Le réveil fut difficile à n'en pas douter. La Folle avait été attaquée par derrière, sans doute par un disciple des bienfaiteurs de la lumière, voulant sauver le pauvre enfant des mains de la la cruelle jeune fille. Dans ses veines coulaient non seulement les fluides des forces venteuses, mais aussi des ténèbres profondes qui n'étaient que le reflet de l'âme obscure de la Belle. Ses serres s'étaient rabattues sur cet enfant en pleine journée, désireuse d'en faire un esclave, mais il l'avait défiée et sa rage s'était transformée en une véritable envie de meurtre lancinante. Cette colère l'avait plongée dans un océan de violence où seule la haine régnait en maîtresse. Oui, Amarante n'était pas une tendre et elle ne se l'était jamais cachée, elle s'en délectait comme si elle était en train de manger une pâtisserie succulente. Néanmoins, la Sulfureuse dut sortir de sa rêverie, puisant dans ses forces pour se relever, laissant derrière elle ce mauvais moment. Son visage était occulté par ses cheveux qui lui retombaient devant les yeux en cascade désordonnée. Amarante passa sa main terreuse sur son front pour remettre sa chevelure en place.
«Je n'en reviens pas. On a osé me frapper ! Ils le regretteront tous, une fois ma domination exercée, ils me le paieront !» défia-t-elle le jardin vide qui l'entourait.
S'asseyant sur le sol, la Sulfureuse reprit ses esprits et se rendit compte que le matin allait se lever dans quelques heures. Elle ne pouvait pas rester assise ici, les miliciens pourraient la retrouver aisément et l'idée de retourner dans une geôle comme un vulgaire animal de cirque ne l'enchantait guère. La Démente se leva alors et s'en alla chercher un autre coin tranquille dans ce jardin aux fragrances suaves et subtiles qui prenaient toute leur ampleur sous cette lune d'été. Il était évident que son assaillant ne l'avait pas ratée, la rendant impuissante durant plusieurs heures. Amarante n'en revenait pas, ses vêtements étaient tout tâchés par de la terre et de la poussière. Rapidement, elle s'épousseta pour remettre de l'ordre dans ses atours si sensuels qui la rendaient si aguicheuse aux yeux de la communauté masculine. D'ailleurs, la Plantureuse se demandait comment on pouvait adorer le laideron de Yuia, elle qui se faisait passer pour la soi-disant déesse de la beauté. Il était évident que la Belle ne comprenait pas pourquoi ce n'était pas elle qui avait cette place qui lui était pourtant réservée depuis sa naissance au regard de son corps d'exception.
Amarante se demandait bien ce qu'elle pouvait faire alors que cette journée n'avait pas encore commencé. Essayer de dominer de nouveaux esclaves ? Non, sa dernière tentative fut un échec cuisant, il lui fallait acquérir de nouvelles puissances pour ne pas devoir faire face à un nouveau revers. Mais cette idée la troublait : pour l'instant ses dons n'étaient pas encore suffisamment développés pour faire face aux plus faibles imbéciles. Cette révélation la fit sombrer dans une léthargie que nul n'aurait pu briser tant elle était profonde. Amarante ne comprenait pas, n'était-elle pas la future reine de ce monde ? Alors pourquoi lui était-il si compliqué de réaliser ses rêves de domination ? Il lui fallait encore plus de force, connaître de nouveaux sortilèges toujours plus puissants les uns que les autres. Oui ! La révélation s'imposa à la Belle qui ne put résister à l'envie d'apprendre à contrôler un nouveau charme. Rapidement, elle chercha ce qu'elle pouvait faire pour l'instant avec ses fluides. Amarante était capable de créer des cyclones autour de ses adversaires, déchaîner des vents d'une violence redoutables et créer un bouclier venteux autour d'elle. La Sulfureuse avait appris à maîtriser les courants d'air et à insuffler des vents dans ces canaux. Cependant, Amarante ne contrôlait pas encore les vibrations sonores qui pouvaient être causées par les forces de l'air. Une idée lui vint : si elle n'avait pas été aussi bruyante pour cette entrevue avec ce gamin, alors la Belle n'aurait pas attiré autant d'oreilles infortunes comme celles de son assaillant.
Amarante réfléchit alors un long moment à la meilleure manière pour appréhender un tel sortilège. En effet, elle allait devoir chasser d'une certaine zone l'ensemble des particules qui permettaient aux sonorités de se propager. Par conséquent, grâce à ses fluides, elle devrait vider d'une sorte de sphère l'entourant toute la matière afin d'enfermer le silence. Tout ceci lui semblait d'une simplicité enfantine, après tout ne savait-elle pas déchaîner les vents ? Il lui faudrait donc insuffler de l'air dans une zone prédéfinie pour se retrouvait dans un vide complet. Cette idée lui plaisait intimement, cela lui permettrait alors d'approcher en catimini derrière ses adversaires et de les tuer comme bon lui semblait. Associer à son sort d'armure d'Alyzé, Amarante allait devenir invincible, plus rien ne lui échappera mais ses ennemis ne pourront en aucun cas l'attraper. Sa rage jaillissait en elle comme un geyser d'eau brûlante à l'idée que l'on avait pu la frapper violemment durant sa soumission, cela la dégoûtait au point d'exacerber sa violence innée. Le mal coulait dans ses veines abjectes, la folie l'animait comme une marionnette aux mains d'un démon, mais pourtant Amarante était bien la seule à contrôler son sombre destin.
Après ses réflexions maladives, la Sulfureuse dut improviser pour apprendre le sortilège qui lui faisait tant envie. Dans un éclair de lucidité, elle voulut appliquer la technique la plus bourrine qu'il soit : déchaîner ses fluides pour chasser l'air accompagné de ses particules d'une sphère qui se trouvait à ses côtés. La Belle se concentra comme à son habitude, détendue tout en ressentant encore une douleur abominable au niveau de sa délicate nuque. La jeune fille espérait que cette blessure néfaste ne l'empêcherait pas d'acquérir de nouveaux pouvoirs car aujourd'hui, elle comptait bien absorber, en plus de son apprentissage, les deux fluides venteux qu'elle possédait encore dans ses affaires. Mais, l'heure n'était pas à un accroissement de son réservoir magique qui était amplement suffisant pour maîtriser un nouvel enchantement.
Apprentissage du sortilège Bulle de silence
La difficulté de ce sort résidait dans le fait que la Belle devait exercer un flux constant émanant de son corps et allant à l'encontre de la pression extérieure pour empêcher les particules de pénétrer à l'intérieur de sa sphère enchantée. Pour cela, Amarante fit appel à ses fluides toujours aussi évanescents et fuyant qui se situaient elle ne savait où à l'intérieur de son sublime corps de déesse. Ces recherches infructueuses à chaque fois qu'elle devait lancer un sort commençait à la molester à un point que l'on n'aurait pu traduire à l'aide du langage courant. Pourtant, elle n'avait pas le choix, la délicieuse jeune fille n'avait jamais vraiment choisi la vie qu'elle possédait aujourd'hui et cette idée la traumatisait autant que de se voir vieillir et s'enlaidir. Pourquoi sa destiné avait été toute tracée ? Pourquoi une telle souffrance l'avait-elle gagnée depuis sa toute jeunesse ? Amarante n'en avait cure, maintenant qu'elle détenait un pouvoir légendaire que plus personne ne pourrait parer, la Belle deviendrait la déesse du destin, détrônant cet impur de Zewen qui se cachait depuis des siècles. Amarante lui déroberait sa place, le tuant de sa magie et anéantirait les futurs des jeunes gens pour se venger de son propre destin ! La Belle les torturerait toute leur vie, jusqu'à ce qu'ils meurent tous dans d'affreuses souffrances où elle pourrait récupérer leur jeunesse et leur vitalité afin de ne pas vieillir et vivre éternellement. Sa peau délicate resterait tendre à jamais, pâle reflétant ainsi sa haute lignée, et ses prunelles brûlerait jusqu'à la fin des temps d'un feu ardent, réduisant en cendres ses adversaires d'un seul regard.
Rapidement, Amarante mit la main sur un fluide, puis bientôt sur un deuxième et encore sur un autre jusqu'à ce qu'elle les soumette tous, l'un après l'autre à sa volonté. La Beauté était prête à déchaîner sa magie pour enfin apprendre à rester silencieuse. Distillant ses forces fluidiques dans sa main, Amarante se mit à tisser une toile de courant d'air tout autour d'elle. Il lui fallait créer non pas de gros canaux qui aurait permis de lancer une armure d'Alyzé, mais des tuyaux très fins, pouvant propulser des vents de manière diffuse. Ceci ne fut pas une mince affaire, mais la Plantureuse ne s'avoua pas vaincu, elle persistait sous l'aube naissante à vaincre les difficultés auxquelles elle était confrontée. Son œuvre terminée ne la satisfaisait en rien, la trame était trop espacée selon elle, mais Amarante n'avait pas envie de tout recommencer, la Belle pensait que ce travail de tisserand s'améliorerait avec le temps, une fois qu'elle aurait acquis une plus grande connaissance de son étendue magique.
Une fois le tissu de courants d'air tissé autour d'elle, la Beauté incarnée mit en mouvement les vents, usant de ses fluides pour chasser l'ensemble des particules de sa sphère. Amarante avait appris récemment à contrôler ce genre de magie et fut satisfaite de son acte jusqu'à ce que sa respiration devint de plus en plus difficile, s'asphyxiant elle-même en chassant l'oxygène vital. La Sulfureuse était en train de se suicider par son incapacité à maîtriser parfaitement les vents, elle qui était pourtant une future déesse. Effrayée par cet acte odieux dont elle était la source, Amarante voyait sa vie défilée devant ses prunelles terrorisées sans pouvoir intervenir. Sa beauté ne pourrait la sortir de ce mauvais pas, ses charmes n'étaient pas une arme satisfaisante contre sa propre magie, ses seins aguicheurs ne pourraient vaincre son propre sortilège. Elle qui avait toujours compté sur son physique de déesse ne pourrait se sortir de cette situation obscure, elle allait mourir bêtement, par incompétence. Ah ! Ses fluides devaient bien rire au fond de son âme, eux qui avaient toujours été réticents pour accomplir les actes abjects qui excitaient tant la Rousse. Pour une fois, ils n'arrêtaient pas leur flux incessant, laissant Amarante sombrer toujours plus profondément dans les ténèbres éblouissantes. Sa force n'était plus qu'un résidu simpliste qui la transportait dans le royaume de Phaïtos, le royaume des défunts et des âmes...
Non ! La jeune fille ne pouvait succomber à ses propres pouvoirs, il lui restait tant de choses à accomplir ! Dans un dernier élan, elle imposa une volonté farouche à ses fluides, exigeant qu'ils se retirent pour lui laisser reprendre son souffle. D'un geste de la main, la belle Amarante inversa les flux venteux pour respirer de nouveau, attirer à elle la vie qui était en train de lui échapper.
«Que idiote !» lança-t-elle.
Essoufflée, pestant contre sa bêtise qui aurait pu lui coûter très cher, Amarante restait agenouillée sur le sol incapable de briser l'enchantement qui était encore à l'œuvre. Pour une fois, on pouvait dire que la jeune fille avait cru qu'elle succomberait, peut-être que sa faiblesse était ses propres pouvoirs qu'elle ne contrôlait pas encore définitivement ? Une chose était certaine, Amarante ne referait pas la même erreur deux fois, elle n'ignorait pas que ses forces étaient terribles, alors autant ne pas les utiliser malencontreusement sur sa propre personne. La Belle était toujours vivante, un peu moins vive, mais son âme avait repris sa place initiale, elle devait poursuivre sa quête ultime de puissance et de vengeance contre ce monde niais qui l'avait mise au monde. Son ascension vers les hauteurs divines laisserait une trace dans l'histoire de Yuimen, un sombre trait qu'elle tirerait sur le passé de cette planète en le conquérant à l'aide de ses forces démoniaques.
Se relevant, Amarante se passa une main dans les cheveux et déglutit ostensiblement afin de reprendre confiance en sa puissante magie qui venait de la trahir pour la première fois depuis longtemps. Néanmoins, la sulfureuse jeune fille se rendit bien compte qu'elle s'était retrouvée dans une telle situation d'impuissance à cause de son impulsion maladive qui l'avait poussée à employer sa magie sans réfléchir vraiment aux précautions qu'elle devait prendre. La trame des courants encore présente, il lui fallait réitérer son apprentissage, sans oublier cette fois-ci de créer un canal venteux pour sa propre respiration. La belle Amarante exigea de ses fluides de réaliser un tuyau qui proviendrait de l'extérieur vers ses narines pour qu'elle puisse survivre à son propre sort et deux autres courants d'air arrivant à ses oreilles, enveloppant ses pavillons pour entendre les bruits extérieurs. Non, la Sulfureuse ne se laisserait pas avoir deux fois par son manque de pratique de la magie, elle avait touché ses propres limites et à présent elle y réfléchirait à deux fois avant de jeter des sortilèges à tort et à travers.
La Belle ressentait les trois nouveaux courants d'air qui venaient caresser ses organes. Amarante déchaîna alors ses fluides pour mettre en mouvement les particules à l'intérieur de ses nouveaux canaux. Puis, d'une volonté spectaculaire, elle ancra la magie de ses fluides pour ne pas perdre l'enchantement qui lui permettrait de survivre. Enfin, la jeune fille insuffla de l'air à la trame qu'elle avait tissé autour d'elle, mais cette fois-ci de l'intérieur vers l'extérieur afin de chasser l'ensemble des particules qui pourraient trahir sa présence. Tout d'abord, Amarante eut quelques difficultés à trouver la vitesse suffisante des vents pour ne pas qu'ils soient bruyants, mais qu'ils permettent tout de même de créer une sphère insonorisée autour d'elle. Puis, la Sulfureuse fut déconcertée par voir que son tissu magique était imparfait et qu'il ne permettait en aucun cas de réaliser le sortilège comme elle l'espérait. Une fois qu'Amarante se rendit compte de ce petit soucis, elle se mit à réparer la trame de courants d'air, créant avec ses fluides de nouvelles mailles sans pour autant relâcher sa prise sur ses autres forces qui lui permettaient de maintenir en place les canaux qui arrivaient à ses organes ce qui auraient pu la tuer en un rien de temps. Pourtant, la Belle avait chassé sa crainte, oubliant qu'elle put ressentir un tel effroi. À présent, la jeune fille était sûre d'elle, persuadée de réussir à maîtriser une telle puissance qui sera un avantage au cours de sa vie, qui lui permettra d'agir encore plus sournoisement qu'aujourd'hui.
Concentrée jusqu'au bout de ses ongles tranchants, Amarante agissait comme une des plus fines couturières que ce monde n'ait jamais connu. Au fur et à mesure, la trame qu'elle construisait devint un véritable maillage duquel un faible vent propulsait les particules néfastes hors de sa sphère enchantée. La Belle était illuminée par une fierté tenace qui était sur le point de l'élevait au rang de maîtresse des vents. Sa nuque la faisait bien entendu toujours souffrir, mais cela ne lui importait guère étant donné qu'elle avait atteint le but qu'elle s'était fixée. Évidemment, le sortilège n'était pas encore parfait, cela viendrait avec le temps, mais elle survivait dans une bulle insonorisée qui était sa propre création, une création aussi divine que ses courbes ondulées. La Rousse fut prise d'un de ses rires cristallins qui sonnait le glas dans son petit monde qu'elle s'était créée. Pourtant, aucun son ne pouvait franchir les murs qu'elle avait construit autour d'elle ce qui la rendait toujours plus joyeuse, l'entraînant dans un tourbillon de bonheur et d'exaltation. Tout ceci la faisait trembler tant le plaisir d'un tel acte était si suave et subtil. Amarante était effrayante, ses pouvoirs croissaient à vu d'œil, mais serait-elle en mesure de réitérer un tel exploit ? Avait-elle compris tous les mécanismes de ce sortilège ou n'était-ce que pure illusion ?