<< AuparavantEchappée Nocturne
Je me réveillai dans une pièce inconnue, emmitouflée sous deux couvertures, vêtue  seulement de mes sous-vêtements. Cela ne me plut pas du tout et je voulus me redresser, ce que j’abandonnai très vite à cause de la migraine horrible et des douleurs multiples qui parcouraient mon corps. J’examinai rapidement la pièce, enfin le peu que je pus voir. Elle était petite, bien éclairée et entièrement en bois. Aucune décoration inutile, seulement le lit sur lequel j’étais, un bureau et quelques objets que je ne connaissais pas qui le parsemaient. Ma cheville me lança et je cessai mon observation, essayant d’évaluer ma blessure et ramenant ma jambe  vers le haut. On m’avait mis une attelle et je remarquai que mon épaule était bandée, ce qui était plutôt encourageant. Après de longues minutes d’efforts, je parvins à me redresser et à m’asseoir, mes jambes effleurant le sol. Je sentis la pièce tourner mais la sensation disparue bien vite. M’appuyant sur ma jambe valide, je fis quelques pas peu assurés et remarquai mes vêtements sur le bureau. Je les pris et m’habillai en grimaçant, ma cheville étant un poil handicapante. Je laissai vite tomber l’idée de mettre mes bottes et me contentai de les garder à la main. J’avisai une porte et l’ouvrit lentement avant de passer la tête pour observer rapidement ce qui était un couloir sombre. Je repérai un escalier sur la gauche et une porte au fond et décidai d’emprunter l’escalier. Je regrettai vite l’idée, sautiller de marche en marche étant un exercice particulièrement difficile dans mon état. L’escalier menait à une trappe que j’ouvris, sentant immédiatement l’air frais du dehors, me poussant à sortir. Il faisait nuit noire et je pus voir que j’étais sur un bateau. Une voix dans mon dos me fit sursauter.
- Pourquoi t’es debout gamine ?Je me retournai pour tomber sur le Cap’taine Ivark. Mon esprit put enfin faire le lien avec le bateau et je trouvai stupide d’avoir voulu m’enfuir.
- Désolé, j’ai un peu paniqué, je voulais juste sortir.Il grommela et me fit signe d’attendre là. Je ne me fis pas prier et m’assis sur le pont du navire. J’aperçus quelques marins vaquant à leurs occupations me jeter des coups d’œil tandis que j’étirais mes jambes en soupirant. Le Cap’taine revint avec un Vyrl habillé seulement de son pantalon, visiblement réveillé à l’instant. Le jeune homme était étonnement musclé et je ne pus détacher mon regard de son torse avant qu’il n’arrive à ma hauteur.
- Comment te sens-tu ?Mes yeux se hâtèrent de monter vers son visage. Il avait toujours été aussi beau ? Je devais me reprendre ! Je haussais les épaules, j’avais envie de dire que j’avais connu pire mais je fus honnête.
- J’ai connu mieux et ma cheville est encore douloureuse, mais sinon je vais bien. J’ai dormi longtemps ?- Quoi ? Non ! À peine quelques heures, on s ‘attendait à ce que tu dormes au moins jusqu’à demain. Tu devrais aller te reposer d’ailleurs.- Quand cette histoire sera finie j’irai dormir. Tu n’es pas inquiet pour ta sœur ?Il me jeta un regard chargé de reproches. Oups, j’en avais peut-être trop dit. Mais il continua de parler comme si de rien n'était, ouf !
- Les documents que tu nous as donnés mentionnent un entrepôt où les filles seraient retenues ainsi qu’un bateau sur lequel elles doivent être emmenées. Le bateau part dans deux jours, ça nous laisse un peu de temps. Le Cap’taine m’a gentiment proposer de nous héberger le temps de ta convalescence.Je remerciai l’homme qui me sourit en retour.
- Pas d’quoi gamine, tu nous as débarrassé d’un sacré salopard, c’est le moins que j’puisse faire. Vous allez faire quoi maintenant ?Vyrl et moi parlâmes en même temps.
- Libérer les prisonnières !Nous nous regardâmes d’un air entendu, notre mission n’avait pas changé, juste évoluée en quelque chose de plus important. Le Cap’taine prit un air sérieux.
- Faites très attention, le type qui est derrière tout ça, ce Faston Kisp, j’le connais de réputation, il est bien pire que cet enfoiré de Jonas. Le genre de type qui tue ses associés pour ne pas avoir à partager l’argent et qui n’hésite à traiter avec des esclavagistes et des meurtriers. Une belle ordure !J’eus un déclic. Faston Kisp ! Le type qui avait embauché Fyly et les autres. Voilà pourquoi ce nom me disait quelque chose. Merde ! Il était probable que les autres aient été embauchés pour surveiller l’entrepôt et le bateau où les filles étaient retenues. Ça compliquait les choses, ce type était un très gros morceau d'après ce que j'avais compris. Il allait falloir la jouer fine, et rapidement. Il fallait absolument libérer les captives avant qu’elles ne soient emmenées sur le bateau. Nous devions agir la nuit suivante !
Vyrl proposa une approche furtive. Nous connaissions le numéro de l’entrepôt, il irait donc en repérage en journée puisqu’il n'était pas connu, contrairement à moi, et tenterait de trouver une entrée ou d’en fabriquer une lui-même. Je restai dubitative sur cette dernière idée, mais il me rassura.
- En tant que fils de bûcheron, je sais reconnaître quand du bois est facile à couper ou non, et les entrepôts d’ici ne sont pas toujours bien entretenus, ni tout récents. S’il y a une faille, je la trouverai et s’il n’y en a pas, j’en ferai une.Je n’étais toujours pas convaincue mais il semblait si sûr de lui que je le laissai faire. Le Cap’taine nous écouta avec attention, nous conseillant de rapidement ramener les filles sur son navire où il serait en mesure de les protéger. Il nous proposa même de nous aider en neutralisant une partie de la surveillance.
-Mes gars créeront une bagarre avec les gardes, ça devrait les éloigner un peu et attirer leur attention. Ça fait longtemps qu’on a envie d'frapper ces fumiers.Je déclinai, je ne voulais pas que l’équipage soit mêlé à ça, cela donnerai une vraie raison à Kisp de s’en prendre au Cap’taine et à ces hommes et ça serait comme indiqué au groupe des Noirs Desseins que j’étais sur le bateau. Notre plan n’était pas sans faille mais nous n’avions pas le choix. Tandis que l’aube pointait et que Vyrl se dirigeait vers les entrepôts, je retournai en bas, dans ce qui était en fait la cabine du Cap’taine et je me recouchai, essayant de récupérer avant le soir. Ma cheville était toujours douloureuse mais au moins je pouvais marcher… enfin boiter, ce qui était tout de même une nette amélioration et qui me rassura, elle n’était pas cassée.
Je dus dormir, ou du moins somnoler un long moment car le Cap’taine vint me réveiller alors que le soleil atteignait son zénith. Il me donna un bol de soupe et du pain que j’engloutis en toute vitesse. Ça faisait du bien ! Je ne m’étais pas rendu compte à quel point j’avais faim avant d’entamer la première cuillère. La soupe de poisson était salée mais elle resta délicieuse pour mon estomac et je n’en laissai pas une miette. Je me levai ensuite et allai rendre le bol au Cap’taine. Je profitai du moment pour observer un peu le navire. Les marins me saluaient avec bienveillance et j’en reconnus un, le grand qui avait empêché les bandits de me massacrer, profitant du moment pour aller le remercier. Il se contenta d’un sourire ravi et d’un « C’est normal » avant de reprendre son travail. J’eus envie de monter sur le mât mais, après observation, je sortis l’idée de ma tête. Jamais je n’attendrai le sommet dans mon état. Avec un peu de chance une autre occasion se présentera.
Je restai donc sur le pont une bonne partie de l’après-midi et commençai à m’inquiéter sérieusement pour Vyrl dont je n’avais aucune nouvelle. J’espérai vivement qu’il ne lui était rien arrivé. C’est dans ce genre de moment que je comprenais pourquoi les gens priaient les dieux, mais cela m’avait toujours semblé artificiel ; après tout, ils ne priaient que dans leur intérêt personnel, espérant que quelqu’un leur vienne en aide et fasse le boulot à leur place. SI j’avais fait ça, je serai toujours coincé à Tulorim et probablement en train de mendier en attendant qu’un dieu exauce mon souhait… ridicule. En venir à réfléchir aux dieux de cette façon et dans cette situation me fit sourire, n’étais-je pas en train de faire la même chose ? Espérer le retour de Vyrl alors que je pourrai aller moi-même voir s’il allait bien ? Autant bouger et aller le chercher moi-même ! Je me dirigeai donc vers la passerelle lorsque le Cap’taine m’interpella.
- Tu vas où gamine ? Reste ici !- Je m’inquiète pour Vyrl !- Et tu penses l’aider en quittant la sécurité du navire ? J’te rappelle qu’une bande de brigands est probablement à ta recherche et que s’ils te trouvent, on retrouvera ton corps éparpillé aux quatre coins de la ville. Reste ici !J’acquiesçai, il avait raison, j’avais toujours ces bandits aux trousses et si je sortais en plein jour, j’étais certaine de les avoir sur le dos. Ce fut donc inquiète et impatiente que je regardai le soleil baisser sur l’horizon. Alors que je faisais les cents pas - enfin dans ma tête parce que j’évitais de marcher - Vyrl rentra enfin sur le navire, tout sourire. Soulagée, je lui demandai ce qui avait pris tant de temps mais il ne répondit pas, bien trop enjoué par sa découverte.
- J’ai trouvé une faille et j’ai pu rentrer dans l’entrepôt ! Nuim était là Yliria, elle était vivante ! Je lui ai promis de la sortir de là. Je sais comment faire pour entrer mais je ne pouvais pas risquer de les faire sortir sans que tout le monde nous voie. On peut agir ce soir, j’ai entendu un des gardes dire que l’embarquement n’aurait lieu que demain. C’est le moment ou jamais !J’eus un sourire devant son ton enjoué et plein d'espoir. Le Cap’taine nous demanda d’attendre la nuit noire avant de sortir du navire, ce que nous fîmes. Une fois la nuit bien entamée nous descendîmes. J’avais retiré mon attelle mais je sentais que ma cheville était encore fragile et que je ferais mieux d’y aller doucement. Nous nous faufilâmes dans le port, avançant lentement, nous arrêtant dès que quelqu’un approchait, nous courbant pour être le moins visible possible. J’avais rabattu ma capuche sur ma tête, ce qui limitait mon champ de vision, mais je comptais sur Vyrl pour me guider car il semblait connaître le port comme sa poche. Après ce qui me parut une éternité, Vyrl me désigna un bâtiment. Nous étions enfin près de l’entrepôt. J’aperçus un petit groupe de gardes qui patrouillait aux alentours, plus deux autres qui gardaient la porte et enfin deux autres un peu plus loin. Il y avait beaucoup plus de monde que je ne l’aurais cru et je sentis une certaine angoisse m’envahir, mais au moins Fyly et les autres n'étaient pas ici, tant mieux. Comment passer autant de gardes ? Ils n’allaient pas…
Vyrl interrompit mes réflexions en se mettant à marcher rapidement vers l’entrepôt. Il atteignit sans problème une petite ruelle, au nez et à la barbe des gardes, me laissant bouche bée. Comment avait-il fait ça ? Il me fit signe d’attendre. Mon cœur battait la chamade. Comment le rejoindre ? Il me fit signe de venir et j’essayai de l’imiter, avançant le plus vite possible en restant courbée. Ma cheville se déroba lorsque je ne fus qu’à deux mètres de la ruelle. Je retins un gémissement de douleur et me forçai à rouler pour atteindre le mur. Une fois collée contre celui-ci, Vyrl me tira dans la ruelle ou je pus expirer un grand coup avant de le remercier.
- Merci, j’ai cru que j’étais cuite. Comment as-tu su qu’on pouvait passer ?- J’ai passé la journée à observer leur surveillance, elle est assez facile à comprendre et il y a toujours un laps de temps où ils ne regardent pas par là. Par contre je t’avoue que ta chute m’a fait peur. Soit c’étaient les gardes les plus incompétents du monde, soit Vyrl ne me disait pas tout, mais le moment n’était pas à la réflexion, plutôt à l’action. Je frictionnai ma cheville douloureuse avant de suivre Vyrl qui s’approcha d’un pan du mur de l’entrepôt, qu’il retira sous mes yeux incrédules. L’ouverture n’était pas très large, mais je comprenais pourquoi il avait mis autant de temps pour revenir. Il pénétra dans l’entrepôt et je pris sa suite.
L’obscurité était palpable, mais Vyrl avança d’un pas assuré vers le fond de l’entrepôt. Il me désigna une grande forme carrée recouverte d’un drap. Nous nous approchâmes en silence puis il souleva le drap et je fis de même. Je l’entendis pousser un cri de surprise et c’était compréhensible. La cage était vide. Malgré l’obscurité régnant dans l’entrepôt, je le vis blêmir.
- Elle devrait être là ! Je l’ai vu ! Il commença à pleurer et je lui tapotai le dos, plus pour qu’il se taise que pour réellement le réconforter, voyant mal comment m’y prendre. Je lui chuchotai que nous devions ressortir et il acquiesça, le visage ruisselant. Nous refîmes donc le chemin en sens inverse. Où avaient bien pu passer toutes les captives ? Ils les auraient déplacées ou embarquées ? A moins que…
- C’est un putain de piège !Je courus, Vyrl sur mes talons, vers la sortie qu’il avait faite et vis de la lumière provenant de l’extérieur par le trou. Nous étions coincés. La porte du hangar s’ouvrit et je vis cinq hommes portant chacun une torche et une armure intégralement noire qui entraient. Je me cachai avec Vyrl et l’un d’eux s’avança et parla d’une voix forte et autoritaire.
- Nous savons que vous êtes là. Vous n’avez aucune chance de sortir ! Montrez-vous !Je réfléchis à toute vitesse, essayant de trouver une solution pour nous en sortir. Pas question d’affronter ces types, ils avaient l’air de guerriers entraînés et nous étions deux adolescents. Je sentis Vyrl trembler à mes côtés, ce qui réduisait nos effectifs à moi uniquement, j’étais à peu près certaine qu’il ne serait pas d’une grande aide. Il devait bien y avoir une solution. L’autre type commença à s’impatienter.
- Sortez de là, si je dois vous chercher je vais m’énerver. Si vous vous montrez bien gentiment notre patron sera clément. Dépêchez-vous !Il fallait qu’on passe en force, quitte à ce que je mette le feu à l’entrepôt, ils seraient obligés d’éteindre l’incendie… mais si d’autres attendaient dehors ? Bon sang je devais trouver une solution. J’entendis Vyrl inspirer profondément derrière moi. Je sentis qu’il voulait faire quelque chose et je me tournai vers lui pour qu’il m’expose son idée. Il me regarda avec un sourire triste.
- Pardonne-moi Yliria.Sur le coup je ne compris pas ses paroles. Il se leva et fit face aux mercenaires. Je restai cachée, bouche bée, il était devenu cinglé ou quoi ? Il y avait forcément une autre solution. Ce que j’étais naïve...
- Je suis Vyrl, votre patron a du vous prévenir, la coupable est cachée là derrière.Quoi ! Il venait de leur dire où j’étais! Et comment ça leur patron était prévenu ? Ce ne fut que lorsque je le vis sortir en tout impunité que je compris et sortis de ma cachette les poings serrés. Il m’avait vendue cet enfoiré ! Déjà les hommes armés s’approchaient et je levai les mains pour montrer que je n’avais pas d’arme. Il aurait été stupide d’essayer de combattre, je n’avais aucune chance face à autant de monde. Le chef des gardes me lia les mains avec une corde en me regardant avec un air satisfait puis nous sortîmes. Il y avait une demi-douzaine de gardes à l’extérieur, je n’aurai de toute façon pas pu fuir avec autant de monde. Un homme corpulent s’avança et je reconnus Kisp. Il tenait une petite fille par le cou et celle-ci était visiblement terrorisée. En me voyant il eut un sourire et regarda Vyrl avant de lâcher la fille qui courut vers lui. Il la serra dans ses bras en pleurant et en la rassurant. Tout s’expliquait à présent… il m’avait vendu pour récupérer sa sœur. Loin d’être ému par ces retrouvailles familiales, Kisp s’approcha de moi et me détailla.
- C’est donc toi qui as mis un tel désordre dans mes affaires en tuant Jonas. Tu aurais mieux fait de rester à Tulorim gamine.Tulorim… ah, oui, l’homme qui avait parlé à Charles peu avant que je ne rencontre Fyly et les autres. Je savais bien que sa tête me disait quelque chose. Ça ne changeait pas grand-chose à ma situation de toute façon. J’eus beau chercher, je ne vis pas de moyen de leur fausser compagnie. Il se détourna et s’adressa à Vyrl.
- Comme convenu gamin, voici ta sœur et nous vous laisserons tranquille. Veille à bien rester loin de mes affaires, sinon le marché ne tient plus.-Merci monsieur. Vous… qu’allez-vous lui faire ?Je vis un sourire se dessiner sur le visage de Kisp et cela ne me plut pas du tout.
- Tu n’as pas besoin de le savoir, profite de ta chère famille et reste en dehors de ça. Allons-y vous autres, j’ai hâte de discuter avec mon invitée.