Manifestement Yuimen a décidé que je sois vivante. Allongée sur un sol de bois, j'ouvre les yeux. Tout bouge autour de moi et j'ai mal de partout. Il fait sombre dans la pièce, très sombre, elle est juste éclairée par deux bougies. J'entends des voix non loin de moi, mais je crève de mal, j'ai des nausées et me relever est horrible. Mais il le faut bien malgré tout. Assise au milieu d'une pièce ressemblant à un dépôt de matériel, j'attends que mon tournis passe, mais ça ne semble pas être le cas.

(En même temps, vu l'endroit c'est normal.)
(On est où ?)
(Dans... une soute.)
(Dans un navire ? On est entrain de descendre le fleuve ou j'ai dormi assez longtemps pour être en mer ?)
(Pas sur l'eau. Dans l'air.)
(Comme un aynore ?)
(Ouais. On va dire ça.)

Je ne tiens pas à savoir depuis combien de temps les Garzoks disposent d'un moyen pour voler... Mais si ça m'évite de faire plusieurs jours de navire sur l'Aeronland, ça m'arrange bien et ça explique en effet pourquoi ça bouge autant. Je m'assieds tranquillement, le dos contre une caisse et en profite pour dévorer la gamelle froide laissée à ma disposition. Elle est composée d'une pâte de haricots avec des morceaux de viande; une gourde d'alcool est laissé à ma disposition, à l'odeur, il s'agit de simple bière, ça me convient.

Dans la salle d'à coté, les Garzoks parlent à voix bien assez haute pour que je puisse les entendre. Ils parlent des fous du Nord, des troupes Garzoks qui fouillent l'immensité de la banquise à la recherche d'anciennes reliques, d'anciens tombeaux et de potentiels alliés. L'un d'eux évoquent un nom avec une dose de respect : Hrish-gol. Ce Garzok est le chef d'une horde d'explorateurs Garzoks, un puissant chasseur. Je note mentalement ce nom, ça m'évitera de paraître stupide si j'en entends parler et décide de me lever, et de fouiller un peu les ressources autour de moi.

Je trouve ainsi de la corde, dont je me coupe une grosse dizaine de mètres avec mon épée de cristal. Je trouve aussi un grappin, et des couvertures chaudes. Ca pourra me servir. En fait, les caisses semblent remplies de matériel à destination de Pohélis et des possibles colonies plus au Nord : couvertures, stock d'amadou, viande séchée, tonneaux d'alcool, encres et plumes en bois, cire, armes, flèches, carreaux, javelines,...

(Tiens, fouille ton sac d'ailleurs. Le prêtre a glissé deux rouleaux dedans.)

En regardant, j'y trouve les deux parchemins, l'un est scellé, pas l'autre. Je prends l'autre que j'ouvre et décode grâce à ma faera. L'écriture à la calame est posée et calme, le style simple et clairement compréhensible :
"Trouvez la lame d'obscurité dans les glaces au Nord. Ramenez-la moi, elle sera la clé de la tour Noire. Allez voir Yakha au Tigre de Glace. Donnez-lui le second rouleau."

La lame d'obscurité ? Vu le nom, il doit s'agir d'une des reliques de Thimoros. Pourquoi donc le prêtre de Yuimen voudrait une relique de Thimoros ? Je n'ai aucune envie de songer à cette question pour l'instant, ce Garzok est un trop gros manipulateur pour que je joue à le duper de toute façon. Je n'ai pas le choix, soit je rentre sur Aliaénon récupérer mon corps, soit je trouve cette foutue lame. Comme il me faut remplacer la mienne, va pour la chasse au trésor.

(Hey, on va s'amuser, Lothi ! Je t'ai déjà raconté quand je chassais les reliques ?)
(Tu chassais les reliques ?)

Comme nul ne s'occupe de nous, je me fais un siège confortable, avec des caisses et des fourrures. Etrangement, je n'ai même songé à regarder la porte, à savoir si je suis prisonnière ou non. Je suis seule, tranquille, avec de l'alcool et de la nourriture, ai-je vraiment besoin d'aller sympathiser avec le personnel et les invités à bord ?

(On en était où ?)
(Tu nous racontais ta vie dans les montagnes, avec Grunfit...)

La vie se déroulait tranquillement, avec les enfants perdus comme s'amusait à les appeler Grunfit. Parmi les tâches du village, il y avait la chasse aux monstres et la protection des convois sur la route entre Bouhen et Kendra Kâr, et bien sûr, la vente de produits cultivés et d'artisanats, qui permettaient de payer la Charge d'autres enfants orphelins. Petit à petit, le groupe d'une vingtaine devint une centaine, puis deux cents.

Astinor tomba enceinte et accoucha d'une jeune fille. D'un commun accord avec Grunfit, ils l'appelèrent Shaëra. Shaëra grandit dans le groupe, élevée parmi les autres.

Désormais, la route était calme et les temps plus paisibles. Mais Grunfit, autant qu'Astinor rêvaient toujours d'aventure et partaient de plus en plus longtemps au Nord, loin du lac d'Hynim et de Kendra Kâr. C'est durant ces expéditions qu'ils trouvèrent le collier en or ou plutôt le mage Irzut qui le confectionna, au sein de la magnifique Mertar.

(Vous saviez que la Mertar dont tu te souviens, Astinor, a été détruite ?"
(Dommage, j'aurais aimé y r'tourner.)
(Oh, tu pourrais. Elle a été enfouie et scellée pour vaincre Oaxaca et endormir son dragon.)
(Pourquoi pas... Un jour.)

Au sein d'une ancienne tombe, Astinor et Grunfit trouvèrent des jambières en bronze, portant les marques de Meno. Mais en repartant, ils tombèrent dans une embuscade, piégés par le gardien de la tombe : une puissante liche maniant le feu et la nécromancie. Le combat a duré plusieurs heures, sur plusieurs intersections. Les deux amants ont dû se séparer pour augmenter leurs chances, mais seul Grunfit a pu atteindre la sortie. Cette nuit-là, Astinor a été vaincue, elle s'est vue mourir. En fait, elle est morte.

"POHELIS !!!! ACCROCHEZ-VOUS !"

J'ai à peine le temps de réaliser que le sol est pris de violent soubresaut, comme ceux que feraient un navire en s'échouant sur une plage. Je maudits intérieurement les Garzoks et leurs inventions foireuses, surtout que c'est pas un moment pour interrompre une histoire !

Quand on vient ouvrir la porte de la soute où je suis, je comprends non seulement que j'étais bien enfermée, mais qu'en plus, vu les tenues de fourrures de ceux qui apparaissent, les moyens de transports Garzoks vont peut-être me manquer finalement...