IV.16 Visite nocturneL’urne emmitouflée dans les replis la robe, Jorus filait hors de la ville au triple galop. Le cheval faisait encore des siennes, mais Jorus ne lui laissait pas l’occasion de n’en faire qu’à sa tête, pas maintenant. Jorus ne savait pas où se trouvait le magicien, cependant il ne doutait pas que Kenneth ne se trouverait pas loin. Il le rencontra sur la route menant au temple, là où ils s’étaient croisés la dernière fois et après vérification, l’homme de main du magicien l’emmena à la tour de Tranzïg sous les rayons naissants du jour.
Jorus avait bien entendu parlé de ce magicien et de sa tour, responsable d’après les rumeurs de l’assèchement de la région de Yarthiss. Kenneth qui jetait de temps à autre des regards au jeune homme saisit ses pensées.
"Le maître a pris possession de la tour il y a quelques temps, mais il n’est pas responsable de ce soi-disant assèchement de la région. Elle était abandonnée depuis longtemps. Pressons le pas et on te laissera tranquille avec ta faéra." Déclara l’homme de toute son assurance.
Jorus sentait que l’homme de main tentait de le calmer. Hors il ne s’y trompa pas. Il lui avait bandé les yeux pour ne pas dévoiler leur position la première fois et même si la conclusion de cette histoire touchait à son terme, on lui avait ordonnée de tuer un innocent sous un prétexte faux. Maintenant il se dirigeait vers leur cache avec l’urne sans bandeau. La finalité de cette rencontre ne ferait aucun doute.
Arrivé au pied de la tour ils entrèrent dans une écurie et laissèrent les chevaux avant de gravir les longs escaliers jusqu’au maître. Jorus reconnut les lieux. L’immense tableau contre le mur, le plancher résonnant à ses pieds, l’immense lustre en cristal trônant au plafond qui brillait avec la lumière qui baignait dans la pièce grâce aux vitraux. De dos le magicien s’affairait sur une table lorsqu’il se retourna au son des pas sur le plancher.
"Alors, il l’a ?" Demanda le fameux maître dont les yeux exorbités exprimaient une certaine démence dans le regard.
Pour seule réponse Jorus toujours habillé avec des habits de servante, chose qui ne sembla pas choqué qui que ce soit, fit sortir de la robe qu’il tenait toujours en main la fameuse urne qui brilla d’un éclat jaune au contact des rayons lumineux. Le magicien s’avança mains tendu vers l’avant et Jorus recula d’un pas pour faire comprendre qu’il ne laissera pas les choses se passer ainsi.
"Libérez ma faéra ! Vous ne l’aurez pas avant !" Fit le jeune homme déterminé.
"Mmm oui, elle est ici ne t’inquiète pas." Répondit le mage avec un certain agacement.
"Kenneth !"
Tandis que le maître dévoilait une cage à oiseau de sous un tissu dévoilant Ysolde, Kenneth empoigna fortement les bras du jeune homme et lui déroba l’urne. Voyant que l’homme de main avait physiquement le dessus, Jorus tenta de le faire chuter mais un revers bien placé eu raison de lui. Etalé sur le sol il vit sa faéra se débattre furieusement dans sa cage, elle devait savoir ce qui l’attendait. Kenneth quant à lui, revint vers le jeune homme pour s’assurer du bon déroulement du rituel à venir.
Le magicien commença une litanie particulière, mélange de gestuelles grotesques et d’une langue fortement désagréable pour les oreilles. Jorus ne comprenait pas ce qu’il se passait ni les raisons de tout ceci, mais il avait deux certitudes. La première que ce n’était vraiment pas le lieu propice à une méditation ou une lecture sereine. La seconde était que quelque chose devait apparaître octroyant services, pouvoirs ou les deux à la fois. Impuissant il attendait le moment fatidique, jusqu’au moment où une volute de fumée noir s’échappa de l’urne. La fumée prit un espace de plus en plus grand jusqu’à étouffer la lumière du matin en répandant une forte odeur d’excrément et de chair en décomposition. D’un geste de la main, celle-ci s’enflamma pour retrouver un semblant de visibilité. Le sol se mit à trembler, renversant chandeliers, vases et autres objets instables. La fumée s’éleva au-dessus du mage, prenant la place d’un coin supérieur de la pièce, et une partie se condensa pour former une tête de buffle aux yeux rouges et aux larges cornes acérées.
"Que celui qui interrompt mon sommeil subisse une agonie éternelle." Déclara la forme éthérée dont la voie résonnait comme issue d’une profonde caverne.
"J’ai un présent pour toi au grand Bis’mal, un être de pure magie. Accordes moi tes pouvoirs divins et tu pourras te repaître de son essence." Répondit le magicien sans montrer aucune peur devant cette chose.
"Un être de pure magie ?" Répéta le buffle.
"Cela fait longtemps que je n’ai pas assouvis ma faim. Soit ! Mais si tu me trompes ce sera toi mon festin !"
"Vois ô grand Bis’mal. Vois cet être de pure magie pour servir ta grandeur !" Fit le mage en brandissant la cage emprisonnant la faéra.
Une main se forma de la brume noire et se mut pour saisir la cage. Elle s’arrêta brusquement, hésita à gauche à droite, recommença à la saisir pour finalement reculer.
"Qu’est c’que c’est ? Pourquoi ça ne marche pas ?" Questionna Kenneth en foudroyant Jorus du regard
"Quoi vous l’ignoriez ? Seul quelqu’un qui possède un lien avec l’être magique peut la sacrifier ainsi. Forcément ça risque de poser problème." Répondit Jorus avec un sourire narquois qui fit rager l’homme en face de lui.
"Quelle est cette fourberie ? Tu as essayé de me tromper misérable humain, cet être n’est pas lié à toi ! Tu vas regretter d’avoir voulu te jouer de moi infâme insecte !" Hurla Bis’mal dont les volutes de fumée s’excitèrent.
La gueule de fumée noir s’ouvrit dans des proportions impossibles pour un être normalement constitué. L’intérieur s’illumina comme un feu qui grandissait encore et encore accompagné de relent de cadavres putréfiés. Quelques points lumineux rouges y étaient apparus en formant une ronde qui avec l’accumulation d’autres petits points créèrent un tourbillon. Kenneth qui voyait là un danger pour son maître laissa Jorus pour venir se mettre en lui et le monstre brumeux. Son instinct fut bon car un torrent de flamme déferlèrent sur le magicien et son homme de main, les enveloppants dans un souffle infernal mortel. Touchant le plafond, fa volute de fumée s’attaqua aux poutres porteuses de la pièce pour faire s’effondrer le plafond et peut-être le bâtiment en lui-même. Ajoutant aux malheurs des propriétaires de la tour, le lustre en cristal tomba à l’emplacement où ils se trouvaient.
Satisfait ou simplement fatigué d’avoir eu à dépenser autant d’énergie, le buffle brumeux se dissipa en réintégrant l’urne. Sans hésiter plus longtemps, Jorus bondit sur la cage où se trouvait la faéra et la libéra en frappant la petite prison avec sa dague magique. Ysolde ne se fit pas prier pour sortir et sauta au cou de jeune homme. Jorus ne s’en était pas aperçus, mais il recouvra le lien avec sa faéra lorsque la cage s’ouvrit. Tout deux sentir le soulagement de l’autre ainsi que la peur d’Ysolde face à la créature de brume noir.
"Merci Jorus, j’ai eu si peur. Que sait-il passé ? Je sens que tu savais que ça tournerait mal, c’est toi qui a créé ça ?" Questionna la petite fée.
Jorus allait lui répondre lorsqu’une main sortit du lustre fracassé. Noircit par les flammes du buffle, une protection de pierre se désagrégea pour laisser une main à l’air libre.
"On verra ça plus tard." Fit Jorus en voyant que leurs ennuis n’étaient pas finis. "Pour le moment il faut vite partir d’ici."
Il aurait très bien pu chercher à éliminer la menace mais il n’était pas ce genre d’individus ce qui satisfit la faéra. Accompagné de son amie volante, Jorus descendit quatre à quatre les marches de l’escalier pour se mettre à l’abri.
"La main, c’était le magicien. Je doute que l’autre type, ce Kenneth soit vivant, mais lui a bel et bien survécu. Il a sans doute utilisé un sort de protection de terre." Déclara la faéra qui suivait son maître en virevoltant à ses côtés.
"Raison de plus pour déguerpir d’ici au plus vite ! S’il a pu survivre à ça, je préfère ne pas connaître l’étendu de ses pouvoirs."Soudain une explosion retentit en haut de la tour. Quelques débris en feu passèrent près d’eux et traversèrent les étages sans passer par les marches.
"Mais c’était quoi ça ?" Questionna Jorus qui s’arrêta de peur de recevoir un coup fortuit.
"Ca, ça sent la magie !""Je crois que je hais véritablement la magie." Fit Jorus qui reprit sa course de plus belle.
"Hey, c’est pas gentil de dire ça ! Tu sais quand même que je suis un être de pure magie ?" Grogna Ysolde.
"Dans ce cas tu es l’exception qui confirme la règle. Et puis c’est surtout l’utilisation qui me répugne."Tous deux avaient atteint le bas de la tour, mais au lieu de sortir la faéra arrêta le jeune homme.
"Mais qu’est ce que tu fais ?" Demanda Jorus.
"En parlant de mauvaise utilisation de la magie, ils gardent des hommes, des femmes et même des enfants enfermés ici. On peut pas les laisser ! Tu as vus ce qui voulait faire de moi, imagine le sort qu’il leur réservera." Supplia Ysolde.
Jorus regarda sa faéra qui battait des ailes sans bouger de sa position.
"Bon d’accord, mais après ils se débrouillent seul." Concéda le garçon qui suivit la petite fée s’enfoncer dans les sous-sols.
L’accès au tréfonds de la tour étaient à l’image de l’escalier y menant, à savoir très humide, très sombre malgré des torches allumées ici et là et très glissant. Jorus manqua de se casser la cheville diminuant fortement ses chances de fuite et de survie. Au sous-sol éclairées par une unique torche à l’entrée, plusieurs cellules étaient disposées des deux côtés, composées seulement de barreaux de fer dans les cavités rocheuses de la pierre. Un bureau et une chaise faisait office de meuble. A l’arrivée de Jorus quelques bruissements de paille se firent entendre. Le jeune homme s’avança vers les cellules et rencontra ses occupants. Dans la première, un vieil homme avec les cheveux blancs habillé d’une vieille guenille se terrait dans un coin. La seconde occupée, deux jeunes enfants se cramponnaient l’un à l’autre en tremblant de peur. Dans la dernière, Jorus reconnu une jeune femme à ses formes plutôt qu’à son visage caché par ses longs cheveux blonds, mais un regard furieux était pourtant perceptible. D’un mouvement rapide, la prisonnière envoya une poignée de pierre et de caillou qui força le jeune homme à reculer.
"Là regarde !" Fit la faéra en désignant la table où un trousseau de clef ainsi qu’un arc et son carquois de flèches étaient disposés.
Jorus s’étonna de voir la timide fée voler aux yeux de tous, puis s’empara du tout et se pressa d’ouvrir les cellules une par une en commençant par le vieil homme qui se protégeait le visage et gémissait de peur.
"Ne vous inquiétez pas nous ne vous ferons pas de mal, on vient pour vous délivrer !" Déclara Ysolde qui allait de cellule en cellule.
"Tu es la jolie fée dans la cage ?" Demanda l’un des enfants.
"Oui c’est moi et lui c’est mon maître, on est là pour tous vous sortir d’ici." Répondit la faéra.
"Maître ? Tu portes le même nom que se donne le magicien et tu ressembles à son foutu larbin. Qu’est ce qui nous dit que tu n’es pas de mèche avec eux ?" Grogna la femme dont Jorus arrivait au niveau de sa cellule.
"Je ne suis le maître de personne." Répondit Jorus sur le même ton. "
J’ai beau le lui répéter ça ne rentre pas dans sa petite tête. Tu es libre. Libre de faire ce qui te semble le mieux. Moi je ne compte pas traîner ici plus longtemps. Kenneth n’est plus mais le magicien est encore un problème !"
"Si tu n’es pas avec eux alors donne-moi l’arc !" Ordonna t-elle.
"Désolé mon cœur, mais je ne fait pas de cadeau au premier rendez-vous. De plus laisser quelqu’un avec un arc dans mon dos sans connaître ses intentions est pure folie."Les trois cellules ouvertes, ses occupants partirent tous même la jeune femme qui fixait Jorus du regard. L’arc et le carquois encore en main, le jeune homme fermait la marche.
"Fuyez !" Hurla la jeune femme lorsqu’ils furent arrivés au rez-de-chaussée.
Un bref regard permit à Jorus de revoir le magicien dont une partie du visage avait noirci. De sa main rougeoyante il fit apparaître une boule de feu noirâtre qui fusa sur le groupe près de la porte. Tous se dirigèrent vers la sortie et furent projeter au loin, accompagnés de débris par l’explosion de la comète.
IV.18 Acrobaties flèches et boule de feu