Mes ailes fouettent l'air comme s'il s'était agi d'un ennemi trop lent pour riposter. Je le frappe, encore et encore, usant mon énergie pour pousser mon être le plus loin possible. Après un moment intense passé à me propulser en avant, je lève le nez vers la voûte céleste. Ce bleuté noirâtre, illuminé par un astre nocturne, m'attire irrémédiablement. Je ressens comme un appel venant à la fois de cette immensité et des tréfonds de mon être. Ma soif de liberté prend le pas sur la moindre hésitation qu'il peut me rester. Prenant appui sur l'air, je me lance à la verticale en tournoyant, bloquant mon souffle comme le ferait un bipède faisant une pointe de vitesse.
Aidé par des courants ascendants, je monte droit dans l'air frais de la nuit tombée, encore et encore, avide de cette sensation grisante. Rien pour m'arrêter, personne pour perturber mes mouvements. J'ai la sensation que si je continue, je vais parvenir à toucher les étoiles. Je ne regarde qu'au-dessus de moi et mes pensées se détachent un instant de mon enveloppe de chair. J'ai du mal à réaliser ce qu'il m'arrive. Les bras en croix, je traverse un léger nuage puis j'étends mes avant-bras derrière moi. Chaque parcelle de peau se couvre d'une humidité agréable alors que je continue encore un peu.
Au bout d'un moment, je cesse de m'élever, alternant entre battement d'ailes et repos planant. Je tourne mon visage vers la vaste étendue d'eau bordant le tombeau pour vivants que ces maudits humains osent appeler une ville. A cette altitude, le vent se fait assez fort et vif, m'amenant des bourrasques vivifiantes en plein visage. D'une main, je retiens quelques mèches blondes. Je sens ma peau se hérisser mais je m'en moque. Mes sens m'apportent tant de nouveautés que je me sens presque submergé. Mes yeux se perdent dans la nuit. Mes oreilles m'offrent l'écho du souffle du vent. Les embruns parviennent à mes narines, m'enivrant presque. De fines gouttelettes d'eau claire glissent sur les zones de peau bleutées et je perçois entre mes lèvres le sel de cette vaste zone aqueuse. J'inspire à pleins poumons, si fort que la tête m'en tourne presque. Treize longues années passées entre quatre murs m'ont fait oublier cette sensation. Pendant tout ce temps, je n'ai pu que rêver de ce jour.
Mes bras se tendent devant moi, palpant l'air invisible, les manches soulevées par le vent marin. Je tourne doucement sur moi-même en lançant mon coude droit vers l'arrière. Nul barreau contre lequel cogner mon aile. Pas de tissu au coloris imbuvable censé me servir de laisse. Je suis libre. Enfin libre. Libre et brûlant de cette vie longuement réprimée. Mon coeur cogne intensément, au point que je n'entends presque plus le sifflement aérien. Ma poitrine se serre douloureusement. Si je n'avais pas épuisé l'ensemble de mes réserves il y a plus d'une décennie, je suis certain que le coin de mes yeux se serait humidifié.
D'un coup, une envie irrépressible me submerge et je m'y plie. Je tourne sur moi-même encore et encore, levant les bras au-dessus de moi, agitant les jambes en un mouvement opposé. Je danse sous cette voûte céleste longuement interdite. Pendant quelques instants, ma voix m'échappe et quelques paroles d'un chant aldryde se forment dans l'air. Je ne sais pas pourquoi je fais cela mais je sais que j'en ai envie. Je peux le faire alors je ne me préoccupe pas du reste. La liberté. Etre hors d'une cage, capable de faire ce que je souhaite quand je le décide. J'inspire et, ma rage aidant, je pousse un hurlement sans forme, presque animal, en direction de l'océan. Le souffle court, je me mets à inspirer par à-coups, fatigué mais ravi.
Une rafale de vent rabat soudain ma tignasse blonde contre mon visage. Je m'en défends, jetant du même coup un regard vers le sol. Dans la pénombre, j'y distingue quelques points lumineux, sans doute torches de miliciens en patrouille. La nuit s'avance et je sens mes ailes commencer à fatiguer. Je parcours des yeux la pierre et finis par apercevoir une zone de verdure de belle taille, malheureusement prisonnière de l'endroit humain. Malgré tout, cela reste des arbres, des plantes, des êtres vivants desquels j'ai été coupé si longtemps. Je sens mon visage se peindre d'une expression calme et soulagée. La proximité de cette nature m'interpelle et ravive en moi ce lien tut avec la nature. Sans un bruit, basculant sur le dos et, partant la tête la première, je replie mes ailes.
Je tombe vers ce sol grisé. Aucune crainte ne m'étreint alors que je contemple l'astre lunaire qui perd un peu de sa taille. L'air siffle à mes oreilles et les nuages que je traverse me laissent un échantillon d'eau au passage. Aucune restriction. Aucune voix particulière. En cet instant, il n'y a que moi et cette nature interdite. Je me laisse tomber une seconde puis deux et trois. A la quatrième, je lance mon coude gauche derrière moi et me retourne. Mes ailes s'étendent, ralentissant ma chute. Encore à bonne hauteur, je me mets à planer jusqu'à un arbre. Je m'y cache un instant, tâtant l'écorce et tentant de comprendre où je suis. Toucher cette écorce fait bondir mon coeur, mais je ne parviens pas à calmer une gêne croissante.
(Ce bois... Il est différent de celui de la forêt kendrane. Et il a aussi une étrange odeur...)Du bout des doigts, j'attrape ce qui me semble être une feuille. En la froissant avec lenteur, je ressens une certaine curiosité. Je me suis trompé. Ce n'est pas une feuille mais un pétale de fleur d'une teinte très claire. Je lève le nez, prenant un autre échantillon sur la figure que je brosse distraitement. L'arbre entier en est couvert et, à chaque nouveau souffle de vent, il s'en détache quelques-uns. Je n'en ai jamais vu de tel et pendant un moment, je suis subjugué par ce végétal. Il semble observateur des environs, sans faire un bruit, sans prononcer une parole, comme si rien ne l'affectait. Après avoir été un instant charmé par cette beauté occulté lors de mon emprisonnement, mes pensées se font plus fortes et avec elles un retour amer à la réalité.
(Il ne fait pas partie de la flore de ce territoire. Malgré le temps passé, je l'aurais reconnu. Cela signifie qu'il a été rapporté d'ailleurs et que ce sont sans doute ces humains qui l'ont fait pousser... Bien joué, j'ai réussi à me faire duper par une création humaine...)Je pousse un souffle agacé et bientôt je sens une certaine amertume revenir. Que je le veuille ou pas, je suis encore bloqué dans une cité majoritairement humaine. Il me faut en partir mais pour aller où ? Retourner chez les aldrydes ? Ha ! Comme si j'allais laisser à ces folles l'occasion de me remettre leurs sales pattes pleines de miel dessus. Elles ont eu plus de dix ans pour me retrouver et n'ont pas daigné lever la plus petite plume pour moi. Je sais désormais que je ne peux pas me fier à elles. Si j'en avais eu une un jour, autant dire qu'à présent je n'ai plus de famille.
Rejoindre une autre ville ? Peut-être. Le seul problème réside dans le fait que, partout où que je me rende sur ces terres, je vais être confronté à des êtres de plus grande taille que moi. Cette idée m'agace encore et un coup d'oeil sur cet arbre traître me pousse à reprendre mon envol.
Mes membres de plumes fatiguent et je me sais moi-même éreinté par les événements de la soirée. Scrutant les environs, je repère une architecture de bois d'une forme hexagonale, doté de sièges de taille humanoïde. Pas un de ces bipèdes puant ne semble rôder dans les environs. Plongeant vers la structure, je remonte sous le toit pentu. Plusieurs poutres en biais le soutiennent mais en laissant un espace suffisant pour que je puisse m'y glisser sans trop de difficultés. Un rebord masque même le départ du soutien de bois. L'endroit me semble adéquat pour m'y cacher pour la nuit. Prudent, je regarde tout de même un peu autour de moi.
Bientôt, une petite tâche à l'opposé de ma position m'interpelle. Ailes repliées, je décide de marcher le long du chemin de bois. A mesure que je m'en rapproche, je suis certain qu'il s'agit d'un sac. Enfin, à mon échelle c'est un sac mais pour un humanoïde type kendran, il aurait plutôt la taille d'un beau sachet. En tissu lisse, il est fermé par un cordon de cuir et est parsemé de sciure sans doute issue du plafond. Je tends l'oreille et jette un coup d'oeil au bas du kiosque. Pas un bruit ne m'indique de présence inopportune. D'un geste, j'ouvre le sac. A l'intérieur, j'y trouve une étrange pierre circulaire et presque plate. D'une couleur crème, sa surface est marquée de traits taillés et sombres ressemblant presque à une porte stylisée. Ce caractère, si c'en est bien un, ne me dit absolument rien. Pourtant, j'ai la sensation que j'ai trouvé un objet intéressant. En l'effleurant, j'ai même l'impression de le sentir pulser. Je reste un instant dubitatif.
(Si c'est un bibelot décoratif, on ne l'aurait pas dissimulé avec autant de soin. Il pourrait être dangereux s'il est magique, surtout si rien n'indique ce que c'est... Mais s'il est là, c'est qu'une personne l'y a caché. Il y a de fortes chances qu'il soit propriété d'un humain donc...)Un mince sourire en coin pince mes lèvres. Avec précaution, je sors de ma cachette. L'endroit n'est vraiment pas fréquenté à cette heure, ce qui me permet d'aller tranquillement au sol retirer un banal caillou de belle taille du chemin. Retournant au sac, je procède à l'échange des pierres. Si ma découverte permet de causer du tort à l'un de ces stupides géants, tant mieux, mais le plus tard la découverte, le mieux je me porterai. Le souci est que s'il est magique, je devrais sans doute le faire analyser. Cette étape doit cependant attendre. Il ne manquerait plus que, par malchance, le vrai propriétaire me voit faire. Une telle chose est tout de même peu probable vu leurs tares héréditaires, mais je n'ai pas spécialement envie qu'un autre humain me court après.
Une fois ma besogne accomplie, je décide de changer de lieu de repos. Mes ailes se déploient encore une fois et me maintiennent en l'air le temps que je repère un autre kiosque.
(Mieux vaut que je ne sois pas dans les parages si quelqu'un vient prendre ce sac.)A une trentaine de mètres, un bâtiment de bois identique se dresse. Après inspection, je ne vois contre ce toit de bois que d'anciennes toiles d'araignées et des fils de poussière. Du plat du pied, je fais un bref moment de ménage puis m'adosse contre la paroi. Un genou relevé, l'avant-bras dessus, j'appose l'arrière de mon crâne contre la surface et ferme un instant les yeux. Le vent souffle, chante même, en se faufilant entre les piliers de bois soutenant la structure. Au loin, je perçois comme de légers tintements de métal doux. Toute l'atmosphère du lieu est calme et reposante, comme si quelque chose m'indiquait que l'endroit est sans danger.
Mon esprit commence à s'engourdir alors que je tente de planifier ce que je dois faire à mon réveil.
(Pour voyager... Je vais devoir me préparer. Soins en cas de problème... Eclairage ? C'est le meilleur moyen de se faire repérer... Un couchage au moins... Là... Je sens que le réveil va être difficile...)Un bâillement m'échappe. Mes yeux sombres balaient la surface de bois sur laquelle je m'allonge sur le flanc gauche, le visage tourné vers l'intérieur du kiosque. J'improvise un appui de tête en posant ma tempe sur mon avant-bras et je replie mes ailes. L'endroit est abrité du vent et de la pluie, je suis camouflé et hors de portée. Quand bien même me reposer ici n'est pas très confortable, je me dis que ce n'est pas cher payé pour pouvoir dormir enfin libre. Les yeux clos, la lassitude prenant le dessus, je me sens sombrer dans le sommeil.
[Acquisition RP de la rune supérieure Ni]