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Satire précédente :
La ballade des gens heureux ? ~
Le foyer de la famille Desgour était une timide maisonnée au toit de tuiles rouges, comme craintivement nichée entre ces absurdes et massifs complexes de pierre qu’étaient les résidences de la noblesse de Kendra Kâr. Il était rare de trouver si modeste logis si près des quartiers aisés de la ville… la plupart d’entre eux étaient à l’origine construits par les plus riches dans le but de servir de remises. Stein imaginait sans mal quelles querelles familiales et revers de fortune avaient amené les ancêtres des Desgour à se séparer de leur opulent manoir pour simplement aménager leur petit entrepôt et y vivre. Le fils D’Expellion était au fait de ce genre d’histoires…
Le milicien s’essuya le front du revers de la main gauche. La chaleur ne lui donnait pas spécialement envie de traînasser. Il prit dans son sac un peu de son pain qu’il accommoda de pâté trop salé et déjeuna pendant qu’il examinait les alentours.
Tant qu’à faire, mieux valait se renseigner sur la configuration des lieux avant d’aller se présenter à cette effrayante bonne femme, une bonne volonté qu’il n’affichait que rarement à l’ouvrage mais…
…Steiner ne se leurrait pas. Le jeune homme savait parfaitement qu’il ne faisait que retarder au maximum sa rencontre avec la dame Desgour. D’ailleurs, loin d’en avoir honte et ayant fini son repérage, le milicien se creusa la cervelle en quête de prétextes… et après avoir réajusté son tabard, vérifié qu’il n’y avait pas de cailloux dans ses bottes, s’être assuré que son épée coulissait bien dans son fourreau et qu’il n’y avait finalement de personnes louches aux alentours, il alla, lentement, comme s’il se conduisait à son propre échafaud, sur le pas de la porte de la maison de sa cliente.
Trois coups retentissants furent posément frappés. Il n’eut malheureusement même pas le temps d’espérer qu’elle se soit absentée pour l’après-midi.
La porte s’ouvrit, sans précipitation aucune, découvrant graduellement une épaule fine recouverte de soieries vert feuillage, puis finalement une longue chevelure de la teinte du citron, attachée d’un anneau d’argent et passée devant l’épaule gauche. Une jeune femme aux yeux de l’acier bleui des Kendrans révéla son minois, sa bouche en cerise offrant un sourire poli.
Stein grimaça intérieurement. La gamine faisait sa taille, ce macho n’aimait pas ça. Plus le fait qu’on ne l’avait pas prévenu que dame Desgour avait une fille ou même une quelconque famille. L’andouille… il avait immédiatement pensé à une vieille veuve décrépite…
Enfin, le guerrier afficha ce qu’il nommait bien volontiers son « masque de milicien », décrispant ses traits pour à défaut d’adoucir son expression, la rendre la plus neutre possible. C’était déjà un gros effort que de ne pas crapahuter sur son visage cette mine condescendante qui avait l’air de dire « Et si tu rentrais chez toi dans ta campagne pour cultiver tes champs ? C’est là-bas qu’on a besoin de fumier.».
« Bonjour, vous êtes la fille de madame Desgour, je présume… » Lâcha Stein avec rhétorique, ne laissant qu’une courte seconde à son interlocutrice pour lui donner l’illusion d’un dialogue puis aller sans perdre de temps au vif du sujet. L’engrenage de son habituelle mécanique de conversation coinça cependant sur un détail inopiné, et ce, sous la forme de ce si simple et si fluet seul petit mot.
« Non. Un sourire malicieux prit son envol sur le visage de la jouvencelle.
Je suis dame Desgour. Elle le détailla de haut en bas, consciencieusement, comme on jaugerait un étalon avant de faire son achat. Une surprise qu’elle n’ait pas voulu voir ses dents.
Et vous êtes vraisemblablement de la milice, porte ouverte, elle l’invita de la main droite,
entrez jeune homme. »Stein ne bougea pas.
Terrassé par la surprise, son masque avait volé en éclat et, fixant interloqué le dos de la demoiselle, il sentit que sa bouche béait. Toutes les conclusions auxquelles il était parvenu sur le chemin étaient… si fausses ! Le fil logique de son raisonnement s’écroulait et écrasait lourdement les craintes stupides qu’il avait jusqu’alors exhumées. Le milicien se recomposa péniblement un visage neutre, chose difficile lorsque l’on souhaiterait s’étrangler de sa propre bave pour se punir d’avoir été si crétin.
Il entra néanmoins, s’essuyant les pieds et claquant la porte au nez des anciennes pensées qui avaient parasité sa réflexion précédente. Il devait reconsidérer l’affaire d’un œil neuf et commença par se présenter lorsque se retourna vers lui la dame Desgour.
« Je suis la recrue Steiner D’Expellion, pour les deux jours que nous avons à passer ensemble, appelez-moi Stein. » Au ton qu’il avait employé, s’il souhaitait être nommé ainsi, ce n’était pas par désir de raccourcir la distance et de poser les bases d’une quelconque relation amicale… Non, c’était plus du : « Appelles-moi Stein et puis c’est tout. » …
« C’est d’accord, Stein. Dans ce cas, appelez-moi Stella quand vous vous adresserez à moi. » Répondit-elle avec au moins autant d’autorité. Elle ne se laissait pas démonter… mieux que ça, elle avait du caractère. Il détestait ça chez une femme.
Quoiqu’il en soit, il devait maintenant procéder aux vérifications d’usage… mettant ses sentiments personnels de côté, il prit un ton parfaitement professionnel.
« Je souhaiterai confirmer les informations que j’ai de votre situation, si vous voulez bien que je vous pose quelques qu… »
« Bien sûr, le coupa-t-elle,
mais ne restons pas dans le vestibule, je viens de faire du thé, installons-nous dans la salle à manger. »Sur ces brèves paroles, elle disparut par une porte entrebâillée que Stein, tétanisé, fusilla du regard. Elle… cette femelle venait de lui couper la parole… ? Mieux que ça, elle menait intégralement la conversation ! Les femmes de nos jours… ! Vraiment ! Elles ignoraient donc où se trouvait leur place… ? Ah, s’il en avait eu le loisir, il le lui aurait appris…
Rongeant son frein, le jeune homme, très hautement misogyne, parcourut le couloir sans un regard aux tableaux vieillots à la couleur délavée et au vase d’ornement horriblement rose fuchsia qui meublaient l’entrée.
« Hé bien, ne restez pas sur le seuil ! » Héla-t-elle alors qu’il posait la main sur la poignée de la porte. Pour une raison qu’il comprit mal, Steiner ne put s’empêcher de pester intérieurement en la rejoignant.
Un examen plus attentif de Stella montrerait que la jeune femme, ne dépassant pas de beaucoup la vingtaine, était assez mignonne. Moins gracieuse que la plupart des filles de la noblesse mais, plus pétillante, pleine de vie, avec des formes qui à défaut d’être avantageuses n’avaient à souffrir d’une quelconque comparaison, et des traits bien dessinés composant une frimousse véritablement avenante.
Des qualités que Stein, dans son aversion, était bien incapable de percevoir. Dommage.
Le salon de dame Desgour était une petite pièce coquette, aux murs recouverts de papier-peint fleuri et au parquet impeccablement ciré. Il y avait de nombreux meubles bas où étaient présentés vases et sculptures discrètes, signes d’aisance mais non de faste, ainsi qu’une courte table circulaire où s’étalaient plusieurs napperons colorés. Un unique fauteuil à deux places, l’air incroyablement moelleux trônait non loin de là, étouffé de coussins soyeux et d’étoffes douillettes délicieusement brodées.
Pièce non négligeable, Stella ne tarda pas à s’ajouter au décor, apportant de ses mains menues deux tasses de porcelaine blanche et une théière fumante sur un plateau.
Charmant. Les lys peints sur les murs étaient parfaitement assortis aux fleurs blanches tissées sur la robe de son hôtesse, qu’il ne remarquait qu’à présent. La décoration même des lieux semblait habiller la jeune femme, ce qui avait dû être beaucoup d’efforts d'agencement et de décoration, pour un résultat certes, attrayant, mais aux yeux du milicien : inutile.
S’il s’était trompé sur l’âge de sa cliente, le portrait qu’il avait brossé d’elle n’était peut-être pas pour autant erroné… du moins cette éhontée coquetterie le portait à le croire.
Avec la légèreté d’un oisillon, Dame Desgour se posa délicatement sur un coussin, puis ne perdit pas de temps pour emplir les tasses de thé à l’arôme puissant. Un mélange d’herbes et de fruits, peut-être même d’une touche d’épice, Stein identifiait l’orange et la cannelle, mais Gaïa seule savait quoi d’autre il y avait là-dedans…
« Asseyez-vous, Stein. » Invita son hôtesse d’une voix douce.
Une idée qui ne le tentait que très moyennement… il ne tenait pas particulièrement à se coller à elle dans ce canapé si ridiculement étroit, de plus, depuis qu’elle s’était assise… le tissu de sa robe, coincé entre sa peau et la surface du fauteuil se voyait copieusement étiré et avait le don de mouler certaines choses que le milicien préférait taire.
La gorge soudainement sèche, non, aride, Stein se planta debout en face de la table, droit comme un « i ».
« Je préfère rester debout. » Grimaça le jeune homme, atrocement tenté par l’éclat d’ambre de cette tasse de thé effroyablement odorante qu’on lui avait mise sous le nez.
Toutefois, il devait rester fort.
« J’ai maintenant quelques questions à vous poser. »La sueur perlait contre son échine alors que son esprit, battant la campagne, se perdait en mille conjectures sur les risques qu’il prenait à côtoyer deux jours entiers cette… cette espèce de succube !
« Je vous en prie… » Dit-elle, le breuvage humectant ses lèvres et doucement essuyé du bout de sa petite langue rosée. Un manège qui le fit frémir brutalement, mais ce n’était certes pas le moment de céder à cette moiteur languide qui envahissait l’atmosphère ! Il fallait se battre, remettre de l’ordre dans ses idées, arrêter de penser à toute cette chair tendrement rosée et voluptueuse qui s’étalait dans toute sa dépravation sur le canapé d’en face !
Diable, qu’il avait en horreur les femmes et leurs jeux tant stupides que lascifs…une dame convenable dissimulait ses appâts jusqu’au mariage, tenait sa langue et se faisait discrète quand il y avait un homme dans les parages ! Leurs devoirs étaient de procréer et d’élever le poupon, après cela elles n’avaient plus qu’à se laisser flétrir dans leur couche jusqu’à y passer !
« Stein ? » L’appela-t-elle pour le sortir de sa torpeur.
Confus, le milicien redécouvrit le visage délicieux de son hôte, ainsi que les problèmes de taille de la charmante robe l’affublant. Tsssk ! Songeant à ce qu’était une saine épouse et femme de bonnes mœurs, il s’était laissé emporter par la dérive tumultueuse de ses pensées, mais c’était fini ! Il devait maintenant se calmer, apaiser son pouls qui furieux, lui tournait la tête et rendait tremblants sa gorge et poignets.
De son sac en toile, Stein ôta précautionneusement sa gourde, à laquelle il but une longue rasade. Juste pour se donner contenance et se laisser le temps de retrouver ce qu’il avait à dire.
« De qui devez-vous vous protéger ? » Attaqua sobrement le milicien. Quand on risquait de balbutier sur le moindre mot, on parlait court, et efficace ! Une stratégie de bon aloi pour remporter la guerre.
La poitrine comprimée de Stella se souleva dans un distingué soupir, peut-être un poil mélodramatique. La jeune femme reposa sa tasse sur un petit napperon et appliqua posément ses jolies mains contre ses cuisses, son regard bleu-gris, lui, virevoltait entre le thé fumant de Stein et sa gourde pleine d’une eau qui en comparaison se révélait proprement insipide.
« Vous ne buvez pas ? » Minauda délicieusement la damoiselle. Une riposte intelligente, cependant, le milicien avait suffisamment d’expérience pour ne pas tomber dans un piège aussi grossier. Steiner se défendit d’un pesant silence, la fixant, acéré, jusqu’à ce qu’elle fasse suffisamment signe de son malaise pour passer l’une de ses jambes délicates par-dessus l’autre, révélant -Gaïa l’en protège !- beaucoup trop de cette peau dénudée qui était la sienne !
Tenace et patient, le jeune homme pianota de ses doigts gourds sur la coque de sa gourde. Bon sang, allait-elle se décider à parler ?!
« Je… elle baissait les armes, la première victoire lui avait été péniblement accordée,
je suis menacée par le seigneur Hugues-Desmond Tamaryan, d’un quelconque comté voisin, comme je l’ai annoncé lors de ma déposition. »
« D’un quelconque comté voisin ? Releva Stein, un poil surpris.
Vous ignorez duquel il s’agit ? »Stella lui fit part de son plus misérable sourire, incurvant sensuellement les lèvres de sa bouche en cerise. Par la Grâce… le milicien faillit reculer sous le choc, et s’étrangla à moitié de la lampée d’eau dont il s’humectait le gossier. Il toussa copieusement, mais lorsqu’il releva vers elle la tête -bien que ce fut imperceptible- son regard s’était métamorphosé.
« Je l’ignore, nous ne sommes aucunement intimes. Il s’est présenté à moi il y a environ deux semaines, lors de l’une de mes sorties en forêt coutumière. La dame laissa échapper un nouveau soupir.
Il m’y a recroisé à plusieurs reprises, comme s’il m’y attendait… et n’a fait que devenir plus entreprenant dès lors… »Stein demeurait coi, lui laissant tout le temps nécessaire pour se fendre d’un maximum de détails.
« …il y a deux jours, je l’ai repoussé quelque peu violemment. Il m’a paru sur l’instant extrêmement offusqué, et j’ai pris peur. » Acheva-t-elle sur un doux sourire.
De marbre, le milicien considéra posément sa cliente, figeant éphémèrement son regard dans le sien, y lisant son ressenti, les émotions qui fugaces y défilaient et leur accordant infiniment plus d’importance que toute la vacuité de ses récentes paroles. Elle était sincère. Bien sûr, il n’y avait aucune certitude, mais confiant en son instinct, Stein misa sur sa sincérité.
Une décision qui… changea la donne. D’une manière que nul autre que lui n’aurait pu conjecturer.
« Bien. Ponctua-t-il, déjà plus à l’aise. Il savait maintenant ce qu’il affrontait…
J’ai une autre question à soulever, et nul doute qu’elle est au cœur du problème. » Le milicien marqua une courte pause pendant laquelle il étira paresseusement son dos meurtri, puis, sans aucune gêne, prit parti de se dégourdir les jambes.
Insensible à son manège, la jeune femme consommait sa boisson en silence, couvant son invité d’un œil attentif alors qu’il se débarrassait désormais de sa lourde cotte de mailles et de ces protections de cuir superflues qui l’alourdissaient pour ne conserver que son épée, au fourreau, tenue ferme dans son poing gauche.
Avec une expiration contentée, Steiner se laissa tomber sur le canapé, aux côtés de la demoiselle. Prenant ses aises, il la fixa quelques secondes avant de demander d’une voix taquine, caressée de morgue et d’insolence.
« Qu’allez-vous donc faire si régulièrement en forêt, madame Desgour ? »Erudit, Steiner D’Expellion présageait déjà la réponse. On ne se retrouvait pas si jeune femme vivant solitaire et à l’abri du besoin dans ce genre de quartier sans une bonne raison… une raison que son expérience aristocratique lui permettait souvent d’élucider.
Les lèvres rosées et pincées, Stella perdit ce qu’il y avait d’amène sur son visage au profit d’une sévérité diamantine, brillant férocement dans ses yeux pâles. Il avait réussi à la vexer.
« Je visite la tombe de mon défunt mari. » Bingo, même si de toute évidence, elle n’avait pas apprécié la manière peu délicate dont il avait amené le sujet. Mais avec cette exquise… dinde, le milicien n’avait que faire de prendre des gants.
« C’est bien ce qu’il me semblait… » Siffla Stein dont les yeux mi-clos à cet instant, évoquaient les deux fines lames d’un poignard glacé. Avec la souplesse insidieuse du serpent, le milicien, enfoncé dans le gras du canapé, se redressa sur le genou pour jaillir brutalement devant sa cliente, lui occasionnant un vif sursaut d’effroi. Presque à califourchon sur la demoiselle, il l’entailla d’un regard où se lisait son mépris et sa vindicte pour le sexe faible. La voix sulfureuse, torse et visage presque collés aux siens, il lui releva doucement le menton du pommeau de son épée. L’arme confrontée à la chair tendre de sa gorge, Stein chuinta avec menace.
« Et qu’espérez-vous donc que je fasse de cette épée… Stella… ? » La caressa-t-il, le ton gonflé d’un étouffant velours.
« Laissez-moi… ! » Cria-t-elle faiblement, tant étranglée par la proximité de l’acier que par la peur. Bruyante malgré tout et risquant d’attirer une attention que le jeune homme ne désirait guère susciter, il lui tint closes ses jolies lèvres de la paume de sa main droite. Le geste, sans douceur, la fit craintivement hoqueter.
« Que j’éventre et vide sur le sol ce sac-à-bière qui veut vous lever le jupon ? »Poursuivit-il, assassin.
« Puisque vous ne pouvez pas le faire, femme, il faut bien que quelqu’un s’en charge… c’est cela non ? Lui susurra Stein à l’oreille, insensible au frêle combat que menait la demoiselle pour se libérer.
Veuve, en y repensant, c’est une situation alléchante, n’est-ce-pas ? Fins cristaux liquides, les larmes avaient l’éclat de perles sur les longs cils noirs et courbés de la demoiselle.
La rente de votre défunt mari vous permet de vivre au-delà de vos moyens… la société vous laisse le champ-libre… La pauvre veuve, chuchote-t-on sur votre passage, laissons-donc la en paix, elle porte déjà trop de peine à pleurer son conjoint. Les pleurs, plus vifs, tracèrent leur sillon sur le visage de la victime. Nullement ému, le milicien se contenta de raffermir sa prise.
Diantre, la voir gigoter ainsi, piteusement lutter sous lui dans toute sa folle impudeur lui donnait une puissance envie de vomir. Cette sensation, cette peau duveteuse frottant la sienne, l’eau salée de ses larmes gouttant sur sa main avivaient chez lui un écœurement tenace qui lui fouaillait les entrailles ! La Grâce et le Feu lui en soient témoins, il n’allait pourtant pas la tuer ! Sa présence même en ces murs signifiait qu’elle pouvait arrêter de craindre pour sa vie, alors, pourquoi se trémousser avec une telle panique !?
Acide et même corrosif, Steiner poursuivit sa diatribe.
Néanmoins, on vous laisse vivre, vivoter… alors vous vous ennuyez… Consciente de votre charme, vous portez vos tenues moulantes et trop courtes, vous mettez votre chair en valeur, mais parfois… le jeu de la séduction va un peu loin, et c’est avec bien trop d’ardeur qu’une braguette vous pourchasse.Il n’était pas dit que c’était là, la véracité de cette affaire, néanmoins, le jeune homme ne doutait pas de piquer l’aiguillon de vérité non loin du cœur. Il jetait les mots, incisifs, ironiques, acrimonieux, avec plus de violence qu’il ne l’aurait rouée de coups, avec une haine qui –séculaire- s’était ancrée au plus profond de son être, avec un tranchant qui rivalisait avec le plus scintillant des poignards, une arme faite parole dont il l’éventrait avec une redoutable frénésie !
Dans ces cas là, sont-ils bien pratiques ces jeunes miliciens ! Naïfs et charmants, bredouillant à la vue de jambes trop longues… mais c’en est fini des minauderies et battements de cils, pour la courte période que nous allons devoir avoir à supporter tous les deux, nous allons jouer selon mes règles. »Les yeux brouillés de plus de larmes qu’il n’en fallait pour rougir et désarmer son visage chagrin, Stella n’était plus en mesure de lutter contre le glacial acier du regard de son tortionnaire.
« Je vais maintenant retirer ma main, mais vous garderez fermée votre jolie bouche, n’est-ce-pas ? »La susurre du milicien se voulait diablement enjouée, un sourire froid et hanté ayant éclos sur ses lèvres pincées.
« Dites oui. »Lui murmura-t-il encore à l’oreille, avec la douceur d’un amant et un air… si furtivement terrible que le corps de la jeune femme s’agita d’un dernier sanglot.
« Oui… » Traça la « jolie bouche » de Stella lorsque se retira l’étau qu’était la main rude du milicien.
« Bien… Dit-il alors, de ce même ton dont on félicite les enfants sages.
Nous avons seulement un jour et demi à passer ensemble, un peu de courage… »Devant son angoissé silence, il répéta.
« Dites oui… » Elle s’exécuta de nouveau. Sous lui, elle avait arrêté de se débattre, aussi inerte à présent qu’une poupée, dont livide, elle empruntait le teint de porcelaine.
Spectral et infâme marionnettiste, Stein lui releva durement le menton puis négligemment, lui tapota la joue.
« Vous êtes bien brave. Je vais maintenant vous lâcher… mais vous irez, toute gentille que vous êtes, pleurnicher dans votre chambre, vous ne ferez pas l’erreur de quitter la maison, hein Stella… ? » La sulfureuse menace fit son effet. Stella, pantelante, en automate se releva, se couvrant le visage des mains pour endiguer et dissimuler son piteux état. Cruel, le milicien attendit néanmoins qu’elle ait acquiescée à ses dernières paroles pour lui libérer le menton qu’il maintenait toujours levé vers lui.
« Bonne fille… nous nous reverrons demain et nous règlerons votre petit problème… »Pas aussi bien dressée qu’elle n’aurait dû l’être, elle ne répondit pas… Contrarié, Stein l’immobilisa dans sa course en la retenant sans ménagement par le bras. La jeune femme glapit, mais ne fit pas l’erreur d’essayer de se soustraire à son étreinte. Mieux valait pour elle, s’occuper d’elle commençait très sérieusement à l’agacer… peut-être l’avait-elle senti, d’où cette évidente docilité.
« Vous ferez ce que je dis… vous n’aimeriez pas que je vous donne la fessée, Stella… »Leurs yeux se croisèrent, puis, déliée, elle fuit le salon et monta en courant les escaliers qui poursuivaient le vestibule.
La tension qu’il tirait de la situation s’amenuisant, Stein soupira lourdement.
Cette femme, Stella, son caractère, son apparence… quelque chose chez elle l’avait légèrement contrarié. Oh, il ne fallait pas se méprendre, les émotions dont il faisait acte et celles qui vivaient en lui étaient deux choses très différentes.
Mais diantre, il espérait avoir été suffisamment odieux ! C’aurait été un problème de taille que la veuve prenne goût à la jeune chair des recrues de la milice, et notamment, qu’ils prennent goût à la veuve ! Se retrouver soudainement à travailler avec une flopée de jeunes gars tout juste bons à penser avec leur pantalon, non merci ! Enfin, à ce niveau… il doutait ferme que la mangeuse d’hommes fasse une tentative de récidive, elle aurait certainement trop peur qu’on lui envoie de nouveau un rustre dans son genre…
Solitaire sur le profond canapé du salon, le jeune homme eut pour lui-même un sourire indulgent. Il avait pourtant essayé de se convaincre de ne pas remettre cette dinde à sa juste place, mais on dirait bien qu’il avait échoué… Incapable de se morigéner sérieusement, il se disait qu’elle l’avait amplement mérité. A le provoquer avec négligence, elle ne devait pas se douter du genre du fauve qu’elle réveillait…
Guettant un chien en chaleur, elle s’était retrouvée à tirer la queue d’un ours mal-léché…
Stein grimaça.
Il n’empêchait qu’il était peut-être allé trop loin, si cela se savait, il aurait de nouveaux des problèmes… mais ce n’était certainement pas la première mission qui lui échappait à cause de son mauvais caractère ! Il avait même contribué à remettre une jeune femme sur le droit chemin, et cela seul avait de quoi contenter ce justicier !