol et fit reposer son dos contre le mur de pierres finement taillées, continuant d'offrir au maître d'arme son plus beau sourire alors que, intérieurement, ce n'était qu'un long hurlement de plaintes. Vivement cette nuit, son lit douillet et son pain chaud.

Nous quittons la milice, pour un long voyage cette fois puisqu'il nous mènera jusqu'à Bouhen, et peut-être même sur un monde aussi mystérieux qu'inconnu. Nous arpentons les sentiers d'Hidirain en direction des portes, un chemin que je connais maintenant sur le bout des doigts. Pourtant, cette fois, je regarde la ville d'une manière différente, je veux graver dans ma mémoire ces lieux, leur aura de paix et de sérénité. Les reverrais-je un jour? Je l'espère, mais l'idée de partir pour une terre aussi absurdement lointaine fait de mon espoir un rêve pieux.

Je songe à ma dulcinée avec une sourde émotion, je l'ai si peu vue depuis que nous nous sommes rencontrés...m'attendra-t'elle, si long que soit le périple qui m'attend? Je n'en sais rien, là encore je l'espère évidemment, mais pourrais-je lui en vouloir si elle décidait de se lier à un compagnon plus présent? Je veux croire que non, que je pourrais simplement en être heureux pour elle, mais cette simple évocation me tord les tripes alors force m'est d'avouer que je ne sais pas quelle serait ma réaction.

Nous franchissons à nouveau le tunnel permettant de quitter la ville, je contemple avec une discrète mélancolie le paysage superbe dont je vais m'éloigner pour une durée probablement conséquente. Puis je chasse de mon esprit toutes ces pensées, j'ai une mission à accomplir, une danse à mener qui devrait, si je ne fais pas fausse route, me rapprocher du fil d'or de ma destinée. Mais cela, seul l'avenir dira ce qu'il en est. Silencieux je désigne à Kay un étroit sentier d'un signe de la main, que j'entreprends de suivre sans plus hésiter. Chemin faisant je réalise qu'une fois de plus je n'ai pas avisé Kay de ce qui nous attend, aussi je pallie mon omission en l'informant:

"Ce sentier mène à la forge de Myrden Ardinwe, je veux me débarrasser de quelques affaires et faire rectifier certaines parties de mon armure, les derniers combats m'ont permis de discerner quelques frictions qui gênent certains de mes mouvements. Ensuite nous suivrons un autre sentier en direction du nord-est, et nous rejoindrons ainsi la route pour Tulorim. De cette ville nous pourrons prendre un Aynore qui nous amènera rapidement sur Nirtim, à Kendra-Kar. Et de là, nous prendrons un Cynore pour Bouhen."

Quelques dizaines de minutes plus tard nous parvenons à la forge mentionnée, et c'est avec le sourire que le forgeron nous y accueille, il faut dire qu'il commence à avoir l'habitude de me voir à mes retours de mission...

Ils quittèrent la milice, pour un long voyage cette fois. Mais Kay ne partageait ni la nostalgie ni "le rêve pieux" (de revoir un jour la Perle Blanche) de Tanaëth. La semi-elfe appréciait cette ville, elle aimait ses habitants, son ambiance, sa tranquillité et par dessus tout, son accueil ; elle ne connaissait pas la ville depuis une semaine et pourtant elle venait de s'engageait dans sa milice ! Bien sûr, le fait que Tanaëth l'avait recommandée ne devait pas y être étranger, mais cela restait très étonnant - et la preuve de cette hospitalité sans pareille. Cependant, elle n'avait aucun moyen de vraiment s'y attacher et l'idée qu'ils fussent en train de la quitter lui venait avec une aimable indifférence.

(J'espère être vite de retour, malgré tout.)

Kay ne voulait pas en rester là ; elle avait soif d'apprendre la manière de vivre de ces habitants et même si elle ne pensait plus désormais à se mettre en ménage - une fois pas deux, sa curiosité était, pour une fois, au rendez-vous. Elle avait aussi envie de rencontrer les Thorkins ! Et devenir membre de l'Opale ! Dire qu'ils n'avaient même pas le temps de passer à leur refuge...

(Mais comment peut-il repartir aussi vite ? Il n'a aucun attachement ici ? Aucune personne pour... à qui lui dire qu'il repart ?)

Elle fut interrompue là dans ses réflexions par Tanaëth qui lui expliqua, soudainement, où ils se rendaient. Elle remarqua alors que, perdue dans ses pensées, elle ne s'était même pas aperçue qu'ils avaient déjà quitté la ville, passant par le tunnel (elle qui se croyait encore dans la grande rue !) et qu'ils avaient emprunté un étroit sentier que, sans nul doute, le maître d'armes lui avait désigné et qu'elle avait emprunté machinalement. Or donc, ils se rendaient à la forge de Myrden Ardinwe pour que Tanaëth pût améliorer sa belle armure de mithril rouge. Au passage, il l'informa aussi de la suite de leur périple que Kay s'efforça de retenir afin de se créer une carte mentale, mais échoua, n'ayant aucune d'idée d'où pouvait bien se situer Kendra Kâr par rapport à Bouhen ou tout simplement, la forme générale de Nirtim. Elle haussa les épaules.

(Une belle occasion pour explorer Yuimen en tout cas !)

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Dans un cercle de roches et d'eaux infranchissable, aussi beau que bruyant. La cascade, la bonne cascade parmi les nombreuses chutes d'eau est indifférenciable pour celui qui ne la connait pas ou celui qui n'a pas l'œil aguerri pour repérer la sentinelle immobile, dernier gardien pour surveiller les portes de la cité et stopper les intrus qui ont réussis à échapper aux yeux aguerris de la forêt.

Je fais un signe avant de m'approcher, empruntant le sentier discret qui passe derrière la paroi liquide.

La sentinelle vient me trouver, s'assurant que je ne représente aucun danger pour la cité. Je ne m'en offusque pas, la méfiance est pardonnable tant les ennemis sont nombreux.

L'Hinionne semble jeune, probablement une apprentie qui a choisie de protéger le passage qui mène aux siens. Plus petite que moi, la peau pareil à ses semblables avec des cheveux sombres. Elle est équipée d'un arc et je n'ai aucun doute sur ses compétences en archerie.

Elle me jauge de la tête aux pieds et détend rapidement sa posture combattante avant de s'écarter sans un mot pour me laisser passer.

J'incline la tête avant d'avancer, signifiant mon respect pour elle et pour sa tâche. Elle fait de même avant de retourner à son poste.

Je traverse le couloir creusé dans la montagne, marchant vers la lumière qui me guide vers une cité exceptionnelle.

Après le court moment d'éblouissement, je prends quelques instants pour contempler les sentiers verdoyants qui serpentent entre les habitations brillantes, du palais à la plus petite maison, pour se rejoindre au jardin qui habille le centre de la cité mais qui semble agir comme un cœur pour elle. Propulsant au fil des battements du vent, lierres, feuilles, pétales et pollen aux quatre coins de la ville vivante.

Je repère assez rapidement le bâtiment de marbre blanc et gris entouré de fontaines et de cascades où je dois me rendre. Le Fort Endiraë, bâtiment à l’architecture incroyable dans lequel se trouve la milice de la perle blanche.

Sans plus attendre, je détourne mes yeux de ce chef d'œuvre caché dans la montagne pour m'élancer plus profondément dans la toile, vers le fort.