Alors que nous quittions la pièce sans avoir même posé de question supplémentaire, le clown donna gratuitement quelques nouvelles informations, sans que nous ne devions nous plier à ses caprices sadiques. Ainsi, nous apprîmes qu’il n’était pas décisionnaire de notre état, ni même du sien. Simple exécutant, il obéissait à un maître dont il ne précisa rien, sinon qu’il mettrait nos vies en danger si jamais il nous donnait trop d’informations en même temps.

Il s’adressa aussi à Duncan, à propos d’une certaine Dolly, et d’une réponse qu’elle aurait fourni à mon partenaire de bagne, prétextant qu’elle ne connaissait que peu les lieux, et qu’il était le premier à avoir été piégé dans cet endroit. Il termina sa diatribe par l’énonciation d’une sentence particulièrement… dénuée d’intérêt. Je commentai :

« N’est-ce pas le principe même d’une rébellion, que de se dresser contre les choses interdites qui ne nous plaisent pas ? Que pourriez-vous perdre de plus, en vous rebellant ? La vie ? Vous n’en avez déjà plus. La liberté ? Elle vous a aussi été enlevée. L’honneur ? Vous ne feriez qu’en gagner, en cessant de servir un maître avilissant. Si personne ne se dresse contre ce maître, il continuera à faire souffrir les visiteurs, et vous aurez toujours ce rôle ingrat de bourreau sans reconnaissance. S’il est une question que je pourrais poser, ça serait celle-ci : Comment vaincre votre maître ? »

Je laissai retomber le silence, avant de conclure, sombrement…

« Mais si vous n’avez pas de vraie réponse, il n’est peut-être pas la peine de répondre tout court. »

Et peu de temps après nos réactions, alors que je m'apprêtai à ouvrir la porte pour quitter la pièce, le fantôme se met à nous parler et à nous expliquer la situation. Le fait qu'il n'est pas maitre de ses actes, qu'il est sous les ordres de quelqu'un d'autre. Ce que je ne peux pas vraiment concevoir, ou plutôt ce que je ne peux pas accepter c'est le fait que ce soit NOS vies qui sont menacé s'ils enfreignent les règles.

Si les fantômes nous disent trop, c'est la mort qui nous attend...C'est une blague ?! Mais alors que je m'apprête à répliquer, légèrement en colère, Sire Selen prend la parole et explique ce qui est évident à un fantôme qui ne semble qu'à peine comprendre ce qui lui arrive. Je le laisse poser sa question, la trouvant fort pertinente, mais je ne peux m'empêcher d'insister sur la dernière phrase de mon compagnon.

"Je ne peux qu'être d'accord avec ce dernier point, je n'accepterai pas que vous mettiez ma vie en jeu en parlant trop."

Et encore une fois, je me tiens prêt à ouvrir la porte une fois la réponse reçue.

Résigné, négationniste et défaitiste, le clown triste indiqua que nul ne pouvait vaincre son maître, dussions-nous tous nous unir. Je fronçai les sourcils devant cette décevante annonce sans l’once d’un espoir. Et des menaces, nouvelles menaces. Et puis, il geignit des douleurs psychiques qu’il pouvait ressentir. Il n’était rien de moins qu’un égoïste faible et lâche. Il sacrifiait la vie d’autres pour son propre petit confort mortel. Je ne pouvais que mépriser un tel agissement, lorsqu’il était tourné vers moi… Même si ça faisait partie intégrante de ma propre façon de voir la vie. A ceci près que je n’étais pas lâche, moi.

Lorsque nous quittâmes la pièce, une voix retentit dans les airs, sombre et menaçante, suivie d’un cri de douleur intense… Comédie. Je n’y crus pas un instant, et dut-ce cette douleur exister réellement, la faiblesse de Jack faisait qu’il la méritait amplement. Puni d’avoir trop dit, sans rien avoir réellement révélé d’important. Aurait-il été puni davantage, en nous ayant tout révélé ? Je haussai les épaules, et avançai vers l’autre pièce en compagnie de Duncan. La petite brune était là, toujours aussi sadique du regard, vicieuse dans le ton de sa voix. Et elle annonça à nouveau un ennemi supplémentaire. Je soupirai de cet attirail artificiel, de ces épreuves sans sens.

Notre ennemi apparut dans un nuage de fumée, alors que la demoiselle disparaissait. Un orque, horriblement grand et musclé, se tenait là, au milieu de cette pièce ensanglantée aux allures de boucherie. Un avantage s’offrait à nous, cependant : ses protections n’étaient guère très performantes. Seules ses épaules étaient protégées. Et encore, par de simples épaulières de cuir parcourues de piques acérées. Son armement, en revanche avait de quoi faire pâlir le plus courageux aventurier : deux haches tranchantes recouvertes de sang… De quoi mourir infecté sans soin rapide, même si nous gagnions le combat. Il n’avait, cependant, pas l’air bien malin, et je concentrai mes fluides dans ma main pour les expulser sur le monstre.

« On va voir si tu es bien réel, toi. Ton sang recouvrira bientôt celui que tu as fait couler. »

[HJ : trait de lumière niv max.]

Tout ceci n'a strictement aucun sens, est parfaitement ridicule! Nous devons libérer les esprits, enfin d'après eux, mais ils affirment que nous sommes incapables de vaincre leur tourmenteur. Alors pourquoi ?! Pourquoi nous retenir ici et nous faire jouer à tous ces petits jeux sadiques et stupides ? On se fout vraiment de nous! Et pour le première fois depuis un certain temps, je sens une pointe de colère poindre en moi. Pas de celle que j'ai ressenti en me retrouvant face à Grantier, mais plutôt un ras le bol général. Avec tout ces "Résolvez cette énigme!", " Résistez à cette illusion!" et pour finir ces "Libérez-nous! Même si on sait que vous êtes trop faibles pour y arriver." , ces trois fantômes commencent doucement à me taper sur les nerfs.

Et c'est sans vraiment écouter les derniers propos de Jack, sans vraiment entendre la nouvelle voix qui a résonné, que je décide de me rendre dans la pièce suivante. Dans cette pièce se trouve le dernier esprit, le seul que je n'ai pas encore croisé. Mais contrairement aux deux autres, la jeune fille semble plus encline à nous ôter la vie de manière un peu plus directe. A moins que de faire apparaitre un orque immense armé de deux haches ne soit un moyen de nous souhaiter la bienvenue, mais j'en doute.

Et c'est la goutte qui fait déborder le vase. En face de moi se trouve un des pires ennemis de mon peuple et même si je sais pertinemment que tous les orques ne sont pas responsables des dégâts que peu causer Oaxaca à Oranan, je perds mon sang froid.

Sans attendre une seconde de plus et sans vraiment me soucier de ce que peut bien faire Sire Selen, je fonce sur la créature verdâtre, arme en main, dans le but de lui fendre le crâne à la verticale. Sans oublier de laisser éclater ma rage en un puissant cri libérateur.

"RAAAAAAAAAAAAH!"

Les attaques volèrent dans la pièce, avec une virulence qu’on eut pu imaginer. Et pourtant, malgré la précision et la force de celles-ci, aucune ne toucha. Le trait de lumière traversa l’orque de part en part, sans le blesser. L’arme de Duncan passa à travers ses bras sans le moindre plaie et, surtout, les deux haches du garzok avaient filé vers nous pour nous franchir sans douleur, sans blessure. Comme si chacun était devenu immatériel… Ou comme si l’orque seul, et son équipement, l’était.

S’il était au courant de l’astuce, il n’en montra rien, puisqu’un air hébété apparut sur son visage, alors qu’il affirmait vouloir comprendre ce qui se passait. Je fronçai les sourcils. La petite vicieuse s’était plantée dans son invocation, je ne voyais pas d’autre solution. A moins qu’il ne s’agisse d’un nouveau tour, d’une nouvelle énigme.

Je me retournai vers la hache du garzok qui avait filé vers moi pour la ramasser, avant de me tourner vers lui.

« Nous aussi, on veut comprendre. Qui es-tu, Krenko ? Que fais-tu là ? »

Désarmé, il ne pouvait que répondre, même s’il recouvrait ses capacités physiques.

Et ce qui suit ne manque pas de me surprendre et surtout, ne manque pas de calmer ma colère quasi instantanément. En effet, ma lame, celle de notre adversaire, et même la magie de Sire Selen, toute ont fait mouche, d'une certaine manière. Les coups ont bel et bien atteint leur cible, mais étrangement, n'ont fait que les traverser, sans infliger le moindre dégât.

Analysant la situation et regardant cet orque qui ne semble visiblement pas comprendre ce qui se passe, je ne vois qu'une seule réponse. L'orque est sans doute déjà mort et n'est qu'un fantôme. C'est pour cette raison qu'aucune des attaques tentées n'a fonctionné, mais il me faut le confirmer.

"Krenko, serait-il possible que tu sois déjà mort ?"

Duncan émit l’hypothèse de la mort probable de l’orque. Il aurait alors le même état que les fantômes de l’endroit, mais sans le savoir. Etait-ce inéluctable, ce statut d’asservissement une fois mort à l’intérieur du manoir ? était-ce le but du maître des lieux, de se fournir une armée de serviteurs défunts pliés à ses désirs ? Je fronçai les sourcils, soucieux de finir ainsi après tout ce que j’avais accompli, et avec ce que je devais encore accomplir.

La voix de la petite vicieuse retentit dans la pièce, donnant raison à mon partenaire borgne. Selon elle, c’était un cadeau. Un cadeau… mon cul, oui. A quoi pourrait bien nous servir un fantôme ignorant jusqu’à son état, qui ne semblait pas plus intelligent qu’une pantoufle ?

Le garzok narra son histoire. Il était venu… Et il était mort. Et surtout, il ignorait ce qu’il fichait encore là. J’émis un doute mental sur sa réelle capacité de guerrier. Un esprit faible, il l’était sûrement. Ça allait être simple de le manipuler.

« Hé bien, Krenko. Si tu es là, c’est pour aider les aventuriers que nous sommes à ne pas faire les mêmes erreurs que toi. Ainsi donc, tu dois nous aider, pour trouver la rédemption. »

Et derrière cette introduction, je ponctuai par une question :

« Qui t’a tué ? Comment est-ce arrivé ? »

L’orque souligna une soudaine, et inexplicable, absence de parole de la part de Duncan, cet humain qui m’avait paru vif d’esprit dans un premier temps, mais qui se faisait subitement muet comme une carpe. Sans doute réfléchissait-il à la situation, afin d’en décrypter une inextricable solution logique et rationnelle. Si c’était le cas, il perdait son temps. Tout comme dans la maison hantée aux tableaux vivants, et à l’intérieur de ces mines ténébreuses, dans cette ville sombre hantée par des fanatiques poulpeux, j’avais oublié toute raison, pour ne plus me fier qu’à mon instinct de survie, lui-même certes lié à mes raisonnements, mais pas forcément à ma logique de sens. Après tout, je ne pouvais me gausser de tout connaître en ce monde.

Ce que j’espérais, c’était que cet allié providentiel ne soit pas sous l’emprise de quelque maléfice fantomatique. Ça serait, ma foi, le pus gênant. Surtout si ça le poussait à faire n’importe quoi, ou à divaguer comme ce fantôme d’orque défunt.

Krenko, justement, affirma une certaine difficulté à se remémorer les événements précédant sa mort. UN combat violent contre un ennemi cruel, et bien plus petit que lui, sans qu’il en connaisse la nature. Un combat rude et sanglant, néanmoins terminé par le décès de sa personne. Si une grosse brute comme lui n’avait pu vaincre, nous ne le pourrions non plus, sans ruse et réflexion.

« D’où était-ce sorti ? » décidai-je de demander, omettant sciemment de répondre quoi que ce soit concernant Duncan.

« Et par où pouvons-nous sortir ? As-tu déjà songé, en tant qu’esprit, à profiter de ton état pour quitter cet endroit en te faufilant parmi les failles et en traversant murs et portes ? »

L’absence de Duncan était de plus en plus inquiétante. Ennuyante, en réalité. Je me retrouvais seul, désormais, face à ce tas de muscles fantomatique sans cervelle et prétentieux. A vouloir prouver qu’il était le plus fort, il s’était retrouvé là, prisonnier de cette pièce, dans une mort sanglante. Il affirma que la sortie serait sans doute… La porte d’entrée. Sans rire… Je soupirai devant la bêtise de ce spectre, et le laissai palabrer sur son incapacité à faire quoique ce soit ici-bas, désormais. Je continuai mes questions, essayant d’être le plus explicite possible, et tentant, jusqu’ici vainement, de soutirer à cet esprit dénué d’intellect une once d’information utile. S’il ne me révélait rien, cette fois, je le laisserais planté là avec le corps inerte de Duncan pour suivre ma propre voie.

« Par quelle porte es-tu entré ? Et quel chemin as-tu suivi avant, depuis l’entrée ? »

Dans ses mots, il avait quand même avoué être venu ici depuis l’entrée… Peut-être connaissait-il la voie qui y menait.