Des coups, à la porte : Trà est de retour. Il ouvre, entre.
" C'est maintenant qu'il faut agir, suivez-moi, dans le plus grand silence. "
J’acquiesce sans un bruit. Le risque de ce plan est faible, mais imprévisible. Personne ne devrait noter ma présence, et encore moins réagir au quart de tour sous prétexte que mon visage est inconnu ; mais à la moindre anicroche, je suis bonne pour la milice. J’attends un petit moment, appuyée contre la porte, que Trà rassemble ses affaires, puis m’écarte du passage, ne sortant que sur un signe de mon compagnon. Quelques pas en arrière, j’avance, essayant d’avoir l’air le plus détendu possible. Nous atteignons l’escalier et nous le gravissons sans encombre. Les passagers doivent déjà être sur le pont, à regarder la cité kendranne qui s’approche, et l’équipage déjà à son poste. À quelques marches du pont, Trà s’arrête, se tourne vers moi :
" C'est désormais à vous de jouer ! "
J’hésite un instant, aie envie de lui dire quelque chose. Finalement, en silence, je gravis les dernières marches, et depuis le pont, au milieu de l’aveuglante lumière de l’été, je lui envoie rapidement un sourire, franc et chaleureux.
Puis je me détourne, marchant doucement vers l’arrière du navire, du côté tribord. Les passagers sont massés à bâbord, du côté de la ville. Je m’accoude au bastingage, regrettant l’absence d’une cape qui pourrait dissimuler mes traits. Enfin, on n’a pas toujours ce que l’on veut. Le port est à quelques dizaines de mètres, nous allons y entrer d’une minute à l’autre. Le mieux serait d’évacuer le navire quand on passera devant les digues du port. De nouveau libre, contrôlant en quelques sortes la situation, je me sens enfin bien. Plus de peur, juste de l’excitation. Je me retourne, m’adosse à la rambarde, et lance un rapide regard circulaire autour de moi. Les passagers m’ignorent, comme la plupart de l’équipage, occupé à manoeuvrer le navire, massif même pour un port large comme celui de Kendra Kâr. Il y a bien un matelot, me fixant étrangement. Mais cela ne devrait pas poser de problème, plus maintenant.
Il doit être une ou deux heures avant midi, vu la position du soleil. Le galion avance, les voiles doucement gonflées par le vent arrivant de l’océan, taches blanches devant le ciel sans un nuage. L’odeur d’iode remplace celle du bois, et l’horizon chauffé à blanc mon exiguë obscurité. La rumeur de la ville me parvient dans les instants entre deux vagues, entre deux claquements de voiles. Le navire s’engage enfin dans le port proprement dit. Et le matelot s’avance vers moi, maintenant accompagné de quelques compadres. Alors qu’ils ne sont plus qu’à quelques pas, je bascule en arrière, tombant une seconde, puis rencontrant l’océan. La désagréable sensation de l’eau s’infiltrant entre mes habits, dans mes oreilles et mon nez me parvient, puis je remonte à la surface et, renâclant pour chasser l’agressive eau de mer, je m’éloigne du bateau sur le dos, saluant d’un grand signe de la main l’homme penché par-dessus bord.
Reprenant rapidement mon sérieux, je me remets sur le dos, et brasse vigoureusement. La digue n’est qu'à quelques mètres, et avec un peu de chance personne ne m’a vu depuis le port, mais autant rejoindre la terre ferme le plus vite possible.
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Angèlique, Repentie. [lvl 8]
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