Réponse à Miriel et KhmerAussi laconique et ferme que le fier guerrier issu des montagnes, la rôdeuse à la souplesse animale d’allure ensorcelante divulgua son nom sans emphase ni enjolivures, se contentant de le donner à Larc et Miriel comme Larc lui avait donné le sien en un échange standard d’une simplicité toute sauvage, et sauvage était d’ailleurs le maintien de la dénommée Khmer, comme si elle avait pris le calme soudain dont avait fait preuve le Bratien comme une insulte à sa valeur ; comme si, en ayant rengainé ses armes, il avait complètement cessé de la considérer comme une menace et l’avait donc rabaissée au rang de petite vagabonde. Bien sûr, tel n’était pas le cas, car malgré la juvénilité de son apparence et l’étourderie que l’on pouvait lire dans certains côtés de son attitude, il n’était pas difficile de déceler la maîtrise et la force dans ses gestes, mais comme sur bien d’autres sujets, le seul jugement de l’homme-loup à propos de cela serait jusqu’à nouvel ordre son silence.
Et ce silence, il le conserva alors même que l’écho de la porte qui se refermait avec un léger claquement faisait écho à celui, beaucoup plus bruyant, qui avait résulté de la perte d’équilibre de la Worane dont la cause excusable se lisait facilement dans une des pattes postérieures de la jeune créature qui s’était mise à trembler de manière visiblement incontrôlée, comme prise d’une crise de folie autonome qui l’aurait poussée à faire sécession du reste du corps auquel elle appartenait. D’un simple geste de la main, il aurait pu la relever sans transpirer, mais pourtant, il n’en fit rien, se contentant de gagner un coin de la pièce pour s’y positionner, n’accordant qu’à peine un regard à l’aventurière qui se trémoussait malgré elle à terre, son comportement ne recelant pourtant ni dédain ni narquoiserie contrairement à ce qu’il aurait pu laisser penser : à l’inverse, s’il la laissait se débrouiller, c’était bel et bien en signe de respect, ne voulant pas lui faire l’affront de la laisser se sentir assistée comme une vieillarde impotente.
D’ailleurs, niveau aide, elle montra bien qu’elle n’en aurait accepté aucune, sous quelque forme que ce fût, lorsqu’elle répondit un peu rudement à la question prévenante de Miriel qui ne rencontra que mauvaise humeur chez la tigresse fort marrie de se retrouver dans une position de faiblesse d’apparence aussi grotesque. Un garde du corps plus commun que le Bratien aurait d’ailleurs peut-être intimé à l’intruse qui ne l’était au passage plus tant que ça de faire preuve de plus d’égards devant la noble dame qu’était la Mimijuléenne, mais en ce qui le concernait, il ne se souciait que fort peu de ces aspects protocolaires et des manières qui leur étaient liées, laissant de pareils manquements passer sans s’en préoccuper pour mieux se concentrer sur la protection purement physique qu’il mettait un point d’honneur à respecter.
Cependant, pour en revenir à la nouvelle venue, celle-ci se focalisait désormais sur la petite silhouette à l’identité inconnue recroquevillée sur le giron de la demoiselle et dont la présence avait l’air de l’intriguer autant que lui, même si, de son côté, il ne montrait en rien à quel point cela le déconcertait contrairement à Khmer qui dévisageait la masse de chair et de tissu ramassée en boule comme si elle étudiait une bête curieuse, ce qui n’était à vrai dire pas si loin de la vérité que cela tant l’apparence de l’être humain dégingandé avait un aspect si insolite que même des non-humains comme elle et lui ne pouvaient en faire abstraction. Captant toute l’attention en dépit de son gabarit fort peu remarquable, l’arlequin tout peinturluré n’eut pas un tressaillement en dépit des regards qui pesaient avec insistance sur lui, ne se mettant à réagir que lorsque la Worane s’approcha avec en main son chapeau qui n’était en réalité désormais qu’un semblant de chapeau et ressemblait plus à un monceau de mousse humide exotique tant la pluie en avait altéré la forme. Reconvertissant cet ornement de feutre épais en une compresse de fortune pour le gaillard apparemment mal en point, elle le posa ensuite sur son front, au déplaisir visible du galopin dont la mimique de rechignement fut bien rapidement estompée par un des index délicats de l’élégante enfant qui réduisit comme par enchantement toute protestation à néant. Malgré toute sa réserve et toute sa fierté, le Bratien se devait d’avouer qu’il n’était pas sûr de savoir s’il se serait montré moins influençable face à une douceur aussi ferme qui avait quelque chose d’indubitablement semblable à celle dont Mylène savait faire montre et qui avait à plus d’une reprise coupé court à certains accès de mauvaise humeur de Larc avec une telle efficacité que s’il avait été du genre à prendre ombrage de se faire mettre au pas par une « gonzesse », il aurait pu s’en sentir offusqué.
Quoi qu’il en fût, comme mal à l’aise à l’idée qu’il aurait pu être d’une pareille docilité, il détourna son attention de la scène d’allure proprement maternelle pour la reporter sur la tête désormais nue et couverte de cheveux argentés épars dans lesquels la tigresse fourrageait pour faire apparemment en sorte d’en masquer l’aspect dénudé à certains endroits, irrégularité capillaire qui, loin de déplaire au guerrier, lui attirait au contraire une sympathie sincère, le combattant chevronné voyant dans ces vides crâniens des preuves que celle qu’il venait tout juste de rencontrer et qu’il appréciait de plus en plus (même si l’appréciation était une chose toute relative chez lui) n’avait décidément pas froid aux yeux et était prête à en venir aux mains si besoin était, trait de caractère qu’il valorisait entre tous.
Toutefois, les éclats que lançaient les pupilles cernées d’ocre rouge du liykor pesant apparemment autant que sa musculature, Khmer ne tarda pas à se rendre compte qu’il la fixait sans réserve et ne se gêna pas pour lui rendre la pareille, les prunelles de glace et les prunelles de feu se confrontant l’une à l’autre avec une franchise pudique alors que chacun détaillait une fois de plus le visage de l’autre sans que l’un pût paraître le moins du monde disposé à baisser le regard face à l’autre, concession qu’elle finit pourtant par faire, apparemment assez mal à l’aise en dépit de toute la fermeté morale teintée d’allant qu’elle s’efforçait d’arborer. Brisant le silence qui s’était par la force des choses instauré et que seul venait troubler l’insistant tambour de la pluie entrecoupé de lointains éclairs, elle se décida à prendre la parole et à poser une question que beaucoup auraient pu prendre mal mais qui le laissa de marbre, le Bratien n’éprouvant aucune honte à revendiquer sa fonction de Gardien ; et la réponse à de telles interrogations tombant de toute manière sous la responsabilité de Miriel qu’il lui délégua comme d’habitude d’un simple coup d’œil.
Pour autant, à l’exclamation qui ne tarda pas à suivre la question, il ne put empêcher ses orbites de luire d’une étincelle de ce qu’il aurait peut-être été exagéré d’appeler de la colère mais qui n’avait en tout cas rien d’amène ou de conciliant devant l’outrecuidance inhérente à une pareille affirmation : personne n’était en droit de leur dire où ils devaient mettre les pieds, et particulièrement pas cette Sombre qui n’avait a priori pas plus « à faire » en ces lieux qu’eux. Mais comme en bien des occasions, la meilleure attitude à aborder face à des paroles aussi étourdies était sans doute une indifférence aussi placide que possible, Larc ayant appris parfois à ses dépends que la fougue dont il avait fait trop souvent l’étalage dans sa jeunesse ne pouvait dans la plupart des cas qu’envenimer la situation qu’il entendait pourtant résoudre.
Mais lorsqu’elle s’enfonça encore plus dans son étonnement ourlé d’un reproche peut-être accidentel mais bel et bien présent, une crispation s’empara des mains griffues du Gris dont les doigts s’enfoncèrent un peu plus profondément dans la fourrure de ses bras alors qu’un grognement réprobateur sourd, diffus mais bel et bien audible montait de sa gorge. Auparavant, il se serait empressé d’emprunter une posture réprobatrice et menaçante digne d’un loup défendant son territoire, mais depuis, l’expérience lui avait démontré qu’il fallait tempérer de telles ardeurs et laisser les vapeurs colériques induites par une telle huile jetée sur le feu de son agacement retomber plutôt que de s’en laisser enivrer l’esprit… d’ailleurs, ce n’était pas comme si tous deux n’avaient pas l’habitude qu’on leur jette à tout moins des regards étonnés voire dégoûtés devant un duo aussi peu commun que celui que l’humaine et le liykor formaient.
De toute manière, la décision de la réaction à avoir reviendrait à Miriel qui était, dans de pareils cas d’entretiens à allure plus ou moins diplomatique, la tête tandis que lui était les bras, chargé pour ainsi dire de soutenir l’intelligence de la jeune femme du poids de ses muscles. Et en parlant d’elle, le Bratien eut un geste approbateur qui ne fut pourtant rien d’autre qu’un clignement de paupières appuyé en voyant que la noble née reprenait manifestement conscience de ses origines et de la fierté inhérente au rang que lui donnait son sang, se redressant de toute sa stature certes frêle mais ô combien digne, gracieuse et hardie lorsqu’elle le voulait ! C’étaient les éclats perlés d’un comportement aussi louable qui faisaient en quelques occasions se dire à Larc qu’elle, Niriel et Mylène étaient pour ainsi dire la seule famille qu'il lui restait… avant bien sûr qu’il ne repoussât des pensées aussi stupides avec autant d’énergie que s’il lui était venu à l’esprit qu’il aurait pu se mettre à pondre des œufs.
Or, venant briser le vernis de solennité qui avait commencé à se former sous l’égide aux apprêts majestueux de la Mimijuléenne, un grognement bougon d’allure comique émana soudain du paquet ramassé sur ses genoux avant que celui-ci ne se mît à s’éveiller d’une manière que l’homme-loup ne put s’empêcher d’assimiler à celle qu’avaient les marionnettes de bouger entre les mains de montreurs de foire qu’il avait à l’occasion vus à l’exercice, celui qu’on pouvait difficilement qualifier d’autre chose que de bouffon semblant revenir à la vie par l’effet de quelque mécanisme incongru dissimulé dans ses entrailles. Plus curieux qu’il n’aurait sans doute voulu se l’avouer, et bien davantage intrigué qu’offusqué par cet étrange personnage dont l’attitude joueuse ne le faisait en rien paraître méchant pour deux sous malgré ses paroles que plus d’un auraient pu trouver fort désobligeantes, il l’observa se redresser tel un diable sorti de sa boîte avec pour seule marque de surprise venant rompre l’impassibilité de son visage lupin des sourcils froncés en signe d’étonnement mêlé de circonspection face à ce paquet de nerfs guignolesque à la fois ridicule de par son comportement et admirable de par son allant.
Faisant de son mieux pour garder son calme, il ne sourcilla pas devant les singeries insistantes du baladin flamboyant, même si, pour tout dire, l’envie le tiraillait de poser franchement ses deux grandes paluches sur les épaules maigrelettes de cet histrion atteint de bougeotte dont le verbiage et l’agitation intempestifs fatiguaient l’amer Bratien. Heureusement pour la conservation de la cordialité de la situation pour laquelle les deux occupants bestiaux de la cabane n’étaient sans doute pas les plus indiqués, la « douce enfant » s’empressa de tirer la bride du remuant gaillard, l’empoignant catégoriquement comme on l’aurait fait d’un enfant désobéissant pour le ramener à ses côtés avec ce mélange de fermeté et de désarroi que Larc retrouvait souvent chez sa Protégée et qui le remplissait toujours d’une déception teintée d’une tendresse à laquelle il refusait toujours absolument de laisser libre cours plus qu’il ne l’estimait nécessaire, c’était à dire très peu, et très légèrement.
Tandis que Miriel se mettait en devoir de les présenter, il détailla plus à fond ce frêle corps qu’il connaissait pour ainsi dire par cœur pour l’avoir vu grandir depuis sa naissance même, et son regard se fit à nouveau déconcerté devant l’équipage qu’elle arborait, le vigilant et soucieux Gardien se demandant une fois de plus comment elle avait pu finir vêtu de parures aussi peu communes ainsi que, dans un coin de son esprit, quels maroufles il devrait rosser d’importance pour les punir de l’avoir mise dans un état pareil, attendant toutefois qu’elle voulût bien entamer son récit sans qu'il bronchât outre mesure. La dame encore empreinte de juvénilité fit donc les honneurs de sa présentation avec la révérence et l’obligeance qu’elle affichait toujours en de semblables occasions, passant ensuite à celle de son compagnon de longue date qui opina lentement du chef à la définition qu’elle donna de sa personne avant de se rembrunir sous ce que l’on pouvait à bon droit nommer de la timidité, une apparence d’indolence ne tenant qu’à la présence d’une couche de pelage dru sur ses joues qui empêcha de voir l’afflux sanguin légèrement supérieur à la normale s’y faisant.
Cependant, ne faisant apparemment pas attention à la mimique d’embarras plutôt discrète du liykor, la jeune fille poursuivit avec toujours la même politesse d’une exquise suavité, suavité à laquelle fit pendant de manière discordante l’exubérance du bonhomme dont elle avait acquis la compagnie, Larc se demandait toujours bien en quelles circonstances, sa volubilité lui rappelant celle dont Galeyn avait fait montre, en plus raffiné… et ridicule, il fallait bien l’avouer, Tlopin faisant davantage penser à un gamin qui aurait grandi trop vite qu’à un jouvenceau spirituel, ce qui ne semblait pas tant que ça déranger la Mimijuléenne qui l’avait de toute évidence pris en affection à en juger par la prévenance toute maternelle dont elle faisait preuve envers lui. Or, une telle aménité fut de moins en moins au rendez-vous lorsqu’elle se livra à une inspection visuelle de l’homme-loup que celui-ci supporta presque sans sourciller ; presque, car il s’avéra bien vite que les globes oculaires d’un bleu profond qui le détaillaient se portaient tout particulièrement sur les blessures qu’il avait reçues encore bien récemment lors de l’affrontement de la veille dans l’intérieur des arènes Kendranes.
Habituellement, il n’aurait pas éprouvé la moindre réserve à voir présentes les quelques cicatrices fraîches dont son épaule gauche, son museau et ses cuisses étaient marquées, les arborant même avec fierté, mais face à Miriel, une gêne qui s’insinuait dans son esprit malgré lui, malgré tout son orgueil et sa réserve, le poussa à lever légèrement un de ses deux bras qu’il maintenant croisés pour masquer ce qui préoccupait manifestement celle qu’il savait résolument pacifiste. Mais en définitive, que ce fût parce qu’elle avait décidé de remettre le lavage de linge sale en famille à plus tard ou parce qu’elle préférait passer l’éponge (même s’il ne se faisait pas d’illusion quant à la pertinence de cette seconde possibilité), elle n’insista pas davantage et se mit en devoir de leur faire le récit de ses péripéties qu’il ne demandait qu’à connaître, l’humaine aux cheveux de cendre conviant une fois de plus les auditeurs présents à prendre place à ses côtés, invitation que Larc déclina en observant toujours la même immobilité, autant parce qu’il était évident qu’il prendrait trop de place sur le banc qu’ils avaient à disposition que parce qu’il estimait qu’il faisait partie de son office de rester debout, en faction.
Avant que de pouvoir débuter, elle sembla accuser d'un coup au cœur dont il fut le spectateur muet, en concevant toutefois une inquiétude sincère qui se manifesta sous la forme d’un tic soucieux sur son visage animal qu’il masqua peut-être un peu trop précipitamment en démangeaison en grattant d’un air sûr de lui son oreille ornée de son éternel anneau ; et lorsque les yeux de sa Protégée se mirent à briller de larmes, la griffe du liykor appuya avec plus de force sur sa peau pour lui rappeler de se retenir d’un geste trop émotif envers elle, la seule indication véritablement visible de son souci consistant en l’inclinaison de ses appendices oculaires qui, comme précédemment, étaient pleinement orientés en direction des lèvres de la malheureuse au bord desquelles son cœur paraissait prêt à couler, comme si tout le corps du Bratien protecteur avait voulu suivre pour se presser contre celui de l’enfant afin d'absorber jusqu’aux moindres parcelles de tristesse qui l’habitaient et ensuite s’en ébrouer.
Sortant de considérations aussi délirantes pour mieux se concentrer sur le rapport des premières impressions de Miriel, il retint un
« Ah ! » vindicatif et désabusé à l’égard de ces gens qu’elle décrivait comme « mauvais » et « foncièrement offensants », le guerrier éprouvé par les aléas de la vie tenant pour une évidence que ceux qui se prétendaient civilisés n’étaient pas plus méritants du point de vue de la moralité que des bêtes comme le serpent qui amenuisent les défenses de leurs adversaires pour ensuite frapper lorsqu’ils sont suffisamment débilités quand ils ne s’en prennent pas directement à des proies foncièrement plus faibles qu’elles. Et le pis était que celle à laquelle ils s’attaquaient valait certainement cent fois mieux qu’eux, Larc pouvant l’affirmer de source sûre puisqu’il était dans l’appréciation de la demoiselle un témoin de première main, la preuve de ses qualités se trouvant d’ailleurs dans la vaillance qu’elle s’efforçait de rassembler pour ne pas faire pâle figure devant ses « invités », tentative peu concluante puisqu’il y eut jusqu’au bateleur à l’air étourdi qui remarqua son trouble et fit en sorte de la réconforter : elle était encore et toujours si fragile par bien des aspects en dépit de ce qu’elle voulait montrer…
Enfin bref, il y avait au moins de bonnes nouvelles puisque, manifestement, d’ici à peine un voire deux jours au maximum, ils pourraient plier bagage puis battre possiblement à nouveau les chemins, activité qui convenait tellement mieux à l’« Apprivoisé » que de rester à croupir dans une zone urbanisée dont la configuration lui donnait l’impression d’être véritablement mis dans une cage géante. D’ailleurs, cette métropole qu’était Kendra Kâr n’avait l’air de faire que rendre la Mimijuléenne malheureuse, contrairement à son Ascalanthe natale où elle avait toujours pu s’épanouir, et le raisonnement du Bratien était à cet égard simple, voire simpliste : plus tôt ils seraient repartis, mieux elle et lui pourraient se porter. D’ailleurs, la preuve en était de la suite du récit qui indiquait qu’être confinée dans l’exiguïté des logis qui lui avaient été accordés ne lui avait pas convenu et qu’elle n’avait rapidement eu de cesse de découvrir d’autres horizons, signe qu’il brasillait en elle quelque chose de sauvage et d’indompté plus qu’elle ne s’en rendait très probablement compte et ce en dépit de son inaptitude plutôt criante à la débrouillardise.
C’est à ce moment du compte-rendu que le bouillant Tlopin, apparemment resté trop longtemps silencieux à son goût, ne se priva pas de faire irruption avec bruit, clamant son intervention à grand renfort d’effets scéniques si pétulants qu’il s’en fallut de peu pour qu’il ne s’assommât sur le plafond malmené par la pluie de la cabine envahie d’effluves diverses à l’étrange bouquet dans laquelle ils étaient abrités. Ainsi donc, voici quelle était l’explication d’un affublement aussi… original : afin de tromper la vigilance des argus du château, elle s’était grimée à l’image de l’amuseur, avec succès comme le prouvait sa présence en ces lieux, toujours vêtue de ces mêmes habits dont le port semblait l’emplir d’un mélange de gêne et d’amusement. Larc, pour sa part, était plus satisfait qu’autre chose devant la raison d’un déguisement aussi incongru, car il estimait Miriel méritante d’avoir fait preuve d’une habileté pareille, même s’il était vrai que c’était plutôt par procuration : de la même manière qu’un bon chasseur devait s’imprégner de l’odeur de l’environnement dans lequel il évoluait, elle avait su se rendre indétectable aux yeux de ceux qui auraient pu l’arrêter.
Rassuré –sur ce point tout du moins-, il s’accorda de relâcher un peu la tension qui l’habitait, et se laissa même aller à l’ombre des prémices d’un sourire devant la démonstration d’hâblerie au ridicule intentionnel du jeune homme aux allures de pantin qui feignait de se prendre pour un grand héros de guerre capable de mettre en déroute des armées entières. L’homme-loup devait avouer que, durant ses années de vie, il avait rarement vu quelqu’un d’aussi gaiement survolté, mais en revanche, il avait déjà vu des personnes d’allure plus étrange, voire plus inquiétante, aussi ne releva-t-il pas le mauvais goût que l’on aurait pu déceler dans la plaisanterie, la placidité étant une fois encore une de ses qualités par certains aspects.
Toutefois, la pression sociale seule ne pouvait expliquer la tristesse et le désarroi dans lesquels il l’avait trouvée, aussi restait-il logiquement une autre question à élucider, et effectivement, elle mentionna un deuxième sujet de souci directement lié au bleu encore tout récent dont était ornée la joue de Tlopin, l’idée même de violence plus ou moins étroitement liée à sa Protégée remettant sur le champ le Bratien en alerte : si quelqu’un avait levé la main sur elle, il n’avait besoin que d’un nom, que d’un visage, que d’une odeur pour lancer une traque impitoyable ! Mais il tomba proprement des nues, ne pouvant s’empêcher d’écarquiller les yeux d’étonnement lorsque le bouffon mentionna que ce n’était nulle autre qu’elle-même qui avait été à l’origine des hostilités, cela laissant le liykor si incrédule qu’il s’en pencha presque malgré lui vers l’avant, suspendu aux lèvres de Miriel dans l’attente de la confirmation ou du déni d’une version aussi fantaisiste par rapport à son tempérament pendant que les deux demoiselles de l’assemblée s’affairaient à empêcher le luron trop remuant pour son propre bien d’éclater en morceaux sur le sol sa carcasse si menue qu’elle paraissait de verre.
Confuse, éperdue, effrayée, la « blanche enfant » se mit à balbutier de manière presque incontrôlable avec un tel émoi que Larc se douta de la réponse avant même qu’elle ne l’eût formulée, et effectivement, après des atermoiements qui le laissèrent dans une incertitude plus préoccupante qu’il n’aurait voulu le laisser croire, elle finit par avouer que l’origine du horion qu’avait reçu son compagnon se trouvait bel et bien dans une claque qu’elle avait administrée à quelqu’un, manifestement pour le punir de son impolitesse. Maintenant qu’il avait la réponse à ses questions, et voyant d’ailleurs que l’insistance avec laquelle il la fixait la mettait fort mal à l’aise, il en revint à sa position et à son flegme initiaux, remuant mentalement les implications d’un geste aussi inattendu et même invraisemblable de sa part. Qu’en penser ? Devait-il s’en montrer fâché ? Déçu ? Attristé ?
Rien de tout cela, car en définitive, il ne savait pas s’il se sentait étonné, satisfait, admiratif ou réprobateur… très probablement un mélange des quatre, car d’un côté, elle s’était enfin décidée à ne pas s’écraser autant qu’elle l’aurait fait en temps normal devant une opposition, mais de l’autre, elle l’avait fait d’une manière fort maladroite qui lui avait causé bien plus d’ennuis qu’elle n’aurait pu en résoudre. Oui, vraiment, c’était une bonne chose qu’elle se fût montrée plus mature du point de vue des idées à avoir quant à recours à la force, mais il lui restait encore à savoir calibrer de pareilles velléités afin qu’elle en fît usage dans les moments opportuns, et, surtout, à savoir maîtriser l’art du combat mieux que cela afin d’éviter que d’autres souffrissent de ses actes, particulièrement lorsqu’il n’était pas avec elle ! En son for intérieur, le Bratien résolut de, tôt ou tard, lui donner des cours en la matière afin qu’elle put se montrer digne d’être la fille de Mylène sur ce point également, même si la question devrait attendre, Miriel n’étant de toute évidence pas en état d’aborder un pareil sujet pour l’instant.
Quant au reste de l’histoire, il coulait de source, aussi Larc n’y prêta-t-il pour ainsi dire qu’une oreille symbolique tandis qu’il digérait les données du récit qui lui avait été fait ainsi d’ailleurs qu’à Khmer, heureux en fin de compte d’avoir pu tomber sur sa Protégée alors qu’elle traversait un tel désarroi. Pour ce qui s’était passé, cela s’était passé comme cela s’était passé, et maintenant que c’était fait, ce n’était pas la peine de remuer incessamment tout cela ni de s'en faire un souci monstre : il l’avait appris de sa propre expérience, lorsque quelque chose vous touchait durement, il valait mieux se concentrer sur ce qui pouvait être ensuite fait pour que votre situation aille mieux plutôt que de se ronger les sangs en pensant à ce qui aurait pu être fait auparavant. La Mimijuléenne était ébranlée par ce qui s’était passée, et en tant que Gardien, son devoir n’était pas de lui permettre de s’épancher en larmes et en plaintes de tout son saoul (non pas que ce fût ce qu’elle avait fait, bien sûr), mais de lui faire comprendre que l’important était désormais de réagir intelligemment et efficacement pour que les choses reprissent la meilleure tournure possible.
Se mettant tout à coup en mouvement suite à cette résolution, il s’approcha d’elle sans un mot, se postant à ses côtés pour observer un temps d’arrêt de quelques secondes avant de poser une main sur son épaule qui l’engloba toute entière ainsi qu’une petite partie du bras de Miriel. Ouvrant la bouche, il lui dit que le moment était désormais venu d’agir, qu’elle se devait de prendre les initiatives car c’était là non seulement ce qui lui incombait mais aussi la meilleure chose à faire, et que pour la réalisation de ce qu’elle jugerait bon de mettre en œuvre, il serait là pour l’assister ainsi qu’il l’avait toujours été jusqu’à maintenant, car il était son Gardien et qu’elle était sa Protégée. Tout cela, il le lui dit de ses yeux dans lesquels dansait cette flamme à la fois si mystérieuse et si expressive qui les habitait, tous ces mots se condensant en fin de compte en une simple phrase prononcée sans autre intonation particulière qu’une fermeté bienveillante :
« Que vas-tu faire maintenant ? »