Marthis n’a pas prononcé un mot depuis notre arrivée au marché et s’est contenté de saluer le propriétaire des lieux d’un simple signe de tête. Ils semblent se connaître, au moins un minimum. Est-ce encore un de ces lieux où tout le monde se connaît ?
Le marchand me répond avec ce doux accent des hommes du désert, indiquant qu’il est toujours ravi de faire affaire. Visiblement, les bijoux que je lui montre semblent attirer son attention. Bien.
Sans un mot, il s’en va derrière l’un des comptoirs de sa boutique afin d’y étaler plusieurs objets devant lesquels j’écarquille les yeux. Lorsque je lui demandais des objets dont il était fier, je ne m’attendais pas à un tel étalage. Non pas que cela me dérange, soit dit en passant.
Le premier objet est une épée étrange à la lame recourbée et d’un gris foncé presque noir. Plusieurs ornements en or la parcourent. Il m’explique que c’est une arme forgée par le meilleur artisan de Methbe-el, qu’elle est neuve et particulièrement tranchante. Je n’en doute guère en vérité. Elle est belle, mais je vois dores et déjà qu’elle n’est pas du genre d’armes que j’aurais plaisir à utiliser. Elle est trop… barbare.
Je hoche la tête et nous passons à la lame suivante, une sorte d’épée à la lame très épaisse mais relativement courte qui semble pouvoir être tenue autant à une main qu’à deux. Du moins pour quelqu’un ayant plus de force que moi, car je la trouve bien impressionnante et je doute de pouvoir faire plus de deux moulinets avec sans avoir des crampes. Khebet m’annonce qu’elle est la lame de garde de l’Antique Messaliah et que nul ne sait de quelle façon elle est arrivée en ce lieu. Le détail est intéressant, néanmoins. Un petit frétillement de sa moustache sous entend qu’il en sait plus qu’il ne le dit, mais je me garde de le presser plus, me rappelant que tout ici a un prix, même une simple question sur l’histoire d’une lame.
La suivante est une épée magnifique, ouvragées comme celle des héros des légendes. Des inscriptions étranges se trouvent gravées sur sa lame et sa garde et magnifiquement ouvragée. Encore une fois, elle est sublime, mais trop lourde je le crains pour mon bras. Selon Khebet, il l’a en sa possession en raison d’un échange avec un homme pâle qui la tenait lui-même d’un homme de l’Ouest. J’ignore malheureusement à quoi il fait référence, mais il semblerait qu’elle vienne des plages chaotiques d’Ouesseort et posséderait de mystérieux pouvoir. Je frémis mais n’en doute guère.
Il me montre également un arc que je regarde à peine et qu’il ne commente pas plus. C’est assurément une pièce magnifique, mais mes talents d’archer sont plus que douteux.
A la lame suivante, cependant, je ne puis empêcher mes yeux de s’écarquiller légèrement. L’épée est juste… sublime. Magnifique. Il s’agit d’une fine rapière à la lame d’or et d’un métal poli de rouge, d’orange et de jaune, comme si un feu intérieur l’habitait. La garde est d’or admirablement ouvragé et le pommeau représente une créature ailée semblable à un lion possédant une tête d’aigle. Sublime. J’entends à peine Khebet me dire qu’elle a été forgée à Neo-Messaliah par les Cadi Yangin et qu’elle est habitée du Feu du Désert. Mes yeux se plissent cependant à ses dernières paroles. Elle est très chère. Je n’en doute pas, mais à quel point ?
Je m’arrache avec peine de la lame pour passer à côté d’un sceptre un peu plus petit que moi au manche bleu et or achevé par un croissant de lune orné de pierres rouges. Il serait le sceptre personnel d’un puissant Cadi Yangin qu’il aurait échangé contre des denrées que le marchand ne souhaite énumérer. Ce fameux sel ? Sans doute. Selon lui cet homme serait avide de la récupérer. Cette information n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde, n’est-ce pas auprès de ces gens que je me rends ? Une monnaie d’échange serait la bienvenue.
Il annonce alors qu’il lui resterait encore quelques armes, mais qui ne seraient pas adaptée à ma personne, ce dont je ne doute pas au jugé du choix qu’il vient de m’offrir. Il me montre alors une cotte de maille à l’aspect terne, mais assurément solide et légère. Je fronce légèrement les narines à cause de l’odeur du métal. Enfin, si elle est solide…
Cependant la pièce à côté attire mon regard autant que la rapière. Il s’agit d’un métal bleuté aux bordures d’or fait de multiples plaques de métal superposées et articulées qui la rendent plus solide et plus souple, lui donnant l’apparence d’un léger ornement. Elle est sublime elle aussi et j’admire son bleu, chacun de ses éclats et de ses reflets, me retenant avec peine de la touche, de la manipuler.
Cette armure aurait autrefois appartenu à une garde d’élite de Messaliah qui parvint à sauver maints habitants de la destruction de l’antique cité. Vâkkar Ti, celui qui fut la destruction de la cité fut apaisé par le geste de cette femme qu’il récompensa en enchantant de pouvoirs puissants sont armure. La femme serait à présent décédée, mais son histoire perdure avec cette armure.
A ses paroles, mes mains se crispent et les larmes me montent soudainement aux yeux. Cette garde est parvenue à faire ce que je n’ai pas pu : sauver son peuple, ou une partie. Là où moi je n’ai pu que fuir, que partir au loin, sur cet autre monde où je me retrouve face à son histoire. Je dois y retourner, je dois survivre et retourner dans mon désert et rassembler les lambeaux du Kel Asheara s’il en reste, découvrir qui nous a ainsi trahit…
Ma main, sans que je ne la maîtrise, se lèvre et effleure l’armure. J’entends Khebet me dire qu’il doute que j’ai de quoi l’échanger car c’est une relique de son peuple, témoin de temps ancestraux et de la valeur des Femmes du Désert. Cette dernière formule me fait relever les yeux. Les valeurs des Femmes du Désert. Oui, ça, je connais, je sais. C’est selon ces valeurs que j’ai été élevée, et n’est-ce pas pour celles-ci que je me retrouve sur ce monde étranger, au-delà des éons, afin de tenter de sauver ce qui peut l’être ? Car oui, c’est une chose que j’ai comprise hier soir. Je ne me battrais pas pour les dirigeants d’Oranan, d’Omyre ou pour une quelconque guerre mesquine. Je me battrais pour le peuple, quel qu’il soit. Pour celui d’Oranan, qui appartient à mon monde d’origine, de la même manière que les orques d’Omyrhy. Car eux aussi ne sont-ils pas simplement les instruments du pouvoir ? Mais je les combattrais si la nécessité se fait, sans faillir. Pour eux, et pour ces gens du désert, si proche et si loin de moi. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher que ne se répandent les cohortes de sang et de mort.
C’est avec ce même regard déterminé que mes yeux glissent sur un encensoir portatif qui appartiendrait aux rites des Cadi Yangin, menant vers une transe puissante, fournie avec la résine. C’est une chose qui ne m’intéresse guère, j’ai toujours appris à ne pas fricoter avec ce genre de substance que je ne maîtrisais pas.
Le dernier objet parvient à éveiller mon intérêt, bien que mon esprit brûle toujours de cette même hargne née de la vision de cette armure. Il me montre une clé pendue autour d’une chaîne, faite de bronze et d’un flamboiement.
Il m’annonce qu’elle est la Clef de Sol et percerait les secrets antiques d’Ibn Al’Sabbar. Pour ceux qui aiment à braver les interdits.
Pour ceux qui aiment à braver les interdits.
Je relève une nouvelle fois les yeux sur lui et je sais que dans mes yeux flamboie ce même feu qui brûle dans le désert et dans cette rapière.
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Les objets que vous avez, Maître Khebet, sont au-delà de mes espérances et s’avèrent être particulièrement magnifiques. Votre magasin a des allures de caverne aux milles trésors et j’admire le talent qui les a ainsi savamment assemblés. Cela me rappelle une petite comptine que l’on narre sur mes terres, d’un poète nommé Pawl Valairie :
« Choses rares ou choses belles
Ici savamment assemblées
Instruisent l'œil à regarder
Comme jamais encore vues
Toutes choses qui sont au monde »
«
Certains de vos objets ont cependant plus attiré mon regard, à l’image de ce sceptre, de cette rapière et de cette clef qui semble faite pour s’imbriquer dans un chas bien étrange. Quel en serait leur prix ? Je gage que des bijoux venus d’un autre monde pourraient attirer l’intérêt d’un collectionneur tel que vous. L’étincelle malicieuse à l’œil, je souligne mes propos en sortant plusieurs bijoux que j’expose à mon tour sur le comptoir. Nombreux sont les bijoux d’or, mais il y en a également certains d’or blanc et la plupart sont ornés de pierres plus ou moins précieuses, allant de la pierre de lune au rubis en passant par l’émeraude, au saphir ou encore au diamant. L’un d’eux, particulièrement beau, est même orné d’une perle de San Divyna. Tant de futilité… Ces objets me paraissent si dérisoires après tout ce que j’ai vécu… Je n’en montre cependant rien en en faisant légèrement l’étalage. Je suspends soudainement mon geste.
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Que peut faire une Femme du Désert pour prouver sa valeur ? Je viens d’un désert fort lointain qui se trouve sur un autre monde. Mon histoire a été racontée à cet homme (j’indique Marthis en lui adressant un léger sourire)
ainsi qu’à trois autres personnes, dont Ezereb qui doit la conter à votre peuple.Mon cœur bat fort dans l’attente de sa réponse, je le sens marteler ma poitrine. Je ne quitte pas ses yeux, mais je vois du coin de l'oeil le flamboiement de la rapière et les reflets bleutés de l'armure.