Mon trait toucha cet ennemi illusoire avec précision, droit dans l’aile. Il vacilla, et tenta vainement de me lancer une attaque, lamentablement ratée. A côté, planquée dans les ombres, la petite pestait sur ma remarque qui avait fait mouche. Elle affirmait être lâche, en quelques mots. Exactement ce dont je l’avais insultée. Elle se planquait derrière ses abominations pour ne pas se salir ni se mettre en danger. Mais sitôt que cette bête serait vaincue, elle devrait subir mon courroux. Le coup raté du monstre accentua encore davantage ses râleries, et elle jura contre sa propre création. Une phrase qu’elle laissa échapper retint cependant mon attention. Perdre le manoir une nouvelle fois ? Pourquoi le perdre ? Et pourquoi une nouvelle fois ? Après tout, n’était-ce pas leur propre choix, de nous y faire entrer ? Pourquoi dès lors nous poser des embuches, tout en sachant ses faiblesses ?

Les habitants de ce lieu manquaient de logique, et je faillis lui faire remarquer, mais les événements qui suivirent m’en empêchèrent. Un portail multicolore apparut soudainement au centre de la pièce, pile entre moi et mon ennemi difforme. Et de cette porte sortit le guerrier ynorien à l’aspect distant que j’avais déjà aperçu hors du manoir. Lui aussi s’était laissé aller à compter les nénuphars. Grand mal lui prit, tout comme moi, de rentrer dans ce jeu de dupes.

La gamine gueulait dans son coin, alors que la bestiole disparaissait toute seule. Pestant de plus en plus, la petite fille promit moult tourments au nouveau venu, visiblement contrariant, et se tourna vers moi pour me confier un cadeau. Un… cadeau mental. Une vision, brève et imprécise, codée, sans doute. Et je ne possédais pas le décodeur de cette grille faiblement colorée. Un plan ? Une nouvelle énigme ? Un piège ? Tout ça restait obscur pour l’instant. Tout comme le déclic subit des quatre portes de la pièce.

« Bon débarras » lançai-je, à la volée.

Je m’adressai à l’Ynorien.

« Alors, toi aussi tu t’es fait prendre au jeu des énigmes en folie ? J’espère que t’es pas un de leurs mauvais tours. Avec eux, on ne sait jamais. »

Pourquoi pas, après tout. Après le tentaculaire, le ténébreux inconnu. Ça se tenait.

A peine la porte est-elle ouverte que je suis aspiré à l'intérieur sans rien pouvoir faire, sans être capable de faire quoi que ce soit. Je ne peux que subir et attendre pourtant, nulle douleur ne survient, non, juste l'apparition d'une nouvelle salle du manoir. Les portes sont-elles toute comme ça ? C'est incroyable! Mais à dire vrai, je n'ai pas vraiment le temps d'admirer tout ce qui se passe d'étrange, car la pièce dans laquelle je viens de débarquer n'est pas vide. En face de moi se tient l'aventurier ténébreux que j'ai aperçu devant la bâtisse avant d'y être aspiré et derrière moi, un autre fantôme. Fantôme qui semble m'en vouloir pour je ne sais quelle obscure raison. Ce qui est sûr, c'est que cette gamine là n'a rien à voir avec Dolly, mais passons. Le jeune homme encore présent s'adresse à moi, s'inquiétant que je sois l'une des illusions des maitres des lieux. Je me dois de le rassurer.

"J'ai trouvé la réponse à leur énigme instinctivement et j'ai été aspiré à l'intérieur. Mais rassurez-vous, je ne suis pas une création des nos chers hôtes. Je suis Duncan, guerrier d'Oranan. La curiosité m'a mené en ces lieux, et je dois avouer que je le regrette, je n'ai pas de temps à perdre ici."

Je m'incline légèrement devant mon nouveau compagnon pendant que je me présente.

"Peut-être pourrions nous joindre nos forces pour sortir d'ici. Deux cerveaux valent mieux qu'un."

L’ynorien me répondit, assez sûr de lui, qu’il était bien la personne que j’avais rencontrée à l’entrée de ce manoir, et non une créature de celui-ci. Je constatai avec regret qu’en réalité, nous l’étions tous devenus, des créatures de cet endroit maudit. A notre façon. Mais jamais, jamais ne serait-ce de manière soumise, pour ma part. Toujours je combattrais pour vaincre ces murs retors.

Il proposa une entraide mutuelle pour quitter l’endroit. L’idée était bonne, même si je n’adhérais pas à ses propos. Deux cerveaux ne valaient pas mieux qu’un. Le mien me suffisait largement, et sa confrontation avec d’autres ne ferait que créer des complications supplémentaires. Mais une paire de bras guerriers en plus, ça pouvait être utile, et je n’avais aucune raison de refuser son partenariat.

« Selen. Je suis dans le même cas, aussi peut-être devrions-nous nous presser de sortir de cet endroit. »

J’inspectai les portes une à une, sans savoir laquelle prendre. Je m’approchai de celle à l’ouest, et dégainai mon épée, pour creuser dans celle-ci une entaille en forme de flèche. Je me tournai alors vers le dénommé Duncan pour expliquer mon geste.

« Si d’autres passent ici, ils sauront par où nous sommes allés. »

Et sans attendre, j’ouvris la porte à l’ouest.

L'homme se présente et je peux enfin mettre un nom sur son visage : Selen. Il ne m'en dit pas plus, m'affirmant juste qu'il est dans la même situation que moi. Je le regarde alors faire , silencieusement, lui laissant le choix de la direction à prendre. Je suis plutôt content qu'il prenne ainsi les choses en main sans perdre de temps, parce qu'il faut l'avouer, je ne suis pas de ceux qui font des bons meneurs, je ne suis pas de ceux qui peuvent mener un groupe à la victoire, peu importe la bataille.

Selen choisit donc une porte et y appose une marque, pour faire savoir que quelqu'un est passé par là. Une idée brillante s'il en est. Avec un homme tel que lui à mes côtés, il sera aisé de sortir de ce manoir. C'est tout du moins l'impression que j'ai...mais je n'ai jamais eu de chance avec les manoirs et autre palais.

Enfin, on verra bien ce qui va se passer! Il est temps d'avancer et de découvrir ce que vont nous réserver nos hôtes dans la prochaine salle.

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Duncan : 3,5 + 4 = 7,5 XP pour les deux premières salles.
Selen : 5 + 4,5 = 9,5 XP pour les deux premières salles.

Alors que nous arrivons dans la nouvelle salle, je ne peux que constater à quel point elle est...vide. Mis à part les murs en bois, les quelques appliques et les portes, il n'y a rien, rien du tout. En fait, ce n'est pas tout à fait vrai. En face de nous apparait soudainement un des fantômes qui s'amusent avec nous pour des raisons qui me sont encore obscures. Selen semble avoir déjà eu à faire à lui. A ma grande surprise notre hôte me salue poliment avant de poursuivre. Refusant d'enfreindre les plus élémentaires règles de politesse, je lui rend son salut avant de l'écouter poursuivre. Comme lors de notre entrée involontaire dans le manoir, nous avons de nouveau le droit à une énigme. Et encore une fois, je la trouve terriblement simple. Mais je préfère ne pas précipiter les choses. Qui sait ce qui pourrait arriver si je me trompais en voulant aller trop vite.

Une main sur le menton, fixant le sol, je décide d'expliquer mon mode de réflexion à voix haute. Après tout, je ne suis plus seul, et comme je l'ai dit, deux cerveau valent mieux qu'un.

"Hmmm. Ce genre d'énigme n'est pas bien compliqué si on prend le temps de réfléchir correctement. Il suffit de bien analyser ce qui a été dit. Qui parle ? Qui répond? Je pense que la clef est là."

Puis, relevant la tête et la tournant vers mon nouveau compagnon d'infortune.

"Qu'en pensez vous, Sire Selen ?"

La salle où nous arrivâmes était assez semblable à la précédente dans son architecture. Toute de bois divers et variés, aux plafonds et sols foncés contrastants avec les murs, plus clairs, et éclairés par la présence de quatre appliques lumineuses dans les coins de la pièce.

La tête clownesque que j’avais déjà croisée par le passé choisit cet instant pour pointer le bout de son nez rouge, et me salua avec une amabilité presque touchante, et en tout cas toute nouvelle. Le joueur aux yeux vides proposa alors une nouvelle énigme, sans préambule supplémentaires qu’un salut bref et poli envers mon nouveau partenaire. Une histoire de voleur, de magicien et de maître d’armes aux cheveux de couleurs différentes.

Patient, j’attendis la fin de l’énoncé pour seulement commencer ma réflexion, me remémorant chaque détail de l’énigme proposée pour les analyser avec précision. Duncan fit une première avancée dans le mode de réflexion à atteindre, pour trouver la solution. Il n’était pas bête : c’était déjà une bonne chose. Il était doté d’une certaine logique, ce qui n’était pas sans me déplaire. Quoique l’idée de me retrouver couplé à un parfait abruti pouvait avoir de quoi séduire également… Mais puisque ce n’était pas le cas, je me reconcentrai sur l’énigme.

« Je pense que vous n’avez pas tort. Puisque Blanc est le magicien, il ne peut être le voleur, ni avoir les cheveux noirs, puisqu'il répond à celui qui parle. Puisque le voleur se nomme Roux, mais qu’il n’a pas les cheveux de la couleur de son nom, la réponse est dès lors évidente. Les cheveux du voleur sont donc… »

Et je laissai mon comparse répondre la couleur, le regardant avec insistance, pour vérifier s’il avait suivi la logique de mon raisonnement.

A peine ai-je énoncé quelques pistes de réflexions, que Sire Selen enchaine à la perfection, démêlant la pelote d'informations que forme l'énoncé de l'énigme. Sans se précipiter, il procède par élimination, et à ma grande surprise me laisse même le dernier mot. Le regard insistant qu'il pose sur moi me donne l'impression qu'il me teste, qu'il cherche à savoir si j'ai bel et bien compris où il veut en venir. Quoi de plus normal après tout, de vouloir connaitre ce dont je suis capable. Nous allons quand même faire un petit bout de chemin ensemble dans ce manoir labyrinthique.

Plongeant mon regard dans celui de l'aventurier ténébreux, je souris grandement avant de terminer la phrase de Sire Selen.

"...noirs, bien évidemment."

Je me tourne ensuite vers le fantôme sans un mot de plus, attendant juste que ce dernier se décide à confirmer et à déverrouiller les issues. Je me demande lequel de nos hôtes nous accueillera dans la prochaine pièce.

Le guerrier répondit juste à l’énigme, poursuivant avec brio mes paroles et mon raisonnement. Ça se confirmait, il n’était pas stupide. Mais je n’eus guère le temps de lui dire qu’il avait frappé juste pour que le clown réapparaisse dans un éclat de voix et de claquements de mains. Soudainement, sa voix se fit plus claire, plus aimable que lors de notre première rencontre, et il ne tarit pas de compliments à notre égard. Hélas, les bons mots ne nous faisaient guère avancer, et sa récompense, je ne la sentais qu’à moitié. Ce que je voulais savoir était clair : ce que nous faisions là, et comment en sortir… Mais je doutai qu’il réponde si facilement. Aussi ne posai-je que la question la moins directement offensante…

« Pourquoi sommes-nous présents ici ? »

Je laissai Duncan poser la sienne, sans l’influencer dans son choix. Après tout, en avais-je seulement le droit ?

Mais avant d'avoir une chance d'accéder à la salle suivante, nous devons assister à un spectacle ridicule. La tête de clown se met à exécuter ce que l'on pourrait qualifier de danse, tandis que des applaudissement sortis de nulle part retentissent dans la pièce. D'un point de vue extérieur, cette situation m'aurait sans doute fait sourire, mais quand c'est vous qui vous retrouvez enfermé alors même que vous avez fort à faire à l'extérieur, ce genre de spectacle est affligeant. C'est d'ailleurs ainsi que me vient la question que je vais poser. Une question qui s'impose comme une évidence et qui colle parfaitement avec celle de Sire Selen.

"Quant à moi, je voudrais savoir tout simplement, comment sortir d'ici. Non pas que je ne trouve pas tout ceci des plus intéressants, mais j'ai fort à faire à l’extérieur et je ne peux pas me permettre de perdre du temps inutilement."

Et patiemment, j'attends une réponse. Réponse que j'espère claire et concise, ce dont je doute quand je vois le gout prononcé de notre hôte pour les énigmes.

Duncan était décidément un garçon sensé. Alors qu’une seconde question me brûlait les lèvres, ce fut celle-là même qu’il posa : comment sortir de là. Il prétexta avoir fort à faire, hors de cet endroit sordide, et si j’ignorais ce que c’était, je ne pouvais que lui donner raison : moi aussi, le devoir m’appelait.

Les réponses du clown, en revanche, tombèrent comme des couperets moqueurs dans la pièce. Se rendait-il compte de l’incongruité de ses paroles ? Ainsi, ils avaient reclus une dizaine d’aventuriers libres pour… Avancer dans la vie ? Comme une sorte de thérapie ? Le but ? Ne plus torturer personne… Pourquoi, dès lors, le faire quand même ? Je serrai les poings.

« Il est d’autres voies pour la rédemption que l’assouvissement à outrance de ses propres torts. En nous enfermant, vous ne faites que vous engoncer encore plus dans ce travers sadique. »

Je ne pouvais pas tenir ça pour moi. Il était hors de question de servir de cobaye ou de souffre-douleur, de passe-temps d’esprits frappés.

« Nous sommes encore vivants, nous. Nous avons besoin d’avancer dans la vie, pas de satisfaire les délires de morts en mal de souffrance. »

Quant à sa réponse pour sortir, nous dûmes nous contenter d’un bête « par la porte », aussi évident qu’inutile. Une clé, cependant, était offerte : il fallait les libérer pour espérer sortir.

« Si vous cherchez notre aide, il est stupide de nous mettre des bâtons dans les roues, avec des devinettes et autres tortures psychologiques. Ce que vous faites n’a aucun sens. Il serait temps que vous preniez compte que pour vous sortir de là, nous avons besoin de votre aide complète, et non d’indices miteux donnés au compte-goutte. »

Je ne mâchai pas mes mots. Il n’y avait aucune raison de le faire. Et au moins avais-je encore l’espoir de leur faire entendre raison. Un espoir de fou… Je m’abstins de poser une question supplémentaire, qui leur donnerait raison dans leur pratique déviante, laissant mon nouveau partenaire s’en charger, s’il trouvait ça nécessaire.

Les réponses que me donne le clown étrange n'ont que peu d'intérêt, n'apportent aucun élément nouveau et concret, comme je le craignais. Mais alors que je m'apprête à répondre tranquillement, comme je l'ai fait avec Dolly il y a peu, je suis pris de court par Sire Selen qui semble légèrement exaspéré. mon camarade semble penser les même choses que moi, et se demande, comme je l'ai fait avec le fantôme de l'enfant, pourquoi ils nous mettent des bâtons dans les roues alors qu'ils veulent qu'on les aide. Et je décide ainsi de transmettre la réponse que Dolly m'a donné.

"Hum, j'ai posé cette question à un autre fantôme Sire Selen, pourquoi nous mettent-ils des bâtons dans les roues alors que nous sommes là pour les aider et qu'ils recherchent notre aide."

Je me tourne alors légèrement vers le clown pour qu'il ait l'occasion de voir mon regard légèrement ennuyé, voire blasé.

"Et tout ce qu'elle a trouvé à me répondre c'est : Chassez le naturel, il revient au galop. Personnellement, je crois qu'ils se moquent de nous et je pense qu'ils ne méritent pas notre aide."

Sur ces mots, je me dirige vers la porte au sud et, en me servant de la lame de mon Guan dao, trace une flèche sur le montant comme l'a fait Sire Selen sur la porte précédente.

"Et Sire Selen, posez la question qu'il vous plaira, si vous en avez l'envie, moi, j'en sais suffisament."

Et je reste là, la main sur la poignée, attendant que Sire Selen soit prêt à me suivre.

Duncan m’expliqua qu’il avait déjà posé ce type de remarques à un autre esprit du manoir, sans réponse probante. Ils étaient apparemment de mauvaise foi, et sans réelle implication dans leur demande d’aide. Pour lui, c’était clair : ils pouvaient bien aller se faire voir. En soi, s’ils n’avaient d’autres idées que de nous torturer pour s’arroger notre secours, il fallait bien leur faire comprendre que nous n’allions pas nous laisser berner gratuitement. Le pauvre petit tortionnaire qui appelle à l’aide son supplicié, le numéro était suffisamment ridicule pour ne pas en rajouter.

Duncan entreprit de marquer la porte sud, comme je l’avais fait avec la porte de la salle précédente. Il reproduisait mon astuce au cas où quelqu’un passerait à son tour par cette pièce. Histoire qu’il puisse nous suivre. Je saluai l’initiative, et sans un mot de plus, approchai de mon collègue pour le suivre dans la pièce suivante. A quoi bon poser une question supplémentaire, si les réponses n’étaient pas concluantes ?