Bonne ou mauvaise fortune, Tylia ne connait pas l'histoire qui suit, son histoire :
Marchands et instructeurs à Eniod de père en fils depuis des générations, la famille Rozensis a toujours offert ses services à tous, noble ou bourgeois voulant éduquer leur rejeton ou recevoir eux-mêmes l’apprentissage de la musique. Rob Rozensis avait épousé Jania, jeune femme élancée, à la peau blanche et aux cheveux d’un brun très sombre, au préalable destinée à une vie religieuse. Fougueux et amoureux, Rob l’avait enlevé au temple où Jania consacrait son temps aux blessés et aux nécessiteux.
Elle lui donna deux garçons : Paelo et Searil. Paelo devint un grand gaillard, à la peau foncée et aux cheveux de feu comme son père. Le sourire constamment vissé aux lèvres, il était toujours prêt à rendre service. Searil prit de la chevelure et du teint pâle de sa mère, tout aussi costaud que son frère, il était pourtant plus réservé. Malgré leurs caractères différents, les deux frères s’entendaient à merveille et suivirent tous deux les traces de leur père. Jania devint une femme au foyer, effacée dans l’univers masculin qui s’était créé autour d’elle. Parlant peu, elle tenait la cuisine, la maison et les comptes de cette dernière.
La vie s’écoulait doucement, avec ses joies et ses soucis quotidiens, lorsque la famille Rozensis fut frappée par un malheur.
Des Shaakts sans scrupule sévissaient depuis quelques temps dans les environs, et se présentèrent plusieurs fois aux portes de la ville, déferlant dans les rues, tuant, volant, violant et détruisant tout sur leur passage. Les hommes s’armèrent rapidement et tentèrent d’endiguer la violence des attaques.
Mais lors de l’une de ces razzias, alors que Rob et ses fils combattaient aux portes de la ville, un groupe de mécréants pénétra dans leur demeure et y trouvèrent Jania…
Neuf mois plus tard Jania accouchait seule, dans la douleur. Son mari avait voulu poursuivre les attaquants, lorsque lui et ses fils avaient retrouvés la maison sans dessus dessous et Jania gisant au milieu des débris, blessée et à moitié nue. Paelo et Searil étaient partis à cheval, conseillant à Rob de veiller leur mère. Tard dans la nuit, seul Searil revint, tenant dans ses mains ensanglantées les rênes du cheval de Paelo. Il ne voulut pas parler, les seuls mots qui s’échappèrent de sa bouche furent "Maudits soient-ils… Ils ne sont pas humains…"
Ce jour changea à tout jamais la famille Rozensis. Jania devint encore plus renfermée et sombre, s’éveillant la nuit en sueur, hurlant et tentant de griffer un adversaire invisible. Lorsque son ventre commença à s’arrondir, son mari et elle firent très vite chambre à part. Rob ne supportait plus les cauchemars de sa femme, ni ce corps étranger en elle, et elle n’en pouvait plus d’attendre des heures qu’il rentre de ses virées nocturnes, empestant l’alcool. Searil abandonna le métier de marchand pour devenir professeur de musique dans les hautes sphères, travail qui lui permettait de s’éloigner plus souvent du domicile familial.
Jania mit au monde des jumeaux, le garçon fut mort-né, mais il lui resta une boule de chair presque blanche et bien silencieuse. C’était une fille, au regard tristement violet et avec sur son crâne quelques cheveux gris. Jania ne put se résoudre à la nommer, ni à la tuer, mais elle savait que Rob n'accepterait pas cet enfant qui n'était pas le sien. Sur les conseils de son fils, elle la laissa à un marchand itinérant à qui son époux avait rendu service par le passé. Ce dernier se rendait à l'autre bout du continent et pourrait peut-être trouver une famille à la nouvelle-née.
Mais à Tulorim, il se contenta de déposer le paquet de laine rouge et jaune devant la première habitation venue, glissant près de l'enfant une flûte en os que lui avait remis Searil. C'était la demeure d'Yvan Alianof et sa femme. Cette dernière, seule à la maison, l'adopta sans hésiter... C'était sans compter sur son mari qui à son retour refusa catégoriquement de garder l'enfant. A regret son épouse se rendit au temple de Yuimen et Gaïa où après quelques explications elle leur laissa la fillette à qui elle remit un simple collier, pour garder un lien et veiller sur elle de loin.