L’univers familial se mit en mouvement à la même vitesse que mes jambes. Toute ma vie défila aussi vite que mes premières foulées, la sortie de mon cocon était imagée par cette foulée longue et régulière. Nous partions vite, chacun glissant dans l’obscurité avec une aisance déconcertante et un silence effrayant. On aurait seulement dit une brise légère alors que d’autres aurait pu imiter la charge de troupeau de garzocs. La vitesse imprimée par Aëlgrinn à cette rangée de deux combattants en enfilade était impressionnante mais chacun semblait rompu à ces courses folles. Moi je trouvais que nous allions trop vite et que ce rythme serait intenable plus d’une journée. Me glissant dans le couloir obscur, je courais aux côtés d’Antipasti concentré comme si sa vie dépendait de nos pas dans le passage secret. Il ne me jeta même pas un regard lorsque je l’observais ostensiblement.
(Quel toupet ! Oser faire ça à quelqu’un de mon rang…. C’est intolérable !)
Je savais bien l’objectif de cette mission pour moi, mais je ne pouvais me résigner à me dire que ma vie serait désormais guidée par des actes guerriers et la violence des armes. J’avais toujours eu l’effort physique en idole mais au contraire, j’avais le combat en horreur. Comment tirer son épingle du jeu parmi de tels maîtres, je n’avais rien pour les faire m’envier, et au contraire chacun me surpassait dans chaque domaine et excellait dans un art précis. Moi j’avais juste le talent inné de naissance qui me donnait une certaine légitimité face aux autres prétendants au titre d’héritier, comparé à eux, je n’avais aucun mérite. J’avais déjà du mal à suivre le rythme. En plus, la longue obscurité du passage commençait à m’ennuyer, ainsi que la course, et pour passer le temps, j’essayai d’engager une conversation sportive avec mon voisin :
« Salut, Je suis Elsy…. _ Je sais qui tu es, Tais toi et cours ! »
(Le malotru, il a osé m’interrompre !)
Ainsi s’achevait mes doux rêves de sympathiser avec ces héros qui me rejetteraient de par ma condition d’exilé et de par ma frêle expérience du combat réel. L’avenir était donc tracé, je n’avais plus que le choix de m’illustrer dans les combats pour parvenir à gagner leur estime ou alors je resterais dans leur mépris et dédain le plus complet. Le grand Elsynde Danesti était condamné à montrer sa supériorité aux autres.
Sur ceux, nous débouchâmes du tunnel et nous commencions notre parcours forestier. Les arbres étaient majestueux, et derrière nous, les murs blancs de Cuilnen reflétaient la lumière pour accompagner notre départ. C’était la fin de matinée, à un peu plus d’une heure du zénith. Cependant, comme de coutume chez les escouades elfes, pas de pause pour un court déjeuner, seulement un fléchissement de la vitesse de course pour que les coureurs puissent se désaltérer correctement. Mon corps allait être mis à mal avec un rythme pareil, mes muscles enfin chaud n’avait pas une endurance aussi grande que ceux de combattant comme Khalid. Mais, hors de question de me faire honte et de ralentir l’unité, je vomirais à l’arrivé peut-être mais je tiendrais cette course effrénée. Je verrais bien les remarques que le chef aurait à me faire si je devenais gênant pour la réussite de la mission.
Alors que les arbres défilaient et que nous évitions chacun habilement toutes les ornières et racines qui tapissaient le sol, un grand rugissement eu lieu sur notre gauche. Je bondis presque, les cheveux hérissés tellement la frayeur me pris, durant une foulée en entendant ce gargarisme. Un murmure moqueur passa dans les rangs à mon encontre lorsque les autres combattants absolument pas étonnés me virent sursauter. Ils continuaient d’ailleurs sans se soucier de l’étrange bruit leur course vers le refuge sylvains. Cependant, je compris mon incompétence que quelques secondes plus tard, lorsque je vis la source du bruit se jeter au milieu de la masse de combattants et se joindre à la course du régiment elfe. Ma source de frayeur n’était que l’ultime arme de notre commandeur, Bägher Croc-Blanc, le tigre neigeux d’Aëlgrinn. Il ronronnait de retrouver son maître dans un élément naturel et sa foulée paraissait aisée à côté des miennes. Forcément, il était énorme pour un tigre, ressemblant presque à un petit cheval. Son pelage blanc strié de bandes noires et ses crocs luisant lui donnait un air majestueux et puissant qui inspirait le respect pour ce monstre magnifique.
Aëlgrinn, en tête de colonne vint à sa hauteur et lui glissa un murmure à l’oreille, dans le même temps, il indiqua d’un geste de tête des ordres à appliquer à trois d’entres nous. Le tigre bondit en avant, dépassant la tête et commença à prendre ses distances, suivi de Maëlin dont la fréquence de course augmentait de manière impressionnante, il paraissait voler et suivait sans aucune peine le rythme de la bête. Un monstre physiquement car une seule minute à ce rythme m’aurait tué. L’elfe et la bête disparurent dans le néant des fourrés, partant éclairer notre voie et nous éviter ainsi de mauvaises rencontres. Peu de gens aurait compris la nécessité de la présence de la plupart des héros elfes en un même endroit. La seconde personne dont l’activité changea fut Grän qui ralentit ostensiblement et joignit les mains en murmurant. Cependant, un instant plus tard, c’était un loup qui se tenait à sa place et qui s’élança lui aussi pour rattraper les deux premiers éclaireurs. Tous ces soldats étaient vraiment impressionnants tant leur maîtrise était parfaite.
Et pour finir, ce fut Aelys qui s’écarta du groupe pour suivre son propre chemin, nous couvrant depuis la profondeur des forêts. Il serait l’arme à utiliser pour surprendre des adversaires si nous étions engagés dans des escarmouches un peu longues et violentes… Tout était déjà pensé à la perfection pour réussir cette mission. Cependant, nous étions peu et le nombre des armées probables d’Oaxaca pourrait être notre plus farouche ennemi. Il nous faudrait éviter les grosses escarmouches, nous dissimuler du mieux possible et nous fondre dans la nature lorsque nous en aurions l’occasion.
Désormais, l’unité était en place et déployé de la façon qu’avait décidée notre chef, et les rangs de deux du tunnel s’étaient rompus pour permettre une plus grande liberté à chacun dans leur course. Nous étions parsemés sur le chemin, mais chacun bondissait et accélérait de manière à toujours être en vue d’Aëlgrinn qui courait en tête, serré de près par les deux amoureux. Eux prenaient leur tâche très au sérieux et il serait quasiment impensable d’attaquer le commandeur à ce moment.
Le début d’après-midi arriva sans que le rythme ne fut plus calme, ni qu’aucune paroles ne fut échangées. Il n’y avait qu’une brise légère pour escorter nos pas qui foulaient les terres sacrées de nos ancêtres. Le soleil nous épargnait grâce au couvert de branches et nous avancions à un rythme excellent. Chacun semblait à l’aise mais concentré, comme près à tout au moindre geste du commandement. Je devais être le seul à me sentir moite et à ne plus sentir mes jambes. Intérieurement, un combat farouche commençait à opposer douleur physique à honneur familial. Pour l’instant, c’était la puissance démesurée du second qui gagnait mais pour combien de temps, le mal gagnait à chaque seconde du terrain et mes jambes criaient à la mort. Le premier combat était contre moi-même.
C’est après ces quelques premières heures de marche que le fléchissement du rythme intervint, juste après une brève apparition du tigre qui nous avait fait contourner une rencontre gênante. J’allais apprendre plus tard que Maëlan c’était fait repérer par des amis à lui des duchés et que sa présence seule pouvait s’expliquer. Cependant, pour tous les autres, il fallait éviter le contact avec les autochtones pour ne pas ébruiter la mission si secrète. C’est donc durant cette première « pause » que je pu croquer un morceau et boire un coup. Les autres commencèrent à converser entre eux comme si c’était facile de courir en même temps. Je ne savais pas avec qui me joindre et de qui écouter la conversation.
(Je n’ai personne, comment je vais faire pour les aborder, je n’ai aucun point commun avec eux…. A part peut-être avec … Les archers ! Je vais essayer de les écouter.)
Je cherchai des yeux les deux archers toujours avec nous et découvrit qu’ils étaient grâce à la forêt justement en train de s’entretenir ensemble. Je me rapprochai d’eux pour essayer d’écouter mais l’effort que représentait toujours de courir pour moi était trop intense et je ne captai que quelques rares bribes d’une conversation futiles entre deux amis.
Durant le reste de la petite demi-heure de ralentissement, je cherchai à reprendre à tout prix un minimum de souffle et d’entrain pour ne pas m’évanouir en plein milieu du chemin. Arrivé à la fin de ce temps, Aëlgrinn avant d’accélérer de nouveau, vint à ma hauteur et me glissa avec malice et gentillesse :
« J’ai compris que ta présence ici était une punition royale, mais je ferais en sorte que tout se passe bien pour toi. Tu verras, ils sont tous un peu hautain avec la célébrité mais ils ont pour la plupart un bon fond… Nous tenons un rythme qui doit être inhabituel pour toi ! Tu verras, en tant qu’Arecs, tu t’y habitueras vite. Cependant, si tu es trop fatigué durant les premiers jours, le voyage étant paisible, ma tigresse t’accorde la faveur de la monter un peu pour te soulager. »
Après cette proposition alléchante mais déshonorante, il repartit en tête et de nouveau, nous allongeâmes la foulée pour suivre avec dévouement notre chef bien-aimé. L’effort fut si intense et ma volonté si accaparée par une lutte incessante que je ne vis pas les deux dernières heures de trajet défilées devant mes yeux.
L’escouade finit par arriver au refuge où les éclaireurs nous attendaient, déjà en discussion avec les maîtres des lieux, trois elfes sylvains. Ils étaient beau, deux portant des arcs fièrement dans leur dos et écoutant avec ferveur le troisième, un ancien tenant un bâton comme une arme qui prêchait de bons conseils aux jeunes soldats. Il attira mon regard car une flamme d’intelligence brillait avec vivacité au fond de ses yeux. Cet homme était sans doute d’une sagesse incomparable et son enseignement serait probablement enrichissant. Il faudrait que je m’entretienne avec lui. Nous nous miment au pas tandis que je crachais mes poumons à reprendre mon souffle et nous nous présentions en grande pompe devant ce comité d’accueil. Dans le même temps, Aelys se glissa parmi nous, murmurant que les alentours étaient piégés en cas d’embuscades. Aëlgrinn, en flambeau d’unité, vint prendre la parole devant le trio :
« Gösy, maîtres archers, je vous remercie de nous accueillir en votre refuge. L’escouade de Luïnwe dirigée par Riel’dÿn est elle arrivée, j’aimerais m’entretenir avec lui et prendre mes fonctions ? Il faudrait aussi distribuer les armes manquantes à mes soldats. La reine vous envoie ses plus sincères salutations. »
Le vieillard sourit et fit un geste de la main nous invitant à entrer dans son refuge sans piper mot. L’unité compris et entra dans l’antre de bois. Je rentrais en dernier et découvris un spectacle effarant de soldat sur le pied de guerre mêlés à l’harmonie céleste du lieu et à la luxuriante architecture. La seconde unité commençait à se désaltérer en nous attendant et les miens commençaient à les rejoindre. Ne sachant que faire, je tentai de me glisser sur les pas d’Aëlgrinn.
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L'esprit de la forêt m'accompagne
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