Du bruit. Danger ! Cette pensée me traverse avant même que je ne me souvienne de ma situation. Des pas, lourd, bruyant. Je retiens à temps un mouvement de panique : ici et maintenant, l’immobilisme est la meilleure solution. Je calme ma respiration, éprouve mes muscles en restant le plus statique possible. Je ne prends même pas la peine de dégager ma dague : si l’on me cherche, me défendre sera inutile, et même nuisible. La gorge sèche, j’attends et écoute. Beaucoup de bruit, difficile à discerner : pas, choc du bois contre le bois, grommellement. Mais… une seule source, je crois : un hommes, peut-être deux, mais probablement pas plus. Aucun ordre, pas de paroles échangées… Cela ne ressemble pas à une battue organisée pour débusquer les clandestins. Pas encore… Le danger reste bien présent cependant. S’il s’avise de fouiller par ici… Pendant un temps inconnu, le boucan continue, rythmant ma peur. Je surveille l’entrée de mon refuge, craignant à chaque instant de voir une tête s’encadrer dans l’ouverture, ou même une caisse bouger. Pourtant, rien de tout cela arrive ; finalement, les pas s’éloigne, me laissant me détendre.
Quelle heure peut-il bien être ? Quel jour ? J’ai dormi, mais après une telle veille, avec si peu de nourriture, comment savoir pendant combien de temps ? Si je suis encore là, peu de temps à du passer après mon altercation avec l’inconnu… Je me sens pourtant à la fois reposée, faible, affamée, et mon ventre est encore douloureux, mais mon esprit est libre des brumes du sommeil.
La peur sourd en moi, remontant lentement, envahissante. Pourquoi suis-je encore libre ? Certes, ils ne sont pas pressés, je ne peux pas fuir ; mais me laisser du temps est étrange. Ou alors… Peut-être que mon agresseur n’a pas encore parlé de moi, et qu’il attend l’aube. Ou bien, il n’avait pas prévu que je m’enfuie, et il attend le moment où moi, je le dénoncerai. Après tout, il ne sait rien de moi… Sûrement se doute-t-il que la nièce du capitaine aurait hurler pour obtenir des renforts, tout de même. Enfin, ses raisons importent peu. Puis-je le faire taire ? Visiblement, non. Je ne peux pas vraiment me balader sur ce bateau, je ne sais pas où le trouver, le tuer pose trop d’autre problème, et je n’ai rien pour négocier. Je ne peux que rester là, cachée, et prier. Enfin, je prierai plus tard, quand je ne pourrai plus faire que cela.
Je tends l’oreille, aucun son troublant ne me répond. Je sors de ma cachette, vérifie que je suis seule, et commence à aménager mon territoire en vue d’une longue isolation : en plus d’améliorer légèrement la disposition des caisses proches pour me laisser un peu plus de place, je ramène la moitié du contenu d’une caisse – des mandarines, encore. Pas très équilibré, mais je ne peux pas faire la fine bouche. Une heure plus tard environ, je suis à nouveau recroquevillée, et j’attends.
…
Je ne sais plus depuis combien de temps je suis ici. Je dors, rêve, veille, pense ; mange et aie pourtant continuellement faim. De temps en temps, j’use de mon sort, voie le passé des lieux : de l’eau, à perte de vue, le jour, la nuit, à l’aube ou au crépuscule : mais aucun de moyen de savoir quand je suis, moi, maintenant. De temps en temps, du bruit se fait entendre, dans la cale ; jusqu’ici, personne ne m’a trouvé. Je me sens faible, terriblement faible, ankylosée également. Je mange mes fruits, m’endors, m’agite, aie peur à chaque fois que je ferme les yeux de les rouvrir avec des fers au pied. Le risque s’atténue à chaque heure qui passe, et pourtant ne disparaît pas ; et j’ignore quand l’heure passe, si cela fait un jour, deux, trois, une semaine ? Je mesure le temps à la quantité de nourriture restante, mesure aléatoire dans le rêve fiévreux et obscur qui me sert de quotidien.
Dormir…
…
Pour la première fois depuis… depuis le début de mon isolation, je me réveille doucement, normalement. Mon corps est toujours aussi faible, mais mon esprit est étrangement lucide, limpide. Seule une légère douleur au crâne me rappelle que je n’ai pas pris l’air depuis…disons depuis trois jour, et n’en parlons plus, mais je peux réfléchir sans difficulté, l’élancement n’est qu’un rappel, un avertissement.
Des pas… Deux hommes, discutant. Leur voix est trop loin… Ils s’approchent, un silence… Soudain, une voix d’homme, claire et distincte, s’élève :
" Alors, pourquoi m'avoir fait venir ici ? "
" Excusez-moi de vous avoir déranger pendant votre quart, j'ai quelque chose à vous révéler. "
Mon agresseur ! C’est lui, à coup sûr ! Que fait-il ici ? Pourquoi maintenant ? Va-t-il révéler ma présence ? Si tard … Probablement si près du but… À la peur s’ajoute la déception, l’espoir déçu. Il m’a laissé tranquille si longtemps… Pourquoi ? Mais la peur fait son œuvre, brouillant mes pensées. Je ne peux qu’écouter, les nerfs à vif, l’estomac noué. Ma gorge s’assèche, mes poignets me tiraillent, et leurs paroles, scellant ma condamnation, se grave dans mon esprit qui n’arrive pas à les fuir, ne faisant qu’enregistrer les événement scellant mon destin.
" Et qu'est-ce donc ? "
" Je pense qu'il y a un clandestin caché parmi cette cargaison. "
" Vous avez bien fait, mieux vaut être prudent, on ne sait jamais comment peut évoluer une situation. "
Le marin s'enfonce parmi les ombres, reste quelques instants sans rien faire, puis revient.
Fuir ? Impossible. Les tuer ? Irréalisable. Me cacher ? Ridicule : où ? Je ne peux que les attendre là, attendre qu’il me découvre, m’amène au capitaine, qui me remettra à la milice… Une peur, primaire, m’envahit : ce n’est plus mes entrailles ou mes nerfs qui me rappelle ma situation, mais mon corps en entier, devenu lui-même un étranger me hurlant sa, ma détresse. Finalement, dans mon esprit, la peur laisse place à la résignation. J’ai fait un pari ; je l’ai perdu. Voilà un choix que je pourrais regretter désorm…
" Je vous remercie de votre aide ! Comme je le pensais ce passage ne semble pas très réel. Voici ce que je vous avais promis. "
" Si vous avez encore besoin d'aide faites moi signe. "
Quoi ? Des pas, remontant l’escalier… " Alors comment avez-vous trouvé la répétition de mon œuvre ? "
Je reste figée, choquée, en oubliant jusqu’à ma respiration. IL… Que… Non ! Son œuvre ? Un mélange de soulagement, d’humiliation et de désir de vengeance me submerge. Il se joue de moi ? Ce type m’agresse, m’oblige à rester enfermé entre deux caisses, à manger n’importe quoi, et au final il se moque de moi, jouant une dénonciation ? Une oeuvre… Une pièce de théâtre ? Ce n’était que ça…
Le soulagement prend finalement le dessus, et à ma propre surprise, un rire s’échappe de mes lèvres. Un petit rire, discret, cristallin. Quelques larmes perle au coin de mes yeux. Je ne sais pas de quoi je ris, de moi, de lui, de tout, pourquoi je pleure. Une pensée me traverse l’esprit, la crainte d’un piège. Mais je ne veux même pas examiner cette possibilité. Il y a tellement plus simple, et si l’on me présente de l’espoir après la nuit, je ne veux pas douter. Mon corps est encore secoué, tremblant, de peur et de soulagement mélangé. Mon esprit se noie dans ces sentiment et sensations, et ne sait que choisir : liberté, vengeance, remerciement, haine, joie,…
Je m’extrais pour la dernière fois de ma cachette, inspire, rempli mes poumons, et avance vers la silhouette que j’aperçois dans l’escalier, créant de ma main gauche un petit globe lumineux, que je suspends au-dessus de moi, répandant une légère lumière sur mon visage, et prenant garde à ne pas éclairer mon interlocuteur : un mélange de respect et de haine m’habite, de reconnaissance et de vengeance ; mais pour l’instant, il aura mon respect, et je ne le dévoilerai pas à moins qu’il ne le souhaite.
« Mon avis est partagé… Je n’ai pas pu avoir une vue d’ensemble de votre oeuvre, et ma critique ne peut donc que porter sur le jeu et surtout la voix des acteurs, mais je dois dire qu’ils étaient très convaincants. »
Ma voix est basse, tremblante, incertaine, contraste avec mes paroles, faussement banales et posées. Je sais que je lui donne une sorte de victoire en affichant ainsi mon état, mais cela ne fait rien, ou peut-être que si, ou peut-être que…
Je stoppe mes pensées, m’assoit sur une caisse non loin de l’ouverture menant au pont, et tente de me calmer.
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Angèlique, Repentie. [lvl 8]
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