Hier, ils n'étaient que deux. Voilà qu'ils sont tout un groupe d'hommes. D'ici, je ne peux pas dire de quel ethnie ils sont. Peu importe. Armés et équipés de la sorte, je n'ai aucun doute sur leurs intentions hostiles et mon devoir est de protéger cette forêt de toute intrusion belliqueuse.
Je les traques, passant de cime en cime aussi silencieusement et aisément qu'un écureuil en me remémorant, comme à chaque intrusion, les leçons de mon tuteur. Les Shaakt sont à tués à vue et si certains laissent le bénéfice du doute aux hommes jusqu'à ce qu'ils trouvent la cascade, ce n'est pas mon cas.
Mis à part les quelques races qui peuplent nos forêts tel que les Hinions, les Thorkins et les Oudios, aucune autre ne m'a prouvé être digne de confiance.
Ceux-là ne font pas exceptions. Hidirain est une cité aux multiples richesses et sa recherche par de minables pilleurs est régulière mais grâce à nous, les gardiens, aucun intrus n'en foulera le sol sacré.
Ils s'approchent encore, ils sont sur la bonne voie. Je dois agir.
Je me laisse tomber jusqu'à une branche plus basse, provoquant le bruit suffisant pour les interrompre dans leur marche.
Les regards se lèvent, tournent, cherchent. Affolés, intimidés ou simplement curieux.
Pour eux dans la pénombre de fin de journée, au milieu des feuilles, je suis invisible.
Cinq adversaires. Ce ne sera pas facile mais je n'ai pas le temps de chercher de l'aide et je ne dois pas le faire. Je peux me débrouiller seul. Je connais les lieux et j'ai l'avantage de la surprise.
Je reste immobile, la peau verte fondue dans les feuillages, fixant sans ciller les intrus qui rapidement concluent qu'il devait s'agir d'un simple animal avant de continuer leur route.
Je poursuis ma traque. De branches en branches, d'arbres en arbres. J'attends le moment propice et je le vois approcher.
Je saisi mon arme, une simple branche taillé en pointe à son bout. Prends un dernier appui sur une branche et bondi, survolant la courte distance qui me sépare du groupe.
Le pieu traverse son plastron en cuir, sa chair et l'autre côté de son équipement avant de s'enfoncer dans l'humus humide de la forêt, clouant ma victime au sol, le transformant en tapis humain qui amortit ma chute et me permet de charger un autre des intrus. Le choc est brutal, celui-là ne portait pas de tenue de cuir. Je sens mon épaule briser quelques cotes, sa respiration se couper. Mon élan est si fort que je parviens à le pousser bien plus facilement que je l'imaginai. Au point de le soulever de quelques centimètres pour qu'il retombe dans les hameçons douloureux des papillons de sang au bord du sentier. L'occupant pour un moment.
Plus que trois. Me revoilà parmi la flore dense tandis que les trois intrus restant sont maintenant dos à dos, arme au poing. Je peux maintenant mieux les détaillés. Grand et de carrure musclé, les cheveux châtains foncés et des yeux d'un bleus intense, troublés par la peur.
Je profite des cris de douleur pour me procurer une autre branche sans être repéré.
"Nous ne sommes pas hostiles !"Crie l'un d'eux.
Mensonge pensais-je, qu'est ce qui pourrait attirer des hommes ici si ce n'est pour piller ce que l'on protège.
Je me faufile à travers les buissons, provoquant des bruissements qui les font sursauter.
"Sortez de là et discutons."J'inspire, contenant ma colère. Je dois rester concentrer. Je bondis dans leur dos, profitant d'un bruit qui les a distraits de l'autre côté. Un animal ou un simple coup de vent, la nature est de mon côté. J'écrase mon arme contre la tempe de l'un. Fracassant probablement son crâne, l'envoyant au sol avant qu'il n'est le temps de réaliser ce qui lui arrive. Nous voilà à deux contre un. Je peux le faire.
Les autres se retournent. Impossible pour moi de retourner me cacher, je dois faire face. Le plus grand des deux n'attends pas et enchaine les violents coups d'épée pour me toucher. J'esquive, je recule, j'esquive. Si je parais avec mon bâton, il se ferait trancher.
L'autre pour l'instant ne bouge pas, figé, hésitant. Je n'ai pas le temps de détailler suffisamment son expression pour comprendre ce qu'il attend. J'aperçois la lame en face de mes yeux. Je me baisse, dos à un tronc, je ne peux plus reculer. L'arme frappe l'arbre, projetant des morceaux d'écorces.
Je prends appui sur le tronc, profitant de l'occasion pour me projeter contre mon adversaire. Coude en avant, je le fais basculer. Tombant avec lui, je fais une roulade avant de me redresser. Immédiatement je me replace, en garde, bâton en avant, face au deuxième homme.
Mais celui-ci n'a toujours pas bougé, arme en arrière l'autre main tendu, me faisant signe de ne pas être violent.
J'ai un instant d'hésitation, suffisant pour lui permettre de me parler.
"Arrêtez ! Nous ne cherchons pas à nous battre."Je fronce les sourcils. Ramenant mon arme vers moi en posture défensive en voyant l'autre se relever, l'air hostile.
Mais alors que je m'attendais à ce qu'il revienne à l'attaque, l'autre lui fait signe de se calmer, me poussant d'avantage au doute.
"Nous sommes juste là pour trouver des plantes à revendre aux plus offrants."Je ressers ma prise sur mon bâton, les sourcils froncés, le nez et les yeux plissés, les lèvres retroussées pour montrer mes dents.
"Nous ne cherchons pas votre cité.""Vous n'avez rien à faire ici. Partez !"Ma voix est grave, mon ton dur, clair et sans équivoque. C'est un ordre que je donne et il n'y aura pas de concession.
"Laissez-nous deux jours. S'il vous plait."Il m'implore. Pourquoi veut-il tant ces plantes ? Simplement pour l'argent ? Ils sont à ce point vénal ? Ils me dégoutent. J'hausse le ton.
"Partez !"J'avance un pied, abaisse légèrement mon bâton, prenant une position offensive, menaçante.
Mon interlocuteur semble navré pendant une courte seconde avant de me fixer d'un air déterminé.
Je le perçois alors, au même instant où mon cœur bondit dans ma poitrine, son regard qui fixe un point derrière moi, son léger hochement de tête à peine perceptible. J'ai fait une grave erreur. L'erreur d'hésiter, l'erreur d'écouter et surtout l'erreur de me précipiter. Si j'avais patienté, si j'avais mieux observé je me serais rendu compte qu'ils étaient six.
Je suis un idiot. C'est la phrase qui résonne dans mon crâne encore et encore alors que, à moitié tourné, je vois le sixième intrus me foncer dessus, grognant dans l'effort. Déjà trop proche pour que je puisse faire quoi que ce soit. Sa lame est déjà brandit, prête à frapper. Je regarde le fond de ses yeux. Scrutant sa haine et sa réjouissance de venger les siens.
Résigné. Je me prépare à sentir l'acier froid tailler ma peau nue. Sentir mon sang chaud jaillir hors de moi pour se répandre sur le sol où j'ai vécu, nourrissant les racines des arbres sur lesquelles j'ai veillé toute ma vie. Je relâche mes épaules, abaisse mon arme. Attends le coup qui m'envoi rejoindre la nature.
Mais il ne m'atteind pas, pas plus que celui qui devait me l'assener. Je suis aussi surpris qu'il doit l'être, j'observe le javelot pénétrer sa poitrine avec tant de violence qu'il est projeté sur le côté, réduisant le coup qui devait me tuer à une simple estafilade sur l'épaule.
Je suis vivant. Je dois le rester. La surprise des autres intrus me laisse le temps de me remettre en place. Jambes légèrement écartés, épaules et bâton levés pour recevoir celui qui se jette déjà sur moi. Celui qui m'a fait hésiter, celui qui m'a trompé, celui qui m'a presque tué.
Il m'attaque, haineux, tandis que j'aperçois une ombre s'élancer vers le deuxième homme. Deux contre deux.
J'esquive le premier coup de lance, me courbant vers l'arrière tout en déviant un deuxième coup. Je pivote, lui aussi. Nos armes s'entrechoquent. Il est rapide, difficile de trouver une ouverture dans son avalanche de coups. Je dois attendre le bon moment. Plus d'impatience.
Nos armes tourbillonnent, donnant un étrange sifflement qui accompagne nos mouvements, rythmé par le bruit mat du bois qui se rencontre.
Je lève mon bâton à deux mains, bloquant un coup que mon adversaire voulait m'assener à la tête. Nos ventre tous deux sans protection, je réagis avant lui, levant ma jambe pour lui envoyer lourdement mon pied nu dans l'abdomen.
Il recule en poussant un soufflement lourd pour atténuer le choc que subit sa respiration.
L'instant de répit me permet d'observer le duel que se livre le deuxième intrus et l'ombre qui lui a sauté dessus. Épée contre hache courte, les deux combattants sont sensiblement de même carrure et les coups qui s'écrasent contre les troncs autour desquelles les combattants serpentent sont tellement violents que les plus hautes branches en tremblent, faisant chuter une pluie de feuilles sur la zone d'affrontement.
Mon combat reprend. Encore une fois, j'ai été stupide, préférant regarder ce qu'il se passait à côté de moi plutôt que d'achever mon adversaire. Celui-ci a eu le temps de se relever et reprendre son souffle, maintenant il me charge. Une charge haineuse, déséquilibrée, ouverte et surtout irréfléchie.
Je réagis en un éclair, abaissant mon bâton et le dirigeant vers mon aisselle droite, le saisissant ensuite à deux mains pour le pousser vers l'avant, maintenu par mon biceps, percutant violemment mon agresseur, l'arrêtant nette dans sa course.
Son visage se fige dans la stupeur et la douleur, mon bâton entre les cotes, j'ai senti quelque chose casser, ce n'est ni mon bout de bois ni mon bras. Complètement sonné par le coup, il est à ma merci.
Je pivote, tourne sur moi-même, donnant de l'élan à mon attaque et frappant de toutes mes forces le visage de l'humain. Le bâton s'écrase contre sa mâchoire, cette fois le craquement de l'arme se lie avec celui de l'os.
Il tombe lourdement à terre, mort. C'est certain.
Je jette un coup d'œil circulaire, apercevant le tapis humain cloué au sol, un peu plus loin, l'homme qui voulait m'attaquer par derrière, allongé sur le flanc, transpercé par un javelot rustique. L'intrus dans les papillons de sang s'était tellement agité qu'il s'était d'avantage empêtré dans les hameçons et il avait perdu autant de sang que d'énergie, il ne s'en sortirait pas. Je regarde un instant ses yeux implorants alors que les feuillages s'étaient trouvé un chemin pour s'enrouler autour de sa gorge, l'empêchant de crier.
Je détourne le regard pour observer le dernier humain en vie. Il remarque qu'il est seul, qu'il n'a aucune chance et c'est probablement grâce à un instinct de survie et un coup de chance qu'il parvient à repousser son adversaire d'un coup de pied, l'envoyant rouler dans les feuillages.
Il me regarde d'un œil noir. Je n'ai plus d'armes, est-ce qu'il va me charger ?
Non. Non il fait volteface et s'élance dans les bois. Il prend la fuite.
Je dirige mon regard vers l'ombre à terre. Celui-ci se redresse.
La peau d'un vert clair, les cheveux blonds noués en deux tresses qui tombent sur ses épaules, le regard sévère. Mon tuteur m'observe et s'adresse un moi d'un ton dur, sec. Pareil à sa morphologie de combattant.
"Qu’attends-tu ? Rattrapes le !"J'incline la tête avant de me lancer à sa poursuite.