L'endroit était propre, bien tenu et sentait le savon. Cette odeur força un sourire sur mes lèvres alors que je respirais l'agréable ambiance de l'endroit. Me découvrant j'avançais dans le hall qui était vide à l'exception d'un homme à l'accueil. En m'entendant arrivé il leva la tête et me regarda approcher avec un sourire. Le bruit de mes pas alertèrent également un garde qui était dans le vestiaire. Il apparut dans l'embrasure de la porte ce dernier et porta la main au pommeau de son épée. Le geste ne m'échappa pas. Décidément tout le monde avait quelque chose contre moi aujourd'hui! Je faillis faire demi tour mais la promesse d'un bon bain me fit aller de l'avant. L'homme de l'accueil me salua quand j'arrivai à son niveau

"Bonjour monsieur. Je m'appelle Isum, je suis responsable des thermes aujourd'hui. Que puis je faire pour vous?"

Assis derrière le comptoir il devait avoir dans la soixantaine. Il avait des longs cheveux, une grande barbe et une belle moustache. Toute sa pilosité était parfaitement entretenue et d'un blanc immaculé. Son visage était marqué par les rides caractéristiques d'un homme qui a beaucoup ri dans sa vie. Son air bienveillant me décontenança un peu. Il avait parlé volontairement lentement, d'une voix posée, cherchant visiblement que je me sente le mieux possible. C'était le premier visage amical que je voyais depuis un long moment.

"Heu bonjour. Je viens juste prendre un bain. La route pour venir ici a été longue et j'ai besoin de me relaxer.

-Je peux le voir à votre visage. Mon ami vous êtes venu au bon endroit. Il avait un timbre très doux. Il continua en désignant le garde. Il vous faudra juste remettre vos armes à Ceodän et après vous pourrez accéder aux vestiaires. Nous les garderons dans les casiers que vous pouvez voir derrière moi et elles vous seront bien entendu remises à votre sortie."

Son ton amical était un véritable plaisir pour mes oreilles. Après tant de temps à parler seulement avec Dexter, je me rendis compte à quel point cela m'avait manquer de pouvoir juste échanger des salutations d'usages. Sous l'émotion je murmurai un merci inaudible avant de me diriger vers les vestiaires.

Ceodän me barra le chemin et me regarda d'un air mauvais. Habillé d'une simple tunique de cuir, il n'était pas aussi impressionnant qu'il semblait essayer de le paraître. Il était totalement imberbe et portait de courts cheveux blonds. Ses yeux bleus guettaient le moindre de mes mouvements tandis que je lui remettais arc, flèches et couteau. Il était légèrement plus grand que moi mais ne devait pas avoir plus de dix-sept ans. Alors que j'avais finis de lui remettre mes possessions il ne bougea pas, me barrant toujours l'accès aux vestiaires. Ce n'est que sur un geste d'Isum qu'il me laissa enfin passer. Ceodän était surement une nouvelle recrue ce qui expliquait son jeune âge, son affectation aux thermes des hommes et le sérieux avec lequel il prenait son travail. Je ne me formalisai donc pas de son attitude et le saluai tout de même d'un signe de tête avant d'avancer.

Le vestiaire était vide à l'exception d'une personne patibulaire qui marchait vers moi à l'autre bout de la pièce. Il avait tout du bandit de bas étage. Mal rasé, couvert de crasse et vêtu de haillons sales. Alors que j'avançais vers un banc qui était au milieu de la salle pour me changer, il fit de même. Apparemment il avait choisi le même emplacement que moi. Je n'étais pas d'humeur à me faire intimider par un truand de bas étage et tout en me demandant comment on avait pu le laisser entrer dans les thermes je continuais de me diriger vers le même point du banc. SI bien que nous fîmes bientôt seulement à deux mètres l'un de l'autre. C'est alors que je pris conscience de ce qui venait de se passer.

Le banc n'était pas au milieu de la pièce mais à son bord, contre un long miroir qui recouvrait tout le mur. L'homme que je voyais n'était rien de plus que mon reflet. Cette prise de conscience m'atterra. Je n'avais pratiquement plus rien à voir avec l'homme qui avait quitté Shory. De près je pris conscience d'à quel point mon aspect était négligé et même menaçant. Tout d'un coup je vis les derniers évènements sous un jour nouveau. Evidemment que j'avais été contrôlé à la porte, que les gens me fuyaient ou se barricadaient à mon approche!

Ce qui me frappa le plus était mon regard. Il était d'une dureté et d'une froideur que je ne me connaissais pas. A partir de quel moment une telle transformation s'était opérée en moi? Certes il était normal que j'eusse un aspect plus négligé qu'à l'ordinaire après deux mois de route mais là je ne me reconnaissais même pas! Soudain je fis le parallèle avec Sélène, il devait y avoir une part de lui derrière cela. Je m'étais une fois de plus laissé surprendre et pourtant mon voyage c'était bien passé. Je n'avais eu que très peu de pensées négatives. Jusqu'à ce que...

L'image de Dexter vint à mon esprit. Son départ avait créé un vide plus grand que je n'avais voulu le reconnaître. J'avais passé les deux dernières semaines de voyage dans un état de déprime. Sans m'en rendre compte je m'étais négligé en me laissant porter par la route. Sélène n'avait peut être pas tant agit que ça sur moi en fin de compte...

Peu importe! C'était derrière moi tout ça maintenant! Je m'assis sur le banc, tournant le dos à l'image dérangeante que me renvoyait le miroir. Il me fallait aller de l'avant et ça commencerait par retrouver une allure correcte. Gardant seulement mon pendentif sur moi sans même y réfléchir, je rentrais dans la salle de lavage mes affaires à la main. Alors que je m'installais je me promis que pour mon prochain voyage je chercherais un groupe auquel me mêler. Peut être même que je trouverais des compagnons de route ici.

La pièce était entièrement vide à l'exception d'un jeune garçon qui balayait l'endroit. Vu l'heure ce n'était pas vraiment surprenant. Je lui demandais d'aller me chercher un bac pour que je puisse nettoyer mes vêtements. Pendant qu'il s'exécutait j'entrepris de frotter avec du savon chaque centimètre carré de ma peau. L'eau qui m'entourait devint vite noire de saleté. Il était vraiment temps que je me lave sérieusement. Le garçon revint avec ce que je lui avais demandé avant de ramasser son balai et de se diriger vers une autre pièce. Mes vêtements étaient dans un état encore pire que mon corps et je du changer l'eau du bac à plusieurs reprises avant d'obtenir un résultat correct. Je les mis à sécher sur un banc des vestiaires avant de me diriger vers la pièce du bain chaud.

Il n'y avait personne non plus dans cette salle et je pouvais en jouir entièrement tout seul. Si ce n'était pas ici que je trouverais des compagnons de route, l'idée de pouvoir m'y d'étendre tranquillement m'était bien agréable. Enfin je rentrai dans l'eau chaude et je sentis aussitôt tous mes muscles se décontracter. Allongé sur les marches du bord du bassin, je me mis vite à somnoler.

Je fus tiré de mon sommeil par un bruit d'agitation. Levant les yeux pour essayer de percevoir ce qui était en train de se dérouler, j'eus juste le temps de voir Ceodän qui courait dans le couloir. Je ne compris pas ce qui se passait mais il était visiblement en colère. Peu importe ce qui était arrivé je décidais que cela ne me regardait pas. Je me sentais bien détendu et je n'avais aucune envie de m'attirer des problèmes. Sortant doucement de l'eau je m'apprêtais à quitter les bains. Dans ma tête je remerciais déjà Isum. Ce brave homme était le seul à avoir vu derrière mon apparence et à s'être montré amical. Sans lui je serai peut être partie de nouveau seul sur la route et qui sait ce que j'aurais pu devenir.

C'est à ce moment que j'entendis un cri de douleur provenant de la pièce d'à côté. Je m'immobilisais, dressant l'oreille, pour tenter de comprendre ce qui venait de se passer. L'explication vint à moi d'elle même. L'instant d'après un ratissa visiblement paniqué entrait en courant dans la pièce dans laquelle j'étais. Dès qu'il me vit il poussa un cri excité et aussitôt se dirigea vers moi. J'étais trop abasourdi pour faire le moindre mouvement et c'est que lorsqu'il me sauta dessus que je réagis enfin. J'attrapai Dexter en plein vol et le serrai dans mes bras. J'ignorais comment il était parvenu à me retrouver mais c'était un véritable bonheur de le retrouver. J'étais fou de joie et lui aussi.

Mais ces retrouvailles furent soudainement interrompues. Ceodän entra dans la pièce peu après Harper suivit aussitôt par le garçon qui nettoyait les bains. Le garde avait maintenant son épée au clair et avait l'air furieux. Il tenait sa main gauche au niveau de sa bouche, vraisemblablement pour couvrir une blessure récente. A son arrivé Harper se réfugia derrière ma jambe, le garde semblait le terrifier. Je compris assez vite ce qui venait de se passer.

Il y eut un temps d'arrêt où Ceodän me regarda avec un air où la perplexité se mêlait à la colère. J'imaginai que la situation devait être assez inhabituel pour lui. Un ratissa venait de pénétrer dans les thermes et il se cachait maintenant derrière un homme nu. D'autant qu'il devait avoir du mal à me reconnaître maintenant que j'étais propre et que mon air fermé avait laissé la place à un visage lumineux depuis l'arrivé de Dexter. Je tentai, un sourire aux lèvres, de désamorcer la situation.

"Ecoutez monsieur, c'est juste un..."

A peine avais je prononcé ces mots que l'indécision quitta son visage. Grace à ma voix il avait finit par réussir à m'identifier avec certitude. Il prit la parole d'un ton agressif dégageant sa main de son visage et je pus y voir distinctement la marque d'une morsure.

"Ha! Je savais que tu serais source de problèmes! Isum est toujours trop bon avec les racailles dans ton genre mais moi je ne suis pas dupe! Se tournant vers le garçon qui était en retrait. Viason va chercher les gardes! Je vais retenir ce scélérat ici."

Il avait dit sa dernière phrase avec une froide détermination. A la mention des gardes mon sourire s'effaça aussitôt et avant que je réalise ce qui se passait le dénommé Viason s'était précipité dans le couloir. Ceodän avançait doucement vers moi une lueur mauvaise dans les yeux et son épée tendue en avant. Je tentais de le résonner.

"Ecoutez, je ne veux vraiment aucun mal. J'ignorais même...

-SILENCE!"

Il joignit son cri d'un grand pas en avant et tenta de me porter un coup du plat de son épée. Il avait pris trop d'amplitude pour préparer son mouvement et j'eus tout le temps de le voir venir. Les réflexes que j'avais acquis au cours des entraînements avec mon père revinrent soudain à la surface. Je n'avais pas l'avantage de l'allonge et esquiver en arrière m'aurait juste exposé pour le prochain coup. Je me précipitais donc en avant passant à l'intérieur de la parabole dessiné par son arme. Ayant pénétré sa garde j'en profitais pour lui asséner un violent coup de coude dans le menton.

Il tituba en arrière, se tenant le visage en jurant. Il avait encore son épée à la main. Sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits j'enchaînais avec un coup de pied visant la garde de son arme. Le choc fut suffisant pour que qu'elle lui échappe et aille ricocher sur le sol un mètre derrière lui avec un grand bruit métallique. Je voulu continuer mon assaut avec un second coup dans la poitrine mais mon pieds mouillé sur le sol de dalles me donnait un appui instable. Emportés par l'élan de mon premier coup je glissai et m'étalai lourdement sur le sol en poussant un juron. Dexter m'esquiva de justesse d'un bon sur le côté.

Ceodän enlevant la main de sa face remarqua qu'elle était couverte de sang. Je vis que mon coup de coude lui avait probablement cassé le nez. Il me jeta un regard furieux alors que je tentais de me relever et se précipita pour récupérer son épée. J'avais eu de la chance sur sa première attaque, il m'avait clairement sous estimé. Si il récupérait son épée il aurait juste à me tenir en respect pour me barrer la route jusqu'à l'arrivée des renforts et il n'y avait rien que je pourrais faire.

"Dexter, garde!"

J'avais hurlé mon instruction en désignant l'épée tombée au sol. C'était un des nombreux ordres que je lui avais appris durant notre voyage. Je priai intérieurement qu'il ne l'ait pas oublié. Mon inquiétude n'était pas fondée, il comprit aussitôt ce que j'attendais de lui. Il se précipita entre les jambes de Ceodän. Juste avant que ce dernier ne puisse se saisir de son épée, Dexter se campa sur l'arme et montra les dents en sifflant en sa direction. Ceodän se redressa vivement. La morsure qu'il venait de recevoir à la main le rendait plus prudent. De mon côté je venais tout juste de me relever et j'étais encore un peu sonné par ma chute. Je le vis porter la main au dos de sa ceinture pour en sortir un poignard. Il se tourna vers moi.

Je ne me ferais pas humilier plus longtemps par un mendiant et son rat de compagnie! Ses paroles étaient pleines de rage. D'un coup il se tourna vers Dexter qui continuait de montrer les crocs. Tu vas payer pour ton maître et il te rejoindra bientôt!

Il allait donner un coup à coup à Dexter. Il ne fuirait pas car je lui en avais donné ordre de garder l'épée. Je sentis d'un coup la force d'Hélios me parcourir. Le temps sembla s'arrêter pendant une fraction de seconde. Mon corps se mis à agir sans même que j'y pense. Je chargeais de toutes mes forces vers le garde. Je parvins à le percuter de l'épaule avant que sa lame ne s'abatte sur Dexter. Son arme lui échappa à quelques centimètres de sa cible.

Il tenta de s'agripper à moi mais mon corps nu et humide n'offrait aucune prise. Il fut éjecté par l'embrasure de la porte dans le couloir. Il tomba assis sous les regards curieux des autres baigneurs alertés par le bruit. Ils laissaient tous dépasser leurs têtes de leurs salles respectives. Ceodän s'en rendu compte et se voir ainsi humilier publiquement le rendit fou de rage. D'un geste il se releva et dans un cri hystérique chargea vers moi.

Il avait laissé la colère la submerger et son attaque était grossière. Il fonçait vers moi les bras grands écartés, laissant totalement son torse sans protections. Profitant de l'ouverture je plaçais un coup de la plante du pied en plein dans son plexus. L'impact fut violent et il fut projeté contre le mur du couloir avec un bruit sonore. J'entendis les cris de surprises des quelques baigneurs qui avaient assisté à la scène. Enfin qui avaient vu Ceodän se relever pour être à nouveau éjecté avec violence.

Il gisait adossé contre le mur et ne bougeait plus. Je pris une seconde avant de réaliser ce que je venais de faire. J'avais agis par instinct, pour me défendre mais je n'avais jamais voulu lui faire du mal. Pris de panique je me précipitai sur le corps pour voir s'il était encore en vie. En plaçant mes doigts sous son nez ensanglanté je sentis qu'il respirait encore. Je sentis un immense poids s'ôter soudain de mon corps.

Mon soulagement fur de courte. J'entendis les bruits d'hommes en armures qui arrivaient près du bâtiment. J'avais eu de la chance avec ce combat mais il était impossible que j'affronte toute la milice complètement nu et sans mes armes. Vu ce que je venais de faire, tenter de m'expliquer n'était plus une option envisageable. Je fis signe à Dexter de me suivre et pris la fuite dans le couloir. C'était la seule option qui me restait. Ce n'est qu'à ce moment qu'un des spectateurs sorti de sa léthargie.

"Mais mais... Arrêtez le!"

Bientôt deux baigneurs aussi nus que moi se lancèrent à ma poursuite. Aux insultes qu'ils poussaient c'était sans doute les deux plus sanguins qui se trouvaient dans les thermes à ce moment là. Ils avaient l'air d'être plus poussés par l'idée d'une bonne baston que par un quelconque sentiment de justice. Je continuais ma course sans me retourner.

En repassant dans le vestiaire je récupérai en hâte mes affaires sans prendre les temps de les mettre. C'est complètement nu que je regagnai l'accueil. Devant Isum abasourdi je sautai sur le comptoir de l'accueil pour récupérer en vitesse mes armes. Mes parties au niveau de son visage, je formulai dans la précipitation des excuses approximatives. Je n'avais pas le temps de faire mieux. J'entendais les bruits de pas cadencés des hommes en armures qui approchaient dehors. Mes dernières affaires récupérées je sautai au sol et me précipitai vers la sortie. Dexter suivait de près et non loin les deux baigneurs, nus également, s'étaient dangereusement rapprochés.