A la recherche des sinaris Le style elfique est bien présent, avec son côté léger, aérien, champêtre dans les motifs, mais il n’y a pas à tortiller, la milice en impose tout de même. Le bois est juste là pour soutenir et renforcer de la bonne pierre. La guerre n’est pas toute proche de la ville côtière, mais des fois qu’un groupe de shaakts se radine pour tenter un coup d’éclat en massacrant une poignée de miliciens, il est sûr qu’ils se casseront les dents sur le bâtiment. Un grand carré de deux bons étages ferme une cour sur laquelle ouvrent les différents éléments de la vie de la milice, chaque angle porte une solide tour trapue d’où les archers peuvent sans peine arroser les assaillants. L’ensemble emprunte beaucoup plus à la place forte qu’à tout autre élément d’architecture urbaine, et ne laisse aucun doute quant à sa fonction. Ceux qui prennent là leur service consacrent leur vie à autre chose qu’un simple maintien de l’ordre dans les rues.
Mon guide interpelle l’un de ses collègues en faction, pour lui exposer le motif de ma présence, ou s’enquérir de la présence des sinaris, du moins le supposé-je car je ne comprends pas un traitre mot de leur langue. Toujours est-il qu’on me laisse entrer, sans me demander de laisser derrière moi mes armes et tout ce qui pourrait présenter une menace. Pas la peine de lever la tête pour deviner qu’au moins un ou deux archers m’ont dans leur champ de vision, et doivent pouvoir me ficher de flèches comme une pelote d’épingle avant même que je puisse brandir une arme à l’encontre de qui que ce soit. Le milicien qui parle la langue commune m’indique un banc ou m’asseoir, m’expliquant que les sinaris sont en audience avec le responsable local de la milice, et qu’ils viendront me chercher par la suite. Avant qu’il prenne congé pour rejoindre son poste, je lui adresse mes remerciements pour son aide, et une bénédiction en invoquant Yuimen. Il me répond d’un sourire et d’un signe de la main, avant de partir. Et me voilà à nouveau planté comme un objet de curiosité au milieu d’elfes que je ne connais ni ne comprends.
Attendre n’est pas le souci. C’est quand même en attendant des proies que je gagne ma vie. C’est être un potentiel sujet d’attention qui me met mal à l’aise. A l’affût, je dois me dérober aux sens de tout ce qui vit pour être efficace. Ici je suis exposé, et étranger. Alors, pour combattre mon malaise, à mon tour j’observe.
Pas grand monde ne traine là. J’imagine que tous ceux qui ont quelque chose à faire à l’extérieur sont occupés, ou rentrent chez eux le moment venus. Des gardes jouent à un jeu qui m’est inconnu, lançant des dés sur une peau marquée de cercles, échangeant des bâtonnets de tailles et couleurs différentes, peut-être des mises ; pas une pièce ne change de main pour ce que j’ai pu en voir. Un autre taille des fûts et des plumes, sans doute pour compléter un stock de flèche. Une petite forge est en activité, pas assez importante pour être consacrée à la production d’armes cependant. En revanche, elle doit suffire pour tous les travaux de réparation communs, les affûtages, le ferrage des chevaux, l’ensemble des tâches requérant un artisan efficace sur place. A l’odeur du charbon de bois consumé viennent se mêler les touches aromatiques de la cuisine. Ici, me dit mon nez, on mange aussi. Si jamais les sinaris se sont attablés sans même me réserver une part, je jure que ce sacré Bravephin m’entendra.
Le dos contre le dossier de bois, je finis par piquer du nez.
Un coup dans mes bottes me réveille. J’émerge difficilement, pour me trouver nez-à-nez avec le chef de notre expédition. Sandoc a l’air de bonne humeur, et n’est pas seul.
« Alors Jager ! Déjà fatigué ? Moi qui comptais vous présenter le capitaine, a qui j’ai dit le plus grand bien de vous ! » Il n’a pas fini sa phrase que je me suis déjà redressé, et ai repris une contenance à la mesure de ce que l’on pourrait attendre de moi : pas tout à fait martiale, pas tout à fait négligée, la posture droite, l’allure de ce que je suis, un type qui ne compte pas se laisser intimider si facilement par une situation où il aurait pu n’être pas à son avantage. N’importe qui peut bien faire une sieste, et je n’ai pas à rougir de celle-ci.
Aux présentations d’usages succède une courte conversation polie sur la ville, un échange de banalités. Cependant, le capitaine en vient vite à ce qui semble l’intéresser depuis le début, sujet qu’il n’a pas abordé de but en blanc, par souci de politesse peut-être ; dommage, je ne lui en aurai pas tenu rigueur, loin de là.
« Maitre Bravephin m’a confié qu’il vous avait choisi pour l’accompagner dans son voyage. Pour vos talents aux armes en cas de trouble, m’a-t-il confié. Je le crois sur parole, et je vous prie de bien vouloir considérer ma prochaine demande comme une faveur à m’accorder, et non comme un signe de défiance. Votre venue coïncide avec une joute hebdomadaire à laquelle s’adonnent nos archers. Nous n’avons que rarement l’occasion de recevoir parmi nous des étrangers, aussi nous feriez-vous l’honneur de vous joindre à eux. »
« L’honneur serait pour moi. » Si ce n’est pas de la défiance, ça ne m’a pas tout à fait l’air d’une invitation comme les autres. Je ne sais pas bien ce qu’il y a derrière la tête de cet elfe, mais les mimiques encourageantes du sinari étaient éloquentes. Et puis, qu’est-ce que je risque ? Ma vautrer admirablement devant une digne assemblée ? Pour ce que j’en ai à faire. L’enjeu est pour eux. Ce sont les elfes qui sont réputés pour la qualité de leurs archers, sans compter que je suis au cœur d’une de leurs cités. Si je rate mon tir, au pire confirmerai-je leur supériorité sur ceux de ma race dans cet exercice, ce qui me passe à des kilomètres au dessus du chapeau. Au mieux j’aurai gagné un peu de respect, ce qui est toujours bon à prendre.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Dans une cité enclose de murs, la place est un luxe que ne s’accordent pas ou peu les militaires, sinon pour bâtir haut et solide. Il doit être loisible à tous les membres de la milice de s’entraîner dans les alentours. Pour l’occasion, c’est la longue rue sur laquelle ouvre la milice qui est fermée le temps du défi, sans que la population semble rechigner. Au contraire, des passants se rassemblent dans les espaces sûrs, pour profiter du spectacle.
Mon arc fait pâle figure face à ceux dont son équipés les autres concurrents. Des chefs d’œuvre de facture, simple et élégants à la fois, rien à voir avec celui qui me rend de si fiers services depuis des années. Pas question cependant de le renier. Je le connais, et il m’a tiré de sales pas par le passé. Je lui dois ma survie contre ce foutu liykor noir dans la montagne, rien que pour ça, je vais tenter le coup avec. Dans mon carquois, je sélectionne l’une des flèches empennées de noir, de meilleur équilibre que celles plus communes que je me fabrique habituellement.
La cible est un rond d’un mètre de diamètre à vue de nez, probablement de paille tressée, sur lequel est tendu un drap blanc peint de cinq cercles concentriques de couleur, autour d’une tache noire grosse comme mon poing. C’est là-dessus que je dois tirer, à une distance de cinquante mètre. Passe encore que j’ai de bons yeux, et que le moment de la journée se prêtre à l’exercice : je n’ai pas le soleil dans le visage, et il est encore assez haut derrière moi pour que la lumière rasante et les ombres ne corsent pas l’exercice. Les neuf autres archers sont positionnés sur une ligne, une cible pour deux. Nous n’aurons le droit qu’à une flèche pour nous départager.
Solide sur mes appuis, détendu, je prends la mesure du vent qui souffle, de la force nécessaire pour toucher au but. Finalement, cela ne diffère en rien d’une chasse classique, d’un de ces moments où j’ai dû attaquer pour défendre ma vie, ou celle d’un autre. Ce n’est toujours qu’une affaire de concentration, de confiance, de pratique. Pour l’heure, je dispose de ces trois qualités, que je compte mettre à profit.
Au signal, je bande mon arc, vise la cible, et relâche la corde un peu après les autres. Tout est joué.
(((Utilisation de l'arc et d'une flèche à penne noire (MAJ+10, for+5), et de la CC "Tir précis" (For+1/lvl, maîtrise AJ+1/lvl) au niveau 11)))Honorable résultat