Avec impatiente Aztai, Rudy et Waor attendaient non loin de la maison de l'Ancien. Le woran roux les avait rejoints pas longtemps après. Devant le tipi deux worans du groupe d'éclaireurs de Kharo montaient la garde. En voyant cela les habitants d'Ambervalle se massaient peu à peu mais gardaient cependant le calme. Des murmures circulaient dans les rangs, derrière on entendait la foule qui n'avait pas jugé nécessaire de venir voir ce qui se passait. Et puis, l'Ancien releva les pans de la tente, l'air grave. il était suivi de Kharo et de la woranne au regard dur. Il regarda la foule massée devant lui (une quarantaine de worans à vue d'oeil) et parla d'une voix ferme et assurée.

-Des orques d'Omyre vont pénétrer Ambervalle! Que tous les guerriers et guerrières se préparent.

Aussi tôt un murmure d'inquiétude monta dans l'air.

-Combien sont-ils, Ancien? Fit un woran tigré à droite d'Aztai.

-Selon les renseignements de Kharo, une compagnie d'environ cinquante orques.

Alors qu'un frisson parcourait l'échine d'Aztai l'Ancien se tourna vers Kharo. Seuls les worans au premier rang purent entendre:

-Kharo. Prends quelques guerriers avec toi et constate la progression des garzorks. S'ils ne s'arrêtent pas et continuent leur chemin nous les attendrons. S'ils campent, où que ce soit, nous prendrons le temps des préparations et attaquerons durant la nuit: le sang va couler!

Dans ses yeux s'étaient réveillé une colère, une vengeance...

-Les orques ne s'attendent pas à une attaque de ce genre? Demanda Aztai à Rudy. A force il savent bien qu'une tribu woranne les attends pour les massacrer non?

-Lors des rares batailles on ne laisse aucun survivant, donc aucun témoins... De plus, les garzorks ne font que passer la plus part du temps, ils n'ont jamais attaqués Ambervalle. Bien sûr il ne s'en privent pas s'ils en ont l'occasion, mais ce n'est jamais leur objectif premier.

-Tu veux dire que ce sont les worans qui lancent l'assaut le plus souvent?

-Pour ne pas dire tout le temps... On ne sait pas où vont ces chiens! Alors ils étouffent l'attaque dans l'oeuf.

-Bon état d'esprit, reconnut Aztai.

Autour d'eux les worans se dispersaient rapidement. Le message circulait déjà dans la clairière. Quelques fauves, tous volontaires, partirent avec Kharo en éclaireurs.

-L'Ancien a dit que le sang coulerait cette nuit! S'exclama Waor. Je ne compte pas rester à la place de spectateur.

-Moi non plus, répondit Aztai, sentant monter en lui l'adrénaline.

Rudy approuva du chef:

-Allons nous préparer!

Avant de partir chercher leurs armes, le woran neige croisa le regard de l'Ancien. Celui-ci avait la même gueule que lorsqu'il lui avait posé la question, la même tristesse. Mais cette fois-ci, le woran noir ponctua courageusement son expression d'un sourire.

Une pierre à aiguiser dans la main, Aztai se hâtait de redonner leur tranchant aux lames qu'il n'avait pas touchées depuis longtemps. Le contact froid de l'acier avait quelque chose de déprimant. Assit au pied d'un arbre, il attendait son père parti s'armer auprès des frères Jagd. Un bruit de pas lui fit lever le menton. L'Ancien se dressait de toute sa hauteur et tenait dans les mains un plastron de cuir souple, noir.

-Tiens, Aztai au Sang Chaud, lui dit-il en lui tendant la protection.

Le woran neige examina l'objet: malgré sa souplesse, les plaques pectorales et dorsales semblaient extrêmement résistantes. Reliés par deux bandes de cuir, on pouvait l'enfiler par la tête. Une troisième bande parcourrait les flancs pour une attache optimale. Aztai remarqua qu'une petite flamme était gravée au niveau de l'abdomen.

-Merci Ancien, répondit-il en examinant toujours le plastron.

Et puis deux worans s'approchèrent d'eux. Un mâle tigré et la woranne entièrement blanche qu'il avait de temps en temps croisée. Un sentiment contagieux de bien-être émanait d'elle. Lorsqu'elle plongea ses yeux marrons dans ceux d'Aztai, il détourna le regard, aiguisant à nouveau son épée. Malgré la fraicheur ambiante, une bouffée de chaleur envahit le jeune woran neige...

-Ancien, fit le woran, j'apporte des informations sur la bande de garzorks. il se sont arrêté à environ deux kilomètres à l'ouest. Ils défrichent une partie de la forêt pour pouvoir camper.

-Une bande d'abrutis... marmonna le woran noir.

-Ancien, commença la woranne. Ils ne sont qu'une cinquantaine. Laissez la Corpora s'en charger. Il suffirait uniquement de deux mages pour tous les exterminer...

-Avez-vous vu s'ils ont des chamanes? Gaora, on ne peut courir le risque: il faut des lances comme de la magie! Rassemble le nombre de magiciens que tu juges nécessaires pour l'attaque... Personnellement je pense que toi seule suffirait.

L'Ancien avait appelée la femelle Gaora. Ce qui signifiait qu'elle était sans doute la plus dangereuse habitante d'Ambervalle, une pyromancienne hors-pair d'après les dires...

-Seule je viendrais! Répondit-elle la gueule haute. Et il n'y aura pas de survivant!

-Fort bien dit. Il se tourna vers le woran. Rassembles une cinquantaine de guerriers. Il faut au moins une trentaine d'archers dans le lot. Sans compter les éclaireurs de Kharo.

Les deux fauves s'éloignèrent au pas de course pour divulguer les ordres de leur guide.

-Rien ne t'oblige à participer, Aztai...

Le woran éclata de rire.

-Je compte défendre chèrement cette communauté!

-Merci, chuchota l'Ancien. En voyant approcher Rudy et Waor il fit volte-face. Attention à toi, jeune woran...

La tension avait atteint des sommets. Aztai se demandait si c'était parce que, à la dernière bataille, ils avaient perdu une vingtaine de worans. "Ils étaient plus nombreux" avait dit Rudy. Avant de s'équiper Aztai était parti accorder une rapide prière à Meno. L'Ancien avait programmé l'attaque pour un peu avant le milieu de la nuit. Les éclaireurs de Kharo étaient toujours sur place. Le plan était simple: ils allaient surprendre en silence les orques. Kharo et ses worans se chargeraient d'éliminer discrètement les sentinelles. Ensuite tous infiltreraient le campement et tueraient les monstres dans leur sommeil. Si ça tournait mal, la magicienne serait là.

Aztai, après avoir enfilé toutes ses protections dont le plastron offert, passa son estramaçon en bandoulière. Il prévu d'utiliser que son épée courte, mais il était toujours bon d'avoir cette lame meurtrière sur le dos. Il suivit un groupe de guerriers tous armés de lances et d'hallebardes. Bientôt il rejoignit son père et son ami. Eux aussi étaient fins près pour la bataille. Waor et Rudy arboraient tous deux un plastron semblable à celui du woran neige. A la ceinture du woran roux pendaient des couteaux, Aztai en compta huit. C'étaient des tourmenteurs, des poignards à usage unique car une fois dans la chair il fallait en briser le pommeau. En bandoulière, sur son torse, un long couteau pendait, l'arme principale de Waor. Rudy, pour sa part, avait opté pour une hache à double tranchant à la hampe courte. Cette arme à une main se révélerait dévastatrice, Aztai n'en doutait pas. A sa ceinture pendait aussi un couteau.

-Quelle allure, s'exclama Aztai.

-Oui, fit-il d'un air approbateur en contemplant la hache. Je pense que ça peut avoir son petit effet.

Dans une bonne heure il ferait nuit. ils s'élanceraient à l'assaut pas longtemps après...
Quelques éclaireurs étaient revenus dans la clairière, à peine deux heures plus tard pour guider leurs semblables près du campement orque. En silence, Waor Rudy et Aztai suivirent une dizaine d'archers. Plusieurs groupes s'étaient fait et prenaient des chemins différents: il fallait encercler l'ennemi avant de l'attaquer.

Après une vingtaine de minutes de marche tranquille et silencieuse ils arrivèrent à destination. Se tenant à bonne distance Aztai put apercevoir des feux mourants qui éclairaient faiblement le camp endormi remplit de tentes. Tous les worans savaient ce qu'ils avaient à faire. Les archers s'avancèrent légèrement. L'orque le plus proche n'avait absolument rien remarqué. Le woran neige distinguait sa silhouette dans la pénombre. Bientôt, dans un silence parfait, une deuxième silhouette approchait discrètement. Plus grande, plus musclée. Le coeur d'Aztai battait à lui rompre les côtes. Le premier sang serait versé dans quelques secondes. Le woran en embuscade était tout près, et tous, cachés dans la forêt avaient les yeux rivés sur lui. Tout autour du camp les sentinelles tomberaient d'un même mouvement.

L'éclaireur chargé d'exécuter l'orque passa à l'action. Aztai vit distinctement ses bras musclés faire le tour du crâne du garde. Et puis, d'un geste vif, il croisa ses membres, tirant sur les poignets du troka. Celui-ci était fait d'un fil de fer, car bientôt on vit distinctement la tête se détacher du corps de l'orque. La bête n'avait pas eu le temps de réagir. Autour, les archers s'approchèrent pour éliminer un quelconque garzork qui aurait aperçu la scène. Mais aucune flèche ne quitta son arc. Pour l'instant le plan se déroulait à la perfection. Devant eux, un woran leur fit signe de passer à l'action. Arrivé à la lisière d'une clairière où les orques avaient coupé et déraciné des arbres, aztai dégaina son épée en os de fulminaire. Waor fit de même avec son couteau long. Rudy leva sa hache de la patte gauche, griffes de la main droite ressorties.

Les aigles se ruèrent sur les mulots. Dans un silence de mort les worans infiltrèrent le camp. Le sommeil n'avait pas emporté tous les orques et certain réagirent rapidement... pour mourir plus rapidement. Aztai fit tout pour rester à proximité de Waor et Rudy, eux firent de même. Le trio se lança dans un ballet mortel. Plongeant au coeur de la clairière improvisée, ils coururent en direction du centre pour faire jouer au mieux leurs lames. Lorsqu'un garzork sortit d'une tente sur sa gauche, Aztai n'hésita pas. Son ennemi n'eut pas le temps de dégainer que l'épée du woran neige transperçait sans pitié son ventre. Un deuxième orque suivit le premier. Malheureusement le premier monstre avait eu le réflexe de retenir l'arme enfoncée dans son corps, déséquilibrant quelque peu Aztai. Ce fut Rudy qui vint en aide à son fils. A la manière que l'on abat un marteau il exécuta l'attaquant. Un geyser de sang jaillit de la plaie béante, au niveau de son épaule. Les feux de bois projetaient les ombres de l'affrontement, une danse gracieuse de reflets aussi noirs que la mort. Derrière Aztai, Waor massacrait les orques. Ayant sauvagement arraché une tente à coups de griffes, il avait découvert quatre garzorks et un gobelin, qui gisaient maintenant dans leur sang...

Autour d'eux les fauves dominaient impitoyablement la bataille. Les trois compagnons se mêlèrent à un autre groupe de worans en difficulté. Malgré l'effet de surprise réussi, les orques s'étaient rassemblés avec une rapidité stupéfiante... Cependant les cadavres des peaux vertes s'empilaient inéluctablement. Une flèche siffla aux oreilles du woran neige pour venir abattre un autre guerrier d'Omyre. Un gobelin, hurlant de sa voix aigüe, fonça vers le woran neige, un couteau levé haut de ses deux petites mains. D'un coup circulaire Aztai trancha net les deux bras de la petite créature qui ne faisait pas plus d'un mètre de haut. Il finit son adversaire d'un coup de griffe au visage...
Haletant il fit le tour de la scène. Les worans continuaient inlassablement leur danse macabre. Soudain, une gerbe de flammes carbonisa un groupe entier d'orque non loin de là. Les victimes de Gaora hurlaient à la mort et Aztai eut l'estomac retourné par ce terrible spectacle. Mais en aucun cas il ne devait prendre pitié de ses ennemis. Il chercha Rudy, pour détourner son regard de la scène. Il mit quelques secondes pour le retrouver... quelques secondes de trop. Un orque venait littéralement de lui sauter sur le dos et entourait sauvagement ses bras autour de son cou. Totalement déséquilibré Aztai tomba à la renverse, lâchant au passage son épée. De ses griffes il tenta de lacérer le visage de la puante créature mais le choc lui avait coupé le souffle. Pire encore, le garzork resserra son étreinte mortelle. L'air lui manquant soudainement, il se débattit piteusement, tel un noyé à l'agonie. En gesticulant ainsi il put remplir partiellement ses poumons. Mieux encore, sa griffe atteint le visage de l'orque qui la lâcha soudainement sa prise dans un grognement de douleur. Aztai roula et se releva. A son grand damne il ne put saisir son épée... quel imbécile faisait-il. Il dégaina sa lame dentée. Le tintement transperça la nuit et le tumulte de la bataille. Elle refléta les flammes d'un feu mourant à quelque mètres de là. L'orque, en face de lui s'était déjà remit de sa blessure (sur le crâne) et se jeta à nouveau sur son adversaire. Aztai tint son épée droit devant lui, en position de parade. La créature n'était pas armée mais la folie semblait la guider. Arrivé à quelques mètres de lui une masse de muscle blanche interrompit sa course. Rudy, avec une vitesse inégalable avait violemment saisi le garzork par la gorge, enfonçant profondément ses griffes dans la chair. Après l'avoir durement plaqué au sol il l'acheva d'un coup de hache. Du sang souilla la fourrure de son père, déjà vermeille du fluide vital qu'il avait versé.

haletant, Aztai reprenait tant bien que mal son souffle. Epée au poing il fit un rapide tour sur lui-même pour évaluer la situation. L'adrénaline, à son maximum, lui rongeait les entrailles. Non loin de là un combat à mains nues s'était engagé entre un fauve noir et un garzork des plus grands qu'Aztai est vu. La vile créature faisait face et beuglait inlassablement des ordres à des sujets inexistants... ou déjà taillés en pièces. Comme pétrifié, le woran neige observait les lutteurs se donner coup de poings et de pieds, se roulant par terre.

-Aztai! Hurla son père. Cours lui porter main-forte! Fit-il en se jetant sur un gobelin pour le massacrer.

Mais qu'il était stupide d'attendre sagement. Rudy avait raison. Aztai se jeta en poussant un rugissement, éspérant capter l'attention de l'orque et le déconcentrer. Son allié woran profita du secours pour coller une formidable droite dans la gueule de la créature. Celle-ci vacilla et s'écroula quelques mètres plus loin... à porter d'une hache à une main. Roulant sur lui-même pour se remettre sur pieds, le garzork afficha un sourire de triomphe, son visage belliqueux attisant la haine d'Aztai. Les deux worans faisaient face à deux contre un, mais leur ennemis ne semblait pas disposer à abandonner... L'allié du woran neige n'eut d'ailleurs pas le temps de chercher de quoi se défendre. L'orque poussa un cri guttural et s'élanca. Aztai n'hésita pas une minute. Dans moins d'une seconde les deux adversaires se percuteraient. Au moment ou le garzork abaissait sa hache, le woran neige plongea sur le côté dans l'idée de se relever et frapper à son tour. Cependant, il ne put se réceptionner comme voulu et le choc du sol dur sur sa clavicule lui arracha un grognement de douleur et de surprise. Frustré d'avoir manqué son coup il pu quand même se relever et charger à nouveau. Par chance, le woran allié n'était pas resté à observer la scène, comme Aztai l'avait fait un peu plus tôt. Il avait réussi (Meno savait comment) à saisir le manche de la hache. Livrant un nouveau combat, pour récupérer une arme cette fois-ci, Aztai eut le boulevard pour tenter une attaque. Levant haut son épée, il l'abattit avec toute la force du monde. Les dents de métal se fichèrent dans le crâne du garzork. Dans un craquement immonde, des fragments d'os imbibés de sang giclèrent pour venir s'écraser sur les deux worans. L'odeur qui s'en éleva donna la nausée à Aztai mais seule une chose comptait: il avait vaincu son adversaire. Le corps sans vie s'affaisait alors que son allié saisissait la hache, un regard méprisant sur la dépouille.

-Merci, marmonna-t-il. Un coup de grâce exeptionnel, ajouta-t-il avant de s'éloigner.

Le tumulte de la bataille s'adoucissait. Un trait de feu illumina la nuit pour incinérer un nouvel orque. Le combat s'était réellement transformé en traque. On trouvait et abattait les survivants à présent. Malgré cela, les futurs vaincus se défendaient honorablement. En quelques secondes Aztai retrouva son père mais il n'eut le temps d'échanger un mot avec lui: un groupe de trois gobelins chargèrent en direction des deux worans blancs. Aztai et Rudy se rapprochèrent l'un l'autre pour leur faire face. Malgré l'infériorité numérique ils ne feraient pas le poids face à deux fauves tels qu'eux. Rudy se rua à son tour. Dans un cri guttural il leva son arme à double tranchant. Pendant un instant le woran neige vit les gobelins hésiter. De plus, une flèche bien tirée en coucha un sur le champ de guerre. A son tour Aztai chargea. A deux contre deux, chacun s'occupait d'un adversaire. Son père engagea le combat le premier. A peine Aztai avait donné son premier coup que l'autre gobelin gisait au sol: son père avait brisé d'un coup féroce l'épée de mauvaise fortune de la petite créature. Ensuite, tel un bélier, il joua de son épaule l'envoyer voler. Le gobelin d'Aztai fut plus prévoyant. Voyant arriver devant lui un monstre presque deux fois plus grand, il s'était jeté en avant, sous le bras qu'abattait Aztai pour l'achever. Agile, le petit bonhomme avait dégainé un couteau de nul part et entaillé le mollet de son adversaire, derrière la jambière. Prit par surprise, Aztai grogna de douleur cependant il ne manqua pas sa deuxième tentative. En faisant un demi-tour sur lui-même (ignorant du mieux que possible la douleur à l'épaule et à la jambe) il enfonça les dents de l'épée dans le flanc du petit monstre d'un large revers. La bestiole couina de surprise et Aztai retira la lame qui déchira un peu plus le corps de son ennemi. La dépouille encore vivante s'écroula comme une marionnette à qui on aurait coupé les fils. A côté, Rudy, dans une rage effrayante, avait propulsé ce qui restait de son gobelin dans un des feux de camp. Les flammes s'élevèrent dans la nuit et une odeur de viande brulée monta bientôt à leurs naseaux.

S'avisant que le combat prenait fin et que les fauves d'Ambervalle achevaient les derniers survivants, Aztai se relâcha un peu. Avec son père ils retrouvèrent Waor, une coupure à l'avant-bras, qui erraient pour tuer d'autres orques.
Gaora, la pyromancienne, était restée à la lisière de la clairière. Ses feux avaient à eux seuls réduits au moins la moitié des peaux vertes. Dans un ultime trait de flammes rougeoyante, ce qui semblait être le dernier orque s'effondra en hurlant de terreur. Partout au sol des cadavres gisaient: éventrés, décapités ou encore sous le coups des flammes qui léchaient leurs restes.

-Moi aussi je vais garder un souvenir, fit Aztai en regardant le bras de Waor. Il lui montra son mollet.

-Superficiel, marmonna le woran roux.

Il marcha droit devant lui, comme s'il avait vu une chose de pas ordinaire. Il dégaina un tourmenteur, à sa ceinture. S'agenouillant auprès d'un orque qui remuait il enfonça le poignard dans son dos, au niveau de la colonne vertébrale. Un craquement sonore retourna le coeur d'Aztai, Rudy détourna le regard. Se relevant, Waor observa les alentours. Abaissant à nouveau les yeux sur sa victime il donna un sec coup de patte à l'arme qui dépassait du dos de l'orque. Le pommeau se brisa dans un tintement qui résonna.

-Très efficaces ces couteaux, fit-il d'une voix neutre.

Depuis que la première sentinelle avait été exécutée, même pas une minute semblait s'être écoulée. Réellement on aurait pu compter les minutes: la bataille avait été à sens unique. Sur le chemin il récupéra son épée en os de fulminaire... qu'il utilisa pour achever un garzork agonisant sous un morceau de tente déchirée. Il avait observé un moment le sang sombre aux reflets rouges tacher le tissu...

Tous les worans se rassemblaient en petits groupes. Certains étaient blessés, rien de grave. Malgré cette victoire Aztai eut le coeur déchiré lorsqu'il tomba sur un woran sans vie... Appelant à l'aide quelques fauves arrivèrent au trot. Allongé sur le dos son regard sans vie pointait le ciel. Il n'était pas plus vieux qu'Aztai, et dire qu'il aurait pu le connaître mais que cette rencontre n'aurait jamais lieu. Après avoir adressé une prière à Meno pour qu'il le prenne sous son aile, il s'était détourné du corps sans vie perforé plusieurs fois par l'acier. Il avait apprit la mort d'un autre woran, tué d'une flèche au coeur... Deux morts semblaient un faible prix à payer contre une cinquantaine d'orques, et pourtant...

Jusqu'au milieu de la nuit ils empilèrent les cadavres, et piquèrent une tête d'orque sur une lance. On avait soigné les blessés en attendant la marche de retour. Enfin ils regagnèrent la clairière, portant respectueusement les deux worans sans vie. A l'aube, un dernier hommage leur serait rendu. Leurs âmes s'envoleraient avec les flammes de leurs buchers funéraires, allant rejoindre le Père de la Flamme.

-Impensable, murmura Aztai.

Le petit coffre logé dans sa paume s'ouvrit dans un déclic presque inaudible. Machinalement le woran neige le referma. Adossé à un tronc d'arbre, l'aube annonçait une journée pluvieuse... Comme si le ciel lui-même était en deuil pour les deux worans, il cachait le soleil derrière ses gris nuages; comme si aucune source de joie, de lumière n'avait sa place à cette heure-ci. Se redressant légèrement, Aztai rangea l'artefact au fond de sa poche. Il n'avait pas fermé l'oeil depuis leur retour. Après avoir pris soin de faire recoudre sa plaie, il avait erré à la lisière de la clairière jusqu'au petit matin. Dans sa tête tournaient sans cesse les gueules des worans sans vie. Il avait hâte de prier en leur honneur, hâte de s'abandonner une fois de plus dans les bras du Père de la Flamme. Comme toujours, c'était réconfortant d'abandonner peines, souffrances et même bonheur, pour nager dans un océan de neutralité, une agréable neutralité.

Aztai se leva. Un tout jeune woran passa près de lui en courant, lui adressant un rugissement faussement menaçant. Le woran neige se prêta au jeu et répondit en dressant théâtralement ses griffes. Le petit éclata de rire avant de s'éloigner à toutes jambes. Qu'il était bon de voir autant de vie, dans un si petit corps. Cette image eut l'effet d'un rayon de soleil qui traverse les nuages, les nuages de la morose humeur d'Aztai. Il se dirigea vers l'autel de Meno, ses pas le guidèrent pour être précis. Lui, il avait l'esprit ailleurs. Et puis, une pensée le frappa soudainement. Il s'arrêta brusquement entre les étalages, manquant de renverser un fauve qui le suivait. Le fauve en question était Waor. Voir la gueule de son meilleur ami lui rendit le sourire.

-Tout va comme tu veux? Demanda le woran roux en frappant doucement du poing l'épaule de son jeune ami.

-Je crois... bredouilla Aztai, toujours dans ses pensées

-Alors à tout à l'heure pour la prière, répondit-il en s'éloignant.

Aztai ne répondit pas, reprenant à son tour sa marche. Après les funérailles, il devrait prendre une décision, et cette fois ni Waor ni Rudy n'interviendrait dans son jugement.

Un courant d'air balaya la fourrure d'Aztai. A genoux, le dos bien droit et entouré de centaines d'autres fauves, ils rendaient tous un hommage aux deux combattants morts pendant la nuit. Tous prosternés à leurs manières autour du cercle de sable, seul l'Ancien avait pénétré la limite. Au centre se dressait bien sûr l'autel de Meno. De chaque côté, un lit de bois avait été aménagé. Les dépouilles des worans reposaient déjà dessus dans un linceul blanc, fin prêts pour leur ultime voyage. l'Ancien, le regard grave tenait dans sa main une torche. La flamme battant au vent, même les éléments étaient contre ces funérailles si... injustes.
Tous les habitants d'Ambervalle n'étaient pas présents mais Aztai eut un élan d'affection pour tous les fauves venus recommander l'âme des défunts à Meno.

Se postant tout près de l'autel de pierre, l'Ancien leva haut le menton et les yeux au ciel. Une telle position, si franche, si charismatique: on eu cru que tous les dieux écoutaient en ce moment le woran sombre.

-Et que leurs âmes trouvent le chemin jusqu'à toi, Père de la Flamme. Que ton feu illumine la voie, à travers les ténèbres.

Sous ses paroles, un frisson parcourut l'échine d'Aztai. A ce moment précis, Meno ne pouvait être plus présent, ici avec les worans. Le woran neige ne détourna pas le regard lorsque l'Ancien abaissa la torche, au pieds des buchers. Les flammes naquirent pour s'épanouir et venir caresser les restes des deux fauves. Le crépitement des flammes ne pouvait couvrir les quelques sanglots entendus dans l'assistance. Le coeur d'Aztai se serra, la tristesse rongeait ses entrailles. Il conserva la tête haute: c'était le prix à payer pour vivre dans un monde de guerres...

Il ferma enfin les yeux, échappant enfin au terrible spectacle. Son esprit se lova auprès de Meno, qui serrait dans ses bras tous ses fidèles, afin de calmer leur peine. Malgré ce réconfort, Aztai était troublé. Ambervalle lui avait ouvert les bras, il avait retrouvé en quelques mois un peuple, une famille. Et pourtant, il les lançaient tous à la mort. Le Monarque le recherchait, lui Waor et Rudy. Que faisaient-ils? Le temps était un luxe qu'ils ne pouvaient pas se permettre. Pourquoi le maudit demi-elfe ne lancerait-il pas un assaut sur la forêt? Pour le woran neige, conduire les fauves à une mort certaine n'était pas le meilleur des remerciements...

C'était décidé, au prochain crépuscule, Aztai quitterait non sans tristesse sa nouvelle famille. Au crépuscule le woran neige disparaitrait...

Du bout de la griffe, Aztai longea le fil de sa lame. Au loin il aperçut Gaora la magicienne et la suivie du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière une tente. Depuis plusieurs heures l'idée de partir lui tournait dans la tête. Par moments elle lui paraissait absurde, car il ne savait pas vraiment ou aller. Durant toute l'après-midi il s'était promené dans la forêt d'Ambervalle, unit à la solitude. Il avait aussi rejoint la clairière (où lui et l'Ancien s'entrainaient) pour de nouveau parfaire son instinct... en vain. Son oiseau chanteur n'était pas là, probablement en deuil lui aussi. il était enfin revenu vers les siens. Il avait rassemblé ses pièces d'armures et ses épées, attendant il ne savait quel instant pour filer en douce. Il ne voulait pas d'adieux, certain qu'il changerait d'avis après...

Arme au poing, Aztai rengaina sa lame. Son père approchait. Arrivé face à lui, il lui adressa un de ses fameux sourires malicieux. Avant qu'il ne dise quelque chose, le woran neige soupira d'exaspération: il savait déjà ce que lui dirait son père.

-Alors tu comptes aller où? Fit-il d'un air nonchalant.

Cette faculté de savoir les choses... sans les savoirs.

-Tu irais où toi? Répliqua-t-il agacé.

-Eh bien j'irais voir l'Ancien.

La réponse semblait trop facile. Vexé d'être si prévisible, Aztai n'était que son fils après tout.

-J'ai peur d'attirer la foudre sur Ambervalle.

-Oui moi aussi, depuis le premier pas que j'ai posé dans ces bois.

-Et alors tu ne fais rien? Demanda le jeune fauve sans cacher son mécontentement.

Son père ne répondit pas. Son regard s'était tourné en direction des bois, derrière Aztai. Un regard... alarmant. Faisant volte-face, Aztai s'aperçut que Kharo, l'éclaireur en chef courait à toute vitesse en leur direction. Son coeur s'accéléra, une nouvelle attaque? S'écartant pour le laisser aller jusqu'à la tente de l'Ancien, le fauve s'arrêta net devant le fils et le père.

-Un messager un peu spécial est venu jusque chez nous, annonça-t-il entre deux inspirations. Nous avons des ennuis.

-Pourquoi ne préviens-tu pas l'Ancien d'abord? Demanda Rudy soupçonneux.

L'éclaireur tourna un regard éloquent vers Aztai.

-Le messager est aux portes de la mort, et elle demande à voir Aztai, le woran tigré blanc.

Une main de glace se referma sur le coeur du woran neige.

Fin du Chapitre 4

II/ Chapitre 5: L'Ancien, chercheur d'or

Les poumons en feu, Aztai n'aurait ralenti sa course pour rien au monde. Des idées lui tournaient dans la tête, celle de quitter Ambervalle complètement oubliée. Après une bonne demi-heure ils arrivèrent lui, Rudy et Kharo à la lisière de l'immense forêt. Un woran les attendait à côté d'un cheval qui broutait paisiblement l'herbe. A quelques mètres de l'étalon, au pied d'un arbre, un corps féminin immobile gisait sur le dos. De là où Aztai le voyait, impossible de dire s'il était en vie. Chaque pas qu'il faisait le rapprochait un peu plus de la vérité. Une dizaine de mètres restants, le woran neige s'immobilisa en reconnaissant la crinière brune... Un gouffre s'ouvrit dans son coeur, l'air lui manquant soudainement. Cette crinière, aujourd'hui sale et emmêlée, il l'avait contemplée des centaines de fois. Elle appartenait à la seule personne qui, pendant presque huit mois, avait rendu visite à Aztai.
Rudy posa une patte réconfortante sur l'épaule de son fils. Des larmes de rage embrumait le regard du woran neige. Kharo avait rejoint son éclaireur, lui adressant des paroles qu'Aztai ne chercha pas à comprendre. Le corps presque sans vie devant lui n'était couvert que de haillons qui laissaient paraitre d'immondes blessures. Son visage d'ange machiavélique d'autre fois avait disparu. Aujourd'hui, le woran neige ne faisait plus face à sa tortionnaire d'autre fois mais à une femme, quoi de plus naturel. Son corps, au plus maigre, ne trahissait quand même pas sa beauté naturelle. Quand il repensait à toute cette histoire, une profonde tristesse envahit Aztai. Victime d'un mensonge, la belle Héwana avait servi le meurtrier de son frère jumeau, une ordure qui se faisait appeler le Monarque.

Aztai s'agenouilla près de la Serpante. Aujourd'hui les positions étaient inversées, elle était mourante, pas lui... Un détail lui donna la nausée: des trous, tout autour de ses lèvres, trahissait le fait qu'on lui avait cousu la bouche. Il remarqua aussi que son annulaire était sectionné de moitié. Les paupières de la pauvre femme s'entrouvrirent. Lorsque son regard croisa celui du woran, un sourire sûrement douloureux étira ses lèvres.

-Pourquoi... murmura Aztai tremblant de rage. Une rage entièrement vouée au demi-elfe. Par Meno pourquoi t'a-t-il infligé cela...

-Aztai... chuchota-t-elle d'une voix brisée. Une larme roula sur sa tempe pour venir se morfondre dans ses cheveux emmêlés. Une autre larme s'écrasa sur son cou, car Aztai aussi pleurait. Je ne demande pas ton pardon...

-Assez! Répondit-il sur le même ton. Je sais tout, et je te pardonne naturellement.

Derrière lui, Rudy et Kahro discutaient. L'autre woran était parti prévenir l'Ancien. Il baissa les yeux sur ce que laissaient voir les haillons. La chair, sur la totalité du corps, était à vif. Kharo s'approcha et tendit une gourde à Aztai. Il posa le rebord sur les lèvres de la presque mourante. L'eau apaiserait surement sa douleur... Après une gorgée elle repoussa tant bien que mal l'outre.

-Aztai, je ne suis pas là de mon plein gré.

Cette phrase étonna le woran.

-C'est lui qui m'envoie... J'ai un message, continua-t-elle, angoissée.

-Il te faut des soins! S'exclama Aztai.

-Non. Seul le message importe. L'elfe n'est pas seulement officier de Kendra Kâr. Il est en relation avec les servants d'Oaxaca, à Omyre! Son regard trahissait une peur sans nom. Il vous traque et je n'ose pas imaginer s'il vous retrouve... Il m'a torturée pour t'avoir laissé t'échapper, en prenant soin de me raconter la vérité, et... me voila, conclut-elle avec peine et pleurs.

-Il faut te soigner. A Ambervalle nous avons de bons guérisseurs!Il faisait semblant de ne pas avoir entendu ses paroles, qui déchiraient son coeur.

-Ambervalle? Fit-elle d'une voix endormie. Qu'est-ce que c'est?

-La plus grande cité woranne! Pas loin d'ici! Tiens bon Héwana, je n'accomplirais pas seul cette vengeance.

Ces mots éveillèrent le regard presque éteint de la femme.

-Je tiendrais, fit-elle d'une voix plus ferme.

Le jeune woran avait encore le coeur soulevé par les derniers évènements. Héwana la Serpante... quelques mois plus tôt, l'évocation de son nom aurait fait bouillir de rage Aztai, pour toute la torture qu'elle lui avait infligée. Aujourd'hui, c'était la victime d'un fou, tout comme il l'était. Ses inquiétudes s'étaient confirmées: il était recherché. De plus, il s'agissait de savoir jusqu'où ce monstre pouvait aller pour tuer sa proie. Oaxaca... Ce nom inspirait l'effroi dans le coeur des gens libres. S'attirer les foudres d'un demi-elfe tel que lui était déjà un problème majeur, alors celles d'une Déesse... La plus grande crainte était que le Monarque s'aperçoive de l'existence d'Ambervalle, et Aztai craignait que ce soit le cas. Un tel pouvoir lui permettrait probablement d'attirer très facilement les ennuis aux worans.

Cela faisait deux bonnes heures qu'il avait retrouvé Héwana. La pauvre femme était dans un état critique; n'ayant pas mangé depuis plusieurs jours, en totale déshydratation, le woran neige craignait pour sa vie... Avec toutes les précautions possibles ils avaient emmené la souffrante à la clairière, pour qu'elle puisse bénéficier des meilleurs soins... Hélas la magie réparatrice n'était pratiquée par aucun mage de la Corpora. Le repos, les plantes et le temps feraient leurs travail, et il pouvait en être que ainsi. Déposée dans une tente, plusieurs guérisseurs et herboristes s'occupaient d'elle. A la vu d'un Aztai en détresse, personne n'avait mit en doute sa confiance à propos de "l'humaine". Un grand soulagement il fallait le dire. Ce peuple était si bon, le perdre signerait la fin du woran neige.

La nuit tombait sur la forêt. Quelques feux de camp naissaient ici et là. Waor venait de rejoindre Aztai, une grande perplexité sur sa gueule de fauve. Lui aussi aurait été torturé par Héwana, si Rudy ne les avait pas sauvés.

-Il faut abattre ce monstre, fit Aztai d'un air absent.

-Aztai au Sang Chaud enfonce les portes ouvertes, déclara Waor dans une imitation correcte de l'Ancien. Aztai esquissa un sourire. J'ai pensé à une chose, et ton "amie" (il souligna bien le mot) peut nous informer. Hum... je mettrais ma main au feu que cette ordure est un magicien.

Aztai avait pensé à cette idée. En fait c'était absurde de se poser la question... Cette idée fit s'écrouler les espoirs du woran. Quelles chances avaient-ils?

-A vrai dire, reprit Waor, j'ai posé la question à l'humaine.

-Ha... et elle a répondu quoi "l'humaine"? Lança Aztai sur un ton de défi.

Waor baissa la tête.

-M'en doutais, marmonna Aztai. Décidément, ils n'avaient réellement aucune chance.

-Il ne contrôle qu'un élément, ajouta-t-il.

-C'est pas assez? Fit ironiquement Aztai.

Waor ne cacha pas son agacement.

-Gardes ta colère quand tu lui feras face, où si tu rencontres une de ses armées...

Cette réplique eut l'effet d'une claque sur le woran neige. Le réalisme n'était décidément pas de leurs côté dans cette bataille, et le rêve était un allié trop imaginaire...

-Pardonnes-moi.

-Le vent! Coupa Waor. Oui, dit-il en voyant le regard interrogateur de son ami, il contrôle le vent.

-Par rapport au feu, l'eau ou la glace on aurait pu tomber plus mal...

-Je ne crois pas. Hum... (il leva théâtralement un bras, tel un puissant mage) il peut faire léviter des objets, ou créer des ouragans, des tornades... Bien sûr cela dépend de son pouvoir, ses capacités.

-Je ne me vois pas affronter un cyclone, déclara Aztai, atterré.

-Ce qui m'inquiète le plus, c'est de me faire couper en morceaux. Un fin courant d'air lâcher à pleine vitesse, Shlak! (il abattit son bras comme une épée) Ca peut aisément couper la chair. C'est désarmant d'affronter un ennemi aux armes invisibles...

Assommé par ces paroles, Aztai décida de marcher un peu, Waor le laissa dans sa réflexion. L'acier n'est pas fait pour affronter la magie. Mais Aztai n'avait aucune notion dans le second domaine, et c'était un profond ignorant en cette matière. Il fallait trouver de quoi affronter l'ennemi à armes égales...
Machinalement ses pattes le portèrent vers le tipi de l'Ancien. Il fallait des réponses, et c'était le seul woran qui pouvait l'aider.

-Comme tu l'as justement fait remarqué seule la magie peut dominer entièrement la magie. Je ne dis pas que l'acier n'a aucune chance, mais... l'Ancien eut un rire un peu moqueur.

Dans la tente du chef spirituel, Aztai était assis en tailleur par terre. Le woran noir, dans la même position, lui faisait face et spéculait sur les angoisses du woran neige. Il avait des connaissances importantes en terme de magie, Aztai puiserait dans ses sources. Le woran neige posa un instant son regard sur une magnifique armure ouvragée en argent, sur sa gauche. A côté reposait un sabre dans son fourreau noir. Au fond de la tente une table proposait une masse d'objets divers, principalement des parchemins et papiers jaunis.

-Et n'existe-t-il pas de quoi se procurer cette magie requise, ou de quoi l'égaler?

L'Ancien se gratta le crâne d'un air pensif. il semblait hésiter à répondre.

-Eh bien... c'est difficile à dire. Il existe, partout sur Yuimen, des artefacts cachés, enterrés. Ce sont bien sûr des sources infinies pour les légendes mais... je pense que ça pourrait nous aider.

Ces derniers mots soulagèrent quelque peu le woran neige.

-De nombreuses personnes partent à la recherches de ces armes, armures, objets de pouvoir et de magie. Toute leur vie durant ils vouent coeur et âme à l'aventure pour connaître le bonheur un jour de ramener ce qui a depuis longtemps été oublié.

En prononçant ces mots son regard pétillait. On sentait l'envie dans sa voix et une certaine nostalgie. Et puis, l'Ancien tourna ses yeux vers l'armure ouvragée.

-Cette pièce d'armure est d'une valeur inestimable, expliqua-t-il d'une voix enjouée.

-Vous l'avez dénichée?

-Oui et il m'a fallu plusieurs mois de recherches, c'était avant que je devienne l'Ancien. Endosser le costume de guide spirituel ce n'est pas oublier son passé.

-Et le sabre?

-Une oeuvre magnifique, répondit-il dans un petit rire. Mais c'est le travail des frères Jagd, et pas un de ces artefacts trouvés dans des terres oubliées.

-il faudra l'enterrer alors. Pour qu'un jeune woran le retrouve dans mille ans, et sache que le peuple d'Ambervalle vivait déjà un millénaire plus tôt.

l'Ancien éclata d'un rire, semblable à un rugissement.

-C'est une bonne idée, il faudra que j'y pense sérieusement...

-Donc vous penser que l'obtention d'un des ces artefacts peut aider à vaincre le demi-elfe?

-Pourquoi pas?

-La question est "où", marmonna Aztai. Nirtim est vaste et je ne connais pas tous les recoins ou peuvent se tapir ces trésors.

-Je pense pouvoir t'aider.

L'Ancien se leva et se dirigea vers la table. Farfouillant un peu dans les parchemins il dénicha ce qui semblait être une carte du continent, faite à la main. Il revint et la posa à plat devant Aztai. Uniquement dessinée avec ce qui paraissait être du fusain, on distinguait sans problème fleuves, mers, villes... Les plaines avaient un fond clair, les forêts et montagnes plus foncées. L'Ancien posa une griffe sur Kendra Kâr, au sud. Le fleuve le plus proche, à l'est, remontait vers le nord, dans les Duchés. La griffe longea le cour d'eau et s'arrêta aux niveau des forêts, aux pieds des montagnes.

-Comme tu le sais Ambervalle se situe dans cette forêt, au nord de Kendra Kâr. Ici (il glissa sa patte vers l'est, sur une tâche sombre) c'est le Royaume d'Anorfain ou réside Cuilnen, une cité elfique.

-Cette cité est nichée dans une immense forêt et est, à ce qu'on dit, introuvable...

-Tant mieux ce n'est pas la destination! Ah, aussi, je tiens à préciser que je ne sais pas ce qu'on cherche...

Cette déclaration des plus étranges ne dérangea pas Aztai. Dans toute aventure le mystère pouvait être source de satisfaction.

-La forêt des elfes blancs longe le pieds des montagnes, comme la notre. Le fleuve qui longe la frontière entre Kendra Kâr et le Royaume d'Anorfain est notre piste.

-Comment savez-vous cela? demanda Aztai, impressionné.

-C'est tout mon passé, répondit le sage dans un sourire malicieux. Je connais d'autre positions où pourraient être cachés d'autre artefacts. Celle-ci, je suis quasiment certain que nous trouverons quelque chose au bout. Quoi? c'est tout le mystère de cette aventure... Donc il faudra longer ce fleuve, le troisième que tu croisera sur la route. Comme tu le vois il prend sa source aux neiges éternelles; rassures-toi je ne t'envoies pas grimper la haut.

-L'artefact pourrait-il être au fond de l'eau?

-Par chance je sais que non, et je connais l'endroit ou notre cher trésor est susceptible de résider. Bon, le bémol est que cet endroit s'étend sur plusieurs kilomètres...

-Et quel est cet endroit?

-On le nomme Le Brasier.

En voyant le regard interrogateur d'Aztai, l'Ancien entreprit une explication.

-Le Brasier est situé dans les montagnes, entre la forêt de Cuilnen et le fleuve dont je te parlais. C'est un désert un peu spécial, un désert de pierre.

-Un désert...

-Oui c'est pas encourageant, je sais. A vrai dire, c'est une très ancienne carrière. Au fil des siècles elle fut abandonnée à cause de phénomènes étranges, pour ne pas dire magiques.

-Comme quoi?

-"Le Brasier". Ce nom vient du fait très étrange qu'il fait une température anormale. Situé au pied des montagnes, même sans soleil, une étrange chaleur recouvre tout le lieu. De plus, des créatures aussi étranges que rares peuvent faire leur apparition.

-C'est pour ça qu'on parle de désert...

-J'imagine, répondit l'Ancien dans un soupir. Enfin c'est dans ces lieux que se cache quelque chose. Je m'y suis aventuré une fois et cette solitude est accablante. De la pierre, de la poussière, des piliers haut de dizaine de mètres... Un paysage gris pendant des heures, à marcher sur les gravats. Le plus étrange reste cette chaleur sans source apparente...

-La magie, et uniquement la magie.

L'Ancien approuva du chef.

-Depuis Ambervalle il te faudra, hum disons, environ six à huit jours de marche pour atteindre le Brasier. Après, il ne faudra compter que sur toi même, et sur ta chance pour dénicher ce que l'on cherche.

-Je pars sans Rudy ni Waor.

-C'est à toi que revient ce choix...

Il l'avais fait sans réfléchir, il ne voulait pas emmener son père et son ami dans un voyage dont il n'était pas sûr de revenir.

-Une dernière chose. Il faudra être sur tes gardes. Je sais que des moars tueurs aiment se balader dans des endroits chauds, je ne doute pas une seconde de leur présence là-bas.

-Qu'est-ce que c'est?

-Ce sont des monstres crées par l'un des treize d'Oaxaca. Des oiseaux qui traquent grâce au sang. Si tu es blessé fais tout pour stopper une hémorragie, au risque d'en attirer un...

-Voir plusieurs.

-Estime-toi heureux si tu n'en croise qu'un, car le combat est mortel dans tous les cas. Il arrive qu'il chassent en couples...

Des paroles encourageantes estima Aztai...

Pour l'une des dernières fois avant longtemps, Aztai traversa la clairière, lézardant entre les structures en direction de l'autel. Arrivé devant la pierre aux prières, il s'agenouilla mais ne ferma pas les yeux. En face de lui, dans une position semblable, la magnifique woranne blanche le fixait. Aztai sentit son coeur s'accélérer. La magicienne se leva et, les yeux toujours rivés sur le woran neige, lui adressa un sourire presque imperceptible avant de s'éloigner. La concentration pour la prière fut au plus bas ce soir là, la gueule de Gaora allant et venant dans ses pensées...

Aztai partirai à l'aube. Juste avant de dormir, l'Ancien était venu lui apporter un sac avec des provisions à l'intérieur. Aztai pouvait très bien chasser mais ces quelques vivres (de la viande principalement) lui firent chaud au coeur: il gagnerait du temps pendant son voyage. Le vieux woran lui conseilla de faire des réserves d'eau lorsqu'il le pourrait, surtout avant de s'engager dans le Brasier. Aussi, il avait insisté pour que Kharo, le meilleur éclaireur, l'accompagne au moins jusqu'au premier fleuve, à environ deux heures de marche d'Ambervalle. Aztai avait cependant refusé d'emmener la carte avec lui, ayant un grand sens de l'orientation (surtout après avoir développer son instinct) ce ne serait que s'encombrer.

Aztai avait mis au courant Waor et Rudy de son départ. Ils avaient à leur tour insister pour l'accompagner jusqu'au fleuve, et le woran neige ne put refuser. Quand il avait demandé aux deux seniors ce qu'ils allaient faire de leur côté, Waor et Rudy avait échangé un regard.

-Nous allons retourner aux sources, pour espionner le Monarque... Avait dit Waor.

Aztai désapprouvait grandement cette décision mais il ne fit aucun commentaire. Sa mission, à lui, n'était pas plus sécurisante...

Enfin, c'était Alhi, le plus jeune des frères forgerons qui avait proposer au woran neige d'aiguiser ses lames avant son départ. Il n'aurait qu'à passer le matin pour les récupérer.
Quitter tout ce beau monde n'enchantait pas Aztai, c'était comme laisser un morceau de soi derrière... Pour limiter les dégâts il fallait se battre contre le temps. De plus, savoir Waor et Rudy si proche du Monarque l'inquiétait... Mais lui, n'inquiétait-il pas son père et son ami? C'était évident, pourtant eux aussi s'étaient passé de commentaires à l'annonce de son départ.

La nuit était tombée à présent, le woran neige profita une dernière fois de la caresse du vent nocturne d'Ambervalle. S'allongeant près de l'arbre où il avait passé tant de nuits, il passa longuement sa griffe le long de la bague, à son majeur. Il repensa au paroles de l'Ancien sur le Brasier, un endroit inquiétant... Pas assez pour empêcher le jeune woran de tomber dans un lourd sommeil.

-Prêt à partir?

-Je crois...

A son réveil, Rudy l'attendait non loin de là. Il voulait, Aztai le savait, profiter du temps qu'il restait avant le départ de son fils. Ils avaient marché un long moment ensemble dans le silence de l'aube. Ambervalle s'éveillait une dernière fois devant le regard mélancolique d'Aztai. Partir lui serrait le coeur mais il ne pouvait faire autrement. Il était passé à la forge et Dorsa, le frère ainé, lui avait remit ses lames. Avec une agréable surprise Aztai nota que celle en os de fulminaire avait le pommeau amélioré. Une bande de cuir solidement fixée lui permettrait une meilleur accroche lors de son utilisation. Et puis, Aztai avait eu une idée qu'il avait soumise au frère Jagd: avec enthousiasme le woran avait accepté de lui rendre ce petit service...

Après sa prière matinale, l'Ancien vint à son tour lui dire au revoir. Kharo attendait non loin de là. Il l'accompagnerait jusqu'au fleuve, à l'est. Waor, lui, le rejoignit juste avant son départ, un morceau de viande dans la main en guise de petit déjeuner. Avec un sourire d'excuse il avait emboité le pas à la véritable petite escorte. Rassemblant ses affaires et ses armes, Aztai eut le coeur lourd d'accomplir cet acte devant tous ceux qui comptaient à ses yeux. Comme s'il les quittait à jamais...

A la lisière est de la clairière, aux côtés de Waor, Rudy et Kharo, Aztai regarda l'Ancien dans les yeux. Il croisa alors les poignets sur sa poitrine:

-Que Meno veille sur Ambervalle et tous ses habitants. Je ne vous remercierais jamais assez...

-Que Meno veille sur ton voyage, Aztai au Sang Chaud, répondit le woran noir avec un sourire. Et puis, oubliant tout protocole, l'Ancien s'approcha et serra dans ses bras le jeune woran neige qui lui rendit son étreinte. Prends soin de toi mon petit...

Un frisson parcouru l'échine d'Aztai, une soudaine tristesse l'envahissant. Quelques worans s'étaient arrêté pour observer cette étrange scène, et tous saluèrent le woran neige, lui souhaitant bon voyage.
Après un dernier regard sur le sanctuaire woran, un dernier sourire à l'Ancien, Aztai fit volte-face. Les trois autres worans lui emboitèrent le pas.

-Ne sombres pas dans l'ignorance, ajouta l'Ancien dans son dos, et fit-toi à ton instinct!

Le quatuor de worans marcha deux petites heures avant d'atteindre le fleuve. Kharo avait ouvert la marche suivit de Rudy et Waor qui discutaient. Derrière, Aztai fermait la marche. Il avait l'impression de partir pour un monde inconnu...

Bientôt, le bruit des cours d'eaux se glissa jusqu'à leurs oreilles. Le coeur d'Aztai se serra un peu plus. Redressant son sac sur l'épaule il accéléra la marche pour rattraper son père. Enfin, ils arrivèrent jusqu'au fleuve qui tranchait la forêt en direction de Kendra Kâr.

-Nous y voila, dit Kharo en se retournant.

Pendant un moment il sembla chercher quelque chose du regard et eut soudain un sourire satisfait. Il longea le cours d'eau sur une dizaine de mètres et s'accroupit près d'un petit rocher. Sous le regard curieux des trois autres worans il dénicha une boule de tissu. Il revint, et, fier de lui, tendit son trésor à Aztai.

-Prend-la.

Aztai saisi le tissu plutôt fin et le déroula. Il s'avérait être une cape avec une capuche, assez grande pour qu'une personne de grande taille puisse la porter. Le dos imitait à la perfection une fourrure woranne. A l'inverse d'Aztai cette imitation était noire de fond au zébrures blanches. Sous le regard enjoué de Kharo il enfila le présent. Le tissu épousa les épaules larges du woran neige, lui tombant jusqu'aux mollets. La fine brise fit voleter la cape. Rudy et Waor vinrent se placer face à lui.

-Un vrai prince! S'exclama Waor. Rudy approuva du chef.

-Et c'est pas tout! Cette cape peu dissimuler son porteur.

-Ca existe? Demanda Waor dubitatif.

-Aztai, enfiles la capuche et enroule cette cape autours de ton corps.

Aztai opéra sous le regard perplexe de son père et de son ami. Kharo semblait absolument confiant.

-A présent concentre-toi, aies la volonté de vouloir te morfondre dans le décor...

-Heu...

Avec l'impression d'être un parfait abruti, Aztai se concentra comme l'éclaireur le lui avait dit. Soudain, un étrange phénomène se produisit: Aztai eut l'impression de s'enfoncer dans une brume. Pourtant, aucun "nuage" n'était apparut. Cependant, Rudy avait écarquillé les yeux, Waor avait bondit en arrière.

-Par tous les dieux...

-Que se passe-t-il? S'exclama Aztai. Je suis invisible?

-Tu l'étais jusqu'à ce que tu parles!

-Tu dois resté concentrer pour devenir indétectable, dit Kharo. A l'oeil! Ajouta-t-il. Un animal qui à un bon flair te repérera sans souci mais il ne te verra pas.

-C'est fascinant, ajouta Waor admiratif.

-Nous avons caché plusieurs capes de ce type dans la forêt. En cas de danger, un woran seul peut ainsi devenir invisible...

Aztai se concentra de nouveau et son publique fut à nouveau impressionné... Cette cape pourrait lui être d'une utilité incomparable...

-Merci.

Kharo se contenta de sourire et de hausser les épaules. Aztai tourna sur lui-même et vérifia que la cape ne le gênait pas dans ses mouvements. Il dégaina son épée et trancha des ennemis imaginaires. Là encore la cape ne lui posa aucun problème.

-Parfait, murmura-t-il.

Et puis, le temps de dire au revoir arriva. La tristesse noua les entrailles D'Aztai lorsqu'il étreignit l'un après Waor puis Rudy. Bientôt il serait seul avec ses pensées, en route pour le Brasier. Cette terre, hostile et inconnue, effrayait quelque peu le woran neige mais il ne pouvait plus faire marche arrière. C'était son choix et rien n'enrayerait sa volonté.

Suite du chemin entre les Duchés et Cuilnen

C'est après avoir changé son bandage qu'Aztai se remit en marche. Ayant marché toute la matinée il avait fait une courte pause pour avaler un morceau de viande prélevé sur les loups. Bientôt il atteindrait le Brasier. Il le savait. Depuis quelques heures l'atmosphère changeait, presque sans que le woran ne s'en aperçoive. Un détail des plus significatif: la terre laissait de plus en plus place au gravier et à la poussière. Le sol contrastait alors parfaitement avec la verte végétation encore bien présente. Un autre phénomène étrange, la température avait naturellement chutée depuis qu'il s'était engagé dans les montagnes. Arrivé vers midi, Aztai aurait presque pu dire qu'il faisait bon. Des preuves encourageantes sur le chemin que prenait le jeune fauve. Encourageantes certes, mais pas moins inquiétantes...

Inconsciement, Aztai saisit une pierre et l'éffrita dans la paume de sa patte. Il se demanda ce que Waor et Rudy pouvaient bien faire à ce moment précis. Et les worans d'Ambervalle, qui avaient probablement repris leurs occupations habituelles. Aztai craignait pour eux. Comme l'avait dit Héwana, il fallait se montrer prudent: une attaque massive ou pas n'était pas impossible... Et Héwana, comment allait-elle. Avant de partir Aztai avait pris à part l'un des frères Jagd. Il lui avait demandé une faveur, un présent à l'intention de la Serpante...

Durant une heure, le woran neige sillona des sentiers de plus en plus rocailleux. Les arbres, qui lui coupait la vu sur les hauts mont enneigés, étaient plus rares. Et cette température... De plus en plus lourde. Le woran neige réhaussa son fourreau et continua sa route avec l'impression de s'enfoncer dans un four. Il releva aussi la capuche de sa cape. Le pouvoir de se rendre invisible (qui le fascinait toujours!) pouvait être utile. Et puis, vers le milieu de l'après-midi, il atteignit le "désert" qu'avait évoqué l'Ancien. Ici, presque pas d'arbre. Comme situé à la lisière d'une forêt, cette forêt-ci était dénuée de tout arbre. C'était une forêt de pierre à vrai dire. Ici et là avaient poussé des rochers plus ou moins grands, s'élevant parfois à une hauteur impressionnante. Ces gigantesques pilliers semblaient tutoyer les cieux, défiant les dieux de venir sur leur terre. Même le vent, dans cet endroit hostile, était absent. Et quelle chaleur... le sol, uniquement recouvert de caillou grisatres et de poussière promettait une marche difficile. Le soleil, plutôt timide, n'arrivait pas à donner un brin de gaïté dans ce paysage repoussant. Même Thimoros aurait hésité à s'aventurer en ces lieux...

Cependant, Aztai engagea (presque avec dégout) sa marche. Une marche qu'il aurait pu qualifier de funèbre, allant à son propre enterrement... Pourquoi était-il là? Son esprit se focalisa bientôt sur une idée: ne pas se perdre. Les pilliers, les rochers formaient un labyrinthe des plus inquiétants. Le crissement que faisait Aztai en s'enfonçant dans cette fournaise se répercutait en écho sur la roche calcaire. En effet, le woran neige s'était agrippé une fois pour ne pas perdre l'équilibre. Le semblant de roc partait en morçeau au moindre contact.

Le combat que menait Aztai pour ne pas paniquer effaçait presque ce pourquoi il était venu. Après s'être entièrement enfoncé dans l'ancienne carrière, le woran neige marqua une pause. Primo pour reprendre son souffle et étancher sa soif. Secundo pour faire le point de sa situation et éventuellement trouver un plan. Haletant, Aztai vérifia que les épées glisssaient correctement dans leurs fourreaux. Il ne fallait pas se croire trop seul, surtout après les récits de l'Ancien sur le moar tueur. Ce volatile pouvait pointer le bout de son bec à tout moment... ou pas. La lourdeur du climat rendait chaque inspirations difficiles, chaque efforts éprouvants... Par moment Aztai marchait droit devant lui, parfois il devait lézarder entre les roches.

Le soleil s'abaissait à l'horizon, et la température n'avait pas diminuée de toute l'après-midi. Ce n'est que lorsque le crépuscule pleuva sur Nirtim qu'un détail choqua le woran neige: en un petit quart d'heure de marche inintérrompue, la chaleur avait largement chutée. Une baisse des plus étonnante car le terrain n'avait au contraire pas changé. Aztai cru même sentir un faible courant d'air. Et puis, la solution éclata dans sa tête avec un feu d'artifice de soulagement: la chaleur le guiderait sûrement à son objectif. C'était normal: plus le phénomène paraissait surnaturel, plus les chances de trouver quelque chose d'aussi étrange grandissait. Avec une force et un courage renaissants, le woran neige fit volte-face et s'engagea presque au trot. Soudain, un bruit percuta les murs de pierre et résonna dans tout le secteur. Un bruit semblable au métal, lorsqu'il percute quelque chose de dur... comme de la roche. Soudain immobile, la main sur le pommeau, le woran sentit son coeur s'emballer. Il se situait dans un espace vide de pillier, comme une petite clairière. Il tourna lentement sur lui-même et aperçut l'origine du tintement métallique. Le bond que fit Aztai en reculant aurait pu paraître comique, ce qui lui faisait face l'était beaucoup moins. Un corps semblable à celui d'un humain, une peau pâle lui collant aux os, la créature était dénuée d'orbites. D'une démarche de zombie, le monstre tenait ses poings fermés en direction du woran tétanisé. Lorsqu'il ouvrit ses paumes, Aztai ne pu retenir un rugissement de terreur: deux yeux étaient proprement implantés en leurs milieux. Au bout des doigts, des ongles d'une taille incroyable étaient renforcés de métal: Aztai le savait. Une seule fois il avait entendu parler de ces créatures aussi étranges qu'effrayantes. Il savait aussi qu'elles étaient une création d'un quelconque dieu des ombres.
Jusqu'à aujourd'hui, jamais Aztai n'aurait penser rencontrer un redoutard, encore moins en affronter un.