Dans la matinée, nous arrivons en vue de deux immenses statues de guerriers elfes armés de lances et de boucliers. Leur pierre blanche précisément sculptée et leurs ornements d'or (et peut être leur taille) leur donnent un aspect assez imposant. Une grande partie de l'équipage et des passagers présents sur le pont lève d'ailleurs la tête pour les contempler. Loin en amont, en plissant les yeux, je peux distinguer l'orée de la forêt.
"Arrête de rêvasser, faut rentrer la grand voile alors active toi !""Pardon capitaine, je contemplais""Et ben contemple, mais bouge-toi les miches, je te paye pas à rêvasser"Je réprime avec difficulté une remarque narquoise sur le fait que je ne touche pas un yus pour la traversée et reprend mes activités. Quelques mètres plus loin, Calicot me regarde d'un air mesquin qui me titille assez désagréablement... Je détourne le regard.
Le rôti est franchement appréciable, mais les légumes ressemblent à de la vase autant par l'aspect que par le goût. L'elfe semble partager mon avis, vu la mine renfrognée qu'elle affiche. Soudain, Calicot débarque avec un grognement que je ne cherche pas à interpréter. Il farfouille dans ses affaires puis se retourne et je m'apperçois qu'il a viré au rouge tomate. Je l'interroge polim...
"Sales voleurs ! Qui as utilisé mon tabac ? Il a bougé ! Et en plus y en a partout !!""Le sachet qu'était posée là ? C'est moi qui l'ai prêté à Lydia, elle voulait fumer... Pourquoi ?"Le marin est bouche bée. Lydia, elle, ne peut étouffer un rire.
"Ha tu l'as juste trouvé là ? Je me disais bien que c'était étrange qu'un nain qui ne fume pas ait ça avec lui !""Y a un problème ?"Je comprend mal pourquoi Calicot tourne au violet, il a l'air en rogne. Il nous dévisage, hésite un peu puis empoigne l'elfe.
"Peste ! Et puis quoi encore, tu veux... Tu veux pas mes... Je sais pas mes habits, mes draps ?? Tu crois que tu joue à quoi, petite ?"Lydia perd instantanément son sourire. Elle saisit la main de l'homme d'un geste vif.
"T'avise pas de me toucher toi, sinon tu finis par-dessus bord."Je me lève à mon tour et fait face à Calicot. Celui-ci hausse les épaules, range ses affaires dans son sac, le ramasse et sort prestement de la cabine en maugréant des menaces. L'elfe se tourne vers moi, un peu étonnée mais surtout hilare.
"Le concept de propriété, c'est pas ton truc, hein ?"Je hausse les épaules.
Le soir même, appuyé sur un mât, je mène une discussion animée à propos du caractère égocentrique et méprisant des elfes. J'ai raison comme toujours, et l'elfe (clairement pas objective et en manque d'arguments) se voit tirée d'affaire par l'arrivée d'un Calicot à la mine bougonne, mais l'air content de lui. Il est suivi par un de nos compagnons de cabine dont j'oublie toujours le nom. Ils ont l'air passablement énervés.
"C'est vous les voleurs ? C'est lequel qui as pris mon livre hier soir ?""Tu sais lire ?""La ferme, toi !""Tu vas te calmer crâne d'asticot ? Et toi, c'est quoi le problème avec ton bouquin ?""Mais tu t'es pris pour qui ? Tu crois que tu peux voler tout ce que tu veux et qu'on dira rien ? Joue pas au plus malin, le nain."Je fais un pas en avant, tandis que l'autre marin hésite. Calicot soutien mon regard. L'elfe hausse les épaules. Le temps se fige un instant. Soudain...
"Ta mère t'as jamais appris le respect, hein ? Elle ferait mieux de gagner sa vie de manière plus honnête pour donner un meilleur exemple."Silence.
CRAC !L'abruti lève des yeux hébétés, porte les mains à son visage. Il fait un pas en arrière mais je m'avance à nouveau. Je l'empoigne fermement, mais il se défait. Il serre les poings, se redresse et me fait face avec un rictus mi-satisfait, mi-haineux.
Il se jette soudain sur moi, le genoux plié. Je baisse mon coude pour contrer et profite du rapprochement pour lui envoyer un méchant crochet du gauche. Il parvient assez facilement à l'éviter et recule légèrement. Je pare à nouveau, in extremis, un coup de poing furibond et saisit son poignet. En un tournemain je le retourne et tente de le plaquer contre le bastingage, mais il se dégage. Nouvel échange de coups, pas très efficace... Je parviens finalement à le percuter de l'épaule. Il perd un instant son équilibre. J'en profite pour le frapper à l'estomac, mais il se ressaisit et m'empoigne, puis me projette sur une caisse en bois que ma mâchoire heurte douloureusement. Il s'approche et me soulève avec un grognement, mais, tout en me recroquevillant, je lui enfonce mon épaule dans l'abdomen. J'ajoute un uppercut, deux uppercut, trois uppercut. Il a le souffle coupé.
Je commence à voir rouge, la douleur à la mâchoire ainsi qu'un certain agacement m'aveuglent. Je saisis Calicot par la nuque, colle son visage suant contre le mien. Je lis l’incompréhension dans ses yeux, et de grosses gouttes de sueur roulent sur ma peau. Ce type pue ! Je le sens se crisper quand j'ouvre la bouche. Lentement, je relâche les fluides néfastes qui bouillonnent dans tout mon corps, canalisant l'énergie qui s'échappe de mes entrailles. Une brume grisâtre s'échappe de ma bouche pour s'engouffrer dans les yeux, les oreilles et le nez du marin, l'enveloppe et semble s'immiscer peu à peu en lui. Ses traits se tirent, ses yeux sont exorbités. Il halète. Je le lâche et il vacille. L'équipage, qui s'est peu à peu attroupé, se rapproche, certains font mine de le soutenir mais hésitent. Je prend alors conscience des regards insistants et méfiants sur moi. Je ferme les yeux un instant, pose une main sur mon front ; je sens une migraine venir. Les gens se rapprochent, le silence est pesant. Je jette un regard à la foule... Et merde, je tourne les talons et quitte la scène.